Communication scientifique
Session of 28 octobre 2008

Centre d’information et de dépistage de la drépanocytose à Paris

MOTS-CLÉS : dépistage de masse. drépanocytose
A center in Paris for screening and counselling sickle cell patients and carriers
KEY-WORDS : anemia, sickle cell. mass screening

Gil Tchernia, Josiane Bardakdjian, Agnès Lainé, Aïcha Ly, Geneviève Orssaud, Sylvie Larnaudie

Résumé

La prévention de la drépanocytose, maladie génétique grave et douloureuse, repose sur le dépistage et l’information des hétérozygotes et sur le diagnostic prénatal, éventuellement suivi d’une interruption de grossesse. Un centre spécialisé à Paris, dans le dépistage des hétérozygotes et l’information, fait le bilan des vingt premiers mois de fonctionnement.

Summary

Prevention of sickle cell anemia, a severe and painful disease, relies on carrier detection and information, and on prenatal diagnosis with the possibility of medical abortion. Here we report the first results of a medical and welfare program launched in Paris 20 months ago and dedicated to sickle cell carrier screening and information.

La drépanocytose, reconnue comme une priorité de santé publique par l’UA, l’UNESCO, l’OMS et l’ONU entre 2005 et 2008, est la plus répandue des maladies génétiques dans le monde.

Sa transmission est autosomique co-dominante à expression variable, sans traduction clinique chez les hétérozygotes ; elle résulte d’une mutation, sur le chromosome 11, d’une base du codon 6 du gène codant pour la chaîne β de la globine, entraînant le remplacement d’un acide glutamique par une valine et la synthèse d’une hémoglobine anormale, l’hémoglobine S (HbS). La modification structurale de l’HbS provoque, chez les sujets homozygotes, dont les deux gènes sont mutés, la polymé- risation de l’hémoglobine lorsque la pression partielle d’oxygène diminue. Les polymères d’hémoglobine ainsi formés vont rendre l’hématie rigide (hématie falciforme ou drépanocyte). Les globules rouges rigides ont une durée de vie courte, se bloquent dans les petits vaisseaux et sont responsables d’accidents vaso-occlusifs.

En résultent : anémie, crises douloureuses intenses, susceptibilité aux infections bactériennes graves, lésions d’organes liées aux phénomènes d’ischémie/reperfusion.

Comme pour d’autres anomalies génétiques du globule rouge il est clairement établi que la mutation confère aux hétérozygotes un avantage démographique car ceux-ci sont partiellement protégés du paludisme, tout au moins de ses formes les plus graves [1, 2] Ceci explique l’expansion du gène dans les zones impaludées et particulièrement en Afrique sub-saharienne. A partir de ce continent le gène a été exporté par la traite négrière vers les Caraïbes et les Amériques (Fig). Actuellement le brassage des populations fait qu’aucun pays n’est indemne.

La physiopathologie de cette maladie génétique bien définie sur le plan moléculaire et clinique, est beaucoup plus complexe que nous ne le pensions il y a quelques années.

Des données cliniques, cellulaires et moléculaires et l’apport récent et considérable de modèles animaux, des souris transgéniques porteuses de la mutation humaine [3], ont montré que l’obstruction mécanique des petits vaisseaux par les drépanocytes rigides s’insérait dans un réseau néfaste de dialogues et d’activations cellulaires mettant en jeu d’autres acteurs que les globules rouges rigides. La drépanocytose homozygote crée une situation chronique propice à l’adhésion cellulaire, à l’activation de la coagulation, à l’inflammation chronique, à la vaso-constriction. Sont concernés en particulier, outre les érythrocytes, les cellules endothéliales des parois vasculaires, les polynucléaires, les plaquettes [4-6]. Ce réseau complexe est loin d’être décrypté en totalité mais on peut déjà mieux comprendre certaines variations phénotypiques de cette maladie monogénique. Surtout des espoirs thérapeutiques éclairent une scène encore très austère [7, 8] car on ne sait pas actuellement guérir la drépanocytose, sauf par greffe de moelle [9] et si des progrès considérables ont été réalisés dans sa prise en charge, améliorant la qualité et la durée de la vie des malades, ces progrès ne profitent guère qu’aux malades des pays riches ou aux malades riches des pays pauvres.

