Communication scientifique
Session of 24 février 2004

Bipolarité : de la maladie maniaco-dépressive au trouble bipolaire

MOTS-CLÉS : anticonvulsivants. diagnostic par imagerie pharmacogénétique.. lithium. psychothérapie. sérotonine. trouble bipolaire
Bipolarity : from manic-depressive disease to bipolar disorder
KEY-WORDS : anticonvulsants. bipolar disorder. diagnostic imaging. lithium. pharmacogenetics.. psychotherapy. serotonin

Jean-François Allilaire *

Résumé

Jusqu’à une période récente le trouble bipolaire était considéré comme un état relativement rare caractérisé par des périodes d’excitation euphorique et de ralentissement dépressif, simple à diagnostiquer et à traiter grâce au lithium et aux nouveaux traitements prophylactiques. En fait le trouble bipolaire englobe un très grand nombre d’états dont la prévalence vie entière dans la population générale peut aller jusqu’à 5 à 8 %. L’impact d’une thérapie au long cours par les sels de lithium et d’autres agents pharmacologiques est très efficace mais doit être associé à des thérapies non pharmacologiques. Au cours des deux dernières décennies, les études génétiques, en imagerie cérébrale et biochimiques ont permis de développer nos connaissances des mécanismes pathophysiologiques impliqués dans ces troubles.

Summary

Until recently, bipolar disorder was viewed as a relatively rare condition characterized by periods of euphoric excitement and depressive retardation which was easy to diagnose, and easy to treat thanks with lithium and new prophylactic treatments. In fact, bipolar disorder encompasses a variety of conditions, whose overall lifetime prevalence in the general population may be between 5 and 8 %. .Long term with lithium and other compounds are very effective but must be combined withf non pharmacological therapies.Over the past two decades, advances in genetic, brain imagings, and biochemical have improved our knowledge on the pathophysiological mechanisms underlying these disorders.

INTRODUCTION

La prise en charge des troubles de l’humeur et plus particulièrement de la bipolarité est entrée dans une nouvelle ère thérapeutique depuis les années 1970, avec l’utilisation bien maîtrisée des sels de Lithium comme traitement préventif. Les nouveaux antidépresseurs (les IRS) et plus récemment de nouvelles familles de composés thymorégulateurs dont la propriété commune est d’être de la famille des anticomitiaux sont venus depuis renforcer et compléter cette révolution thérapeutique. Il faut souligner le fait que, l’apparition de ces nouveaux traitements a entraîné une modification du pronostic de la maladie en permettant d’éviter la récurrence d’épisodes maniaques et dépressifs chez de nombreux patients. Il en est résulté sur le plan social un effet de destigmatisation de la maladie maniaco-dépressive considérée jusque là comme l’un des paradigmes de la maladie mentale et qui perd progressivement ce statut de maladie stigmate de la folie [1]. De plus, il faut insister ici sur le fait que l’effet stabilisateur des thymorégulateurs est venu apporter une confirmation du bien-fondé de la notion jusque là empirique de maladie bipolaire. Parallè- lement à ces nouvelles approches thérapeutiques, des études épidémiologiques ont montré la très grande fréquence des troubles bipolaires avec pour la forme typique bipolaire de type I une prévalence de 1 % de la population générale mais surtout l’existence d’un spectre des troubles bipolaires et de formes atténuées pouvant toucher jusqu’à 6 à 8 % des sujets en population générale [2].Il apparaît donc que cette maladie est méconnue et sous-diagnostiquée alors que son pronostic peut être gravissime lorsqu’elle n’est pas traitée, en particulier en raison du risque suicidaire.

A l’heure actuelle, l’importance et la qualité des différents traitements préventifs et curatifs du trouble bipolaire, ainsi qu’une meilleure connaissance de sa prévalence et ses différents masques cliniques nous permettent d’envisager sa prise en charge avec beaucoup plus d’optimisme. De plus, nous verrons que de très grands progrès ont été faits quant à la connaissance des mécanismes pathogéniques de ces troubles, tant pour ce qui concerne leurs base neurales que leurs bases neurochimiques, ouvrant des perspectives nouvelles sur la physiopathologie de la bipolarité.

