Communication scientifique
Session of 7 janvier 2003

Devenir à long terme des patients opérés pour une polypose adénomateuse familiale. Facteurs du pronostic

MOTS-CLÉS : coloprotectomie totale.. fibromatose agressive. polyadénomatose familiale essentielle
Familial adenomatous polyposis : long term follow-up in patients after surgical treatment. Prognostic factors
KEY-WORDS : adenomatous polyposis coli. fibromatosis, aggressive. proctocolectomy, restorative.

M. Malafosse

Résumé

Le but de ce travail a été l’étude rétrospective du devenir à long terme des patients opérés de polypose adénomateuse familiale (PAF), pour établir quels sont actuellement, compte tenu des progrès récents du diagnostic et du traitement, les facteurs du pronostic lointain de la maladie. L’étude rétrospective de cinquante et un patients opérés a été réalisée (point de l’étude : juillet 2002) à partir des dossiers d’hospitalisation, de consultations cliniques, de communications écrites et téléphoniques de tous les patients et de tous les médecins et gastro-entérologues concernés. L’évaluation a porté sur les phénotypes initiaux, la mortalité et la morbidité du traitement, les cancers du rectum conservé, l’adénomatose duodénale et les tumeurs desmoïdes (TD). Vingt-sept hommes et 24 femmes (26 PAF disséminées, 19 PAF diffuses, 4 pauciadénomatoses, 31 adénomes duodénaux) ont été opérés. Il existait un cancer colorectal d’emblée chez 11 patients. Le traitement chirurgical a comporté 39 anastomoses iléo-rectales (AIR), 6 anastomoses iléo-anales (AIA), 6 coloproctectomies (CPT) avec iléostomie définitive. La mortalité opératoire a été nulle, la morbidité a concerné 11 patients. Onze proctectomies secondaires ont été faites, toutes converties en AIA. Le traitement chirurgical des adénomes duodénaux a comporté 5 excisions locales par duodénotomie, 4 duodéno-pancréatectomies céphaliques et 1 double dérivation palliative biliaire et digestive. Dans l’évolution, il y a eu 6 TD (1 décès). Trois patients ont été perdus de vue. Il y a eu 9 décès dans le suivi (19,1 %) dont 4 liés à la maladie : 1 cancer rectal, 2 cancers duodénaux, 1 nécrose de TD. Finalement, au recul moyen de 17 ans, 26 AIA et 17 AIA sont fonctionnelles. L’expérience rapportée et les données de la littérature suggèrent que, dans la PAF, le facteur de létalité par cancer colorectal est devenu moindre que le risque létal lié aux cancers du duodénum et aux TD.

Summary

The purposes of this study are : 1) to evaluate if recent progresses (knowledge of natural history, genetic diagnosis and surgical treatment) have an impact upon the long term follow up of familial adenomatous polyposis (FAP) ; 2) to assess the prognosis factors that are relative to recent progresses in diagnosis and treatment procedures. A retrospective study of 51 cases was carried out in July 2002 to analyse the following characteristics : phenotype, treatment, operative mortality and morbidity, late complications, especially rectal stump cancer after ileo-rectal anastomosis, duodenal adenomatosis and desmoid tumors. Twenty seven men and 24 women underwent surgery : 11 colo-rectal cancers were present at first step. Initial surgical procedures included 39 total colectomies with ileo-rectal anastomosis (IRA), 6 coloproctectomies with ileo-anal anastomosis (IAA) and 6 coloproctectomies with permanent ileostomy. Operative mortality was nil. Operative morbidity affected 11 patients. The rectum had to be secondary removed in 11 patients with convert in IAA. Duodenal adenomatosis required surgery in 10 patients : 5 surgical local excisions, 4 duodenopancreatectomies and 1 palliative by-pass. Six desmoid tumors were noted during the follow-up. On the whole 3 patients were lost of sight. Nine patients died (19.1 %), 4 deaths were in relation with the disease : 1 rectal cancer, 2 duodenal cancers, 1 desmoid tumor necrosis. At the end of the follow up (mean duration : 17 years) 26 IRA and 17 IAA are present with good functional results. This study, according to already published data, suggests that today the risk of death related to colorectal cancer is becoming lower than the risk of death from duodenal cancer and desmoid tumor evolution, particularly since the introduction of the restorative proctocolectomy. The genetic diagnosis is useful in order to determine the choice of surgical procedures.