En effet, en ce début du e

XXI siècle la drépanocytose reste une maladie ignorée, douloureuse, illustrant l’inégalité socio-économique car son expression peut étroitement dépendre des conditions de vie et de recours sanitaire.

• Elle reste, malgré sa fréquence, méconnue de beaucoup ou cachée parce qu’affublée de croyances en des maléfices qui aggravent le fardeau des malades et peuvent stigmatiser les familles [10-12]. Au Nord, elle est considérée à tort comme une maladie marginale ne concernant que des individus qui n’appartiennent pas à la population « autochtone ». Elle exige un effort d’information du public, des familles, des enseignants et des soignants. Seule une claire compréhension pourra

Fig. — géographie des traites négrières éviter le déchirement de certains couples de parents. Les formations du personnel de santé, des malades ou du public exigent une adaptation aux cultures et aux langues. Les associations jouent un rôle important dans la lutte contre l’ignorance, dans le soutien moral des familles et sont un relais entre les malades et les médecins ou les décideurs en matière de politique de santé.

• La douleur des crises vaso-occlusives est indicible [13], douleur à nulle autre pareille dont même l’entourage ne peut concevoir l’intensité. Souffrance psychologique, aussi, des parents qui se sentent impuissants et coupables et des malades qui se sentent responsables de la désorganisation du milieu familial et du poids financier que la maladie fait peser sur l’entourage [12].

• La comparaison des possibilités thérapeutiques entre le Nord et le Sud est un exemple de plus, de l’insupportable inégalité devant la maladie et la mort.

Au Sud, le fardeau financier des drépanocytaires pour les familles limite la qualité des soins et parfois entraîne leur mort faute de gestes disponibles mais coûteux tels que transfusion, ou prescription d’antibiotiques. En pratique, aucune des consignes de consensus établies dans les pays développés n’est applicable à grande échelle dans les pays démunis. Faire reposer cette responsabilité financière entiè- rement sur les familles est cruel. Des mesures doivent être prises par les pays concernés et les instances internationales pour que cesse cette torture. Mais tout un circuit est ainsi à remettre en cause : la fabrication et le prix des médicaments, l’organisation transfusionnelle, l’insuffisance des infrastructures. Cependant au Nord la situation n’est pas toujours facile pour les malades : méconnaissance de la maladie par les médecins et les soignants en dehors des centres spécialisés, non reconnaissance de la douleur, attente prolongée aux urgences lors des crises douloureuses [14], difficultés du dialogue, en particulier pour le conseil génétique.

En outre certains des malades ou des familles vivent en France dans une situation précaire aggravée ou provoquée depuis peu par le harcèlement administratif, policier et juridique.

ÉPIDÉMIOLOGIE . L’absence de données épidémiologiques fiables dans la plupart des pays fait que tout n’est qu’approximatif : il y aurait plus de cinquante millions de porteurs sains dans le monde. En Afrique les hétérozygotes représentent jusqu’à 40 % de la population, selon les régions et il y aurait plus de trois cent mille naissances d’enfants malades tous les ans. Faute de structure sanitaire appropriée, beaucoup de ces enfants, 50 % au moins, vont mourir sans diagnostic avant l’âge de cinq ans [12]. En Inde la prévalence du gène peut atteindre 30 % dans certaines communautés et la progression démographique posera rapidement des problèmes de prise en charge. Au Brésil, selon les Etats un enfant sur huit cents à deux mille naît drépanocytaire. Il y a plus de mille naissances par an d’enfants malades aux USA et leur espoir de vie augmente très régulièrement. Le nombre de naissances annuelles va croissant en Europe où 98 % des patients dépassent l’âge de vingt ans. Cependant que l’immigration assure un autre flux de nouveaux malades qui sont soignés mais non ou mal recensés. En Europe il faut détruire des mythes [15] qui sont sources d’indifférence et de passivité : la drépanocytose n’est pas l’apanage des africains et à l’aune de la planète, n’est pas une maladie rare.

