Communication scientifique
Session of 23 février 2010

De la loi de santé publique à l’expérimentation « violence et santé » en Picardie

MOTS-CLÉS : maltraitance des enfants. organisation de professionnels de santé pour gestion des de services de soins. santé publique. violence. violence familiale
Public health law in practice : violence and health in Picardy
KEY-WORDS : child abuse. domestic violence. organizations, management service. public health. violence

Olivier Jardé, Maxime Gignon

Résumé

La violence est trop souvent considérée comme un fait inéluctable de l’existence humaine. Si la mortalité est remarquable, les traumatismes physiques, les conséquences psychologiques et comportementales ont un impact sur la santé des individus mais également sur le système de santé. Encore trop souvent perçue comme un problème uniquement social, la violence concerne pourtant le champ de la santé publique. Impulsées par l’Organisation Mondiale de la Santé et développé en France par les travaux du Pr. Henrion, du Haut Comité de la Santé Publique et de la mission dirigée par le Dr. Tursz, les démarches de santé publique applicables à la thématique « violence et santé » ont été dessinées. La loi de santé publique de 2004 prévoyait un plan national « violence et santé » qui devait les mettre en œuvre. Dans le cadre d’une étude-action d’initiative ministérielle, nous avons développé un outil de coordination nécessaire pour développer des actions pluri-institutionnelles. Le Groupement d’Intérêt Public « pour la santé, contre la violence en Picardie » tente de répondre aux recommandations des experts ayant travaillé sur ce sujet en développant les connaissances, en favorisant la formation des acteurs et le travail en réseau et de développer les services pour la prise en charge et l’orientation des victimes de violence.

Summary

Violence is too often considered an inevitable part of human existence. Physical, psychological and behavioural trauma has an impact not only on the health of the individual but also on the healthcare system. Largely perceived as a social problem, violence is also a public health issue. Promoted by the World Health Organisation and developed in France by Prof. Henrion, the National Authority for Health and the mission led by Dr. Tursz, the public health dimension of ‘‘ Violence and health ’’ is now better defined. The Public Health law of 2004 provided for a national plan on ‘‘ Violence and Health ’’. After an initial action study, we developed a tool to coordinate public actions in this field. The group ‘‘ For health, against violence in Picardy ’’ was created to implement expert recommendations by building knowledge, promoting training and networking, and developing services to support and guide victims of violence.

INTRODUCTION

La violence est trop souvent considérée comme un fait inéluctable de l’existence humaine. Ce fatalisme pousse notre société à subir la violence et non à la prévenir.

La violence est encore perçue comme un problème uniquement social quand bien même elle marque lourdement de son empreinte le champ sanitaire de ses consé- quences. La réaction des acteurs sanitaires est quasi-uniquement thérapeutique.

