Communication scientifique
Session of 10 mars 2009

Discussion

Jean-François Mattei *, Claude Sureau, Marie-Thérèse Hermange, Yves Chapuis, Charles-Joël Menkès, Pierre Canlorbe, Jean-Roger Le Gall, Bernard Salle, Gilles Crépin, Jacques Battin, Pierre Delaveau, Maurice-Antoine Bruhat, Jean Dubousset, Jean-Marie Mantz, Denys Pellerin

 

Intervenants à la discussion pour la gestation pour autrui (GPA)

M. Jean-François MATTEI *

La gestation pour autrui (GPA) est un sujet récurrent qui revient cycliquement à la mode. En 1990, j’avais déjà personnellement débattu avec le Docteur Sacha Geller, médecin marseillais créateur d’Alma Mater puis de l’Association des sœurs de Sainte Sarah.

La controverse ayant été portée devant la justice, la Cour de Cassation s’est prononcée en séance plénière après avoir entendu, évènement exceptionnel, notre regretté confrère le Professeur Jean Bernard en tant qu ’amicus curiae. Tout au long de sa déclaration celui-ci avait plaidé pour l’enfant et c’est au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il avait exprimé toute son opposition à la méthode. En 1991, cette intervention a certainement joué un rôle important dans l’établissement de la doctrine par la Cour de Cassation qui a jugé que la GPA devait demeurer interdite.

C’est la raison pour laquelle dans la loi de 1994, j’ai repris les attendus de la Cour, eux-mêmes reflet de l’illustre médecin humaniste empreint de compassion que nous avons connu. Et rappelant cela, je rappelle le fil rouge médical qui doit être le nôtre dans cette enceinte.

Ce que je souhaite néanmoins souligner, c’est que le sujet réapparaît maintenant, non pas parce qu’il aurait pris une ampleur particulière, mais parce que ses partisans ne pouvant espérer une loi spécifique, entendent bien saisir la révision programmée de la loi de Bioéthique pour s’y glisser fort opportunément. Certes, on peut les comprendre, mais au fond, il s’agit davantage d’une démarche d’opportunité pour profiter de cet effet d’aubaine législative que d’une nécessité pressant le droit de s’adapter aux mœurs comme il arrive parfois.

Pour autant, il est vrai que nous vivons une époque où, d’une part on sacralise le désir des parents et le droit à l’enfant, d’autre part on diabolise ceux qui voudraient tenter de rappeler quelques données de bon sens. Entre le diable et le bon dieu, il faut donc se féliciter que notre Compagnie soit saisie de la question et bien avoir conscience que notre responsabilité est grande.

Je considère que le rapport présenté au nom du groupe de travail est d’une excellente facture. Je le trouve bien documenté, consciencieux et objectif dans sa présentation.

 

Il faut en être reconnaissant à tous ceux qui y ont contribué.

Je voudrais néanmoins attirer votre attention sur certains aspects qui, à mon sens, méritent d’être soulignés, voire argumentés. Je terminerai en vous faisant part ensuite de ma recommandation.

Pour simplifier les choses, je dirai que dans la GPA, il y a quatre personnages, ou groupes de personnages en quête d’auteur : le médecin, le couple d’intention, la gestatrice mais aussi son conjoint et leurs enfants, enfin, l’enfant lui-même, encore à l’état de projet Le médecin

Doit-il accepter d’être l’instrument de l’évolution de notre société au même titre qu’un simple prestataire de service ? Sans jamais s’interroger sur la portée de son geste ? Ou à l’inverse, doit-il donner son sentiment sur l’avenir de l’enfant ? C’est à ce point précis que nous sommes concernés au premier chef, car n’oublions pas que notre mission est certes médicale, mais elle est aussi sociale et médico-sociale. La pédiatrie sociale, la psychiatrie sociale, la gynécologie sociale et la médecine entière en témoignent. Nous savons tous que le médical et le social ne peuvent longtemps s’ignorer. Je récuse donc la prise en compte du seul aspect médical au sens strict et réducteur. D’ailleurs, le rapport le dit très bien, personne ne peut apprécier par avance les conséquences sur l’enfant de cette odyssée pré et périnatale. Cela est d’autant plus grave qu’à la différence de toute grossesse qui comporte toujours sa part d’inconnu, il s’agirait en la circonstance, d’une prise de risques volontaire et consciente des médecins, de la société et de l’Etat. La dernière version du rapport mentionne clairement que les neuf mois de gestation ne sont pas anodins, ni pour la mère, ni pour l’enfant. Peut-on, malgré cela, passer outre et persévérer ? Ou même simplement ignorer de tels risques ? Enfin, chacun comprend qu’il s’agirait de considérer l’utérus de la gestatrice comme un simple incubateur. Au demeurant, les américains ne s’embarrassent pas de la référence à la femme, puisqu’ils parlent de « ventres à louer » comme si ces ventres étaient désincarnés. Sans même évoquer l’utérus artificiel, à mon sens c’est s’engager dans une déshumanisation de la maternité. Parce qu’un médecin ne peut accepter qu’on déshumanise la maternité, je suis certain qu’il nous faut prendre parti.

Le couple d’intention

C’est lui qui, paradoxalement peut-être, pose le moins de problèmes car depuis les premières méthodes d’assistance médicale à la procréation, nous savons bien comprendre les situations des couples infertiles. Nous savons bien que la quête d’enfant est aussi un combat contre la mort. Nous connaissons ces visages et ces détresses. C’est pour eux, que nous sommes allés déjà très loin dans l’évolution de nos pratiques et je vous rappelle que j’y ai pris toute ma part. Mais, selon le syndrome bien connu de la glissade, dans le domaine des innovations, on fait un pas, puis un autre, puis encore un, pour un jour se trouver là où l’on n’avait jamais imaginé aller, où l’on n’aurait jamais voulu aller.

À mon sens, il faut à un moment savoir marquer un arrêt et je pense que la GPA est un tel moment.

On pourra objecter que si nous ne le faisons pas d’autres le feront, alimentant davantage encore un tourisme procréatif avantageant les fortunés et pénalisant les plus pauvres. J’entends parfaitement cet argument mais je veux tenter d’y répondre par deux objections.