TRAITEMENTS PHARMACOLOGIQUES

C’est la découverte de l’effet antimaniaque et thymorégulateur du lithium ainsi que l’effet antidépresseur de nouvelles molécules qui a permis depuis les années 1970 de transformer le pronostic des troubles de l’humeur [3].C’est la découverte par John CADE de l’effet antimaniaque des sels de lithium puis celle de leurs effets thymoré- gulateurs, et la maîtrise de ces traitements grâce à Mogens SCHOU, aboutissant à la détermination de la fourchette thérapeutique située entre 0,5 meq/litre et 1meq/litre et la surveillance par des dosages réguliers qui ont permis d’établir et de diffuser largement l’usage du premier traitement thymorégulateur du trouble bipolaire [4].

Par la suite la découverte des effets thymorégulateurs de la Carbamazépine (Tégré-
tol) ainsi que celle de l’Acide Valproïque (Dépamide, Divalproex) ont permis de compléter l’arsenal des traitements thymorégulateurs. Rappelons que ces deux dernières molécules sont des anticomitiaux connus et utilisés en neurologie depuis de nombreuses années. Enfin, plus récemment, les propriétés de plusieurs molécules telles que le Topiramate, ou la Lamotrigine, sont venues encore élargir les possibilités thérapeutiques même si la preuve scientifique de l’efficacité de ces molécules est encore à l’étude dans des essais thérapeutiques en cours.

Dans le domaine des traitements antidépresseurs, la découverte dans les années 80, de l’efficacité antidépressive des ISRS, inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine tels que Fluoxétine, Fluvoxamine, Paroxétine, Citalopram a supplanté en grande partie l’utilisation des tricycliques et des IMAO. Plus récemment de nouveaux antidépresseurs dits mixtes, c’est-à-dire sérotoninergiques et noradrénergiques (Venlafaxine,…), ont encore enrichi la panoplie thérapeutique des traitements des épisodes dépressifs. Ainsi peut-on résumer schématiquement actuellement les indications en matière de traitement pharmacologiques des troubles bipolaires de la façon suivante [5].Pour l’état maniaque : les sels de Lithium, le Divalproex, la Carbamazépine, mais aussi certains antipsychotiques (Olanzapine, Topiramate).Pour les épisodes de dépression bipolaire : les ISRS, le Buproprion, les Tricycliques, les IMAO, la Carbamazépine, la Lamotrigine. Pour le traitement de maintenance et de prévention : les Sels de Lithium, le Divalproex, la Carbamazé- pine, l’association Lithium plus Carbamazépine, l’association Lithium plus Valproate, le Topiramate.

LES TRAITEMENTS PSYCHOLOGIQUES, SOCIAUX, ET ÉDUCATIFS.

Il est reconnu depuis très longtemps que, même si les traitements pharmacologiques sont la base indispensable du traitement de la bipolarité la prescription doit être complétée par une prise en charge psychothérapique.

Il est important de souligner que la psychothérapie exige une coordination globale de la prise en charge et que, à cette condition, quelle que soit la psychothérapie utilisée, on constate que toutes les psychothérapies ont un impact positif non spécifique commun, qu’il s’agisse de thérapies individuelles, de couple, en groupe, et qu’elles soient à orientation cognitive, systémique, ou dynamique. Il est important de retenir en ce qui concerne les psychothérapies que leur impact positif commun souligne l’importance d’un « management » concerté et plurithérapeutique. Il comporte tout d’abord une pédagogie éclairée et progressive auprès du malade concernant la connaissance de ses troubles et de leurs traitements : C’est l’aspect psychoé- ducatif et rééducatif de la prise en charge. Cette éducation est nécessairement complétée par un travail sur le support sociofamilial et en particulier sur l’entourage immédiat du patient, qu’il s’agisse du conjoint, des apparentés ou des enfants.Enfin dans tous les cas on utilisera une stratégie combinée, à la fois pharmacologique et psychothérapique.Les objectifs de l’ensemble de ces traitements doivent cibler la
qualité du résultat clinique, la qualité du résultat fonctionnel et plus globalement ce que l’on dénomme actuellement sous le terme de Qualité de vie, mesurable par un certain nombre d’instruments psychométriques de plus en plus diffusés.