Pourtant les approches de santé publique ont su prouver leur efficacité face à des problèmes de santé complexes liés à l’environnement ou au comportement. En Février 2001, le Professeur Roger Henrion remettait son rapport au Ministre chargé de la Santé portant sur le rôle des professionnels de santé face aux femmes victimes de violences conjugales [1]. Ce rapport réalise une revue de la littérature sur le sujet soulignant les conséquences des violences sur la santé des femmes. Le rôle des professionnels de santé est incontournable [2] le rapport le rappelait proposant six fiches pour aider notamment les médecins à dépister, évaluer la gravité, rédiger le certificat médical et orienter la victime, dans le cadre de la consultation médicale. Le groupe d’experts présidé par le Professeur Roger Henrion proposait déjà d’accentuer la sensibilisation du public et de former les professionnels de santé, de développer les actions de prévention. Une des pistes soulevées concernait la promotion d’études s’appuyant notamment sur les services de médecine légale et les observatoires régionaux de la santé. Dans le même temps le Ministère chargé de la santé publiait un guide pratique sur la prise en charge victimes de violences sexuelles par les médecins, validé par le Conseil National de l’Ordre des Médecins, la Chancellerie, le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de la Défense [3]. Cet ouvrage didactique faisait notamment un point pratique sur l’entretien, l’examen clinique, les prélèvements à réaliser ainsi que les modèles de certificats à rédiger, sans occulter les suivis psychologique et social ainsi que le rôle du médecin dans la prévention de telles situations.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la violence comme « l’usage délibéré ou la menace d’usage délibéré de la force physique ou de la puissance contre soi-même, contre une autre personne ou contre un groupe ou une communauté qui entraîne ou risque fort d’entraîner un traumatisme, un décès, un dommage moral, un mal-développement ou une carence . » Dans sa résolution WHA 49.25 de 1996, l’Assemblée Mondiale de la Santé déclare que la prévention de la violence est une priorité de santé publique [4]. En 2002, l’OMS publie son rapport mondial sur la violence et la santé [5]. Elle qualifie alors la violence de « défi planétaire », soulignant qu’en 2000, on estime à 1,6 million le nombre de personnes décédant suite à un acte de violence. Si la mortalité est remarquable, les morbidités liées aux actes violents sont difficiles à quantifier avec précision. Elles comprennent outre des traumatismes physiques directs, des conséquences psychologiques et comportementales [6-9] qui ont un impact en terme de santé tant pour les individus que pour le système de santé lui-même [10].

En France, le rapport mondial de l’OMS, amène le Professeur Jean-François Mattéi, alors Ministre en charge de la Santé, à saisir en février 2003 le Haut Comité de la Santé Publique (HCSP). Dans son courrier de saisine, Monsieur le Ministre souligne que l’on « considère généralement la violence sous l’angle de la délinquance, relevant à ce titre de la sécurité intérieure. Pourtant, elle doit être tout autant considérée comme une cause de mortalité prématurée, un facteur de risque des maladies mentales les plus fréquentes, une menace pour la cohésion sociale . » C’est probablement ici toute la complexité de cette thématique « violence et santé », à l’intersection de plusieurs champs : judiciaire, social, sanitaire.

Les experts du HCSP se sont penchés à leur tour sur le sujet et ont défini des axes prioritaires dans une démarche de santé publique parmi lesquels le développement des connaissances épidémiologiques, le repérage des situations de violence, l’amé- lioration de la prise en charge et du suivi, et l’organisation de la prévention [11].

Le développement des connaissances tant sur la violence que sur ses déterminants nécessite, ici encore, un travail transversal. En effet, chaque institution (hôpitaux, Justice, Forces de l’ordre, services sociaux, etc.) a développé ses sources d’information respectives. Cependant il reste particulièrement difficile de rassembler l’ensemble des informations concernant une victime en l’absence d’une coordination efficace menée par un organisme public. Les enquêtes de victimisation en population générale comme l’étude ENVEFF [12] restent encore trop rares.

Concernant le repérage des situations de violence, le HCSP souligne la nécessité de mobiliser les professionnels mais aussi l’opinion publique. Il propose de développer notamment les services téléphoniques pour orienter la victime vers les acteurs adéquats.

A juste titre le HCSP pointe la nécessité d’améliorer la prise en charge et le suivi des victimes. Il existe des inégalités territoriales de prise en charge et de suivi. Le suivi reste particulièrement perfectible. Le HCSP propose notamment de développer le travail en réseau entre les différents acteurs sociaux, médicaux, judiciaires et les collectivités locales, pour continuer à faire bénéficier la victime de l’ensemble des moyens d’aides complémentaires. Sur le même modèle, la prévention nécessite également d’être organisée dans le cadre d’un travail en réseau regroupant l’ensemble des acteurs. La formation initiale et continue de toutes les personnes intervenant auprès de toutes victimes de violence a besoin d’être renforcée afin d’améliorer le repérage et l’orientation des victimes.

La loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 [13] prévoit cinq plans stratégiques : le plan national de lutte contre le cancer ; le plan national de lutte pour limiter l’impact sur la santé de la violence ; des comportements à risque et des conduites addictives ; le plan national de lutte pour limiter l’impact sur la santé des facteurs d’environnement ; le plan national de lutte pour améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques et le plan national pour améliorer la prise en charge des maladies rares.