Les caractéristiques phénotypiques et génotypiques de la polypose adénomateuse familiale (PAF), maladie héréditaire à transmission autosomique dominante sont à présent bien établies. Ce sont pour l’essentiel :

— la nature adénomateuse des polypes qui induit le risque évolutif de cancer du tube digestif ;

— l’extension de la maladie au-delà du gros intestin, particulièrement sur le duodénum [1] ;

— l’expression possible de l’anomalie génétique dans les trois lignées cellulaires [2] :

tumeurs desmoïdes, ostéomes, tumeurs cutanées, sous-cutanées et nerveuses, peuvent enrichir le phénotype de la maladie ;

— la découverte en biologie moléculaire du support génétique de l’affection [3]. Elle est liée à la mutation du gène APC sur le bras long du chromosome 5. Elle permet d’affirmer le diagnostic dès le plus jeune âge, et surtout de distinguer, dans une même famille, les porteurs de l’anomalie génétique, à surveiller de façon intensive, et les sujets indemnes ne relevant d’aucune contrainte particulière. La reconnaissance du site de la mutation sur le gène [4] permet d’augurer du phénotype de la maladie et donc, dans une certaine mesure, de choisir les modalités du traitement chirurgical [5].

La chirurgie est indispensable pour prévenir ou traiter l’éclosion d’un cancer.

Idéalement, c’est l’exérèse de l’intestin pré cancéreux ou déjà dégénéré, en assurant, si possible, dans une population presque toujours composée d’adultes jeunes, la conservation de l’appareil sphinctérien [6-9].

Qu’attendre des progrès dans la connaissance de l’histoire naturelle de la maladie et des modalités actuelles du traitement chirurgical ? Quel est le pronostic à long terme des PAF opérées et quels en sont les facteurs ? C’est à tenter de répondre à ces questions qu’est consacré ce travail, par la relation de quelque trente années d’expérience du traitement de la PAF avec un recul d’observation moyen des opérés de 17 ans.

MÉTHODE

L’étude, rétrospective, a inclus les patients opérés d’une PAF de 1978 à 1995 dans le service de Clinique Chirurgicale de l’hôpital Rothschild. Son but était de connaître en juin 2002, point de l’étude, le devenir lointain des opérés. L’évaluation a porté sur les phénotypes initiaux de la maladie, la mortalité, la morbidité, la survenue de cancer sur le rectum conservé, d’adénomes et de cancers duodénaux, et de tumeurs desmoïdes. Tous les patients inclus ont été, ou revus en consultation, ou joints personnellement par lettre ou par téléphone. Tous les médecins ou gastroentérologues traitants ont été interrogés par lettre ou par téléphone pour communiquer leurs informations cliniques et des comptes rendus récents d’endoscopie digestive et d’imagerie.

RÉSULTATS

Population

Cinquante et un patients ont été opérés : leur âge moyen était au premier traitement chirurgical 34,1 ans (extrême 17-66, médiane d’âge 32 ans). Il s’agissait de 27 hommes (52,9 %), d’âge moyen 36,8 ans (19-66, médiane d’âge 34 ans) et de 24 femmes (4,1 %), d’âge moyen 31,4 ans (17-58, médiane d’âge 27 ans). La maladie a été découverte en raison de symptômes d’appel chez 31 patients (60 %) d’âge moyen 37,8 ans (18-66, médiane d’âge 35 ans). Quatorze de ces 31 patients (47 %) avaient des antécédents familiaux éventuellement marqueurs du risque de la maladie (un ou plusieurs cas de cancers colorectaux). La découverte a résulté d’une enquête familiale chez 20 patients (39 %) d’âge moyen 27 ans (13-52, moyenne d’âge 27 ans) ; la proportion des diagnostics de PAF dans ce groupe a été plus élevée dans la seconde moitié de temps de l’étude (1986-1995 : 11 cas sur 23, 47, 8 %) que dans la première (1978-1985 : 9 cas sur 28, 32,1 %). Toutes circonstances de découverte confondues, des antécédents familiaux existaient 32 fois (62,7 %, 17 femmes et 15 hommes),
étaient douteux ou négatifs 19 fois (37,3 %, 7 femmes et 12 hommes). Il y avait 45 PAF à manifestations uniquement digestives (88,2 %). Le diagnostic d’adénomatose a été affirmé dans tous les cas par des biopsies préopératoires et confirmé par l’examen anatomopathologique postopératoire.

Lésions colorectales

La morphologie de l’adénomatose était de type disséminé (courts intervalles de muqueuse saine) 26 fois (53 %), de type diffus (pas d’intervalles de muqueuse saine) 19 fois (38,7 %), il s’agissait d’une pauci adénomatose (larges intervalles de muqueuse saine) 4 fois (8,1 %). Dans deux cas, la morphologie n’a pas été précisée.