LES DIFFÉRENTS TYPES CLINIQUES ET LA NOTION DE SPECTRE DES TROUBLES BIPOLAIRES.

Les deux grandes classifications actuellement en vigueur en psychiatrie sont le DSM IV et la CIM 10. Ces deux classifications reposent sur les mêmes principes nosologiques d’une description multiaxiale des troubles mais ils comportent quelques différences : [6].Pour le DSM IV, on reconnaît les formes bipolaires de type I, et de type II, avec la cyclothymie et d’autres formes atténuées de bipolarité. Ces entités sont opposées aux trois grandes catégories que sont la dépression majeure et modérée, la dysthymie, et les autres formes de dépression. Pour le DSM IV, l’unipolarité est tenue pour évoluer très souvent vers la bipolarité. Pour la CIM 10, le spectre de la maladie est considéré comme moins large et plus restrictif que pour le DSM IV.

LA FORME TYPIQUE DE BIPOLARITÉ : LE TROUBLE BIPOLAIRE DE TYPE I

Le trouble bipolaire de type I, constitue la forme typique de la maladie maniacodépressive et se caractérise par un premier épisode de type maniaque, dépressif (mélancolique) ou mixte. L’âge de début est entre 20 et 30 ans. Le sex ratio est de 1 homme pour 1 femme. Soulignons chez l’homme la plus grande fréquence des épisodes maniaques et chez la femme la plus grande fréquence des épisodes dépressifs. L’évolution globale du trouble se caractérise par des épisodes maniaques plutôt plus nombreux au début de l’évolution et des épisodes dépressifs plutôt plus nombreux par la suite et en fin d’évolution.

Les critères de l’épisode maniaque (critères DSM IV)

C’est la survenue d’un épisode maniaque, que le sujet ait présenté auparavant un épisode dépressif ou non qui va signer le diagnostic de trouble bipolaire. L’épisode maniaque se caractérise par :

Une période d’humeur élevée de façon anormale et persistante de plus d’une semaine.

Par la présence d’au moins trois des symptômes suivants :

Surestimation de soi avec idées de grandeur, réduction du sommeil sans fatigue, une plus grande facilité de communication ou un désir de parler constamment, une fuite des idées, une distractibilité, une hyperactivité, voire une agitation psychomotrice, une désinhibition sociale.

L’épisode correspond à des modifications nettes du fonctionnement psychique et du comportemental habituel du sujet, la perturbation de l’humeur entraîne une altération marquée du fonctionnement interpersonnel, social et professionnel du sujet, les symptômes ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d’une substance psycho-active ni à une affection médicale générale, l’épisode maniaque peut-être spécifié en particulier suivant la présence ou l’absence de caractères psychotiques.

Episode mixte, épisode avec caractéristiques psychotiques, épisodes sans caractéristiques psychotiques. C’est la survenue d’épisodes maniaques tels que précédemment décrits, alternant avec des épisodes dépressifs sévères entrecoupés ou non de phases intercritiques, qui signera le diagnostic de bipolarité de type I.

Les autres sous-types de bipolarité

Bipolarité de type II : Il s’agit d’une forme clinique dont la prévalence a été largement sous-estimée jusqu’à présent, qui se caractérise par la survenue d’épisodes dépressifs majeurs (EDM) précédés d’une phase d’hypomanie. Les symptômes thymiques sont moins sévères, mais le cours évolutif du trouble serait plus grave que

TABLEAU 1. — Le tableau suivant présente les caractéristiques différentielles entre le trouble bipolaire et le trouble unipolaire [14].