Une objection de principe car accepter de calquer sa conduite sur celle des autres revient à renoncer à toute espèce d’exigence pour, finalement, se retrouver sur une sorte de plus petit commun dénominateur éthique. D’ailleurs, pourquoi n’appliquons-nous pas l’éthique espagnole en matière de transplantation d’organes puisque l’Espagne ne connaît pas de problème de pénurie d’organes ? Pourquoi n’accepte-t-on pas la rétribution des donneurs de sang et l’achat des gamètes quand d’autres pays le font ? Pourquoi venons-nous de confirmer notre refus de l’acte d’euthanasie quand d’autres l’autorisent ? Et je pourrais poursuivre la litanie des différences. Il n’est pas jusqu’aux État-Unis qui ne connaissent des législations opposées d’un État à l’autre, qu’il s’agisse notamment d’interruption de grossesse et d’assistance médicale à la procréation. Ma conviction est que ce n’est pas parce que tel ou tel pays autorise telle ou telle pratique que nous sommes dispensés d’un examen critique et d’une prise de décision qui nous soit propre. En aucun cas nous ne devons abdiquer notre conception de la dignité humaine devant des considérations économiques et/ou géographiques.

J’ajoute, et ce n’est pas le moins important, que cet argument consistant à vouloir lutter contre le tourisme procréatif est inopérant. Compte tenu des critères de sélection des couples, des conditions requises (et je pense, notamment, aux propositions complémentaires de Roger Henrion et Pierre Jouannet), il y aura infiniment moins d’élus que de candidats. Les couples déçus, désormais porteurs d’une double injustice à leurs yeux, stérilité et refus de la GPA, continueront de grossir les carnets des intermédiaires peu scrupuleux. C’est, à mon sens, une raison qui n’est guère convaincante.

Enfin, concernant le distinguo qui est fait entre la gestatrice simple — si je puis dire — et la génitrice également gestatrice, il peut aider à faire accroire l’idée qu’on est audacieux sans trop, donc mesuré, mais je pense que ce distinguo ne tiendra qu’un seul été devant tous les arguments issus de la pratique des dons de gamètes. Si la gestation pour autrui était légitimée, comment pourrait-on maintenir longtemps l’interdiction du don d’ovule qui pourrait lui être associée ?

La gestatrice

Je ne vais pas m’attarder longtemps sur les considérations d’argent. Elles sont bien exposées dans le rapport et rencontrent, j’en suis sûr, un consensus général. Accepter de porter un enfant et l’abandonner à la naissance contre de l’argent est une injure au passé révolu de l’esclavage. Nous retombons bien bas. Je ne parle pas tant de nous qui résistons encore, que de nombreux pays développés qui n’ont pas autant de scrupules.

Mais je suis très préoccupé comme pédiatre et viscéralement défenseur de l’enfant que celui-ci puisse faire l’objet d’un contrat, ou d’une convention, ou de tout autre synonyme. Pourtant, entre un couple qui commande, une gestatrice qui s’engage, l’objet de l’accord est bien l’enfant. Je ne pense pas que ce soit un bon départ dans la vie.

Je suis gêné, car parmi toutes les motivations des gestatrices, celle qui s’impose, au point d’être quasi exclusive, est bien le besoin d’argent. N’est-ce pas cet argent qui conduit le conjoint de la gestatrice à l’accepter enceinte d’un autre que lui, à faire comme s’il ne se passait rien, à s’imposer avec elle, une hygiène et des contraintes de vie ? Quant à l’enfant — ou les enfants —, existant déjà dans ce couple, ils vont assister à cette grossesse sans toujours comprendre pourquoi il n’y aura aucun bébé à son terme ? À moins qu’on leur explique qu’il a été donné… et là, je laisse volontiers la place aux pédopsychiatres.

Les aspects juridiques ne sont souvent pas très éloignés de la médecine. Je ne vais pourtant pas insister sur toutes les contraintes dans le suivi d’exécution du contrat, sur l’évaluation de l’enfant à la naissance, sur les changements de décision, sur les remords éventuels à distance. En l’occurrence il conviendrait pour légitimer tout cela de faire en sorte que désormais la mère ne soit plus obligatoirement celle qui accouche ? Fin le « mater semper certa est » ! Ce qui revient au passage, à légitimer l’abandon d’enfant. Et là encore, nous ne pouvons pas rester silencieux.

L’enfant

Sans vouloir jouer les Cassandre… chacun peut penser que l’enfant ne bénéficera pas de toutes ses chances pendant la grossesse. Pas de complicité avec sa mère — pardon sa gestatrice, pas de ces moments d’intimité qui préparent l’avenir. On comprend parfaitement que la gestatrice ne souhaite pas établir de liens avec celui auquel elle ne veut pas s’attacher puisqu’elle va le donner à d’autres. Elle éprouve intimement le besoin de se protéger par avance. Pourtant, souvent des liens se nouent malgré tout.

Il n’y a pas d’anonymat dans la GPA et, après la naissance, l’envie s’impose de revoir l’enfant qu’on a porté. Mais quelle signification et quel cadre donner à ces échanges ? S’agira-t-il des liens affectueux que peut conserver une nounou qui a gardé des enfants ? S’agira-t-il d’un droit de visite au titre de sa fonction de gestatrice ? Et que faire en cas de refus des parents ? D’ailleurs, au-delà même du droit, on crée des situations dont la logique nous échappe au gré des sentiments, des attachements, du désir de savoir ou de la capacité d’oubli. L’enfant devenu grand voudra peut-être, de toute façon, voir le visage de celle dont il ne connaît que le ventre. Le rapport explique très bien tous les doutes exprimés par les spécialistes consultés sur le développement de ces enfants, de leurs passages difficiles à certaines périodes de leur vie.

Ma conviction est que nous ne pouvons pas laisser croire que nous resterions neutres sur des questions aussi graves.

CONCLUSION

Ma conviction est qu’on ne change pas les fondements de l’exercice médical au gré des modes sociétales. Que la médecine évolue au rythme des progrès scientifiques et techniques, certes, mais la GPA ne relève d’aucun de ces progrès. En fait, il y a derrière nombre de ces sujets tels que la GPA une véritable déconstruction des liens et des rapports entre les personnes et entre les générations, avec une recherche de liberté absolue gommant l’appartenance à une société. C’est parce que nous sommes, aussi, comptables des liens nécessaires à l’enfant que j’ai sollicité le privilège de m’adresser à vous.

Après une longue réflexion, je donne mon accord au rapport dans son exposé des faits, en revanche je souhaite vivement que notre Compagnie exprime nettement un avis défavorable sur la pratique de la gestation pour autrui.