Quarante patients étaient, au premier examen, macroscopiquement indemnes de dégénérescence maligne (78,4 %), 11 étaient porteurs d’un cancer d’emblée (21,5 %) : 4 Dukes A, 1 Dukes B1, 4 Dukes B2, 2 Dukes C.

Les procédés opératoires du traitement chirurgical initial ont consisté en :

— colectomie totale — anastomose iléo-rectale (AIR) : 39 – 76,4 % — coloproctectomie + anastomose iléo-anale (AIA) : 6 – 11 % — coloproctectomie (C.P.T.) + iléostomie définitive : 6 – 11,7 % Les indications de la conservation rectale :

— époque antérieure à l’AIA : 9 – 17,6 % — rectum « contrôlable » par le traitement endoscopique : 21 – 41,1 % — refus de l’AIA : 4 – 7,8 % — âge supérieur à 50 ans : 5 – 9,8 % Les 6 AIA initiales ont toutes été réalisées pour polypose diffuse. Les 6 CPT avec iléostomie définitive ont été motivées par 3 cancers du bas rectum présents d’emblée et 3 échecs techniques de la tentative d’AIA (tumeur desmoïde, fibrose péritonéale postopératoire, grande obésité).

Lésions duodénales

Une fibroscopie gastro-duodénale a été réalisée 46 fois (90,9 %) : 26 patients étaient porteurs d’adénomes confirmés par biopsie per endoscopique (56,5 %), 20 étaient indemnes ou porteurs de lésions non adénomateuses (43,4 %). Les lésions étaient présentes 21 fois dès la première endoscopie, 5 sont apparues au cours de l’évolution (3e, 4e, 6e, 11e, 12e année). Il s’agissait 6 fois d’une adénomatose disséminée, 20 fois d’une pauci-adénomatose (dans 2 cas une lésion à l’extrême limite de la visibilité a été confirmée adénomateuse par l’histologie). Dans 5 dossiers, l’information sur l’état de la muqueuse duodénale a été jugée non exploitable.

Le traitement des 21 lésions présentes initialement a été 16 fois endoscopique (électrocoagulation ou résection à l’anse diathermique), et 5 fois chirurgical sous la
forme d’une duodénotomie avec excision locale des lésions, contemporaine chaque fois de l’exérèse colorectale.

Suivi postopératoire

Lésions colorectales

La mortalité opératoire a été nulle. La morbidité a affecté, tous procédés opératoires confondus, 11 patients (21,5 %) :

— fuite anastomotique bénigne 3 — occlusion postopératoire résolutive 3 — sténose bénigne anastomotique iléo-anale 2 — rectorragies → transfusions 1 — pneumopathie aiguë 2 Trois malades ont été perdus de vue pendant le suivi. Quarante-huit malades sont évaluables. Un patient est décédé d’une carcinose pelvienne ayant probablement pour origine un cancer du rectum conservé développé pendant la 3e année postopé- ratoire.

La surveillance endoscopique des 39 rectums conservés a abouti à l’indication de 11 proctectomies secondaires (28,2 %). Tous ces patients ont pu bénéficier d’une conversion de l’AIR en AIA. Les indications ont été : 5 repousses adénomateuses incontrôlables par le traitement endoscopique, un diagnostic histologique erroné de cancer, et 5 cancers rectaux (12,8 % des conservations rectales) : de ces 5 patients, 2 sont décédés d’autres causes (1 cancer duodénal, 1 cancer urothélial métastasé), 1 est vivant mais en récidive à la 7e année postopératoire, les 2 autres sont vivants avec des reculs de 11 ans pour l’un et de 17 ans pour l’autre, sans aucun symptôme d’évolutivité.

À l’heure actuelle, 26 des 39 AIR initiales restent fonctionnelles (66,6 %) sans évènement évolutif et 15 patients sont porteurs d’une AIA : au total 41 patients ont conservé leur appareil sphinctérien. Six patients sont porteurs d’une iléostomie définitive.

Lésions duodénales

La mortalité opératoire a été nulle. La morbidité a consisté en une fistule duodénale après duodénotomie, qui a nécessité une reprise chirurgicale et un séjour en réanimation.

La surveillance endoscopique a révélé l’apparition secondaire de cinq adénomatoses aux 3e, 4e, 6e, 11e et 12e années postopératoires, toutes lésions actuellement contrôlées par le traitement endoscopique.

