Résumé
Les avis rendus publics par le CCNE d’avril 2006 à février 2007 ont concerné : — le dépistage de la tuberculose et la vaccination par le BCG, — la commercialisation des cellules souches humaines et autres lignées cellulaires, — la santé et la médecine en prison, — les problèmes éthiques posés par les demandes de prédiction fondées sur la détection de troubles précoces du comportement chez l’enfant. Par ailleurs, parmi les nombreuses réponses à des questionnements individuels, réponses qui n’ont pas le caractère d’un avis officiel de portée générale, on notera : — une réponse aux médecins inspecteurs du travail concernant leur rôle dans la répression des infractions à la loi sur l’interdiction du tabagisme dans les lieux publics, — une réponse sur la légitimité de l’attitude médicale consistant en la réalisation d’une euthanasie prénatale dans les cas où une interruption de grossesse pour anomalie fœtale grave ayant été décidée, le déclenchement artificiel du travail peut conduire à la naissance d’un enfant vivant.
Summary
The National Ethical Consultative Committee gave official opinions on the following subjects between April 2006 and February 2007 : screening for tuberculosis and the use of BCG vaccine ; marketing of human stem cells ; health and medical care in jail ; and ethical consequences of attempts to predict future illegal behavior based on childhood psychological disorders. Answers were also given to several individual requests, notably on the responsibility of occupational MDs in the enforcement of the smoking ban in public areas ; and ethical aspects of prenatal euthanasia.
AVIS No 92 : AVIS SUR LE DÉPISTAGE DE LA TUBERCULOSE ET LA VACCINATION PAR LE BCG (avis daté du 6 juillet 2006, rapporteurs :
Chantal Deschamps, Marie-Thérèse Hermange, Alain Grimfeld.)
Cet avis revêt une importance considérable à un double point de vue :
En premier lieu, la question posée au CCNE par le Directeur Général de la Santé, le 11 janvier 2006, est une question majeure, centrée sur la lutte contre la tuberculose, et au delà même sur l’ensemble de la politique vaccinale.
Mais en outre elle s’inscrit dans une discussion sur l’opportunité du maintien de la politique de vaccination systématique et généralisée par le BCG, politique traditionnelle en France, mais récusée dans la plupart des autres pays, tout au moins jusqu’à une date récente ; l’actualité de cette question s’est trouvée renforcée par l’abandon du BCG monovax administré par applicateur, et son remplacement par le BCG souche Copenhague administré par voie intradermique, susceptible d’être à l’origine de réticences autant de la part des praticiens que des familles, et dont les effets sont encore insuffisamment appréciés.
Les autorités sanitaires ont été ainsi amenées à s’interroger sur l’opportunité d’une modification réglementaire conduisant soit à l’abandon pur et simple de la vaccination, soit à son maintien uniquement pour des populations exposées, soit à la poursuite de la politique actuelle. La première éventualité est récusée par l’ensemble des acteurs concernés, le choix se situe donc entre une telle poursuite d’une vaccination généralisée ou son « ciblage » sur des populations dont il serait alors nécessaire de bien caractériser le « profil ».
Avis du CCNE
Il prend en compte — Les faits techniques : la nature du vaccin, la voie d’administration, l’expé- rience des praticiens, leurs réticences, les risques de faux certificats — L’opinion étrangère, autrefois réservée, plus favorable récemment — Les arguments en faveur de la suppression, mais aussi ses risques éventuels — L’argument éthique majeur : le risque de discrimination, conséquence naturelle d’une politique « ciblée ».
Conclusion : il se déclare en faveur du maintien de la vaccination généralisée, tant que n’a pas été instaurée une politique coordonnée et efficace de dépistage Position de l’ANM 1 — même observation technique, concernant le vaccin, sa nature, ses effets et conséquences, son utilisation — même observation clinique : diminution, mais non disparition de la tuberculose — même considération concernant l’avenir : intérêt indiscutable de la suppression à terme de la vaccination (y compris pour pouvoir faire efficacement le diagnostic de contamination) — Mais conditionne une telle suppression à une évolution de la politique de dépistage et de traitement.
En résumé • Pour le CCNE, le maintien de la politique actuelle de vaccination par le BCG (que les praticiens devront parfaitement maîtriser) s’impose, tant qu’une politique efficace de dépistage et de traitement n’a pas été organisée.