De ces cinq plans, le plan « violence et santé » a certainement été le plus complexe à décliner probablement en raison de son caractère éminemment interministériel mais également car l’approche de la violence par l’angle sanitaire reste novatrice. Le comité d’orientation interministériel présidé par Anne Tursz a permis de mener un travail préparatoire de fond et de dégager des pistes concrètes à mettre en œuvre dans le cadre du plan [14]. Composé de six commissions de travail thématiques, le comité d’orientation a remis son rapport au ministre de la Santé et des Solidarités le 18 octobre 2005. Il avait pour objectif de servir de base à l’élaboration du Plan violence et santé, pour être ensuite décliné dans les plans régionaux de santé publique.

En novembre 2005, la Direction Générale de la Santé, la Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins et le service Droit des femmes, mettaient en œuvre une étude-action intitulée « Améliorer l’accueil des victimes de violence à l’hôpital ». Pour cette étude-action huit sites expérimentaux ont été sélectionnés parmi lesquels le CHU d’Amiens-Picardie.

L’état des lieux

Les huit projets développés par les sites sélectionnés ont été évalués par un organisme de consultant en santé publique. L’état des lieux autour de la violence en Picardie [15] réalisé par l’Observatoire Régional de la Santé et du Social (OR2S) met en évidence les spécificités régionales.

Dans le cadre du Baromètre santé 2005, 9,4 % des garçons de 12 à 14 ans et 6,4 % des garçons de 15 à 17 ans déclare avoir subi des violences physiques au cours de l’année précédant l’enquête. Chez les filles, les proportions s’élèvent à 3,4 % pour les deux classes d’âge. Parmi les appels aux 119, le nombre d’appels aboutissant à une transmission aux départements s’élève à 53 dans l’Aisne, à 117 dans l’Oise et à 92 dans la Somme. Les demandes d’aide concernent 151 appels dans l’Aisne, 312 dans l’Oise et 226 dans la Somme. En rapportant ces effectifs au nombre de mineurs, le département de la Somme est celui dont le nombre de transmissions et de demandes d’aide est le plus élevé [16].

 

En 2007, plus de 1 700 faits constatés de violences volontaires sur femmes majeures par conjoint ont été enregistrés en Picardie. Le taux de faits constatés de violences volontaires sur femmes majeures par conjoint est de 23.4 en Picardie contre 18.7 au niveau national. L’Oise (57,9 %) et la Somme (51,1 %) affichent une augmentation des faits constatés entre 2006 et 2007, supérieure au niveau national (48,2 %). En Picardie, un quart des demandes d’hébergement auprès du service de veille sociale « 115 », concerne des situations de conflit familial avec ou sans violence.

Ces quelques données régionales invitent à développer une dynamique afin d’organiser une réponse face aux phénomènes violents.

La méthode

Se basant sur les conclusions des rapports sur la thématique violence et santé [3, 11, 14], nous avons choisi de développer au niveau régional une structure capable de réunir les acteurs de santé, la Justice, les services de l’Etat, les collectivités territoriales (conseil régional et conseils généraux) ainsi que les associations. Une collaboration étroite entre les acteurs des différentes institutions et les associations avait été soulignée par le HCSP et par le rapport du Docteur Tursz.

En Picardie, les découpages entre la région administrative et le territoire de la Cour d’Appel sont superposables. De plus un réseau régional médico-légal existe et a été formalisé par une convention inter-hospitalière en 2004. Ce réseau avait été renforcé par la troisième version du Schéma Régional d’Organisation des Soins. En effet, celui-ci prévoit la présence d’unités de médecine légale au sein des hôpitaux sièges de services d’accueil des urgences de Picardie soit huit établissements. Ces huit établissements correspondent aux sièges de huit des sept Tribunaux de Grande Instance (TGI) de la région. Cette proximité entre établissements hospitaliers du réseau et TGI avait déjà permis le développement de convention « santé justice » afin de préciser les modalités de fonctionnement entre les entités hospitalière et judiciaire.