HISTORIQUE. La drépanocytose a été décrite pour la première fois aux États Unis en 1910 mais auparavant ses principaux symptômes et parfois son caractère familial étaient désignés dans la plupart des langues africaines.

En France le pionnier de l’hémoglobine et de ses anomalies fut Jean Rosa. Il est également l’initiateur du premier Centre de Référence Français officiellement créé à la Guadeloupe en 1990 [16]. Ce centre de soins est couplé à une Unité INSERM, la recherche ne se concevant pour ce modèle comme pour d’autres que dans un va et vient constant du fondamental à la clinique. Dans son sillage des hématologistes, des internistes, des biochimistes se sont résolument orientés vers une maladie longtemps considérée non seulement comme « orpheline » mais comme une orpheline exotique.

En 2004 le Plan National Maladies Rares [17] a reconnu un Centre de Référence Métropolitain constitué par des équipes travaillant dans sept Hôpitaux dont six de l’APHP (Henri Mondor, Kremlin-Bicêtre, Necker, Robert Debré, Tenon, Trousseau,) et le CHIC de Créteil. Des moyens supplémentaires ont été donnés pour appuyer les efforts d’équipes très insuffisantes en nombre par rapport à la montée régulière en charge des malades et à la sévérité de la maladie.

Il manquait un maillon à cette chaîne dédiée aux soins, un lieu non hospitalier de rencontre avec les associations de malades, d’information, de dépistage des hétérozygotes ; un lieu où le temps des médecins, loin du débordement hospitalier, n’est pas compté ; où consultation, prélèvements et examens complémentaires sont gratuits, sans démarche administrative préalable. Grâce à l’appui de Marc Gentilini et d’Alain Lhostis et avec l’aide de l’APHP, la Mairie de Paris a pu installer dans les locaux d’un Centre de Santé un Centre d’information et de dépistage de la drépanocytose qui a ouvert fin 2006 et qui est rattaché au Centre de Référence Parisien.

C’est une démarche novatrice en ce sens que la cible principale du dépistage est constituée par des individus volontaires, soucieux de connaître leur statut mais dénués de tout symptôme de la maladie. Il s’agit de les informer : s’ils sont hétérozygotes, libre à eux ensuite d’utiliser ou non ces informations dans leurs choix de vie.

En effet, seule la prévention peut, soit diminuer la fréquence ou la gravité des complications, soit éviter la maladie.

 

La prévention repose sur les dépistages

Le dépistage néonatal se justifie à condition d’être la pierre angulaire d’une prise en charge en amont des premières complications, dès les premières semaines de la vie.

Cette prise en charge doit comporter, outre l’éducation des parents aux gestes quotidiens simples mais d’importance majeure, la couverture par une antibiothérapie préventive pendant plusieurs années, une prévention du paludisme dans les pays concernés, et des vaccins spécifiques (pneumocoque, méningocoque) en plus des vaccins habituels [18, 19].

En France le dépistage néonatal expérimental en Ile-de-France à partir de 1995 puis institué depuis 2000 sur l’ensemble du territoire est ciblé, ne concernant que les enfants issus de parents originaires de populations à risque, sauf dans les DOMs où tous les nouveau-nés sont testés [20]. Il a lieu dans les maternités grâce à une goutte de sang recueillie sur papier buvard et adressée dans l’un des quatre centres de diagnostic (Henri Mondor, Robert Debré, Marseille, Lille.) En 2007, 405 enfants atteints de syndrome drépanocytaire majeur sont nés en France dont 326 en Métropole et 79 dans les DOMs (Tableau). La drépanocytose (1/2 065 naissances) est donc plus fréquente que la mucoviscidose(1/5 014 naissances) ou d’autres maladies génétiques plus médiatisées. Le pourcentage d’enfants dépistés par rapport au nombre de naissances varie de 55,6 % en Ile de France à 4,4 % en Bretagne.

Parallèlement sont nés 10 045 enfants hétérozygotes, transmetteurs sains de la maladie.