TABLEAU 2. — Le tableau suivant présente le pourcentage des différentes formes des sous-types cliniques de bipolarité dans une population de 102 patients suivis dans un centre de santé mentale aux États-Unis.

dans la bipolarité de type I. Cette forme clinique de bipolarité est très sousdiagnostiquée à l’heure actuelle du fait du caractère atténué des symptômes alors qu’elle comporte un haut risque de suicidalité. Le trouble bipolaire de type III, se caractérise par la survenue d’une hypomanie induite par différents agents pharmacologiques (antidépresseurs ou autres). Cette forme clinique aurait une réponse thérapeutique de moins bonne qualité avec la prescription de thymorégulateurs (Sels de Lithium, Carbamazépine, Acide Valproïque).

Les autres formes cliniques

La cyclothymie : elle se caractérise par de nombreuses périodes avec symptômes hypomaniaques alternant avec des symptômes dépressifs ou des intervalles libres de tout symptôme. Les cycleurs rapides se caractérisent par la survenue de plus de trois épisodes par année. Les formes mixtes, elles, se caractérisent par la coexistence au cours du même épisode de symptômes maniaques et de symptômes dépressifs, donnant au tableau une allure plus dysphorique que proprement maniaque ou dépressive [7].

PRONOSTIC DU TROUBLE BIPOLAIRE

Il s’agit d’un trouble au long cours affectant la vie entière. Son évolution est polyphasique, ce qui signifie qu’en général on observe la survenue de plus de 2 à 3 épisodes au cours de la vie entière. Le trouble bipolaire entraîne très souvent de graves distorsions dans l’évolution intra-personnelle du sujet qui présentera des distorsions de personnalité croissantes au cours de l’évolution, mais aussi de graves distorsions inter-personnelles du fait des perturbations introduites par les épisodes aigus dans les relations du sujet avec son entourage. Il faut souligner le risque considérable de suicide dans 15 à 20 % des cas, et souligner le fait qu’à l’heure actuelle, les sels de lithium sont considérés comme le meilleur thymorégulateur et le meilleur traitement préventif du risque suicidaire dans les troubles bipolaires. Le traitement curatif des épisodes et le traitement prophylactique ont permis de réduire non seulement le nombre d’épisodes mais aussi leur longueur et leur sévérité et par conséquent le risque des distorsions intra et inter-personnelles que nous venons d’évoquer plus haut. Il faut toutefois signaler qu’il existe un certain nombre de formes graves répondant moins bien à l’ensemble de la thérapeutique : il s’agit des formes à début précoce ou tardif, des formes avec symptômes psychotiques, des formes mixtes ou à cycles courts ; enfin soulignons la gravité des formes avec comorbidité, [8] lorsqu’il y a abus de substances toxiques, en particulier l’alcool, à l’origine de formes sévères pouvant aboutir lors des épisodes aigus à une véritable dangerosité [9].

BASES NEURO ANATOMO-FONCTIONNELLES

Depuis une quinzaine d’année l’apparition de techniques d’imagerie cérébrale structurale et fonctionnelle ont permis de mieux connaître les bases neuro-anatomofonctionnelles du trouble bipolaire [10]. Les techniques d’imagerie structurale ont en effet montré un certain nombre d’anomalies : Le volume du cortex préfrontal est diminué chez les maniaques. Plusieurs études ont montré la baisse du volume de la substance grise sub-génual gauche dans le cortex préfrontal. Il semble par ailleurs exister une baisse de densité globale dans le cortex préfrontal dorso-latéral. De plus on a constaté une baisse du volume de la substance grise dans la région cingulaire antérieure gauche, ainsi qu’une augmentation du volume de l’amygdale gauche avec une réduction du volume hippocampique gauche. Enfin, alors qu’on a décrit une réduction certaine de ces structures chez les schizophrènes, il n’y a chez les malades bipolaires pas d’anomalie au niveau du Putamen, du noyau Caudé ou du Thalamus.

Les techniques d’imagerie fonctionnelles (SPECT, PET) montrent :

Tout d’abord une hypofrontalité globale chez les unipolaires comme chez les bipolaires.