Des 16 adénomatoses initiales traitées endoscopiquement, 4 ont donné lieu à un traitement chirurgical secondaire : — 2 cancers duodénaux invasifs (12,5 %), un an
et quatre ans après le traitement de la polypose colorectale, ont été traités l’un par double dérivation biliaire et digestive (tumeur inextirpable), l’autre par duodénopancréatectomie. Ces deux patientes sont décédées à la 1ère et à la 4e année postopératoire. Deux adénomatoses diffuses devenues incontrôlables par le traitement endoscopique, et dont des lésions de dysplasie sévère avaient été détectées à deux biopsies consécutives, ont bénéficié d’une duodénopancréatectomie céphalique avec des suites opératoires simples : leurs reculs sont de 11 et 10 ans. L’examen anatomopathologique postopératoire de l’une de ces trois patientes n’a fait mention que d’une dysplasie légère. Une des patientes traitées initialement par duodénotomie et excision locale a été réopérée à la 9e année postopératoire pour récidive massive de lésions multiples en dysplasie sévère : une duodénopancréatectomie a été réalisée avec des suites favorables au recul de trois ans.

Il y eut donc au total 4 duodénopancréatectomies céphaliques dont trois sont en vie, car les lésions étaient histologiquement bénignes.

Tumeurs desmoïdes

Douze TD sont apparues dans l’évolution postopératoire de 6 patients : il s’agissait deux fois de tumeurs pariétales et 4 fois de tumeurs mésentériques dont 3 affectaient la racine du mésentère. Ces tumeurs ont été très délétères : 1 décès par péritonite liée à la nécrose de l’une, 2 interventions pour occlusions avec constitution d’une fistulisation chronique du grêle chez une autre, une impossibilité de réaliser une AIA secondaire chez un troisième. Les autres tumeurs desmoïdes sont stables avec régression spontanée très notable de l’une d’elles.

Recul d’observation et bilan actuel (2002)

Au point de l’étude (juillet 2002), trois patients demeurent perdus de vue. Des 48 patients évaluables, 9 sont morts (19,1 %). Les causes ont été : 1 cancer rectal sur rectum conservé, 2 cancers duodénaux, 1 péritonite par nécrose de tumeur desmoïde, soit 4 cas (8,4 %) des 48 patients évaluables liés directement à l’évolution de la maladie. Cinq patients sont morts de cause extra-digestive : 1 cancer du sein, 1 hépatocarcinome sur cirrhose par hépatite C, 1 cancer urothélial métastasé, 1 infarctus du myocarde, 1 suicide. Un patient est en sursis (cancer sur le rectum conservé chez un homme de 66 ans).

Le recul moyen actuel des 39 survivants évaluables est de 17,4 ans (17,7 pour les femmes, 17,1 pour les hommes). Le recul médian est de 17 ans (16 pour les femmes, 18 pour les hommes).

DISCUSSION

Le risque de survenue d’un cancer colorectal, tenu historiquement pour le facteur essentiel de pronostic péjoratif à long terme, ne peut être pallié que par l’exérèse du
gros intestin. À la coloproctectomie totale avec iléostomie définitive, radicale mais mutilante, s’est substituée, dans les décennies 60 et 70, la colectomie totale avec anastomose iléo-rectale, associée à la destruction locale per et postopératoire des polypes rectaux [10]. Les conditions requises étaient une phénotypie favorable de l’adénomatose rectale (polypose disséminée, pauci-adénomatose) et une discipline rigoureuse du contrôle endoscopique périodique de la muqueuse rectale. L’expé- rience de cette opération a fourni de bons résultats durables [11], même si certaines des indications ont été, en particulier avant l’avènement de l’AIA, excessives [12] : ce fut le cas dans l’expérience présentée. Le risque de survenue d’un cancer sur le rectum conservé est réel mais sa fréquence exacte reste encore controversée, de 10 à 37 % des cas à la 25ème année postopératoire [13].

L’apparition de la technique de « proctocolectomie restauratrice » avec anastomose iléo-anale sur un réservoir iléal pelvien, dans la première moitié de la décennie 80, a permis l’exérèse de la totalité du côlon et du rectum, tout en conservant l’appareil sphinctérien [8] et en préservant une fonction intestinale à peine moins satisfaisante qu’après anastomose iléo-rectale [14]. Ainsi, l’anastomose iléo-anale est pour beaucoup d’auteurs [9] « l’opération de choix » dans le traitement de la polypose adénomateuse, puisqu’elle supprime le risque de cancer sur le rectum restant, jusque là premier facteur pronostique péjoratif de la maladie. L’AIA est d’emblée, en tout cas, d’indication tout à fait formelle face aux polyposes rectales diffuses (« tapis de haute laine »), et s’il existe initialement un ou plusieurs foyers de cancers du côlon ou du haut rectum [15].