Les forces de l’ordre, Police et Gendarmerie, jouent un rôle incontournable dans la prise en charge des victimes. Ils travaillent également au quotidien en lien avec les magistrats et les médecins légistes. L’implication de la Préfecture de Région, repré- sentant de l’Etat en région, semblait alors indispensable.

Les collectivités territoriales ont également été conviées. En effet, les conseils généraux sont porteurs de missions sociales fortes. La protection de l’enfance en danger est une de leurs missions. Le conseil régional a quant à lui des compétences dans la formation notamment des professionnels para-médicaux et du travail social.

La formation initiale et continue des acteurs étant un axe fort des différents rapports, il semblait pertinent qu’il participe.

Les associations d’aide aux victimes qu’elles soient locales ou nationales, apportent leur concours tant sur le plan de l’information juridique, du soutien psychologique ou de l’accompagnement social. C’est pourquoi l’ensemble des associations locales de Picardie œuvrant dans la prise en charge des victimes de violence et les associations nationales intéressées y ont été conviés.

C’est ainsi une kyrielle d’acteurs qui interviennent dans le parcours des victimes de violence. Ce qui, pour la victime, ressemble d’ailleurs souvent à un parcours du combattant. Les réunir dans une même dynamique à un échelon régional est un projet ambitieux. Cependant c’est un challenge qui semble impératif pour apporter une cohérence nécessaire dans le parcours des victimes. Chacun des partenaires possédant dans ses missions une part de la prise en charge des victimes (sanitaire, judiciaire, social), une coordination voir une mutualisation des moyens pourrait permettre d’améliorer la prise en charge.

La prise en charge des victimes de violence relevant à la fois de service de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements de santé ou des associations, il s’avère nécessaire de trouver une entité administrative susceptible de regrouper les acteurs du champ « violence et santé » afin de coordonner leurs actions autour d’objectifs communs. Le principe d’un Groupement d’Intérêt Public (GIP) semble répondre à cette attente.

Un groupement d’intérêt public (GIP), est une personne morale de droit public permettant le partenariat entre au moins un partenaire public et des organismes privés autour d’un objectif déterminé. Cette entité semble particulièrement pertinente quand on connaît l’ensemble des acteurs institutionnels et associatifs intervenant auprès des victimes de violence. Le GIP met en commun un ensemble de moyens et existe pour une durée limitée. Créé initialement pour le domaine de la recherche par la loi du 15 juillet 1982, le législateur souhaitait institutionnaliser la collaboration des personnes publiques entre elles ou avec des personnes morales de droit privé dans un but commun. « Le GIP fournit l’instrument juridique d’une coordination et d’une concentration de moyens provenant d’un panel ouvert d’acteurs publics et privés essentiels, tout en garantissant, eu égard aux modes d’organisation et de fonctionnement propre à cette structure juridique, la préservation de l’intérêt public [17]. Une convention constitutive a ainsi été rédigée avant qu’un arrêté d’approbation ne soit publié et confère au GIP « pour la santé, contre la violence en Picardie » (GIP-SVP) sa personnalité juridique.

La convention constitutive prévoit que sur le territoire régional, le GIP-SVP ait pour mission de concevoir et de coordonner des actions visant à prévenir les phénomènes agressifs, de repérer les victimes et de limiter les conséquences sanitaires et sociales de la violence. Il est prévu trois axes principaux dans le cadre de ce groupement : un pôle de référence chargé de la formation, de la coordination et des systèmes d’information ; un réseau inter-hospitalier de médecine légale et un réseau de prise en charge sociale et d’accompagnement psychologique des personnes victimes de violence.