• Pour l’Académie, la suppression peut être envisagée, mais à la condition formelle de l’instauration d’une politique efficace de dépistage et de traitement.
L’ANM part de considérations médicales, le CCNE de considérations éthiques ;
ils aboutissent finalement à des conclusions parfaitement complémentaires, sans être similaires.
AVIS No 93 : COMMERCIALISATION DES CELLULES SOUCHES HUMAINES ET AUTRES LIGNÉES CELLULAIRES (Avis du 17 novembre 2006, rapporteur Monique Canto-Sperber)
L’avis no 93 est véritablement un avis majeur qui mérite l’attention soutenue du lecteur, en raison de son importance quantitative (28 pages et 12 d’annexes) et surtout des considérations qu’il comporte dans le contexte d’une réflexion internationale complexe, dont toutes les conséquences n’ont pas encore été totalement tirées, en particulier du point de vue législatif et réglementaire.
1. Rapport : Faut-il continuer à vacciner par le BCG en France ? P. Bégué, F. Denis, M. Girard, J. Frottier. 28.6.5.
Communiqué : Avenir de la vaccination par le BCG en France. P. Bégué. 28.06.05.
Communiqué : Le BCG : difficultés de la vaccination dans un avenir proche. P. Bégué.
13.12.05.
Ses éléments essentiels peuvent être récapitulés comme suit :
Dans la mesure où les cellules souches du corps humain sont des éléments du corps humain, elles ne sauraient faire en tant que telles l’objet de commercialisation ou donner lieu à rémunération Ce principe ne fait cependant pas obstacle au fait que soient rémunérés, y compris sous forme commerciale — d’une part les actes, interventions ou opérations qui précèdent, entourent ou suivent des prélèvements de cellules, notamment les diverses transformations dont elles peuvent faire l’objet — d’autre part les diverses utilisations dont le produit transformé pourrait être l’objet au terme de modifications profondes Le fait que les cellules soient d’origine embryonnaire ne fait pas exception aux recommandations exposées plus haut. Toutefois, il ne faut pas mésestimer le risque que l’embryon soit alors considéré comme un simple matériel de laboratoire, voire un médicament 2.
Les règles d’attribution des brevets de procédé relatives à l’utilisation des cellules souches doivent être assez restrictives, de façon à éviter d’une part de brider de nouveaux développements de la recherche et d’autre part de donner des droits exorbitants à l’inventeur, sans proportion avec la qualité de l’invention et s’exerçant au détriment de la santé publique et de l’accès aux soins. La mise en œuvre de licences obligatoires doit être encouragée dans de tels cas.
Le consentement du donneur après information demeure essentiel.
Un point important a été souligné lors de la conférence de presse où cet avis a été présenté (30.10.2006) et peut constituer la conclusion de cet avis : le CCNE reste attaché au principe fondamental inscrit dans le Code Civil français et spécifique de son doit positif, de la non-patrimonialité et de l’indisponibilité du corps humain, de ses produits et dérivés ; il est toutefois conscient que ce principe comporte des exceptions bien connues, liées par exemple à l’utilisation du sang, mais aussi du lait et d’autres éléments ou produits. Il insiste sur le fait que c’est le procédé qui par son originalité, la recherche qu’il suppose et les applications qui en découlent, légitime et limite la brevetabilité ; la difficulté est de déterminer à partir de quel seuil de transformation un tel élément issu du corps humain (et tout particulièrement lorsqu’il s’agit de cellules extraites d’un embryon) cesse de devoir être considéré comme élément du corps humain pour acquérir un statut nouveau, celui de produit innovant. On connaît les difficultés, non encore parfaitement résolues du point de vue du droit européen, liées à l’interprétation et à l’application de la directive 98/44.
2. Cette partie du rapport et des recommandations a conduit trois membres du CCNE à émettre de fortes réserves
AVIS no 94 : LA SANTÉ ET LA MÉDECINE EN PRISON (Avis du 13 décembre 2006, rapporteurs Chantal Deschamps, Jean-Claude Ameisen, Mario Stasi)
Il s’agit là d’un autre avis majeur par les implications qu’il comporte sur le sens même de l’incarcération, et ses conséquences, en particulier dans le domaine de la santé. Il doit être lu, ligne par ligne (il est de 48 pages) et ce par les membres des professions sanitaires, mais aussi, et peut-être plus encore ceux des professions judiciaires et les parlementaires.