Faut-il dès lors proscrire l’anastomose iléo-rectale ? Cette attitude est excessive, car existent des refus d’acceptation de l’anastomose iléo-anale, et des impossibilités, rares, de sa réalisation technique (racine du mésentère trop courte malgré les diverses manœuvres décrites de son allongement [16], TD mésentériques, grande obésité chez l’homme). Certains patients sont d’âge trop avancé (au-delà de la cinquantaine) pour espérer de l’AIA un résultat fonctionnel convenable. D’autre part, certaines variétés de polyposes, dites « atténuées », dont le rectum est pauciadénomateux, voire sain, et dont il est à présent possible de prévoir la faible évolutivité par l’étude génétique préopératoire [13], peuvent relever de l’anastomose iléo-rectale. Enfin, comme dans la série présentée et dans d’autres [12], la transformation d’une AIR en AIA est possible, si les repousses d’adénomes sur le rectum deviennent incontrôlables, si un cancer du haut ou du moyen rectum survient, si le rectum perd sa compliance. Mais la transformation d’une AIR en AIA peut s’avérer techniquement impossible (apparition d’une TD mésentérique, remaniements intrapéritonéaux consécutifs aux interventions antérieures).

Donc, dans des indications choisies, l’AIR reste proposable ; elle est en outre de réalisation facile, ne comporte aucun risque de séquelles sexuelles et donne d’excellents résultats fonctionnels. Le rectum conservé est facile à surveiller et à traiter endoscopiquement chez les patients disciplinés. L’AIA fait disparaître le risque de cancer sur le rectum conservé au prix d’une réalisation technique moins aisée, du danger de séquelles sexuelles, fut-il minime, de la dissection pelvienne, d’un résultat
fonctionnel moins constamment bon. Et des repousses adénomateuses ont récemment été décrites sur la muqueuse du réservoir iléal pelvien [17].

Les critères du choix devraient être cliniques et génétiques [13, 18]. Une AIA doit être réalisée d’emblée si des adénomes rectaux sont présents en grand nombre, si une histoire familiale de PAF sévères est rapportée, si le site de la mutation sur le gène APC est compris entre les codons 1 250 et 1 500. Une AIR pourrait rester en revanche proposable chez des sujets jeunes, porteurs d’une pauciadénomatose rectale, dont l’histoire familiale ne comporte que des phénotypes débonnaires, et dont le site de la mutation sur le gène APC est placé en deçà du codon 500 ou au-delà du codon 1 500, cela sous la réserve de l’acceptation formelle d’une surveillance endoscopique à long terme.

Enfin, dernier argument à prendre en compte, et non le moindre, le risque de cancer sur le rectum conservé n’est plus le seul risque évolutif vital des PAF opérées [19].

Dans l’histoire naturelle des PAF, l’adénomatose duodénale [20], bien que de connaissance ancienne [21], est restée sous-évaluée dans sa fréquence et dans son risque, jusqu’à l’avènement de l’endoscopie digestive haute : les polypes gastriques, de siège surtout fundique, n’ont d’autre intérêt que spéculatif puisqu’il s’agit presque toujours de lésions hyperplasiques ou glandulo-kystiques sans évolutivité péjorative. Les adénomes duodénaux sont, en revanche, de potentiel malin. Ils ont pour sièges préférentiels D2 et D3, et tout particulièrement la région péri-papillaire [20], seulement explorable de manière fiable à l’aide d’un endoscope à vision latérale ou oblique. Cet instrument, indispensable, a doublé la prévalence des adénomes duodénaux, comme l’ont montré des études prospectives comportant un bilan duodénal méthodique réalisé à l’aide d’un matériel adéquat [22]. Lorsqu’elle existe initialement, la polypose duodénale ne régresse pas [23]. Elle peut apparaître secondairement dans l’évolution. Des lésions dysplasiques peuvent se manifester, des dysplasies légères longtemps stables peuvent s’aggraver et donner naissance à des cancers invasifs (deux fois dans la série présentée), surtout dans la région péri-ampullaire.

La fréquence et le risque évolutif de l’adénomatose duodénale impliquent un examen endoscopique gastro-duodénal dès le diagnostic posé (en moyenne aux environs de la vingtième année), puis une surveillance fibroscopique sur la périodicité de laquelle le consensus n’est pas fait. Un score de gravité [22], fondé sur le nombre, la taille, l’histologie et le degré de dysplasie des adénomes a été proposé pour guider les indications thérapeutiques.