Publié en décembre 2007, l’arrêté d’approbation prévoit que le GIP-SVP est créé pour une durée de trois ans reconductible. Initié dans le cadre de la phase expérimentale du plan national de santé publique destiné à lutter contre les conséquences sanitaires et sociales de la violence, le GIP-SVP est un modèle que nous avons développé afin d’améliorer le repérage, la prise en charge et le suivi des victimes de violence.

Réalisations et perspectives

Depuis sa mise en œuvre en janvier 2008, le GIP-SVP a impulsé plusieurs projets régionaux.

Concernant les connaissances sur les victimes, deux tableaux de bord régionaux ont été réalisés par l’OR2S de Picardie réalisant ainsi une synthèse sur la thématique violence en Picardie. La réalisation de tels documents se heurte à des difficultés de communication des données par les partenaires. Cependant cette démarche a également pour objectif de faire évoluer les mentalités et les outils pour faciliter, à terme, le partage d’information, dans la limite des règles éthiques.

Concernant la formation des professionnels, la structuration du GIP a permis la réalisation d’une étude auprès des instituts de formation des professionnels paramédicaux et de travailleurs sociaux afin de cerner quelles formations sont dispensées sur le thème du repérage et de la prise en charge des victimes. Cette étude a montré une grande disparité en terme de contenu, de volume horaire et des intervenants. Un des objectifs du GIP-SVP dans ce domaine sera d’inciter les instituts de formation à faire intervenir des représentants des forces de l’ordre, des magistrats, des associations et des médecins légistes, afin que les étudiants puissent cerner l’importance du « travailler ensemble » dans la prise en charge des victimes.

La formation médicale initiale des médecins est largement conditionnée par le programme national du second cycle des études médicales [18]. Sur les 345 items de ce programme, seul deux items abordent spécifiquement la prise en charge des victimes de violence. L’item no 37 traite de la maltraitance et des enfants en danger, alors que l’item no 183 aborde l’accueil d’un sujet victime de violences sexuelles. En 2007 une circulaire interministérielle avait demandé à ce que la question des mutilations sexuelles féminines soit intégrée dans la formation médicale initiale [19].

Afin de renforcer la formation des étudiants en médecine, un module d’enseignement dédié à la prise en charge des victimes de violence est désormais proposé aux étudiants en médecine de la faculté d’Amiens.

La formation continue est un enjeu important car les médecins traitants occupent une place stratégique dans le repérage et l’orientation des victimes de violence. Un travail avec les associations de formation médicale continue est nécessaire afin de sensibiliser les médecins à ces situations délicates. Un projet de diplôme d’université est également à l’étude afin de renforcer l’offre de formation.

Le réseau des unités médico-judiciaires de Picardie intégré dans ce GIP, a ainsi poursuivi ses démarches en vu d’améliorer les procédures de la prise en charge des victimes de violence. Un modèle régional de certificat de coups et blessures a ainsi été élaboré et diffusé ainsi que des outils d’information à destination des victimes.

 

L’amélioration de la prise en charge des mineurs victimes est une priorité du GIP-SVP. Un programme d’implantation d’unités d’accueil des mineurs victimes (AMIV) a été élaboré en Picardie. S’appuyant sur le réseau des huit centres hospitaliers dotés d’une unité médico-judiciaire, plusieurs projets ont été développés. Les AMIV sont des salles d’accueil situées en milieu hospitalier et dédiées à la prise en charge globale des mineurs victimes de violence. Elles sont équipées afin de pouvoir réaliser une audition filmée conformément à la loi du 17 juin 1998 [20]. Située en milieu hospitalier, les professionnels de santé peuvent ainsi intervenir dans une unité de lieux, de temps et d’action. Les professionnels : soignants, enquêteurs, experts, psychologues ; interviennent de manière coordonnée au sein de cette salle qui est aménagée afin d’être chaleureuse et sécurisante pour l’enfant. Le développement de ces unités est possible grâce à l’implication des professionnels de terrain et à l’engagement déterminant de deux associations, à savoir la Fondation pour l’enfance et la Voix de l’enfant.