M. Claude SUREAU *

Il n’est dans mes intentions ni de rappeler les éléments très précisément exposés par Roger Henrion et Georges David, ni de contester toutes les affirmations de JeanFrançois Mattei. Je partage même le sentiment de celui-ci sur certains points : par exemple, comme lui, je pense que la réalité du drame de l’infertilité ne justifie pas le recours à toutes les méthodes palliatives mises en œuvre dans certains pays étrangers ni que celles-ci représentent un exemple qu’il serait légitime de suivre. Le rapport dans son ensemble, et la résolution originelle des rapporteurs, ne constituent d’ailleurs en rien une incitation à se déterminer en faveur de la GPA ; cette résolution invite, très prudemment, à envisager une évaluation soigneuse des conséquences, médicales au premier chef, mais aussi psychologiques, sociétales, humaines en un mot, de celles-ci au cas où le législateur envisagerait, fut-ce à titre dérogatoire ou temporaire, la mise en œuvre d’une telle pratique.

Jean-François Mattei considère que cette éventualité réaliserait une véritable rupture avec une tradition juridique établissant « des principes fondateurs essentiels » qu’il a longuement exposés, et que nous connaissions déjà fort bien. Or la référence a de tels principes « fondateurs » n’est pas totalement convaincante : elle ne tient pas compte de l’évolution de la société et des conséquences que celle-ci induit sur la jurisprudence comme sur le droit positif .

* Membre de l’Académie nationale de médecine

Faut-il rappeler le flou qui entourait le recours, discret et incontrôlé, au don de gamètes jusqu’à ce que Georges David introduise une régulation de fait, qui ne fut d’ailleurs entérinée par la loi que vingt et un ans plus tard ? Faut-il rappeler l’émotion qui saisit notre société (et notre Parlement) lorsqu’à la demande du Général de Gaulle, Lucien Neuwirth proposa l’acceptation des diverses formes modernes de contraception, suscitant alors des oppositions émanant, assez paradoxalement, d’horizons politiques ou confessionnels pourtant traditionnellement opposés ? Faut-il rappeler les injures qu’a subies Madame Veil lorsqu’à la demande du Président Giscard d’Estaing elle réussit à éviter les conséquences humaines, et au premier chef médicales, qu’entraînait la pratique illicite de l’interruption de grossesse ? Lors de toutes ces discussions, aussi, les « principes fondateurs essentiels » furent invoqués ; et puis le temps a passé, les esprits se sont apaisés, qu’elles que puissent demeurer les convictions personnelles et la référence à celles-ci pour déterminer les comportements individuels.

L’étude des conséquences de ces comportements et de leur régulation par la loi demeure une question majeure et c’est précisément celles-ci dont la motion proposée par les rapporteurs envisage l’évaluation « rigoureuse, objective, contradictoire et strictement encadrée ».

Dans ces conditions, il faut bien reconnaître que l’argument conduisant à parler d’ « essai d’enfant » n’a pas plus de sens que celui qui viserait à s’opposer à d’autres attitudes, IAD, FIV, admises par la loi ; celui de l’absence d’expérimentation animale préalable n’est pas non plus recevable, car il est tout simplement erroné ; il en va de même pour l’évaluation prolongée de ces conséquences, qui est effectivement nécessaire, mais se pose dans les mêmes termes pour toutes les formes d’assistance médicale à la procréation.

On ne peut que s’interroger également sur l’affirmation de Jean-François Mattei soulignant que « le fond de la question est bien l’avenir et l’épanouissement d’un enfant alors même que la structure familiale est en jeu » ; il n’hésita pas, pourtant, à propos du transfert posthume d’embryons fécondés in vitro , à imposer leur destruction, au lieu de leur permettre de « s’épanouir » au sein d’une famille, traumatisée et amputée certes, mais aimante et protectrice.

Je rejoindrai certes Jean-François Mattei pour critiquer certains aspects de la GPA :

lors de l’affaire G. de 1991, où la gestante était également à l’origine de l’ovocyte fécondé, je me suis prononcé, après mure réflexion, en faveur de la décision juridictionnelle et législative, car il ne me paraissait pas opportun que conception et gestation étrangères soient associées ; lors de la récente affaire M., j’ai éprouvé la même réticence, en raison de la coexistence potentiellement traumatisante de « trois mères », la donneuse d’ovocyte, la gestante et la mère d’accueil.

En revanche, dans les cas parfaitement explicités dans le rapport Henrion, l’élément à mes yeux essentiel est la concordance, humaine et familiale, entre la filiation génétique et le concept juridique de « possession d’état » qui permettra à l’enfant d’être élevé par ses « vrais » parents. Certes, des risques, de tous ordres, existent, parfaitement mis en exergue dans le rapport, mais des risques de nature semblable sont présents dans toutes les autres formes de PMA, comme lors d’une éventuelle adoption. Si l’objectif est le bonheur de l’enfant, les risques assumés et acceptés par les parents, comme par la « nounou », me paraissent devoir être pris en considération, mais non servir d’argument pour un rejet pur et simple.

Ma conclusion est qu’entre la compassion (qui certes doit comporter des limites, souvent non respectées dans d’autres pays) et l’absence de compassion (et les drames qu’elle génère), absence de compassion qui, à mes yeux, constitue une faute morale lourde, il convient de faire un choix. C’est ce choix que fit, il y a plus de trente ans, Georges David, lorsqu’il écrivit : « A ce déni de compassion, je décidai de lutter par un défi de moralisation ». La regrettée France Quéré, théologienne protestante, l’a dit avec force : « Toute pitié envers l’homme est piété envers Dieu », et pour moi, cette conviction rejoint celle récemment exprimée par Jean-François Mattei, luimême : « La médecine n’attache pas assez d’importance à cette autre forme de souffrance qu’est la souffrance morale ». Ce choix devrait, dans le cas qui nous occupe, reposer sur une étude soigneuse, dépourvue d’idée préconçue, telle qu’explicitée dans le texte de la proposition des rapporteurs.

Il me paraît répondre aux diverses objections présentées par Jean-François Mattei et illustrer la phrase évangélique de Matthieu : « Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt ».

Ramassons ce fardeau et acceptons-en la charge.

Mme Marie-Thérèse HERMANGE **

En cet instant où vous me donnez de m’exprimer sur la gestation pour autrui, j’ai bien conscience, parce que sénateur, de représenter ici la chose publique, c’est-à-dire « l’opinion qui pense mal » selon les propos de Bachelard. « La science , ajoutait-il, s’oppose à l’opinion, et s’il lui arrive (…) de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, de fait, toujours tort ». Mon propos, vous l’accueillerez donc comme n’étant pas celui de l’érudition, ni de la science, mais humblement celui d’une politique qui tente de voir les implications humaines de tout consentement collectif, persuadée que je suis, que nous nous devons d’établir en toute transparence le diagnostic nécessaire à la bonne ordonnance en la matière. Sans cela , « cette réalité risque d’être banalisée sans que l’on en ait mesuré toutes les conséquences » , (comme l’a rappelé tout récemment la ministre de la santé Roselyne Bachelot). Or, à l’heure où l’Académie propose dans son rapport une évaluation de la GPA, présupposant une levée de l’interdit, nous nous devons de poser les questions suivantes : à quoi consentons-nous collectivement et que sommes-nous prêts à abandonner pour répondre à un désir individuel ?