 

Ceux des enfants dépistés qui sont homozygotes font l’objet d’une attention particulière de la part des centres de diagnostic et des pédiatres des maternités. Ils sont rapidement identifiés, retrouvés et médicalement pris en charge.

En revanche les hétérozygotes dépistés sont encore l’objet d’un débat : faut-il éviter d’informer les parents pour ne pas stigmatiser des enfants bien portants, ou faut-il considérer que nous n’avons pas le droit de disposer sans la transmettre d’une information médicale qui peut être lourde de conséquences ? En effet, les parents peuvent être tous les deux hétérozygotes, et certains des enfants suivants peuvent naître homozygotes.

Le dépistage prénatal (DPN), pratiqué sur liquide amniotique ou tissu trophoblastique, peut être proposé dans les centres agréés, en début de grossesse respectivement entre 14-17 semaines et 11-13 semaines. Il est précédé d’une information génétique adaptée et encadré par des psychologues. La décision d’interruption thérapeutique de la grossesse (ITG), si le fœtus est atteint d’un syndrome drépanocytaire majeur, est légalement possible. La décision de recours au DPN transcende les cultures et les religions [21, 22]. Elle est souvent prise en fonction du contexte familial. Si les parents ont déjà un enfant drépanocytaire, si l’un d’eux a vécu l’expérience de la maladie par un frère, une sœur, un cousin voire un père ou une mère atteints, la balance penchera plus volontiers vers le diagnostic prénatal. En tout état de cause il nous semble regrettable que le dépistage d’une femme issue de populations à risque et vivant en France n’ait lieu que lors de la première visite prénatale, comme c’est souvent le cas : le temps manque pour convoquer et dépister le futur père. Le moment n’est en rien propice à une réflexion dont, à juste titre, le milieu médical souligne alors l’urgence.

Tableau. — Résultats du dépistage néonatal pour la drépanocytose en France (année 2007) Nombre de Tests Syndromes Hétérozygotes Drépanocytaires AS AC Métropole 223 964 326 5 996 1 573 DOM 39 150 79 2 003 473 263 114 Malades 7 999 2 046 405 transmetteurs sains 10 045 L’un des centres agréés en France, celui de Henri Mondor, a pratiqué cent treize diagnostics pour DPN en 2007. Sur 113 fœtus, 27 étaient atteints de syndrome drépanocytaire majeur et 20 interruptions de grossesse ont eu lieu.

Le dépistage des hétérozygotes : le dépistage des transmetteurs sains, s’il s’insère dans un contexte d’explication suffisante permet des choix éclairés, l’informateur n’étant là ni pour décider ni pour juger. C’est avec l’information et le soutien aux familles, la mission principale de notre centre. Tout individu qui souhaite connaître son statut vis à vis du gène de la drépanocytose peut venir pour un prélèvement sanguin les jours ouvrables, sans rendez-vous, ni ordonnance, ni carte de sécurité sociale ou d’identité. En fonction des résultats de l’électrophorèse de l’hémoglobine et de l’hémogramme une lettre lui parviendra, l’informant du caractère normal des résultats ou le convoquant pour information et discussion. Ultérieurement sera posé le problème du dépistage du conjoint, actuel ou futur, et/ou du groupe familial. Le dépistage ainsi réalisé a lieu dans la plupart des cas, avant la constitution du couple ou avant une première naissance. Il permet alors une réflexion sur le problème, sans hâte ni tension. L’annonce d’une anomalie génétique pouvant porter préjudice aux futurs enfants et influencer le choix du partenaire à venir, voire le remettre en question est un acte médical grave qui demande temps et attention. Il peut s’agir pour le sujet d’une remise en question de son image, de son avenir, de ses choix. Il peut le vivre comme une amputation, un stigmate social, une blessure narcissique [23]. Plusieurs entretiens, voire un soutien psychologique sont parfois nécessaires.

