Séance commune du mardi 3 avril 2018 : Académie nationale de médecine – Académie des sciences
Seul le prononcé fait foi
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Mesdames et Messieurs les secrétaires perpétuels,
Mesdames et messieurs les présidents et vice-présidents
Mesdames et messieurs les académiciens
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureuse d’être parmi vous aujourd’hui pour cette séance commune qui réunit l’Académie des sciences et l’Académie de médecine en un formidable « Parlement du monde savant » en matière de santé, si vous me permettez de détourner cette belle formule de l’Institut de France.
« Conservons par la sagesse ce que nous avons acquis par l’enthousiasme » a préconisé l’un des plus grands académiciens de notre Histoire. Ces deux institutions pluri-centenaires font de ce legs de Condorcet une maxime bien vivante : les académies sont en effet les creusets d’expériences éminentes et de parcours d’excellence, qui se croisent et se confrontent pour faire émerger un discours de vérité, capable de résister au feu de l’actualité et d’éclairer la décision politique.
Ce qui a changé depuis le XVIIIème siècle et l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, ce n’est pas l’aspiration à la connaissance universelle, ce sont les moyens d’y parvenir. Un homme ne peut plus prétendre embrasser à lui seul la totalité des savoirs. L’humaniste du 21ème siècle est plusieurs. C’est un collectif, une équipe, une assemblée, une compagnie, ce qui conduit à poser un regard neuf sur les académies, sur leurs interactions et leurs initiatives communes, comme la séance qui se tient cet après-midi. Car c’est désormais la collégialité qui permet de relever le défi de l’universalité du savoir.
Cette séance commune est riche de sens, car elle met en exergue tout ce que les Académies de sciences et de médecine ont en partage. En premier lieu, elles sont liées par des valeurs.
Tout le monde s’accorde sur les enjeux qui pèsent aujourd’hui sur la science. Le savoir est à la fois une source d’inspiration et de solutions. Combustible de l’innovation, il fournit l’énergie qui alimentera la compétitivité de notre pays. Visionnaire, il détient les réponses aux grandes énigmes de notre temps, des bouleversements climatiques à l’allongement de la vie. Si ces ambitions destinent à la connaissance une position stratégique au sein de la société, cette place semble parfois tenir dans le chas d’une aiguille, tant elle est le fruit d’un équilibre exigeant entre engagement et indépendance. Ni sur l’Olympe, ni dans l’arène, la science ne doit pas se couper du citoyen, sans pour autant s’engluer dans l’actualité, préserver sa hauteur de vue tout en saisissant à bras le corps les grands défis sociétaux. Elle est cette présence diffuse qui doit irriguer tous les pans de la société sans jamais se couper de sa source, de ses valeurs.
Cette intégrité du savoir, les académies en sont les garantes. Ces lieux repères « protègent l’esprit de la recherche », comme le précisent les statuts de l’Académie des sciences. Vos collègues de l’Académie française sont surnommés « les immortels » parce qu’ils sont les garants de l’immortalité de la langue française. Vous n’êtes pas les gardiens de l’immortalité de la science qui progresse en se raturant sans cesse, mais de l’immortalité du désir de connaître et de l’infini du savoir auquel il s’étanche. Ce ne sont pas juste de grands mots qui parent votre dignité : c’est l’exacte mesure du progrès humain sur lequel vous veillez et qu’il est essentiel de promouvoir en ces temps d’accélérations et d’immédiateté.
Les académies sont des poches de réflexion dans le grand terreau social, des laboratoires d’idées au sein desquels le temps suspend son vol pour permettre à l’esprit critique de s’exercer librement. Le débat public s’est considérablement étoffé avec l’arrivée des nouvelles technologies mais si elles ont permis d’élargir l’expression démocratique, elles ont aussi offert une tribune aux idéologues, aux pseudo-scientifiques, aux marchands de cauchemars. Au sein de cette profusion de discours qui brassent sans les distinguer opinions, informations et connaissances, il est essentiel que la parole scientifique s’élève au-dessus de la mêlée, qu’elle se fasse claire, distincte et audible, pour le grand public comme pour les décideurs.
Les académies incarnent cette voix originale, qui peut porter loin parce qu’elle vient de loin, parce qu’elle est le fruit de l’expérience, de l’excellence, mais aussi de la diversité. L’académie des sciences rassemble en effet toutes les disciplines des sciences exactes et l’académie de médecine réunit médecins, chirurgiens, biologistes, pharmaciens, vétérinaires. Les femmes y trouvent peu à peu leur place, et je me risquerai presque à parier sur la parité dans un futur proche puisque je me suis engagée à ce que les filières scientifiques accueillent 40 % de filles à la rentrée 2020.
On ne peut que souhaiter que leur mérite se reflète un jour dans la composition des académies. Les académies ont été les premiers lieux où les scientifiques ont pu confronter leurs découvertes et cette culture de l’échange n’a cessé depuis de se développer, en leur sein et au-delà, dans une perspective interdisciplinaire ou internationale.