Une baisse du flux sanguin cérébral dans le cortex préfrontal sub-génual.

Un déficit dans le cortex préfrontal médian, corrélé avec l’intensité des troubles cognitifs, cliniquement décrits. Enfin, une dysfonction à la fois rostrale et orbitofrontale.

BASES GÉNÉTIQUES DE LA BIPOLARITÉ

On sait depuis le 19ème siècle où a été dégagée la description clinique de la maladie qu’il existe un facteur familial dont témoigne l’existence de familles à forte morbidité maniaco-dépressive. La recherche a fait la preuve au cours des trente dernières années de l’implication de plusieurs gènes de susceptibilité dans le risque génétique pour les troubles bipolaires [11].

Par les études de liaison :

le chromosome X (Xq27, Xq26-28) le chromosome 18 (alpha unité pour GTP) les chromosomes 4, 6, 10, 21 Par les études d’association :

le chromosome 11 (gène codant pour la tyrosine hydroxylase) le chromosome Xp 11-23 (gène codant pour la MAO A) le chromosome 22q 11-2 (COMT)
le chromosome 17 (transporteur Dopa,5-HT,Nor) le chromosome 5 (GABA) et d’autres tels que Taq 1, BDNF, On voit que c’est la multiplicité de ces gènes potentiellement impliqués dans le risque génétique qui fait du trouble bipolaire une maladie polygénique à hérédité complexe. Ceci conduit à des perspectives nouvelles pour les recherches : Il s’agit dans les recherches actuelles de mieux cibler les endophénotypes définis par le lien entre des facteurs biochimiques, neurophysiologiques chez des sujets non atteints et chez des apparentés de malades bipolaires. On considère de plus en plus cette approche avec l’approche gène candidat. Enfin on voit se développer depuis quelques années des recherches de pharmacogénétique : Certains travaux ont montré par exemple, qu’il existerait un lien entre le polymorphisme 5HTT et la qualité de la réponse aux antidépresseurs type inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS).

BASES BIOLOGIQUES DE LA BIPOLARITÉ

Il est admis que la bipolarité à une base neurochimique impliquant plusieurs systèmes de neuromédiateurs :

Le système noradrénergique (MHPG abaissé), le système cholinergique, le système sérotoninergique (5HIAA abaissé dans le LCR et même effondré chez des malades décédés par suicide violent), le système dopaminergique, le système GABA (baisse du taux plasmatique circulant).On sait par ailleurs qu’il existe très fréquemment des anomalies thyroïdiennes chez les malades bipolaires, anomalies qu’il est important de corriger surtout lorsqu’il existe une hypothyroïdie infra clinique car c’est une cause de résistance aux traitements antidépresseurs [12].Signalons ici le rôle probable des phénomènes de Kindling, c’est-à-dire de sensibilisation cellulaire à l’origine d’une vulnérabilité croissante au stress au fur et à mesure des épisodes chez les patients bipolaires. On connaît de mieux en mieux certains mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans la maladie bipolaire [13]. Les sels de lithium modifient les systèmes cellulaires de transduction du signal en particulier l’AMP cyclique et le Phosphoinositide. On sait par ailleurs que la carbamazépine agit au niveau de la protéine kinase (PKC). On peut supposer que ces différents agents pharmacologiques corrigent des anomalies biochimiques qui sont autant de mécanismes pathogéniques de la bipolarité.

CONCLUSION

Le trouble bipolaire est une pathologie fréquente qui affecte la vie entière des sujets atteints.Il est marqué par la récurrence d’épisodes maniaques ou hypomaniaques. Sa gravité tient à la récurrence des épisodes aigus, au risque de suicide important mais aussi à d’autres complications intra ou extra-personnelles.