Le pronostic très péjoratif des cancers duodénaux [24], pose le problème de la conduite à tenir devant des adénomes multiples et récidivants, finissant par rendre inopérant le traitement endoscopique, qui est le plus utilisé car non invasif et d’exécution aisée, même s’il n’est pas dépourvu d’une certaine morbidité. La chirurgie conservatrice par duodénotomie et excision locale des polypes, parfois suffisante (3 patients sur 5 dans la série présentée), n’est pas sans risque opératoire (1 fistule duodénale) et a ses limites [25]. Que faire en présence de dysplasies sévères
constatées sur des biopsies consécutives ? Trois patients de la série présentée ont, de ce fait, subi une duodénopancréatectomie « prophylactique » avec un bon résultat immédiat et tardif [26]. Il n’y a pas de consensus sur le traitement des adénomatoses duodénales. Mais force est de constater que le risque de décès après colectomie totale est plus élevé par cancer duodénal que par cancer du rectum [26, 27]. La pratique de plus en plus répandue de l’anastomose iléo-anale, gommant le risque de cancer colorectal, a, en quelque sorte « déplacé le problème » et met en exergue la polypose duodénale comme un des facteurs de pronostic péjoratif à long terme [11, 18, 24].

Il en va de même des tumeurs desmoïdes [24, 28]. Leur fréquence est évaluée aux environs de 10 % [29]. Elles peuvent être pariétales ou intra-mésentériques, dans la racine en particulier. Elles sont presque toujours postopératoires [30]. Ce sont les patients porteurs d’une mutation distale du gène APC qui paraissent les plus exposés [31]. Les tumeurs desmoïdes pariétales peuvent être source d’inconfort par leur poids ou leur volume. L’indication opératoire doit pourtant y être portée avec parcimonie car la récidive est très fréquente. On a pu constater leur diminution de volume ou leur régression spontanée (2 patients dans la série présentée), ou plus rarement encore par le traitement médical anti-inflammatoire.

Les TD mésentériques constituent un facteur de gravité pronostique évident. Elles sont susceptibles d’envahir et de comprimer les organes de voisinage [32]. Elles peuvent interdire certains gestes opératoires (2 patients dans la série présentée).

Elles sont, à terme, génératrices d’accidents occlusifs (2 cas) ou de nécrose tumorale susceptibles d’entraîner la mort (1 cas). Ainsi, des séries de la littérature [24, 28] soulignent le facteur de pronostic péjoratif à long terme que représentent les TD dans l’évolution des PAF.

CONCLUSION

Au cours des quatre dernières décennies, le « profil » du pronostic des polyposes adénomateuses familiales a changé.

Il a été en premier lieu modifié par la mise en évidence de la mutation génique causale, qui permet la détection très précoce des sujets à risque et la modulation des procédés de la prise en charge chirurgicale en fonction du risque évolutif estimé par le diagnostic génétique.

Le risque de survenue d’un cancer colorectal n’est plus au premier rang des facteurs de risque de pronostic péjoratif de la maladie. On peut avancer que la pratique de plus en plus habituelle de la colo-proctectomie avec AIA a limité ce risque aux seuls cas de polyposes cancérisées dès leur première approche. D’autre part, la surveillance stricte des rectums conservés a, le plus souvent, limité aux environs de 10 à 15 % la survenue d’un cancer.

Les progrès du traitement chirurgical permettent à la grande majorité des opérés de conserver leur fonction sphinctérienne.

L’existence et l’évolutivité de l’adénomatose duodénale, en particulier périampullaire, et des TD mésentériques, représentent les deux risques majeurs de pronostic péjoratif à long terme.

Le pronostic désastreux des cancers du duodénum incite à établir un consensus sur les modalités et le rythme souhaitables des examens endoscopiques du duodénum, et à traiter par duodéno-pancréatectomie céphalique les adénomatoses duodénales « échappant » au traitement endoscopique, et/ou en état de dysplasie sévère avérée à plusieurs biopsies successives.

Le facteur de pronostic péjoratif qu’implique la survenue, fréquemment postopératoire, d’une TD mésentérique, incite, d’une part aux indications opératoires parcimonieuses dans leur traitement et, d’autre part, à la réalisation du « bon geste » d’emblée, en particulier si l’enquête génétique initiale révèle une mutation de siège prédisposant.

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DISCUSSION

M. Michel BOUREL

Le type de la mutation du gène APC (délétion, insertion, …) et son siège sur le chromosome 5 ont ils une valeur d’indication lésionnelle ou pronostique ?