Et sur quelle légitimité fonder une telle démarche ?

** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine

À quoi consent-on nous collectivement ? D’abord, à légaliser un abandon d’enfant

Car de deux choses l’une : ou nous ne conservons pas dans notre droit le principe mater semper certa est (qui garantit à l’enfant la solidité, et surtout l’évidence de sa filiation maternelle, et dans ces conditions) nous en arrivons désormais à une présomption de maternité (quel progrès !), ou nous le conservons comme principe de droit fondamental, et alors il faut le dire, nous légalisons un abandon d’enfant .

Ainsi, l’enfant né après GPA, est un bébé abandonné par sa gestatrice, car la mère d’intention ne deviendra légale qu’après une procédure d’abandon à la naissance .

L’ordonnance de GPA établie par le législateur, équivaut donc pour vous, messieurs les gynécologues, à une « ordonnance d’abandon ».

D’ailleurs, dans l’éventualité où une mère porteuse ne voudrait plus livrer l’enfant commandé, le juge français donnerait raison à sa revendication, c’est le droit de repentir. (Or on ne peut à la fois reconnaitre à la mère porteuse le droit de garder l’enfant du seul fait qu’elle l’a porté , et justifier la GPA en estimant que la grossesse est secondaire dans la maternité.) Ce flou illustre bien les problèmes de la fragmentation de la procréation liée à la GPA, dans laquelle la mère porteuse n’est plus qu’un agent parmi d’autres . Ce que je vous nomme juridiquement, vous le nommez médicalement dans le rapport puisqu’en deux pages, à cinq reprises, vous posez la question : « qui doit prendre la décision, la gestatrice ou les parents d’intention ? » en cas de grossesse multiple, pour décider d’une réduction embryonnaire, en cas de grande prématurité, pour décider du bien fondé de l’arrêt éventuel de la réanimation, en cas de malformation mortelle ou d’anomalie très grave, en cas de handicap sévère, en cas de malformation opérable à la naissance, en cas d’atteinte d’une morphologie externe du fœtus, en cas d’un retard mental. Qui prendra la décision ? Le médecin ?

À quoi consent-on en second lieu ? À la réification de la femme et de l’enfant.

Le corps est partie intégrante de la personne humaine et de sa dignité . Or, dans la

GPA c’est bien son corps que la femme subordonne à la technique. Par là c’est la conception même de son rôle qui est transformée. À tel point qu’elle implique un échange marchand faisant entrer la maternité dans le secteur tertiaire et le droit des contrats dans le droit de la filiation. C’est donc considérer indirectement que l’être humain est une chose puisqu’en vertu de notre droit il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui font l’objet de convention. C’est enfin poser plusieurs questions : quel sera l’objet du contrat ? Comment sera-t-il résilié ? L’acte de céder un enfant contre rétribution ne le fait-il pas basculer dans le monde des choses, appropriables et disponibles, à l’inverse de la personne radicalement indisponible ?

C’est enfin perturber toute notre éthique du don dont Roselyne Bachelot vient de rappeler combien la gratuité est pour elle un point non négociable.

Dans notre assemblée je voudrais insister sur le fait que la démarche de GPA aboutit à faire de la femme une « femme-médicament » .

 

On procède donc ici à une extension de la définition du médicament dans laquelle est comprise la femme. Ainsi, l’autorisation de mise sur le marché, après procédure de certification et d’expertise (les conditions pour devenir mère porteuse), consiste en l’ordonnance délivrée par le médecin, qui se concrétise par le contrat passé entre la mère porteuse et les parents commanditaires et la remise du produit fini qui va donner lieu à une nouvelle molécule, l’enfant.

N’est ce pas d’ailleurs ce que préconise la rapport en page 611, en définissant les conditions d’inclusion pour devenir mère porteuse, avec les critères requis, avec les modalités de prise en charge des soins, les modalités de suivi de recueil des données, l’exploitation des données, l’interprétation des résultats soumis à une analyse contradictoire… En d’autres termes, l’évaluation du bénéfice thérapeutique se fera sur le même critère que pour le médicament : sa qualité, son efficacité et sa sécurité.

Mais quelle sécurité garantissons-nous à la femme et l’enfant, en proposant une expérimentation dont eux, êtres humains, sont directement l’objet?

Quelle sécurité pour la société quand nous sommes prêts à abandonner les principes qui garantissent la filiation ? Et est-on persuadé que de concession en concession nous serons encore capables de conserver demain les principes d’humanité là même où ils sont les plus menacés.

Au nom de quelle légitimité sont-ils menacés ? Au nom d’une légitimité fondée sur le principe de réalité ?

Sur les 700 couples, qui selon les associations, entre 2000 et 2007 ont pratiqué la GPA, seuls 2 %, soit 15 cas, ont rencontré des problèmes juridiques. Parce que d’une part, très peu d’enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger sont privés de filiation maternelle ; parce que d’autre part, il existe déjà des solutions permettant d’établir un lien juridique entre ces enfants et leur mère. (— il dispose, dans tous les cas et sans exception, des actes de naissance étrangers qui établissent sa filiation aussi bien à l’égard de sa mère intentionnelle que de son père intentionnel ; — ces actes sont souvent transcrits à la demande des parents par l’officier français de l’état civil consulaire, qui dresse alors un acte de naissance français établissant la filiation de l’enfant à l’égard des deux parents ; — ils peuvent de toute façon obtenir tous les papiers d’identité français (passeport ou carte d’identité) pour leurs enfants en vertu de l’article 47 du code civil. ) . (Or, lorsque le juge a annulé la filiation maternelle de la mère intentionnelle vis-à-vis à l’enfant, ce qui encore une fois ne représente qu’une toute petite minorité des cas, la mère intentionnelle peut : — obtenir des droits vis-à-vis de l’enfant, au travers du partage de l’exercice de l’autorité parentale ( article 377-1 alinéa 2 du code civil ), — accomplir les actes usuels relatifs à la surveillance et à l’éducation de l’enfant, — bénéficier du tutorat en cas de décès du père ( articles 397 et 404 du code civil ). En cas de rupture du couple, le juge pourra organiser les relations entre la femme et l’enfant ( article 371-4 alinéa 2 du code civil ) allant même jusqu’à le lui confier ( article 373-3 alinéa 2 du code civil ). De plus, elle pourra sans doute, à l’occasion d’un prochain texte législatif, bénéficier du statut de beau-parent.)