Ce dépistage est encore quantitativement très insuffisant : en vingt mois nous n’avons testé que 1 500 individus, dont 955 sont venus sur place, par une démarche individuelle. Parmi ces derniers, 45 % sont hétérozygotes avec un risque éventuel pour leur descendance. Ce pourcentage très supérieur à celui trouvé dans une enquête réalisé sur volontariat parmi des sujets soumis à un examen médical à leur entrée en France (15,5 %) laisse à penser que les sujet qui viennent au Centre appartiennent pour beaucoup à des familles déjà marquées par la maladie. L’âge des individus, pour 67 % d’entre eux compris entre 16 et 40 ans, correspond bien au but recherché qui est de voir des sujets à l’âge de reproduction. Les femmes sont plus représentées que les hommes (58 %). Les pays d’origine sont pour 62 % des cas l’Afrique subsaharienne, pour 20 % les DOM/TOMs, pour 6 % la France métropolitaine, pour 5 % le Maghreb. Les incitations pour venir au Centre sont variables : 44 % des sujets testés sont venus sur conseil médical ou paramédical (hôpitaux, centres de Santé, consultations des ONG ou de la Croix Rouge), dans 21 % des cas il s’agit de suggestions familiales ou d’amis, 14 % ont été alertés par les médias, dans 5 % des cas par des associations de malades ou communautaires.

Récemment nous avons, à titre expérimental, adressé une lettre aux couples qui avaient donné naissance à un enfant hétérozygote, leur proposant de venir dans notre centre, ou de consulter ailleurs. Sur les quatre-vingt-huit couples vus et dépistés, quatre sont à risque (deux parents hétérozygotes). Des entretiens prolongés et si besoin répétés ont permis de les informer et d’évoquer les différentes possibilités : s’en remettre au sort, ne plus envisager de grossesse, avoir recours au diagnostic prénatal et, le cas échéant à l’interruption thérapeutique de grossesse, voire envisager un diagnostic pré-implantatoire [24, 25] . Cette activité d’information, actuellement rapidement croissante, semble satisfaire les couples concernés, permet de sensibiliser familles et milieux communautaires à la maladie et d’étendre le dépistage des hétérozygotes en dehors du contexte d’une naissance. En outre le message délivré aux parents permettra peut-être de transmettre l’information géné- tique d’une génération à l’autre.

 

Nous avons tenté d’analyser les raisons de la difficulté du recrutement et pouvons énoncer quelques idées sans valeur statistique :

• Personne n’est vraiment habitué à la médecine prédictive et préventive : ni les soignants, ni les populations cibles. Pour les uns ce dépistage peut représenter une perte de temps au détriment d’activités de soin. Pour les autres un harcèlement supplémentaire qui peut être vécu comme racial.

• La méconnaissance de la maladie, de sa gravité et de sa transmission génétique est un handicap à toute information et ne peut être levé que par des campagnes d’information ciblées sur des communautés à risque ou destinées au grand public.

Les difficultés de dialogue liées aux différences culturelles ou religieuses servent parfois d’habillage aux réticences propres de l’informateur[26].

• La sémantique concernant les transmetteurs sains est inadaptée. Le mot gène n’a pas d’équivalent satisfaisant dans les langues africaines. La notion de maladie inapparente décelée par un prélèvement peut se brouiller avec l’image du VIH qui a été mieux médiatisé que la drépanocytose. La crainte que le prélèvement ne révèle « autre chose » que ce qui est prévu peut être un obstacle au dépistage.

• Les associations de malades sont focalisées sur les soins et l’amélioration de la qualité de vie. Aucun consensus ne se dégage parmi les cadres associatifs sur les grands principes de la prévention des naissances à risque.

• L’accusation d’intervention abusive du « pouvoir médical » dans la destinée des hétérozygotes voire d’incitation à l’eugénisme est courante et doit être combattue par le caractère clair, respectueux, non coercitif des entretiens [27].

• Pour une population vivant parfois dans la plus grande précarité matérielle et administrative, le risque génétique ne peut être la priorité. Il s’agit d’un risque abstrait alors que celui de perdre ses droits et de devoir quitter le territoire est un risque concret objectivé par des courriers officiels.