Conformément aux recommandations du HCSP, un numéro vert dédié aux victimes de violences va être mis en place afin d’orienter les victimes vers la structure la plus adéquat en fonction de leur situation (prise en charge médicale, médico-légale, judiciaire, psychologique, sociale, etc.).

La violence, notamment lorsqu’elle est intrafamiliale, est un sujet qui reste tabou.

Son caractère multidimensionnel la rend difficile à aborder par les professionnels [21]. Il apparaît important, comme l’ont souligné les différents rapports, de sensibiliser tant les acteurs que le grand public. Le GIP-SVP a ainsi développé un site Internet qui publie des brèves relatives à la thématique « violence et santé ». A terme, cette interface web généraliste devrait être renforcée par un site dédié aux professionnels des champs sanitaires et sociaux afin de les aider dans le repérage et l’orientation des victimes ; ainsi que d’un site plus spécifiquement tourné vers les victimes elles-mêmes.

DISCUSSION

Des cinq plans stratégiques initialement prévus par la loi de santé publique d’août 2004, le plan « violence et santé » est le seul qui n’ait pas été mis en œuvre. Son caractère interministériel et l’appropriation délicate de la violence comme sujet de santé publique, en sont probablement deux des raisons. Pour les professionnels qui prennent en charge quotidiennement les victimes de violence, la déception est à la hauteur des attentes qu’avait suscitées ce plan. Après un rapport au Premier Ministre en 2004 [22] et une mission interministérielle [23], la médecine légale, spécialité médicale dédiée notamment à la prise en charge et à l’accompagnement des victimes, attend une réforme qui lui donnerait les moyens de mener ses missions. L’accompagnement psychologique notamment reste trop peu accessible pour les victimes.

L’expérimentation menée en Picardie tente de mettre en application les recommandations édictées par les différents rapports sur le sujet. Si le GIP-SVP s’est attaché à la prise en charge des victimes, les auteurs ne doivent pour autant pas être occultés de nos préoccupations [24]. Cependant, en l’absence d’une déclinaison opérationnelle du plan « violence et santé », le développement d’une approche de santé publique sur ce thème se heurte à un manque d’impulsion politique. Pourtant pointé par les experts, le décloisonnement nécessaire entre les institutions et les professionnels, devient dès lors difficile à surmonter. L’éparpillement des missions entre les acteurs entraîne une dispersion des moyens alors qu’une mutualisation serait un préalable nécessaire à une approche globale et cohérente des victimes de violence.

CONCLUSION .

Si le rapport de l’OMS avait permis d’aboutir au plan « violence et santé » prévu par la loi de santé publique de 2004, force est de constater qu’en pratique il reste encore beaucoup de travail pour que la violence et ses liens étroits avec la santé soient reconnus comme un problème de santé publique. Si de nouvelles études en population générale pourraient permettre de mieux cerner l’ampleur du phénomène, il semble pourtant que les bases d’une action de santé publique vis-à-vis des violences ont été clairement tracées par le HCSP et n’attendent plus qu’à être mises en œuvre :

« Il ne suffit pas aux policiers de sévir, aux juges de condamner, aux médecins de soigner, aux psychiatres d’expliquer, aux enseignants d’instruire et aux associations d’accueillir les victimes et les auteurs de violences. Nous devons tous accepter de travailler ensemble, de nous coordonner, de nous faire confiance, sans cela nous porterions chacun une part de responsabilité dans la poursuite des violences. [11] » BIBLIOGRAPHIE [1] Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé ‘‘ , Collection des Rapports officiels 2001, 80 pages.

[2] Henrion R. — Les violences familiales. Présentation. Bull.Acad.Natle Med ., 2002, 186 , 6, 935-938.

[3] Le praticien face aux violences sexuelles. Direction générale de la Santé, 2001.

[4] Organisation Mondiale de la Santé. 49ème Assemblée Mondiale de la Santé. Résolution WHA 49.25 ; 1996.

[5] Organisation Mondiale de la Santé. Rapport mondial sur la violence et la santé. Genève. 2002.