Si l’intérêt de l’enfant doit donc être de ne pas se trouver dans une situation d’orphelinat juridique il s’avère qu’au regard des dispositions juridiques françaises, cela n’arrive pas. Au-delà de l’aspect juridique, l’intérêt de l’enfant n’est il pas de voir l’unité de sa filiation protégée ?

Légitimité fondée sur le possible médical ?

Mais ce possible médical, la lecture du Rapport de l’Académie de Roger Henrion et de Claudine Bergoignan-Esper, nous en montre manifestement les limites puisque huit de ses pages sont consacrées, je cite « à la crainte de risques à court et long terme dus à toute grossesse » et qui sont susceptibles d’entraîner plaintes et procès où peuvent être impliqués gynécologues et obstétriciens. Et ne vous y trompez pas, comme nous l’ont dit les juges anglais, chaque situation de GPA, parce que chacune sera particulière, donnera lieu à une jurisprudence sur le plan médical, sur le plan social et sur le plan juridique. Par exemple, pourquoi au nom du principe d’égalité, n’admettre la GPA qu’au titre de l’absence d’utérus ? Que dire alors des cas d’échecs dus à l’AMP, et de toutes les autres causes d’infertilité ? Sur quels critères définir l’infertilité et la stérilité ? A partir de quel âge ? (Sans omettre le fait qu’il reviendra ultérieurement aux psychanalystes d’analyser les fantasmes et les projections de la mère gestatrice qui a porté et nourri un fœtus pendant neuf mois et a eu avec lui des échanges variés, tant physiologiques que psychologiques).

 

Légitimité fondée sur le principe du tourisme procréatif ?

Je voudrais faire à cet égard deux observations : tout d’abord, si la France se dotait d’un régime légal encadrant la GPA en présupposant les bonnes indications thérapeutiques, il n’en reste pas moins vrai que, par déduction , il resterait de mauvaises indications thérapeutiques, donnant donc naissance à des enfants non qualifiés à naître sur notre territoire. Les difficultés juridiques mises en avant par certains, ne seraient nullement résolues : quand ces cas se présenteront, il faudrait soit refuser la filiation, soit changer à nouveau la loi.

À moins, et c’est ma deuxième observation, qu’élaborer une loi, revienne à faire la somme de toutes les expériences de toutes les situations juridiques possibles au risque de s’aligner systématiquement sur le moins-disant éthique et de considérer tolérables des mentalités, des procédures, et des actes préjudiciables à l’idée même de dignité humaine. Le désir d’enfant me paraît légitime, on peut le comprendre quelle que soit la situation des personnes qui l’expriment.

Car il y a bien une différence éthique entre accompagner des situations en permettant l’établissement juridique de la filiation dans certains cas spécifiques et institutionnaliser une pratique qui reste d’exception. Mais au regard des éléments que je viens de développer, demandons nous : « Maintenant, est-ce à la société d’y répondre » ? Comme le souligne pertinemment Roselyne Bachelot. Je vous propose quant à moi pour répondre à cette question, que notre Académie s’empare de cette capacité d’empêcher selon la superbe formule d’Albert Camus : «

Un homme ne fait pas ça. Non, un homme ça s’empêche ».

 

M. Yves CHAPUIS *

Je voudrais tout d’abord rappeler que la Commission XVII a été étroitement associée aussi bien à l’élaboration du rapport que des recommandations. De surcroît à la demande de Roger Henrion et de Georges David j’ai assisté à la plupart des réunions préparatoires au cours de l’année 2008, ce qui m’a permis de prendre la mesure de témoignages et d’opinions bien entendu variés et au besoin opposés. C’est pourquoi au moment d’intervenir, je me sens en face d’un double constat.

D’un côté,je ne peux manquer d’être fortement ébranlé par les arguments qui nous mettent en présence de choix éthiques fondamentaux. Fondamentaux dans l’absolu, mais fondamentaux aussi parce que notre pays s’est doté, dans un contexte international disons confus, d’une loi de Bioéthique qui doit à mes yeux sur tous les points qui concerne le corps humain rester une référence. De ce fait je ne vois pas comment concilier une démarche de générosité et le non respect de règles qui doivent rester le socle de la bioéthique. D’un autre côté, il nous est demandé de nous prononcer d’abord sur un rapport, ensuite sur des recommandations.

Comme on l’a compris ce rapport n’est un plaidoyer ni pour ni contre la GPA. Vous savez que chemin faisant il a subi de nombreux aménagements. L’essentiel est qu’il constitue un document de référence dont l’importance pour les Institutions qui l’attendent et le débat public qui l’accompagne ne saurait nous échapper. Quant aux recommandations, celles étudiées par la Commission XVII le 24 février dernier ont subi par rapport à leur formulation de départ et particulièrement sous l’impulsion de Denys Pellerin de profondes modifications. Elles ont la prudence d’exprimer une condition essentielle dans l’hypothèse d’une autorisation.

Or je constate que nous sommes aujourd’hui en présence de deux versions sur lesquelles nous aurons à nous prononcer après leur confrontation, ce qui représente un événement inattendu.

M. Charles-Joël MENKÈS *

Je pense que les prêts d’utérus, surtout dans le contexte économique actuel ne peuvent que conduire à la formation de réseaux de femmes gestatrices dirigés par des affairistes plus ou moins mafieux ou des proxénètes.

Au Moyen Âge, on louait des nourrices pour l’allaitement mercenair e. Au xviie et au xviiie siècle, les familles nobles avaient toutes des nourrices qui prenaient en charge les nouveau-nés jusqu’au sevrage vers vingt-quatre mois. Va-t-on assister au xxie * Membre de l’Académie nationale de médecine siècle, au troisième millénaire à l’apparition chez les plus riches de nourricesgénitrices , faisant partie du personnel et déchargeant la maîtresse de maison des inconvénients de la grossesse suivie d’un allaitement pendant six mois ?

En ce qui concerne les recommandations, je trouve que dans le premier paragraphe, à la page 612 du Rapport, la dramatisation est un peu excessive en comparaison à bien d’autres problèmes de santé. Même si certaines situations, malformations, absence d’utérus méritent d’être prises en considération, de façon exceptionnelle, il convient d’insister sur la nécessité de faciliter le processus d’adoption qui répond de façon tout-à-fait éthique au désir d’enfant.