Une mutation constitutionnelle du gène APC sur le bras long du chromosome 5 est identifiée dans 90 % des familles concernées. Il est vrai que le siège de la mutation sur le gène conditionne la gravité du phénotype de la maladie, encore que cela ne se trouve pas vérifié dans tous les cas. Les mutations situées entre les codons 1250 et 1464 induisent les formes diffuses de l’adénomatose sur le gros intestin et la plus grande part de ce site de mutation donne également lieu aux adénomatoses duodénales, en particulier périampullaires. Les mutations siégeant au-delà du codon 1444 sont presque toujours génératrices des tumeurs desmoïdes. À l’inverse, les mutations placées en deçà du codon 500 donnent lieu aux phénotypes débonnaires, dits pauci-adénomatoses ou, selon une terminologie contestée par certains, polyposes atténuées : c’est dans certains de ces derniers cas qu’une anastomose iléo rectale peut être raisonnablement proposée.

M. Bernard LAUNOIS

Après duodéno-pancréatectomie céphalique il existe un risque de polypose autour de l’anastomose biliaire. Dans ces conditions, ne faut-il pas préférer une anastomose entre l’anse jéjunale montée et le duodénum avec conservation du pylore ? En effet une telle anastomose permet la surveillance fibroscopique aisée de l’anastomose biliaire et le traitement éventuel du développement d’une adénomatose.

Effectivement, après l’exérèse pancréatique, le rétablissement de la continuité digestive par anastomose gastro-jéjunale avec conservation du pylore offre de meilleures possibilités de surveillance endoscopique haute. Mais on peut, à l’inverse, faire remarquer que le risque de développement d’une adénomatose au pourtour de l’anastomose biliodigestive, théoriquement tout à fait possible, est en pratique extrêmement peu fréquent.

Et ce type de montage, de meilleure qualité au plan des résultats fonctionnels a, dans le cas particulier de la maladie considérée, l’inconvénient de laisser en place l’antre, seul site gastrique où des adénomes sont susceptibles de se développer. Des cas de dégénérescence maligne de ces adénomes gastriques en adénocarcinomes ont été décrits.

M. François DUBOIS

En dehors de la question de mode, quelle a été l’indication de la conservation rectale initiale ? Le rectum était-il sain, y avait il peu de polypes, ou une polypose multiple a-t-elle été coagulée préalablement ou dans le même temps ? En dehors des 30 % de cas où il y a eu une proctectomie secondaire, quel a été l’avenir du rectum conservé ? Est-il resté sain ou a-t-il fait l’objet de coagulations périodiques ? A-t-on fait une étude comparative du résultat fonctionnel, sur le plan du nombre de selles, de la continence et des troubles sexuels, des anastomoses colo anales et colorectales ?

Comme je l’ai indiqué, les indications de la conservation du rectum ont, dans cette série, été portées avec excès, en particulier parce que, dans la première partie de l’expérience, l’anastomose iléo anale n’existait pas encore et donc, l’anastomose iléo rectale était la seule opération utilisable dans le cadre des opérations conservatrices de la fonction sphinctérienne. Comme on l’a vu, moins de 10 % des rectums étaient pauci-adénomateux ou sains, et la plupart étaient porteurs d’une adénomatose disséminée pour laquelle des électrocoagulations per et postopératoires des polypes rectaux ont été réalisées, pas toujours avec des résultats stables puisqu’il y a eu 30 % de proctectomies secondaires…

Hormis les cas de proctectomies secondaires rendues nécessaires par des repousses adénomateuses incontrôlables ou l’éclosion de cancers, l’état du rectum conservé est resté assez stable, au prix d’électrocoagulations à l’occasion des surveillances endoscopiques.

Deux anastomoses iléo rectales initiales sur trois sont toujours fonctionnelles. On peut dire, dans le cadre d’une réponse brève, que les études publiées sur les comparaisons de résultats fonctionnels entre anastomose iléo rectale et anastomose iléo anale montrent, pour la plupart, une légère supériorité de l’anastomose iléo rectale. Mais, et cela est l’essentiel, l’anastomose iléo anale supprime pratiquement le risque de cancer rectal.

M. Daniel COUTURIER

Parmi les sujets dont la maladie a été découverte avant l’apparition de tout symptôme, combien avaient bénéficié d’un diagnostic génétique ? Parmi ceux qui ont été traités par anastomose iléo anale avec réservoir iléal, avez-vous observé l’apparition d’adénomes dans le réservoir ?