OMS, 376 p.

[6] Lebas J., Morvant C., Chauvin P. — Les conséquences des violences conjugales sur la santé des femmes et leur prise en charge en médecine de premier recours. Bull. Acad. Natle Med. , 2002, 186 , 6, 949-961.

[7] Wiederman MW., Sansone RA., Sansone LA. — History of trauma and attempted suicide among women in a primary care setting. Violence and Victims, 1998, 13, 3-9.

[8] Davidson JR. et a l. — The association of sexual assault and attempted suicide within the community.

Archives of General Psychiatry , 1996, 53 , 550-555.

[9] Fergusson DM., Horwood LJ., Lynskey MT. — Childhood sexual abuse and psychiatric disorder in young adulthood. II : Psychiatric outcomes of childhood sexual abuse. Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry , 1996, 35 , 1365-1374.

[10] Marissal JP, Chevalley C. — Évaluation des répercussions économiques des violences conjugales en France. Paris, Ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité, 2007.

[11] Haut Comité de la Santé Publique. Violence et Santé. Ed. EHESP, 2005.

[12] Jaspard M. — Nommer et compter les violences envers les femmes : une première enquête nationale en France. Populations et société, 2001, 364 , 1-4.

[13] Loi no 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. Journal Officiel no 185 du 11 août 2004 page 14277.

[14] Tursz A. — Violence et santé. Rapport préparatoire au plan. La Documentation Française, 2006.

[15] Henegar A., Osman-Rogelet A., Gignon M. — État des lieux autour de la violence. Observatoire de la Santé et du Social de Picardie. Amiens, mai 2009.

[16] Observatoire de la Santé et du Social de Picardie. Violences physiques et sexuelles, Baromètre santé, résultats thématiques, septembre 2008.

[17] Guide méthodologique GIP, direction générale de la comptabilité publique, ministère de l’Économie et des Finances, décembre 2003.

[18] Bulletin Officiel du ministère de l’Éducation Nationale et du ministère de la Recherche no 31 du 30 août 2001.

[19] Circulaire interministérielle DGS/SD 2 C no 2007-98 du 8 mars 2007 relative à la formation des étudiants en médecine dans le cadre du plan de lutte contre les mutilations sexuelles féminines.

[20] Loi no 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. Journal Officiel no 139 du 18 Juin 1998.

[21] Henrion R. — Conclusion de la séance du 4 juin 2002. Bull.Acad.Natle Med. , 2002, 186, 6, 1001-1002.

[22] Jardé O. — Rapport au Premier ministre sur la médecine légale. Décembre 2003.

[23] Desportes F., Crosson du Cormier R., Reitzel P., Lorrang F., Picard S. — Mission interministérielle en vue de la réforme de la médecine légale. Inspection générale des affaires sociales ; Inspection générale des services judiciaires. Mai 2006.

[24] Henrion R. — Violences et adolescence : aspects fondamentaux et cliniques. Conclusions de Roger Henrion. Bull.Acad.Natle Med., 2004, 188 , 8, 1299-1370.

 

DISCUSSION

M. Roger HENRION

Avez-vous réussi à organiser une prise en charge efficace des auteurs de violence ? Que pensez-vous des dispositifs de surveillance électronique, expérimentés apparemment avec succès en Espagne, destinés à prévenir les récidives en contrôlant les mesures d’éloignement des conjoints violents ?