M. Pierre CANLORBE *

Nous sommes consultés à l’occasion de la révision des lois de Bioéthique, il y a donc une double interrogation. Sur la première, le problème « biologique », ou plus précisément, en ce qui concerne, la Grossesse Pour Autrui (GPA), les problèmes medico-techniques, je n’ai rien à ajouter à l’excellent rapport qui vient de nous être présenté. Mais les problèmes éthiques ne sont pas et loin de là, de moindre importance : et ils ont été parfaitement développés par les précédents orateurs. Aussi je pense que l’Académie ne peut se dispenser de formuler un avis clair et net sur le problème éthique et qu’elle ne saurait s’en dispenser au motif, parfois invoqué, qu’il s’agit d’un problème « Sociétal » qu’il appartient aux politiques, représentants de la nation de trancher. Je souscris donc à la « proposition de rédaction numéro deux » qui nous est soumise et qui me paraît le « minimum éthique » de ce que nous avons à exprimer : « … l’Académie considère qu’au titre de sa mission médicale elle ne peut être favorable à la GPA… » M. Jean-Roger LE GALL **

Le rapport détaillé est remarquable par sa précision, par sa rigueur et par son intégrité. Bien qu’il conclut à une apparente neutralité de l’Académie nationale de médecine et à la nécessité d’un débat citoyen, on sent bien toutes les réticences médicales, psychologiques, sociales et symboliques. Il me semble que la France peut continuer à se distinguer de la Grèce, du Royaume-Uni ou de certains états américains… Toutes les relations ne se réduisent pas à une question contractuelle. Le ‘‘ droit à l’enfant ’’ n’a pas encore évincé la protection des enfants eux-mêmes. Le désir de rendre un enfant heureux et de l’entourer de son affection ne nécessite pas qu’il appartienne à tout prix génétiquement à la famille qui en prend soin. Ces tentatives biologiques pour pallier une forme de stérilité, qui font intervenir une mère d’emprunt et qui préméditent une rupture dans l’histoire de l’enfant me * Membre de l’Académie nationale de médecine ** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine paraissent discutables. Elles supposent une fragmentation de l’enfantement et de la parentalité qui révèle à la fois un désir de maîtrise de la nature mais aussi une impossibilité à y échapper puisqu’il faut à tout prix réintroduire de la filiation génétique. L’ambiguïté du statut de la mère gestatrice enfin me paraît une source de difficultés psychologiques pour l’enfant, pour les parents d’intention et pour ellemême. Cela introduit de la confusion dans les relations familiales qui s’en trouvent profondément ébranlées dans leur structure.

M. Bernard SALLE *

Nous, mon fils Bruno qui dirige le centre de PMA du CHU de Lyon et moi-même, avons lu avec beaucoup d’attention Rapport Roger Henrion sur la grossesse pour autrui.

Il faudrait peut-être rappeler ici l’histoire d’Abraham qui, si on en croit la Bible, a demandé à Sarah sa femme stérile d’avoir un enfant avec sa servante Agar l’égyptienne ; Agar devint enceinte et l’ange de Yahvé dit à Agar tu auras un garçon et tu l’appelleras Ismaël. Ce fait est reconnu par les trois religions monothéistes. C’est le premier cas connu de grossesse pour autrui accepté par les trois religions.

Nous voulons faire trois remarques : — Il faudrait éviter pages 609-610 de proposer une rémunération de la gestatrice en dehors des frais inhérents à la grossesse et à l’accouchement ; cela ne paraît pas moral même si cela se pratique à l’étranger. — Nous sommes favorables à ce que la gestatrice soit choisie dans la famille ; en effet nous connaissons l’un et l’autre pour différentes raisons plusieurs cas de grossesses pour autrui ; lorsque la sœur de la mère stérile accepte d’être porteuse, le rapport qui s’établit entre le couple stérile et la mère porteuse se déroule sans problème même après la naissance. — Le Rapport Jean-François Mattéi fait état de l’absence d’anonymat. Or le don d’organe (rein, foie) entre mère, père ou frères et sœurs n’est pas anonyme et ne peut être anonyme puisque l’on connaît le donneur. Ainsi l’absence d’anonymat dans le cas de grossesse pour autrui ne peut être invoqué pour refuser ce mode de procréation.

M. Gilles CREPIN *

La presse, les médias se sont largement emparés du sujet, avec de la part des opposants à GPA des positions souvent radicales voire alarmistes et loin d’être toujours objectives. Ainsi, celles d’une experte psychiatre psychanaliste s’exprimant très récemment dans un grand magazine : « La GPA comporte d’énormes risques pour les gestatrices comme pour les enfants. Ces femmes peuvent avoir une grossesse pathologique, mourir en couches, s’attacher à l’enfant, vouloir le garder ».

* Membre de l’Académie nationale de médecine

Mon intervention abordera, en tant que gynécologue confronté aux souffrances et aux attentes des couples stériles et avec l’exemple d’objectivité de Roger Henrion, les complications imputées à la GPA et dans un autre domaine tout aussi sensible, la relation mère-enfant.

Les complications imputées à la GPA

Certes, — Toute grossesse, y compris les grossesses spontanées, comporte un pourcentage imprévisible de risque. — Un accouchement est normal, comme le disait Lacomme, quand il est terminé. — Il n’est pas question de discuter les réalités du rapport exhaustif de Roger Henrion. Mais, — Force est de constater, la GPA n’étant pas légalisée en France, que les complications répertoriées, et à juste titre inquiétantes, sont le fait de grossesses survenues à l’étranger où les pratiques sont loin d’être toujours recommandables. En se situant dans le contexte français d’une pratique rigoureuse et structurée, on peut estimer que le pourcentage de risque purement médical ou obstétrical pour les gestatrices est plus proche de celui d’une grossesse normale que de celui des situations les plus exposées de l’Assistance Médicale à la Procréation. En effet, — la réimplantation limitée à deux, voire un seul embryons, comme c’est la règle en France, réduit considérablement le risque de complications métaboliques, vasculaires, ou mortelles, ainsi que les accouchements prématurés liés aux grossesses multiples. L’organisation hiérarchique des maternités assure une prise en charge sécurisée de ces grossesses particulières et précieuses dans des centres de haut niveau de compétence. — La gestatrice étant déjà mère de famille, elle a fait la preuve de son aptitude à mener à bien une grossesse et un accouchement surtout si elle a moins de trente-cinq ans. Elle possède en outre un lien affectif voire captif avec le ou les enfants qu’elle a déjà portés.

