Communication scientifique
Session of 28 octobre 2003

Conclusions

M. Tubiana

Conclusion

Maurice TUBIANA*

L’obésité et le surpoids font peser sur la santé des pays industrialisés et en particulier de la France, des menaces équivalentes à celles du tabac et de l’alcool. Il est urgent de prendre conscience de cette catastrophe annoncée et d’envisager les mesures permettant de lutter contre elle. Les très intéressantes communications que nous venons d’entendre montrent qu’il est extrêmement difficile de faire maigrir un obèse car on se heurte à des mécanismes de défense mis en œuvre par l’organisme pour préserver sa réserve graisseuse. Il faut donc en priorité agir pendant la période de constitution de l’obésité, que celle-ci se situe pendant l’enfance ou l’adolescence ou vers 50-60 ans. En terme pratique, ceci signifie qu’à tout âge, il faut apprendre aux Français à surveiller leur poids et à réagir dès qu’apparaît une tendance à l’augmentation. Il ne faut pas attendre d’être en surpoids ou, a fortiori, obèse pour changer son comportement.

On observe depuis deux décennies, dans tous les pays de l’Union Européenne (U.E.) une augmentation du poids de l’ensemble de la population [1] . Il faut lutter contre celle-ci, chez chaque individu comme dans la population, car certaines des consé- quences de l’excès de poids (telle l’augmentation de l’incidence de certains cancers) apparaissent dès que l’on passe de la normalité au surpoids et s’aggravent ensuite graduellement en fonction de l’excès de l’Indice de Masse Corporelle (IMC).

L’accroissement du poids à tout âge est le résultat d’un déséquilibre entre le nombre de calories ingérées et dépensées. Pour lutter contre lui, il faut à la fois restreindre l’apport et augmenter la dépense c’est-à-dire l’activité physique (lutter contre la sédentarité). Les deux sont difficiles en raison de facteurs individuels et sociaux.

Un facteur qualitatif intervient : la densité calorique élevée de certains aliments (riches en graisses et en sucres rapides) et boissons sucrées paraît jouer un rôle important. Inversement, la consommation d’autres aliments tels les fruits et légumes est bénéfique, non seulement en raison de leur faible apport en calories, mais par les nutriments qu’ils apportent. Or elle tend à diminuer avec le changement des habitudes alimentaires, la restauration rapide, les repas pris à la hâte qui privilégient les aliments riches en graisses ou en sucres.

Il est difficile de calculer le nombre de décès prématurés dû à la surnutrition, à l’obésité et de façon plus générale aux déséquilibres alimentaires . Aux Etats-Unis plus de 300 000/an.En France, il y a peu d’études à ce sujet mais on estime que les * Membre de l’Académie nationale de médecine .

facteurs nutritionnels pourraient jouer un rôle dans 15 à 25 % des décès.

L’histoire naturelle de l’obésité souligne le rôle du nombre des adipocytes . Ceux-ci sont des sites de stockage et de réserve énergétique. Le tissu adipeux est un organe d’une étonnante plasticité. Il est capable de se développer en recrutant tout au long de la vie de nouveaux adipocytes. Ces cellules adipeuses ont pour particularité de défendre cette réserve énergétique : quand leur contenu en énergie diminue, elles adressent au système nerveux central des messages visant à corriger par, une hyperphagie compensatrice, la diminution des réserves. Ce mécanisme a joué un rôle bénéfique à l’époque ou alternaient les périodes de vaches grasses et de vaches maigres et l’évolution l’a favorisé car le stockage permettait de survivre pendant les périodes de sous-alimentation. Mais, aujourd’hui dans les pays industrialisés, la nourriture est constamment surabondante et un nombre excessif d’adipocytes prédispose à l’inflation des stocks énergétiques donc à l’obésité. Or, ce nombre est augmenté par des événements nutritionnels précoces pendant l’enfance, en particulier en fonction de l’apport calorique. Il existe un cercle vicieux : la suralimentation accroît la tendance au stockage, en d’autres termes, favorise l’appêtit. Alors que le mécanisme de régulation de l’appêtit à court terme (pendant un repas ou une journée) est d’une extraordinaire finesse, et dans l’ensemble très efficace, au contraire les mécanismes à long terme favorisent la constitution ou la reconstitution d’une masse graisseuse. Ces données expliquent l’importance fondamentale d’une nutrition équilibrée pendant l’enfance et l’adolescence.