Le pronostic de la bipolarité a été transformé par l’apparition des traitements, en particulier les sels de lithium. Typiquement les sels de lithium ont un effet à la fois antimaniaque et préventif des rechutes dans la bipolarité de type I, et une efficacité moindre dans les autres sous-types. Parmi les différents sous-types de bipolarité, le phénotype le plus fréquent est la bipolarité de type II, mais il existe par ailleurs un large spectre de troubles dont la très grande variété et le caractère masqué des symptômes retarde très souvent l’heure du diagnostic.Soulignons l’importance de certaines comorbidités et la particulière gravité de l’association avec des abus de toxiques, facteur de dangerosité et d’évolution maligne.Certaines formes de bipolarité peuvent prendre un masque psychotique voire schizoaffectif qui en imposera pour un diagnostic de schizophrénie et fera courir le risque d’une mauvaise orientation diagnostique et thérapeutique. Evoquons la question des états limites, qui font l’objet de recherches importantes à l’heure actuelle. Ils posent la question d’une forme masquée de bipolarité en raison de l’importance de la labilité thymique qui les caractérise. Soulignons enfin le fait que la bipolarité est un domaine de la pathologie mentale dont les bases neurales, biologiques et génétiques sont de mieux en mieux cernées et en font un domaine de recherche en plein développement.Pour terminer n’hésitons pas à affirmer que cette pathologie mentale grave, paradigme de la folie au 19ème siècle, peut-être considérée depuis l’apparition de thérapeutiques actives comme une maladie dont le pronostic peut être transformé à condition d’être tôt diagnostiquée et correctement traitée.

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DISCUSSION

M. Roger HENRION

De quelle manière la grossesse intervient-elle dans le traitement de la maladie maniacodépressive ?

Avant la grossesse, le risque tératogène des sels de lithium amène bien souvent la femme bipolaire jeune à arrêter son traitement et à rechuter avant même d’être enceinte, ou encore plus tard pendant la grossesse ou dans le post partum immédiat. C’est la raison pour laquelle la femme jeune se voit de plus en plus prescrire les autres traitements thymorégulateurs, même s’ils ne sont pas dénués de tout risque malformatif. Si une grossesse apparaît chez une femme traitée, on a tendance à interrompre le traitement pendant l’embryogenèse, à la surveiller de près, et à reprendre dès que possible le traitement prophylactique. En milieu ou en fin de grossesse la reprise d’un traitement ne présente pas d’inconvénient pour la grossesse à l’exception des prescriptions associées à type de benzodiazépines qu’il faut proscrire dans les 3-4 semaines qui précèdent l’accouchement (risque de naissance d’un nouveau né endormi). Bien entendu, on sera particulièrement attentif au suivi psychologique et psychiatrique d’une jeune mère bipolaire en post-partum et ce d’autant plus qu’une fenêtre thérapeutique aura été décidée.

M. Pierre GODEAU

Le risque néphrotoxique du lithium à long terme n’est-il pas limitatif pour l’instauration précoce d’un traitement à vie chez un sujet jeune ?

Effectivement, c’était le cas il y a 10-20 ans à une époque où les lithiémies préconisées étaient autour de 1Meq/l, ce qui semblait augmenter l’incidence des néphropathies interstielles induites. A l’heure actuelle, on sait ajuster les doses à chaque individu et à l’évolution de sa bipolarité autour de 0,6-0,8 Meq/l et on peut prescrire un autre thymorégulateur dès qu’apparaît la moindre modification rénale.

M. Christian NEZELOF

Quelles sont les bases scientifiques de l’utilisation des sels du lithium dans ces affections ?

La découverte de l’effet thérapeutique des sels de lithium a été purement empirique. Des recherches sur les modifications génomiques induites via des effets intra-cellulaires sur le second messager sont actuellement très nombreuses et prometteuses pour comprendre les effets neurobiologiques des sels de lithium. Ces recherches conduiront probablement à une meilleure compréhension de la physiopathologie du trouble bipolaire.


* Professeur de Psychiatrie, Université Paris VI — Chef de service, CHU Pitié Salpêtrière — 47, boulevard de l’Hôpital — 75013 Paris. Tirés à part : Professeur Jean-François ALLILAIRE, à l’adresse ci-dessus Article reçu le 2 décembre 2003, accepté le 12 janvier 2004

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 2, 297-308, séance du 24 février 2004