Information, formation, appui psychologique et aide sociale

Notre centre se veut aussi un lieu de rencontre et d’information où nous nous efforçons d’être disponibles. Un bureau réservé aux associations leur permet de discuter avec les familles. Une des associations y organise régulièrement des groupes de parole.

Il semble que la gestion en soit plus facile que dans une ambiance hospitalière classique. Nous avons réalisé de nombreuses interventions de formation (infirmières, médecins scolaires, médiateurs culturels, collégiens, associations de malades…) Une assistante sociale est rattachée à notre centre. Elle intervient pour les malades ou les familles de malades (accès à la prise en charge médicale, problèmes d’hébergement, droits sociaux).

Surtout nous sommes depuis plusieurs mois sollicités pour les non renouvellement de titres de séjour pour raisons de santé[28]. Certains malades ou parents de malades, installés en France depuis longtemps voyaient jusqu’en 2007 leurs titres de séjour annuellement renouvelés sur certificat d’un médecin spécialiste transmis au Médecin Inspecteur de la Santé Publique puis signé par le Préfet (ou le Préfet de Police pour Paris) sur avis médical, et dans le respect du secret professionnel.

Beaucoup de ces malades avaient des emplois en CDI et payaient loyers et impôts.

Le non renouvellement du titre de séjour entraîne la perte de l’emploi et le plus souvent du logement. Les malades n’osant quitter les circuits médicaux qu’ils connaissent, deviennent clandestins et précaires, sont à la charge du SAMU social, et vivent dans la crainte d’un contrôle et d’un rapatriement après un séjour dans un Centre de Rétention Administratif. On sait qu’un tel séjour pour un drépanocytaire comporte un risque majeur de complication grave.

Il est notable qu’entre 2000 et 2007 le pourcentage des renouvellements de titres de séjour pour maladie, tous diagnostics confondus, est passé de 100 à 55 % [28].

Cette situation ne nous semble ni éthique, ni logique, ni déontologique. Des efforts majeurs ont été faits par ces malades pour s’intégrer et vivre malgré la maladie. Ils ont été aidés par un réseau de médecins, de travailleurs sociaux, d’associatifs. Ces efforts sont brusquement jetés à bas au mépris du secret professionnel puisque les préfets et les tribunaux administratifs, lors du recours, vont être informés du diagnostic.

En guise de conclusion il paraît important de poser plusieurs questions :

• Faut-il généraliser en France le dépistage néonatal ?

• Faut-il informer les parents de nouveau-nés hétérozygotes dépistés à la naissance ?

• Quand faut-il dépister les hétérozygotes adultes ? Comment les inciter à faire pratiquer ce dépistage ?

• Est-il éthique de renvoyer dans leur pays des malades chroniques graves (ou des parents d’enfants malades) intégrés et médicalement suivis en France depuis plusieurs années ?

REMERCIEMENTS

Nous remercions pour l’aide apportée à la création et au fonctionnemnt du CIDD : Marc Gentilini, Frédéric Galacteros et Robert Girot, la Mairie de Paris, l’APHP, la Fondation Caisses d’Épargne pour la soldarité, et les associations suivantes : APIPD, Drépan-hope, Drépavie, SOS Globi, URACA, ainsi que Serge Canasse (carnets de santé).

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[22] Locock L., Kai J. — Parents’experience of universal screening for haemoglobin disorders :

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[23] Fullwiley D. — Contingence de la maladie. Les politiques culturelles de la souffrance en regard du trait drépanocytaire AS au Sénégal in La drépanocytose, Regards croisés sur une maladie orpheline, p. 243-77 , Khartala , 2004.

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[25] Zeren F., Genc A, Cürük MA. — Preliminary data on preimplantation diagnosis for hemoglobinopathy in Turkey . Hemoglobin, 2007 , 31, 273-77.

[26] Fulwiley D. — Discriminate biopower and everyday biopolitics : view on sickle cell testing in Dakar. Med. Anthropol., 2004 , 23, 157-94.

[27] La régularisation pour raison médicale en France, un bilan de santé alarmant — Observatoire du droit à la santé des étrangers c/o médecins du monde, 2008, www.odse.eu.org DISCUSSION

M. Jacques-Louis BINET

Quelle est la fréquence, en France, des interruptions de grossesse pour drépanocytose homozygote ?