Dans la société contemporaine de nombreux facteurs accroissent le risque d’augmentation du poids :

— la diminution des dépenses énergétiques est due au changement de mode de vie.

On marche de moins en moins et pour le moindre déplacement on utilise les moyens de transports indi viduels ou collectifs. Les enfants font moins d’exercice physique (transports en commun, ascenseurs, etc.). Ils marchent moins pour aller en classe car en raison des accidents de la voie publique et du risque de mauvaises rencontres , les parents ont peur de les laisser marcher seuls et n’ont pas le temps de les accompagner à pied. De plus, les sports ont, à cause du mercantilisme, des excès de la préparation aux compétitions et du dopage, une moins bonne réputation ; et, à juste titre, les parents craignent l’atmosphère de certains clubs sportifs avec les excès de la troisième mi-temps et les consommations alcooliques qui en résultent. Il est regrettable que la moins bonne image du sport de compétition ait des conséquences sur l’activité physique des enfants. De plus, la télévision, les jeux vidéos, le chauffage, favorisent la tendance à la sédentarité.

— s’il n’y a pas d’allaitement maternel, il faut surveiller, dès la naissance, les laits puis les petits pots utilisés et vérifier que ceux-ci ne sont pas trop riches en sucres rapides et en sel.

— l’augmentation du nombre de calories ingérées, en particulier de celles apportées par les graisses et les sucres, correspond à l’évolution du mode alimentaire. Le prix de la nourriture a considérablement diminué et les dépenses en alimentation repré-
sentent une fraction de plus en plus faible du budget des ménages. De plus les nourritures sont variées, appétissantes.

En particulier des aliments riches en graisses et en sucres rapides et à haute densité calorique (pâtisseries, confiseries, biscuits, barres chocolatées, glaces, pommes de terre frites, etc.) ainsi que les boissons riches en sucres rapides sont absorbés de plus en plus fréquemment sous la pression de la publicité. Les friandises sont devenues une consolation : on mange quand on a un chagrin, quand on s’ennuie (la retraite), ou que l’on est anxieux, et cette consommation prend un caractère compulsif, comme pour l’alcool et le tabac. Il existe une addiction à la nourriture et beaucoup comparent ce phénomène à la montée du tabagisme dans les années 1960.

— la publicité envahissante revêt, parfois, le caractère d’une véritable incitation à des comportements alimentaires dangereux, en prenant comme cible les mères de famille et les jeunes enfants.

Elle procède par des affirmations non fondées telles que bon pour la santé , apporte l’énergie dont l’enfant a besoin, est l’équivalent d’un litre de lait, etc.

— l ’information des consommateurs est insuffisante (étiquetage déficient). De plus, la formation des médecins et enseignants n’est pas adaptée à l’évolution rapide des connaissances ainsi qu’à celle des habitudes alimentaires et des mœurs. Certains diététiciens continuent à raisonner comme on le faisait il y a 20 ans, faute de formation continue.

Obésité de l’enfant : engager la France dans une politique de prévention au long cours La France, comme la majorité des pays d’Europe, doit prendre acte d’une progression préoccupante de l’obésité de l’enfant et lutter contre elle.

L’excès de poids est à cet âge de plus en plus fréquent en France et atteint 16 % des enfants de 5 à 15 ans, en 2000 [1] (environ 3,5 % sont obèses et plus de 12 % en surpoids selon les définitions internationales). L’obésité connaît un développement épidémique surtout dans les quartiers défavorisés. La prévalence de l’obésité de l’enfant (selon les références du carnet de santé qui sont analogues à celles admises en Europe) a été multipliée par 4 à 5 depuis les années 1960. Pour 50 à 70 % des adolescents en surpoids ou obèses, on observe une persistance de cette obésité à l’âge adulte, associée à un risque de surmortalité cardio vasculaire ou de diabète de type II [1]. Cette situation montre la nécessité d’une action de prévention.

