Conclusion
Roger HENRION Les violences conjugales, si elles ont suscité une abondante littérature en langue anglo-saxonne, ont été peu étudiées en France. Et pourtant, une enquête nationale récente sur les violences envers les femmes a montré qu’elles étaient fréquentes et s’observaient dans tous les milieux.
Certaines circonstances semblent les favoriser, qu’il s’agisse du jeune âge de la femme, d’antécédents de violences physiques ou sexuelles subies dans son enfance, d’une séparation récente, de l’instabilité professionnelle, du chômage ou de l’alcoolisme du conjoint, de l’appartenance à une population immigrée.
De même, les conclusions d’un groupe de travail créé à l’issue de l’enquête nationale ont souligné que les conséquences de ces violences étaient souvent très graves pour la femme et les enfants au foyer. Outre des lésions traumatiques variées et multiples, les violences subies en permanence sont cause de tension, d’angoisse, de peur, d’un sentiment de culpabilité et de honte qui isole la victime et grève son avenir.
Les violences envers les enfants ont également été longtemps ignorées, d’abord dissimulées par l’importance de la mortalité infantile, puis tues en raison de la réticence du corps médical à s’introduire dans l’intimité des familles, du poids de l’héritage culturel reposant sur l’autorité paternelle et d’un certain nombre de mythes considérant les parents comme naturellement bons et l’amour maternel comme inné. Décrites au cours du siècle dernier, ces violences sont restées un sujet dérangeant et peu évoqué jusqu’à ces dernières années où la gravité des séquelles a été mieux mise en évidence. Il a fallu aussi attendre la dernière décennie pour que les pouvoirs publics s’intéressent à l’inceste et à ses effets dévastateurs chez l’enfant.
Encore doit-on noter que le nombre d’incestes reste méconnu et que la recherche en ce domaine est très pauvre. On ne peut que s’étonner de ce manque relatif d’intérêt lorsqu’on connaît les suites de ces sévices sexuels.
Enfin, il n’est pas jusqu’aux enfants qui ne deviennent de plus en plus souvent tyranniques et violents envers leurs parents dans des tableaux de carence affective, d’immaturité ou de relation fusionnelle avec la mère. Parfois rançon d’une éducation trop permissive, il apparaît que les principes d’autorité acquis du temps de l’enfance représentent pour le jeune comme pour ses parents la meilleure et la plus efficace des protections.
Quel que soit le type de violence, les médecins, en particulier les généralistes, les urgentistes, les gynécologues-obstétriciens sont en première ligne. On leur demande de savoir dépister les violences derrière des signes aussi divers que des douleurs pelviennes chroniques, une boulimie ou une dépression par exemple, d’évaluer la gravité de la situation, sachant que l’évolution des violences est fréquemment inexorable et peut se terminer par un homicide ou un suicide, enfin de conseiller la femme ou de prendre en charge l’enfant, sans avoir été aucunement préparés à cela au cours de leurs études. On leur demande de faire preuve de perspicacité, de s’engager pour protéger les victimes, de signaler à bon escient les maltraitances sans pour autant dénoncer l’agresseur, au risque de déclencher des catastrophes familiales, alors même qu’ils sont habitués de par leur formation à taire tout ce qu’ils voient à l’intérieur des maisons ou tout ce qu’ils savent.
Des recommandations seront soumises aux pouvoirs publics. Elles porteront, entre autres sur l’épidémiologie, la prévention, la sensibilisation et la formation des médecins, l’organisation des soins, la mise à l’abri des femmes et des enfants victimes, et la prise en charge des hommes violents.
Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 6, 1001-1002, séance du 4 juin 2002