S’agissant de la relation mère-enfant

Nous savons, et nous avons contribué à cette connaissance, que le fœtus établit pré- cocement une relation étroite avec sa mère grâce au développement progressif in utéro de ses capacités sensorielles. À la naissance, le nouveau-né possède un acquis prénatal qui lui permet de prolonger et d’amplifier cette relation privilégiée. Avec la GPA, il y a bien évidemment rupture, et si possible très précoce, de cette chaîne affective.

Mais nous savons aussi que : — Le nourrisson dispose d’énormes capacités d’adaptation. Les relations très fortes avec la fratrie se construisent pour le nouveau-né sans préalable anté natal. La relation avec le couple adoptant dépend au cours de l’adoption, de l’investissement affectif des parents et de la précocité du rapprochement.

Toutes ces notions ne sont ni contradictoires ni antagonistes mais incitent à la plus grande pondération dans l’affirmation des convictions. Elles justifient aussi pleinement, dans l’hypothèse d’un recours à cette méthode à mon sens inéluctable à terme, la recommandation d’une évaluation qui ne se limite pas seulement au ressenti de la mère et du couple d’intention, mais s’intéresse, aussi et surtout, au développement psycho-affectif et au comportement de l’enfant jusqu’à un âge suffisamment avancé M. Jacques BATTIN *

Ayant rencontré des cas de syndrome de Rokitanski et même publié une famille d’agénésie mullérienne transmise en dominance chez des apparentées (Clin Gen.

1993, 43 , 1, 23), ce qui prouve la responsabilité d’un gène, je connais la douleur de ces femmes sans utérus. Comme l’a indiqué Roger Henrion dans son excellent rapport, la GPA n’est pas une innovation technique. J’ajouterai que la Bible en fait mention à propos de la stérilité de Rachel, la femme de Jacob (Gn 30).

Mais, au nom de l’humanisme occidental, on ne peut considérer l’enfant comme un bien de consommation. Si l’enfant a des droits reconnus internationalement par l’Unesco, il n’y a pas de droit à l’enfant. D’autre part, en vertu du principe de non-disponibilité du corps humain, la femme qui porterait la grossesse pour autrui ne peut être assimilée à un instrument dénaturant le temps précieux de la maternité et brouillant le système de parenté. Faut-il rappeler que ce dernier argument avait été invoqué pour interdire le clonage reproductif dans la loi de bioéthique ? Pour ces raisons, je suis défavorable à la GPA.

M. Pierre DELAVEAU *

Gratitude pour l’excellent rapport du groupe de travail dirigé par Roger Henrion et vif intérêt pour l’exposé historique concernant le CECOS de Pierre Jouannet et Georges David. Dans le cas de la GPA, avons-nous à examiner de façon critique des aspects scientifiques et techniques survenant de façon nouvelle et soulevant des difficultés ? Il ne semble pas. En revanche pour prendre une grave décision d’un ordre inhabituel, les membres de notre Compagnie ont-ils, sauf quelques exceptions reconnues, acquis une formation personnelle suffisante et éclairée par des spécialistes d’une part de métaphysique, d’autre part de droit, particulièrement de celui qui régit la famille ? En outre ne risquons-nous pas de confondre les principes fondamentaux essentiels qui motivent l’établissement des lois publiques, avec des cas isolés et exceptionnels, quels que soient l’intérêt et l’intensité de ceux-ci (confusion de l’essence et de l’accident) ?

M. Maurice-Antoine BRUHAT *

Je veux rapporter mon expérience de quarante ans de pratique de la gynécologie avec une part notable consacrée à la stérilité, à sa cure chirurgicale tubaire et aux problèmes utérins.

* Membre de l’Académie nationale de médecine

La souffrance ressentie par les femmes frappées de stérilité d’origine utérine est vécue comme une injustice et un abandon par la médecine. Si je partage les conclusions du groupe de travail rassemblé par Roger Henrion et Claudine Bergoignan-Esper : — tant pour la nature de la demande qui entre plutôt dans le cadre des conduites sociales, — tant pour les exigences médicales acquises pour cette acceptation, — tant pour les risques de la mère porteuse, peu évalués, — tant pour l’évaluation à faire des conséquences psychiques, — tant pour la non disponibilité du corps humain, je suis en fait favorable à une relative tolérance de la méthode qui relève d’une histoire de solidarité pour faire naître et vivre des enfants dans la connaissance de leur histoire complexe.

M. Jean DUBOUSSET *

Je partage les analyses du groupe de travail exprimées dans le rapport de Roger Henrion et Claude Bergoignan-Esper. Je suis toujours gêné que dans les deux recommandations ait été acceptée la phrase : ’’relève exclusivement de la responsabilité du législateur ’’. Non je pense qu’il ne faut pas donner l’impression que l’Académie ‘‘ botte en touche ’’, il faut donner une réponse claire, car je pense que c’est le devoir de l’Académie de dire qu’il s’agit d’un problème d’éthique médicale, et d’éthique tout court. Il ne faut pas légaliser la GPA, mais essayer comme l’a dit Georges David d’évaluer les cas qui ont pu être observés venant des pays étrangers.

M. Jean-Marie MANTZ *

Le rôle de l’Académie nationale de médecine face au législateur concerne non seulement les enjeux médicaux physiques et psychologiques mais également éthiques. — Le désir insatisfait d’enfant est une cause de souffrance mais il devient parfois une pulsion égocentrique exacerbée. — L’expression même de ‘‘ Gestation Pour Autrui ’’ qui remplace celle de ‘‘ mère porteuse ’’ masque, sous une apparente générosité, une dérive d’ordre financier déjà constatée dans certains pays. — La diffusion en Grande-Bretagne, en Grèce ou ailleurs d’une technique ne garantit pas son éthicité. — Cette technique n’est pas sans risques pour la mère gestatrice ni pour l’enfant. Ce dernier s’y retrouvera-t-il le jour de la fête des mères ? — L’instrumentalisation rémunérée du corps de la femme est une forme de prostitution. — Contrairement à ce qui est annoncé, le bilan actuel des implications éthiques négatives est d’ores et déjà évident et rédhibitoire. — Recommander, en cas d’autorisation par le législateur de la Gestation Pour Autrui, un ‘‘ protocole médical encadré ’’ et un ‘‘ dédommagement raisonnable de la gestatrice ’’, ‘‘ conseiller de favoriser les contacts entre la gestatrice et la mère commanditaire ’’, proposer des ‘‘ critères requis pour être gestatrice ’’ : c’est déjà cautionner une levée de l’interdiction. Au nom des dangers encourus et du respect de la dignité des pratiques * Membre de l’Académie nationale de médecine médicales, l’Académie nationale de médecine doit donner un avis défavorable à la levée de l’interdiction de la Gestation Pour Autrui dans notre pays. L’assouplissement de la procédure d’adoption constituerait une alternative valable.

