Communication scientifique
Session of 15 mai 2007

Chirurgie vitréorétinienne et anticoagulants

MOTS-CLÉS : anticoagulants. intervention chirurgicale ophtalmologique. rétine/chirurgie
Anticoagulation and vitreoretinal surgery
KEY-WORDS : anticoagulants. ophtalmologic surgical procedures. retine/surgery

Dominique Chauvaud

Résumé

L’âge moyen des patients présentant une pathologie vitréorétinienne nécessitant une chirurgie est de 68 ans. 30 % d’entre eux ont un traitement préventif d’accident thromboembolique par anticoagulant. En l’absence de consensus concernant la gestion du traitement anticoagulant lors de la chirurgie vitréorétinienne, nous avons étudié une série de 60 patients (âge moyen 73 ans) opérés sans modification de leur traitement anticoagulant habituel. La chirurgie a été réalisée sous anesthésie locale par voie sous-ténonienne, sans modification de la procédure habituelle, en ne tenant compte ni du traitement pré-opératoire ni de la pathologie associée. Les indications pour le traitement anticoagulant étaient la fibrillation auriculaire, l’insuffisance coronaire, les accidents vasculaires cérébraux, la thrombose veineuse avec embolie pulmonaire et les prothèses valvulaires. 22 patients (36,7 %) étaient traités par antivitamine K et 38 patients (76,3 %) par antiagrégant plaquettaire (Clopidrogel ou Aspirine). Un patient opéré d’un décollement de rétine complexe par une procédure majeure comportant une large rétinectomie a présenté une hémorragie sousrétinienne per-opératoire. Pour tous les autres patients, aucune complication hémorragique ne fut observée. L’arrêt du traitement anticoagulant pré-opératoire semble donc illicite pour la chirurgie vitréorétinienne.

Summary

About one-third of patients undergoing vitreoretinal surgery are receiving anticoagulation therapy. There are no consensus guidelines on anticoagulation in this setting. Sixty patients (mean age 73 y) on anticoagulation therapy underwent vitreoretinal surgery. The indications for anticoagulation included atrial fibrillation, coronary insufficiency, cerebrovascular

* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine Tirés-à-part : Professeur Dominique CHAUVAUD, Hôtel-Dieu, Service d’Ophtalmologie, 1 pl. du

Parvis Notre-Dame, 75181 Paris Cédex 04.

disease, deep vein thrombosis and prosthetic heart valves. Twenty-two patients (36.7 %) were treated with vitamin K antagonists and 38 (67.3 %) with antiplatelet agents (clopridogel or aspirin). After sub-tenon anesthesia, the surgical procedure was performed as usual, regardless of preoperative treatment and intercurrent disease. One patient who underwent a major procedure for complicated retinal detachment had an intraoperative subretinal hemorrhage requiring retinectomy. No other complications occurred. These results suggest that no change in ongoing anticoagulation therapy is required for patients scheduled for vitreoretinal surgery.

La chirurgie vitréorétinienne est actuellement en plein essort. La sofistication de l’imagerie médicale et l’élaboration de nouvelles techniques chirurgicales sûres conduisent à opérer un plus grand éventail de pathologies rétiniennes. L’âge moyen des patients présentant ces pathologies étant de 68 ans, nombre d’entre eux ont un traitement anticoagulant préopératoire. On estime que 6 % des patients nécessitant une chirurgie de l’œil sont traités par antivitamine K et 35 % par de l’Aspirine [1]. La fibrillation auriculaire, indication la plus fréquente du traitement anticoagulant a une prévalence de 9 % après 62 ans [2]. Un million et demi de stents coronariens est posé chaque année dans le monde. L’attitude concernant le traitement anticoagulation lors de la période péri-opératoire fait maintenant l’objet d’un consensus pour la chirurgie de la cataracte. La possibilité d’une anesthésie topique, l’incision en cornée claire non vascularisée et la phakoémulsification permettent de réaliser cette chirurgie sans arrêter le traitement anticoagulant per-os pré-opératoire [3, 4]. Les conditions de la chirurgie vitréorétinienne sont très différentes de celles de la cataracte. Le décollement de rétine est une urgence : la récupération fonctionnelle commence à être compromise à partir du dixième jour du soulèvement maculaire.