L’évènement d’aujourd’hui illustre parfaitement cette capacité de dialogue des académies. Elle ne relève pas seulement d’une éthique mais répond à une nécessité du monde contemporain. Au-delà des valeurs partagées, c’est la complexité des défis du 21ème siècle qui réunit les académies de sciences et de médecine dans un questionnement commun.
De la biologie aux mathématiques et aux sciences informatiques, les points de rencontre entre la médecine et la science se multiplient. Qu’il s’agisse d’intelligence artificielle au service de la médecine personnalisée, d’exploitation massive de données, de diversité des méthodes expérimentales ou d’édition du génome, les sujets qui les rassemblent sont toujours au cœur de l’avenir de nos sociétés et du bien-être des citoyens. Le thème abordé aujourd’hui n’y fait pas exception.
L’action des anticorps monoclonaux est multiple, puisqu’ils peuvent bloquer la croissance des tumeurs, réveiller le système immunitaire, servir de vecteur des cellules tumorales pour des chimiothérapies ou radiothérapies ciblées. La connaissance fine des mécanismes du système immunitaire porte donc en germe de grands espoirs pour des patients en cancérologie, en rhumatologie, ou en attente de greffe. Et ce n’est pas fini : l’immunologie contient encore de nombreuses promesses thérapeutiques, comme les CAR-T cells, cette nouvelle classe d’agents anti-cancéreux, issus de la modification génétique de lymphocytes T prélevés sur le patient. La France a toutes les ressources scientifiques pour se positionner à la pointe du développement des bio-médicaments à condition d’épouser au plus près le rythme soutenu de l’innovation.
C’est dans cette perspective que le Conseil stratégique des Industries de santé formulera des propositions favorables au développement des Médicaments de Thérapies Innovantes dans le cadre de sa réunion du 9 juillet prochain, sous la présidence du Premier Ministre.
Tout le sens de la séance d’aujourd’hui est de nous rappeler qu’au-delà des valeurs et des sujets de préoccupation communs l’Académie des sciences et l’Académie de médecine sont liées par une impérieuse nécessité : favoriser le continuum entre la recherche fondamentale et la recherche pré-clinique et clinique, jusqu’à l’industrie pharmaceutique. Du laboratoire au patient, la trajectoire du savoir doit être la plus fluide et la plus rapide possible.
Cette ambition a de multiples facettes et je n’en ignore aucune. Elle suppose d’abord une recherche fondamentale libre, libre de s’aventurer aux frontières de la connaissance, car c’est là que se trouve le terreau des idées disruptives. C’est pourquoi j’ai fait le choix de préserver en 2018 des budgets de recherche non fléchés et de simplifier les appels à projets de l’ANR. Elle suppose ensuite de faciliter le transfert en encourageant les partenariats entre les équipes académiques et industrielles : c’est le sens des appels à projet en Recherche Hospitalo-Universitaire dont la 4ème vague a été lancée en début d’année. Enfin, je suis convaincue que le décloisonnement entre la recherche, le soin et l’entreprise repose sur la proximité, réelle, concrète, des acteurs. Car l’innovation n’est pas une abstraction : elle s’incarne dans l’échange, dans la rencontre entre des talents, entre des hommes et des femmes d’horizons divers. La relation, c’est l’épaisseur humaine de l’innovation. Dans cette perspective, un nouvel appel à projet doté de 100 millions d’euros a été lancé afin de sélectionner 2 nouveaux instituts hospitalo-universitaires, lieux d’interaction proche entre recherche, et innovation thérapeutique.
Mais il ne suffit pas de gagner le pari de la valorisation pour assurer le progrès de notre société : il faut aussi garder, voire reconquérir, la confiance de la population. La recherche médicale est sans doute le domaine qui cristallise les enjeux moraux les plus sensibles, parce qu’elle questionne la vie et parce qu’elle manipule la vie. C’est un espace de tensions, entre les principes de précaution et d’innovation, entre les opportunités offertes par la science et les renoncements de la société, au nom du respect de l’humain, de son devenir, de sa dignité, de son intégrité. Les lignes de démarcation ne sont pas figées parce que notre conception de l’humanité ne l’est pas non plus : elles bougent au gré des évolutions de la société, et de l’avenir dans lequel elle aime à se projeter. L’éthique est une matière vivante. C’est une dimension essentielle de la réflexion des Académies de sciences et de médecine et leurs travaux contribuent à alimenter la consultation large qui s’engage cette année en prévision de la révision des lois de bioéthique.
« La plus haute tâche de la tradition est de rendre au progrès la politesse qu’elle lui doit et de permettre au progrès de surgir de la tradition comme la tradition a surgi du progrès » a dit Jean d’Ormesson. Les académies portent des valeurs intemporelles, mais ce sont vos regards croisés, chers académiciens, qui leur confèrent une actualité et le pouvoir de faire avancer le citoyen dans sa réflexion et le politique dans sa décision.
Les défis auxquels la France doit faire face dans le domaine de la santé nécessitent le rapprochement des communautés de recherche dont vous êtes les plus éminents représentants. Je vous remercie de nourrir ce dialogue comme vous le faites aujourd’hui, et comme vous continuerez, je le sais, à le faire demain.