Je ne dispose pas des données 2007 pour les quatre centres habilités à prendre en charge ce problème : Marseille, Lîlle, Robert Debré et Henri Mondor. A Henri Mondor qui est probablement le centre le plus important il y a eu en 2007, cent treize prélèvements pour diagnostic ante-natal, vingt-sept fœtus étaient homozygotes, vingt interruptions de grossesse ont eu lieu, ce qui signifie que dans sept cas le couple a pris la décision de ne pas intervenir.

M. Alain LARCAN

La physiopathologie des crises vaso-occlusives est celle d’un syndrome micro-circulatoire et rhéologique : hyperviscosité intravasculaire (artériolaire et capillaire) par l’association d’une diminution de la disponibilité et augmentation de l’agrégation, à laquelle s’associent une composante priétale avec hyper-expression des molécules d’extension et donc adhésivité accrue des hématies à l’endothélium et le rôle de l’inflammation (fibrinogène). C’est pourquoi il faut étudier des modèles comme ceux créés par Harris et surtout par l’école de Baez (de New-York) qui utilisent un méso-appendice dénervé de rat où l’on fait circuler des hématies S en faisant varier les facteurs hémodynamiques, les facteurs métaboliques p02 mais aussi pH, hydratation et équilibre ionique sans oublier les facteurs inflammatoires.

Cette remarque est judicieuse. Il existe maintenant également des modèles de souris transgéniques permettent d’explorer la circulation in vivo .

 

M. Claude-Henri CHOUARD

Quel est le coût du diagnostic prénatal de l’affection et quel est l’avis du Comité Consultatif National d’Éthique sur la réalisation de ce test de manière systématique ?

Ce test ne peut être systématique : il doit dépendre du libre choix du couple après information. Le prix des examens biologiques pour savoir si le fœtus est ou non atteint d’un syndrome drépanocytaire majeur varie de 162 à 189 euros.

 

M. André-Laurent PARODI

Les porteurs du gène de la drépanocytose sont connus pour présenter une certaine résistance au paludisme. Peut-on considérer que cette résistance a joué le rôle de facteur positif de sélection génique drépanocytaire au sein de populations en zones d’endémie malarique ?

Il est maintenant bien établi que l’avantage sélectif que procure l’hétérozygotie AS ou AC a favorisé le développement démographique des gènes S ou C. Il s’agit en fait d’une protection non pas contre l’infestation elle-même mais contre les complications neurologiques souvent mortelles du paludisme provoqué par p. falciparum. Cette protection ne joue que pour les hétérozygotes car un paludisme, même non neurologique est souvent mortel chez les homozygotes déjà fragiles et anémiques.

M. Jean-Yves LE GALL

Que sait-on sur la pénétrance clinique de l’homozytogie Hb SS ?

L’expression phénotypique de la drépanocytose peut varier considérablement, alors que la mutation est toujours la même, d’un individu à l’autre y compris dans la même fratrie.

Le rôle de facteurs génétiques modificateurs, qui peuvent jouer sur la synthèse de l’hémoglobine F, les molécules d’adhésion ou leurs récepteurs, le tonus vasculaire, la coagulation etc., est encore insuffisamment connu.

M. Jean-Baptiste PAOLAGGI

Existe-t-il une fréquence augmentée des ostéonécroses aseptiques chez les sujets atteints de drépanocytose ?

Oui c’est là une complication très fréquente surtout chez l’adulte drépanocytaire. Il s’agit le plus souvent de hanches ou de têtes humérales. Le recours à la chirurgie et aux prothèses est fréquent.

 

<p>* Centre d’information et de dépistage de la drépanocytose (CIDD) 15-17 rue Charles Bertheau, 75013 Paris. E-mail : Gil.Tchernia@paris.fr Tirés à part : Professeur Gil Tchernia, même adresse. Article reçu et accepté le 13 octobre 2008</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 7, 1349-1360, séance du 28 octobre 2008