Le délai entre le début d’un décollement de rétine et le diagnostic est en moyenne de trois jours. Le délai d’inactivation du Clopidrogel (Plavix®) est de neuf jours et celui des antivitamines K de trois à cinq jours suivant l’INR. La chirurgie vitréorétinienne nécessite une immobilisation parfaite de l’œil (à la différence de la chirurgie de la cataracte) et implique donc un bloc anesthésique par injection autour du globe.

Enfin, cette chirurgie concerne des tissus vascularisés avec un risque hémorragie préopératoire, en particulier lors de la ponction pour évacuation du liquide sousrétinien ou lors d’une vitrectomie comportant des incisions au niveau du corps ciliaire. Actuellement, il n’y a pas de consensus concernant la gestion des anticoagulants lors de la chirurgie vitréorétinienne. Les risques d’hémorragie peropératoire lors d’un traitement anticoagulant maintenu confrontés aux risques connus et parfois vitaux de la modification de ce traitement en période périopératoire déterminent des attitudes diverses. La rareté des publications de la chirurgie vitréorétinienne réalisée sans modification du traitement anticoagulant préopératoire participe à l’absence de consensus [5, 6]. A la suite de deux accidents graves liés à la modification du traitement anticoagulant préopératoire (une thrombose de valve mécanique, un accident vasculaire cérébral) que nous avons observés, nous avons entrepris d’étudier les résultats de la chirurgie vitréorétinienne réalisée sans modification du traitement anticoagulant habituel.

PATIENTS OPÉRÉS DE CHIRURGIE VITRÉORÉTINIENNE SANS MODIFICATION DU TRAITEMENT ANTICOAGULANT 60 patients ont été opérés successivement entre janvier 2005 et juin 2006. La moyenne d’âge est de 73 ans (50 à 93), avec une prédominance masculine (sexe ratio H/F = 2,52). 22 patients étaient sous antivatimine K (36,7 %). La valeur médiane de l’INR était de 2 (1 cas était égal à 3). 67,3 % étaient sous antiagrégants plaquettaires, dont 17 patients sous Aspirine seul, 17 patients sous Clopidrogel et 4 patients traités par l’association Aspirine et Clopidrogel.

RÉPARTITION DES DIFFÉRENTES PATHOLOGIES CARDIO VASCULAIRES

Les pathologies retrouvées étaient celles indiquées dans le dossier d’anesthésie :

— Insuffiscance coronaire : 36,8 % ; dans ce groupe, dix patients avaient subi une angioplastie.

— Arythmie : 23 % ;

— Artériopathie oblitérante : 11,5 % ; dans ce groupe, deux patients avaient subi un pontage vasculaire et un patient une désobstruction en urgence.

— Accident vasculaire cérébral : 6,5 % ;

— Thrombose veineuse : un patient ayant bénéficié d’un filtre cave supérieur.

Pour cinq patients, il existait une notion d’athérome diffus sans antécédent d’accident aigu. Enfin, pour trois patients aucune raison ne fut retrouvée justifiant le traitement anticoagulant préopératoire.

RÉPARTITION DES PATHOLOGIES VITRÉORÉTINIENNE — Décollement de rétine : trente-cinq patients (57,4 %) ;

— Maculopathies : 18 % ;

— Intolérance au matériel d’indentation : deux patients ;

— Hémorragie du vitré : deux patients ;

— Complication de la chirurgie de la cataracte : trois patients.

TYPE D’ANESTHÉSIE RÉALISÉ

Tous les patients ont été opérés sous anesthésie locale. Celle-ci était réalisée pour une voie sous-ténonienne avec une canule mousse sous contrôle du microscope opératoire et effectuée par le chirurgien.