M. Denys PELLERIN *

Appelé à prendre la parole en dernier, je m’abstiendrai de reprendre les arguments que j’ai formulés à plusieurs reprises en commission. et que j’avais antérieurement déjà, transmis aux rapporteurs. La plupart de ces remarques ont été reprises et développées aujourd’hui par le plus grand nombre des intervenants qui m’ont précédé dans cette discussion .

Ma première observation s’adresse à Monsieur le Président et à Monsieur le Secrétaire perpétuel.

Je m’étonne et je regrette l’importance, je dirai la solennité, que vous avez donnée à cette question de la GPA. Outre cette séance, exceptionnelle par sa durée et son protocole , vous avez — encore ici, fait sans précédent — organisé une présentation du rapport du groupe de travail, au sein même de chaque division, avant même qu’il ait recueilli l’avis définitif des commissions statutaires dont il relevait. Je suis d’autant plus surpris de cette procédure que la GPA ne pose pas, à mon sens un problème de santé publique à notre pays. Elle ne concerne que quelques dizaines voire quelques centaines de personnes souffrant de stérilité d’origine utérine.

De toute autre importance était la prise en charge médicale des personnes en fin de vie dans notre population âgée, ou encore l’utilisation des cellules souches embryonnaires à des fins thérapeutiques dès que les premières possibilités en sont apparues.

Notre compagnie n’a pas été indifférente à ces problèmes, mais plus mesurée, plus discrète, plus sereine dans leur approche.

— Je m’en étonne d’autant plus encore, du fait que la GPA ne pose pas, au sens propre du terme, un problème médical.

Que je sache, les gestes médicaux qu’elle implique, sont, si je puis dire de routine :

F.I.V., transfert d’embryon in utero, surveillance d’une grossesse, d’ailleurs souvent gémellaire, sont bien connus et de pratique courante des gynécologues obstétriciens spécialisés. Ils en mesurent très bien les exigences techniques. Ils en connaissent les risques médicaux et les modalités de surveillance qu’ils impliquent.

La G.P.A. ne pose pas de problème médical, elle pose le problème de l’utilisation de pratiques médicales, validées, à des fins qui relèvent de la transgression aux principes fondamentaux de la conception, de la maternité, de la filiation. En un mot, aux fondements mêmes de la procréation dans l’espèce humaine. Comme le soulignent justement les recommandations qui sont proposées à notre approbation : par les rapporteurs :

* Membre de l’Académie nationale de médecine « La GPA déborde le cadre des missions de la médecine. Elle interpelle avant tout la société et relève prioritairement de la responsabilité du législateur. » Nous ne saurions aller plus loin .

Vous nous demandez, ici encore fait inhabituel, d’exprimer deux votes, l’un sur le rapport, l’autre sur les recommandations. J’ai déjà eu l’occasion de le dire lorsque j’avais l’honneur de présider notre Compagnie. Je le redis : il convient de toujours bien distinguer le rapport, des recommandations de l’Académie auxquelles il a conduit.

Le rapport est le fruit d’un travail très sérieux et très élaboré des membres du groupe de travail. J’y ai relevé certains développements parfois optimistes ou quelque peu partisans. On y trouve rapportées des opinions souvent subjectives et sans grande valeur scientifique. Peu importe. Ce rapport est un document de travail, documenté, il méritera d’être publié en l’état, si possible chez Lavoisier comme l’ont été nos précédents rapports majeurs .

L’Académie n’a pas à l’approuver ou à le rejeter. Mais dès lors que vous avez souhaité un vote sur le Rapport du groupe de travail, il ne peut concerner que le corps du rapport hors ses recommandations.

Nous voterons donc. Personnellement, je m’abstiendrai parce que je ne peux y souscrire sans réserves mais surtout parce que je ne me reconnais aucun droit à contester ce que je continue à considérer comme un document de travail qui engage ses rédacteurs que je tiens à féliciter et à remercier, mais pas l’Académie.

En ce qui concerne les recommandations et le texte du Communiqué qui, je le souligne, sera seul retenu par les médias et le grand public, il en est autrement.

Je tiens à remercier tout particulièrement Roger Henrion et Madame BergoignanEsper d’avoir bien voulu tenir le plus grand compte de mes remarques et même repris à la lettre plusieurs de mes suggestions. Néanmoins je regrette qu’y figure un rajout de dernière heure. qui me semble inutile. Il ne figurait pas précédemment dans le document dont j’ai pu disposer au sein de la deuxième Division ni lors Commission XV, Ethique et Droit, où j’ai eu à en connaître pour la dernière fois :

« En outre dans la GPA le nombre de personnes concernées s’accroît singulièrement puisque outre le couple d’intention et la gestatrice .. ; et on a recours à une personne en bonne santé, la gestatrice, etc. » Certes il s’agit la de données techniques. Précisément, elles atténuent la rigueur et la fermeté d’expression de ces recommandations Je souhaitais que ce paragraphe soit retiré.

— Mais mon étonnement est encore accru, à l’instant, par le fait que nous sommes appelés à nous prononcer non pas sur une mais sur deux propositions de recommandations (donc deux communiqués ) trouvés sur table. Il y a quelques minutes. Le rapporteur, à la tribune, ne nous en pas indiqué l’existence, la provenance, la justification, ni analysé devant nous les différences…

 

À la seule lecture rapide à laquelle j’ai pu me livrer j’ai cru percevoir que la proposition numéro un, nous invite à nous déterminer en fonction de notre seule approche éthique de la question, Je m’y reconnais effectivement. Mais je n’avais pas choisi de motiver mon avis sur cette seule préférence personnelle. Les recommandations que j’avais approuvées en commission, et qui sont devenues le numéro deux avait une approche différente plus conforme à ce qui doit être la manifestation de l’indépendance, la rigueur et la sagesse de l’Académie sur lesquelles je ne saurais transiger. C’est pourquoi tout en refusant d’approuver la GPA, j’avais approuvé les dernières lignes de la recommandation. Je les rappelle : L’Académie « recommande que dans le cas où le législateur serait conduit à autoriser la GPA fut-ce dans des conditions très restrictives, celles-ci soient assorties d’une démarche d’évaluation des risques rigoureuse, objective, contradictoire strictement encadrée ».. Cette recommandation qu’il était du devoir de l’Académie de formuler ne figure plus dans le nouveau communiqué qui porte aujourd’hui le numéro un.

Quoi qu’il en soit, ni l’un ni l’autre de ces communiqués n’approuvent la GPA. Je voterai ces recommandations.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 3, 629-647, séance du 10 mars 2009