Les formes graves de l’obésité sont de plus en plus fréquentes. Si l’augmentation de la prévalence suit la tendance observée au cours des 30 dernières années, on peut anticiper qu’un enfant sur quatre sera obèse en 2020. L’ensemble de la population est concernée par cette évolution, mais certaines régions paraissent plus particuliè- rement affectées (Nord et Est). De plus, et surtout, les classes socioprofessionnelles défavorisées sont les plus touchées : la fréquence à 6 ans de l’obésité y est plus de deux fois supérieure à celle observée dans l’ensemble de la population.

Les mères de famille mal informées, et parfois désinformées par une publicité insidieuse, n’ont pas appris à préparer des repas pauvres en matières grasses, notamment en graisses saturées, et riches en fruits et en légumes. Les cantines
scolaires elles-mêmes ne s’astreignent pas toujours au respect des règles de diététique enseignées à l’école et aux directives du programme national nutrition santé.

Dans certaines écoles, les enfants pour se désaltérer doivent acheter, dans des distributeurs, des boissons riches en sucres. Comme aucun étiquetage ne les oblige à informer les consommateurs sur la teneur en graisses et en sucres, certains industriels préparent des aliments qui sont dangereux quand ils sont consommés en grande quantité et ils en font une publicité qui induit, surtout dans les milieux les plus simples des pratiques alimentaires nuisibles.

Les conséquences de l’obésité sur la santé de l’enfant sont de deux ordres . D’abord les conséquences immédiates : cardio-respiratoires et ostéo-articulaires, retentissement psychologique et fonctionnel. L’embonpoint diminue les exercices physiques et paradoxalement stimule l’envie de manger d’où un véritable cercle vicieux. Les conséquences lointaines sont plus graves encore car l’excès de poids de l’enfant et de l’adolescent prédispose à l’obésité à l’âge adulte avec les conséquences sanitaires qui en résultent : impact métabolique (diabète, dyslipidémie), augmentation de la fréquence des maladies cardiovasculaires et respiratoires (asthme, syndrome d’apnée du sommeil), augmentation de l’incidence de plusieurs cancers (colonrectum et rein, cancer du corps utérin et du sein après la ménopause). S’ajoutent à ces désordres physiques, des conséquences psychologiques et sociales.

Ce constat épidémiologique doit conduire notre pays à s’engager résolument dans une politique préventive au long cours, prenant en compte le rôle déterminant de l’évolution des modes de vie.

L’obésité de l’enfant est une maladie multifactorielle qui résulte d’interactions complexes entre des facteurs comportementaux et biologiques. Comme on l’a dit cet après-midi, ce sont les comportements qui génèrent les modifications biologiques.

La sédentarité et l’évolution du régime alimentaire sont actuellement considérés comme les déterminants majeurs. La disponibilité alimentaire, l’insuffisance de consommation de fruits et légumes, l’augmentation de la densité calorique de l’alimentation et des boissons et de la taille des portions, les désordres du comportement alimentaire et le grignotage entre les repas, voire l’absence de repas à heures fixes, sont les principaux facteurs nutritionnels mis en cause. Des facteurs psychologiques et/ou sociaux peuvent également intervenir. L’impact de ces différents déterminants est d’autant plus marqué qu’il existe une prédisposition biologique, en particulier génétique, à la prise de poids : une prévention ciblée sur les circonstances ou groupes à risque devrait compléter la prévention dans la population générale La prévention de l’obésité de l’enfant sollicite donc la société dans son ensemble :