Deux patients de familles différentes, chez lesquels la maladie avait été découverte parce qu’elle était symptomatique ont eu confirmation de la maladie par le diagnostic génétique. Celui-ci a confirmé la maladie chez trois proches apparentés de la première famille, et un dans la seconde. Le faible nombre des familles chez lesquelles le diagnostic génétique a été entrepris tient pour beaucoup d’entre elles au caractère ‘‘ historique ’’ de la série, et, de façon un peu étonnante, pour beaucoup d’autres au peu d’enthousiasme, voire au refus de se soumettre au diagnostic…

Au point de l’étude (juillet 2002), tous les patients porteurs d’un réservoir iléal pelvien avaient eu un contrôle endoscopique dans les six derniers mois : aucun n’était porteur d’adénome dans le réservoir. Mais la question posée par D. Couturier est d’un grand intérêt, puisque des observations ont été rapportées mentionnant l’apparition d’adénomes dans des réservoirs iléaux pelviens. À l’heure actuelle, moins de 5 % des réservoirs sont concernés. Des cas extrêmement rares de cancers ont été publiés. Il est difficile de savoir s’il s’agissait de cancers développés authentiquement à partir du réservoir iléal, ou de cancers apparus sur des reliquats de muqueuse rectale après une proctectomie incomplète.

M. Gilles CRÉPIN

Dans cette affection à support génétique, existe-t-il des localisations tumorales autres que digestives, comme il est possible d’en rencontrer (tumeurs ovariennes, mammaires) dans le syndrome de Lynch ? Dans les formes dégénérées, initialement ou secondairement, existet-il un marqueur spécifique, comparable au CA 155 ou 19.9 ?

Outre les tumeurs gastriques et pancréatiques, des tumeurs non localisées au tube digestif ont, rarement, été décrites chez des patients porteurs d’une polypose adénomateuse familiale : des hépatoblastomes chez le jeune enfant, des tumeurs cérébrales telles que médulloblastomes, glioblastomes, en général de pronostic péjoratif, et des cancers thyroïdiens. Dans la série présentée ont été observés un cancer ovarien, un cancer urothélial et un cancer du sein. Et effectivement, des cancers de l’endomètre surtout, mais aussi de l’ovaire et du sein peuvent être observés, concomitamment aux tumeurs coliques, dans le syndrome HNPCC, anciennement syndrome de Lynch. Il n’existe pas de marqueur sérique spécifique de la dégénérescence maligne dans la polypose adénomateuse familiale. Les marqueurs sériques habituellement utilisés dans la surveillance des cancers colorectaux opérés, ACE et CA 19.9, que ces cancers soient sporadiques ou familiaux, n’ont pas de spécificité. En revanche, dans le cadre du bilan pré thérapeutique, les lésions rétiniennes à type d’hypertrophie congénitale de l’épithélium pigmentaire peuvent être considérées comme des marqueurs d’une mutation du gène APC si cette mutation est située après l’exon 9 et avant le codon 1444.

M. Louis HOLLENDER

Les notions épidémiologiques concernant la polypose adénomateuse familiale semblent encore peu précises. Répertorie-t-on cette maladie ? Et, dans l’affirmative, comment ?

Existe-t-il un bénéfice évalué du suivi des adénomatoses duodénales ?

Il est couramment admis que la polypose adénomateuse familiale est responsable de près de 1 % des cancers colorectaux. On a pu, à partir des registres nationaux ou régionaux tenus dans certains pays, estimer l’incidence de la maladie à un cas sur 10 000 naissances, et la prévalence approximativement à 30 cas vivants par million d’habitants. Il est particulièrement regrettable que les patients porteurs d’une polypose adénomateuse familiale ne soient pas répertoriés dans un registre national ou des registres régionaux dans notre pays, où il n’existe que des ‘‘ bases de données ’’, recueillies au Centre de Chirurgie Digestive de l’hôpital Saint-Antoine et au CEPH, grâce à la seule initiative personnelle de nos collègues R. Parc et S. Olschwang. Dans le nord de l’Angleterre l’enregistrement des proches apparentés en même temps que le proposant a permis de multiplier par 15 en trois ans le nombre des sujets à risque soumis régulièrement à un dépistage endoscopique. Ainsi, dans cette population, l’âge au diagnostic a diminué de 10 ans ! Et la proportion des patients porteurs d’un cancer rectal diagnostiqué après la colectomie a été réduite d’un facteur 8. Les mêmes effets bénéfiques ont été observés aux Pays-Bas. Cette question de santé publique ne pourrait-elle pas figurer au rang des préoccupations de l’Académie nationale de médecine ? Dans les études où il a été évalué, le bénéfice du suivi endoscopique des adénomatoses duodénales s’est avéré assez décevant, en particulier pour les adénomes du stade IV de Spigelman qui devraient être, avant toute dégénérescence, proposés pour une duodéno-pancréatectomie céphalique, compte tenu du pronostic extrêmement sombre des adénocarcinomes duodénaux.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, no 1, 103-116, séance du 7 janvier 2003