Depuis, plusieurs années une des associations membres du Groupement d’Intérêt Public « pour la santé, contre la violence en Picardie » a développé une activité de prise en charge et de suivi des auteurs de violences conjugales à la maison d’arrêt d’Amiens. En tant que parlementaire, je soutiens personnellement cette action au travers de ma réserve parlementaire car j’estime que cette approche se doit d’être pérennisée. Quant à savoir si cette action est efficace, les éléments dont nous disposons sont encourageants et nous invite à les poursuivre et à les développer. Nous sommes actuellement en train de développer des collaborations avec le Centre de Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles, une formation ouverte à l’ensemble des acteurs qui prennent en charge les auteurs et les victimes de violences. Concernant votre question sur les dispositifs de surveillance électronique expérimentés en Espagne, j’estime que le problème de la violence au sein du couple est trop grave pour que l’on puisse écarter, a priori, ce genre de solutions. Ces dispositifs électroniques ont été, en effet, expérimentés avec succès en Espagne. Si ils sont en mesure d’éviter des violences pouvant être dramatiques en prévenant la victime et les forces de l’ordre que l’auteur est à proximité, alors je suis favorable. De plus ces dispositifs permettent de rassurer la victime. Or quand on connaît l’importance du traumatisme psychologique que peut présenter une victime de violence conjugale, lui permettre de se sentir en sécurité avec ce dispositif, sera un apport considérable en terme de qualité de vie.

M. Yves CHAPUIS

Le problème de la prévention comporte me semble-t-il deux aspects. D’abord l’identification des facteurs qui conduisent un sujet à des actes de violence comporte-telle une information précise sur ces facteurs socio-culturels, familiaux, locaux, susceptibles de concourir à ces dérèglements ? Et parmi les causes possibles de dérèglement des jeunes on n’entend guère parler du rôle nocif de la télévision. Or les téléspectateurs sont d’une façon indécente, honteuse, inconsciente ou perverse, soumis, initiés à une violence d’une férocité parfois insoutenable de manière incessante sur de nombreuses chaînes. Est-ce tolérable ?

Les facteurs qui conduisent un sujet à des actes de violence sont de différentes natures et s’imbriquent avec une extrême complexité. De nombreux travaux ont tenté de cerner ces facteurs. Ils sont pour certains intrinsèques à la personnalité de chacun mais il existe bien sûr des facteurs extrinsèques en lien avec l’environnement dans lequel on évolue. On peut citer dans cette catégorie les conditions socio-économiques qui peuvent être sources de conflits. La télévision est en effet un vecteur redoutable qui véhicule des messages qui prennent une valeur « normative » pour les personnes qui les reçoivent sans exercer leur sens critique. Je pense, en effet, en premier lieu aux enfants. Quand on sait que les enfants passent en moyenne près de deux heures par jour devant la télévision cette question est préoccupante. Lorsque la violence, qu’elle soit psychologique ou physique, est banalisée, les comportements en sont modifiés. Comme vous le faites très bien remarquer la violence a envahi nos écrans de télévision. On peut également soulever la question de l’image de l’homme et de la femme qui est véhiculée par l’ensemble des médias et pas seulement la télévision. De plus, le problème est plus large car il faut également évoquer l’utilisation d’Internet et des jeux vidéo où la violence est souvent encore plus crue que ce qui est diffusé à la télévision. Des études ont montré la modification des comportements des adolescents exposés à certains jeux vidéo particulièrement violents. Les enfants, et en particulier les adolescents, en sont de grands consommateurs, ce qui doit nous alerter.

Ceci dit les médias ne sont que le miroir de ce qu’est notre société. La violence est présente dans notre société. On ne peut le nier et ce n’est pas nouveau. Ce qui me parait particulièrement préoccupant, c’est l’absence de repères. Le rôle de la cellule familiale et des adultes en général est, me semble-t-il, avant tout d’expliquer les situations dramatiques qui ont amené à cette violence et lorsque cela est nécessaire de contrôler ce qui peut être vu ou non par un enfant.

 

<p>* Groupement d’Intérêt Public « pour la santé, contre la violence en Picardie » Médecine légale et sociale, CHU d’Amiens-Picardie, place V. Pauchet, 80 054 Amiens Cedex 1 Faculté de Médecine, Université de Picardie Jules Verne — 3, rue des Louvels 80036 Amiens Cedex e-mail : jarde.olivier@chu-amiens.fr Tirés à part : Professeur Olivier Jardé, même adresse Article reçu le 14 octobre 2009, accepté le 9 novembre 2009</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 2, 431-441, séance du 23 février 2010