l’enfant et sa famille, son entourage, le milieu scolaire, la Cité, les acteurs économiques (système de production et de distribution). La prévention est une responsabilité partagée, qui implique un partenariat. Sont concernés avec la famille (donc l’éducation parentale), l’Education nationale, les chefs d’établissement et professeurs d’éducation physique, le milieu associatif, les élus, les municipalités (terrains de jeux,
sécurisation des voies d’accès à l’école) et les cantines scolaires, l’industrie agroalimentaire, les associations de consommateurs et l’ensemble des structures intéressées par la promotion de la santé, de la nutrition et de l’activité physique. La lutte contre l’obésité en 2003 s’apparente à ce qu’était la lutte contre le tabagisme en 1975 : les dangers étaient manifestes mais l’opinion publique et les professions de santé n’étaient pas convaincues de sa nécessité et n’avaient pas reçu une formation ou une information adéquates. Or, l’expérience montre qu’il est possible par des interventions résolues et persévérantes de modifier les comportements en ce domaine [1, 2].

Il faut obtenir que les enfants ou les adultes s’alimentent plus sainement et mènent une vie plus active. Il est impératif de mettre en place une stratégie ambitieuse et un suivi de ses effets.

Il faut souligner la concordance des messages préventifs concernant l’obésité avec ceux préconisés dans d’autres domaines prioritaires de santé publique : le cancer, le diabète et les maladies cardiovasculaire, la prévention des maladies dégénératives liées à l’allongement de la durée de vie. Ces domaines partagent les mêmes recommandations préventives en termes de promotion d’une alimentation équilibrée et diversifiée et la lutte contre de sédentarité.

Les messages préventifs doivent être positifs, il faut veiller à ne pas générer ou aggraver une stigmatisation des personnes atteintes d’obésité, et à mettre l’accent sur la promotion de la santé.

BIBLIOGRAPHIE [1] Santé des enfants et des adolescents. Inserm, Expertise opérationnelle. Edit. Inserm, Paris, 2003.

[2] Obésité, dépistage et prévention chez l’enfant. Expertise collective Inserm. Edit. Inserm, Paris, 2000.

[3] CALLE E., RODRIGUEZ C., WALKER-THURMOND K., et al. — Overweight, obesity and mortality from cancer in a prospectively studied cohort of U.S. adult. New-England J. Med. , 2003, 348 , 1625-1638.

– ANM) (ou Chronique historique

Edmond NOCARD, médecine un précurseur de en microbiologie, en pathologie comparée, tionale en santé publique.

na Charles PILET*

Académie ait ortr P liothèque onds Bib F Il y a cent ans disparaissait Edmond Nocard, membre de notre Académie, collaborateur et ami de Pasteur, Professeur et ancien Directeur de l’Ecole d’Alfort.

L’actuelle communauté scientifique a, je crois, trop peu de souvenirs des très importants travaux réalisés par Nocard, et je remercie notre Secrétaire perpétuel d’avoir permis qu’à l’occasion du centenaire de sa mort, soit rappelée, à cette Tribune, l’œuvre importante de notre ancien confrère.

« Nocard est un des rois de la science » écrivait S. Jacoud, Secrétaire perpétuel de notre Académie, dans l’éloge qu’il a prononcé le 11 Décembre 1906 à cette Tribune.

Il poursuivait :

« Nocard, quand il ne découvre pas, prodigue des notions nouvelles, qui toutes sont d’indéniables progrès, et qui, la plupart, contiennent les germes de découvertes futures »

Qui était donc ce Nocard, à qui le Secrétaire perpétuel de l’époque rendait ainsi hommage ?

Né le 29 janvier 1850 à Provins, il est admis à l’école d’Alfort en octobre 1868, dés l’âge de 18 ans. « L’histoire veut qu’enfant, il ait admiré le beau régiment de dragons *

Membre de l’Académie nationale de médecine .

Tirés à part : Professeur Charles PILET, 7 av. du Général de Gaulle. 94704 Maisons-Alfort.

Article reçu le 7 octobre 2003, accepté le 20 octobre 2003

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, no 7, 1391-1395, séance du 28 octobre 2003