TYPE DE CHIRURGIE RÉALISÉ

Tous les patients ont été opérés suivant les procédures habituelles, en ne tenant compte ni du traitement anticoagulant préopératoire, ni de la pathologie associée.

En particulier pour les décollements de rétine opérés par voie externe (19 cas), il fut réalisé dans 9 cas une ponction du liquide sous-rétinien. Dans ce groupe, trois patients étaient sous antivitamine K, trois sous Aspirine et trois sous Clopidrogel.

RÉSULTATS

Procédure anesthésique

Aucune hémorragie n’a été observée. Pour tous les patients, la chirurgie fut ressentie comme non douloureuse.

Evènements survenus pendant ou après la chirurgie

Quatre patients ont présenté une hémorragie intravitréenne au décours de quatre vitrectomies (pour 42 vitrectomies réalisées). Aucune de ces hémorragies n’a nécessité une réintervention et aucune ne persistait au-delà de un mois. Un patient a présenté une hémorragie sous-rétinienne lors d’une chirurgie complexe pour un décollement de rétine sévère ayant justifié une rétinectomie étendue. Ce patient était sous antivitamine K. Aucune hémorragie choroïdienne n’a été observée. Enfin, parmi les neuf ponctions de liquide sous-rétinien réalisées, aucune complication hémorragique ne fut observée.

DISCUSSION

L’anesthésie locale par voie sous-ténonienne à la canule mousse est une technique efficace sans risque hémorragique. Cette technique a été utilisée pour des patients sous antivitamine K.

Concernant la procédure chirurgicale, une seule complication notable observée fut une hémorragie sous-rétinienne au cours d’une large rétinectomie. Ce type de complication s’observe parfois dans ce type de procédure en l’absence de traitement anticoagulant. Dans les autres cas, aucune complication notable hémorragique n’est survenue. Dans notre série, les rares complications de la chirurgie vitréorétinienne sous anticoagulant sont conformes à celles observées chez les patients non préalablement traités. Dans notre série, pour les patients traités par antivitamine K, l’IRN médiane était de deux. Un seul patient avait une IRN à 3.

Le risque de complication thrombo-embolique sévère est connu lors de la modification du traitement anticoagulant préopératoire. Ce risque est estimé à 3,6 % pour Kovacs lors du passage à l’Héparine à poids bas moléculaire à l’arrêt des antivitamines K. L’arrêt des antiagrégants plaquettaires est reconnu comme un facteur indépendant chez les insuffisants coronariens [9]. Récemment, les stents pharmacoactifs ont été l’objet de plusieurs publications faisant état d’oblitérations aigues plus d’un an après leur pose lors de l’arrêt des anti-agrégants plaquettaires [10]. Compte tenu de ces risques, la poursuite du traitement anticoagulant habituel paraît illicite pour une chirurgie non vitale, rapporté au faible risque hémorragique observé. Par ailleurs, la poursuite du traitement anticoagulant permet une hospitalisation de courte durée, avec un minimum d’examens pré-opératoires. Onze patients de notre série ont été hospitalisés en ambulatoire. Les quarante-neuf autres sont sortis le lendemain de l’intervention. Le moindre coût de la prise en charge est donc également un intérêt du maintien du traitement anticoagulant préopératoire habituel.

CONCLUSION

La chirurgie vitréorétinienne réalisée sans modification du traitement anticoagulant préopératoire est sûre sur le plan ophtalmologique et général. Cette stratégie présente de nombreux avantages et devrait être retenue comme cela est déjà le cas pour la chirurgie de la cataracte.

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[9] COLLET J.P. et al . — Impact of prioruse of recent withdrawal of oral antiplatelet agents on acute coronary syndromes.

Circulation , 2004, 110 , 2361-2367.

[10] PARK D.W. et al . — Frequency and risk factors for stent thrombosis after drug-eluting stent implantion during long-term follow-up.

Am. J. Cardiol ., 2002, 98 , 352-356.

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, nos 4-5, 879-884, séance du 15 mai 2007