Au sein d’une réflexion aussi riche, seuls quelques points seront mis en exergue :
La prison est un lieu de maladies — Proportion particulièrement élevée de personnes malades dans la population carcérale — Importance de la maladie mentale — Importance des suicides — La prison, lieu de fin de vie en raison de la maladie ou de la vieillesse La loi du 18 janvier 1994 — L’hôpital entre dans la prison — L’assurance maladie-maternité entre dans la prison — Cette loi constitue la fin d’un régime d’exception et d’exclusion — D’autant que les autres lois sur la santé et les droits des personnes malades ou handicapées s’appliquent également en cas d’incarcération.
Des problèmes médicaux majeurs, de nature éthique, continuent néanmoins de se poser :
— Cas des personnes dépendantes (âge, handicap) privées d’aide — Restrictions dans l’application de la suspension de peine pour raison médicale en fin de vie — Absence d’application de cette disposition pour les prévenus — Problèmes liés à l’incarcération des personnes atteintes de maladies mentales graves Il en va de même du respect de la dignité humaine et des besoins essentiels à la santé — Surpopulation carcérale et ses conséquences — Violences à l’égard des plus faibles — Difficultés d’accès aux soins d’urgence — Non respect de la vie affective, familiale et de la sexualité — Problèmes liés à l’application de contraintes pour des raisons de sécurité ou de discipline (isolement disciplinaire, menottage et entraves pendant les consultations et l’hospitalisation, problèmes posés lors de la garde à vue)
Problèmes posés par le respect des droits fondamentaux — Secret médical — Consentement — Aide aux personnes souffrant d’addiction — Le cas de la grève de la faim — Le problème de l’obligation ou de l’injonction de soins — L’ambiguïté des fonctions de surveillance — L’ambiguïté plus grande encore des fonctions de soins et accompagnement — Non respect des droits fondamentaux et de la dignité de la personne détenue Conclusion : Nécessité d’une réflexion de la société sur la notion de droit et sur le sens de la prison et de la peine.
Cet avis a été soumis à la réflexion de notre confrère Mme Monique Adolphe, dont on connaît l’expérience comme visiteuse de prison ; elle a bien voulu nous faire part de ses réflexions :
• Approbation générale • Importance des maladies mentales avec leurs risques de suicide • Importance du climat de violence et de ses conséquences • Difficulté d’accès aux soins d’urgence • Restriction de l’usage du menottage et de l’entrave à l’occasion des soins de santé • Restriction dans le recours à la détention provisoire • Nécessité d’un accroissement de la concertation entre les divers intervenants, en incluant les enseignants, les aumôniers, les visiteurs de prison.
• Problème majeur de la réinsertion • Nécessité d’une réflexion approfondie sur le sens de la prison, ce qui est en parfait accord avec la position du CCNE.
AVIS No 95 : PROBLEMES ÉTHIQUES POSÉS PAR DES DÉMARCHES DE PRÉDICTION FONDÉES SUR LA DÉTECTION DE TROUBLES PRÉCOCES DU COMPORTEMENT CHEZ L’ENFANT (Avis du 11 janvier 2007, rapporteurs J.C. Ameisen et C. Kordon)
Le CCNE a été saisi le 6 avril 2006 par le collectif « pas de 0 de conduite » à la suite de la publication du résultat d’une expertise collective de l’INSERM réalisée à la demande de la Caisse Nationale d’Assurance maladie des travailleurs indépendants. Cette expertise avait pour objet d’améliorer le dépistage, la prévention et la prise en charge du « trouble des conduites « chez l’enfant. Elle comportait une méta-analyse des études sur les signes précoces du trouble des conduites chez de jeunes enfants et les éventuels facteurs prédictifs d’un risque d’évolution ultérieure vers la délinquance.
Les auteurs de la saisine redoutaient que ces données à visée principalement préventive et médicale puissent être utilisées aussi à des fins prédictives et judiciaires. Ils s’inquiétaient particulièrement de l’inscription de telles données sur le carnet de santé, risquant de conduire à une stigmatisation morale du comportement de jeunes enfants, en les affligeant d’une « marque » conservée toute leur vie.
Le CCNE considère que cette expertise confond facteurs de risque et relations de causalité et conduit à une approche réductrice des comportements humains.
Il souligne :
— L’ambiguïté de la définition du « trouble des conduites », qui tend à occulter les frontières entre pathologie et délinquance, entre démarche médicale et démarche judiciaire ; il insiste sur la nécessité de marquer nettement la différence entre prévention et prédiction, surtout lorsque celle-ci est de nature probabiliste, dépourvue de valeur individuelle ;
— L’insuffisante prise en compte de la place de l’environnement dans la genèse des comportements ;
— Le risque de stigmatisation des enfants, conduisant à préférer la protection de la société à l’accompagnement d’enfants en souffrance et en danger ; il souligne que l’inscription de telles informations dans le carnet de santé est de nature à favoriser cette stigmatisation ;
— La nécessaire prudence dans l’intervention de tiers non médicaux, en veillant en particulier au respect absolu du secret médical ; le CCNE insiste sur l’importance de favoriser le développement de la pédopsychiatrie et juge positive la proposition de nommer un coordinateur chargé de veiller à la bonne collaboration des intervenants ;
— L’absence d’indication validée d’administration de traitements psychotropes ou anxiolytiques à de très jeunes enfants ;
— L’intérêt mais aussi les limites des méta-analyses ;
— La prudence avec laquelle les experts doivent être choisis pour de telles expertises collectives, ainsi que l’a souligné à juste titre le comité d’éthique de l’INSERM.
En conclusion, le CCNE désapprouve l’inscription de la médecine préventive dans le champ de la répression, ce qui conduirait à faire passer l’enfant du statut de victime à celui de présumé coupable.
Une approche visant à prédire une évolution vers des formes violentes de délinquance à partir de troubles précoces du comportement n’est pas pertinente en l’état actuel des connaissances.
Le développement d’une réflexion sur la différence entre prédiction, accompagnement et prévention doit être encouragé, en particulier dans le cadre de la prise en charge de l’enfance.
PRISES DE POSITION OU RÉPONSES DU CCNE N’AYANT PAS FAIT
L’OBJET D’UN AVIS OFFICIEL • Réponse aux médecins inspecteurs du travail sur le rôle éventuel des Inspecteurs de Santé Publique dans la répression des infractions à la loi sur l’interdiction du tabagisme dans les lieux publics :
Le CCNE estime légitimes les préoccupations des auteurs de la saisine et approuve le droit des médecins en cause de refuser de participer personnellement, en tant que médecins, à la notification de sanctions.
• Réponse concernant l’euthanasie prénatale :
La loi du 17 janvier 1975, comme plusieurs lois ultérieures, autorise l’interruption de grossesse pour motifs médicaux ; son objectif est d’éviter la naissance d’un enfant vivant, porteur d’une malformation grave qui serait à l’origine d’une souffrance importante ; ses modalités d’application ne sont pas décrites et sont renvoyées au savoir-faire de la pratique médicale, qui peut éventuellement comporter une décision de mort pré-natale ; celle-ci ne pose pas de problème juridique, le fœtus n’ayant pas la personnalité juridique ; une telle décision respecte la liberté de chacun ; un problème éthique demeure certes, que le CCNE a tenté de résoudre en 1983 en qualifiant le fœtus de « personne humaine potentielle », problème susceptible de le conduire à une nouvelle réflexion sur ce sujet en fonction de l’évolution des techniques, des mœurs, des lois et de la jurisprudence.
MENTION PARTICULIÈRE
Il est opportun de rappeler l’avis 88 du CCNE sur la détermination de l’âge à des fins juridiques et sa convergence avec l’avis de l’ANM (Rapport Chaussain), de même que l’avis 90 sur l’accès aux origines et les prises de position de l’ANM sur l’accouchement secret (Rapport Henrion) et sur l’anonymat du don de gamètes (Rapport David).
* Membre du Comité Consultatif National d’Éthique Membre de l’Académie nationale de médecine
Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 2, 405-412, séance du 27 février 2007