Présentation ouvrage
Session of 5 décembre 2017

Autret Alain. Les maladies dites « imaginaires » : enquête sur les douleurs et les symptômes inexpliqués. Paris: Albin Michel, 2016. Coll. « Faire Face », 197 p.

Jean-Jacques HAUW*

Alain Autret, Professeur émérite de Neurologie à l’Université de Tours, nous offre un petit livre de 190 pages, d’une clarté exemplaire, sur « Les maladies dites « imaginaires ». Enquête sur les douleurs et les symptômes inexpliqués » publié chez Albin Michel. Il nous fait découvrir l’importance, les mécanismes et les modalités thérapeutiques des nombreuses maladies pour lesquelles les médecins ne trouvent pas de cause objective. Il s’agit, par exemple, de douleurs apparemment idiopathiques -céphalées, lombalgies, torticolis, fibromyalgies- sans cause décelable malgré la multiplication des examens, ou bien de fatigue extrême, de troubles de la mémoire, de crises dites psychogènes non épileptiques, de paralysies ou d’anesthésies localisées, de troubles de la vue, qualifiés d’hystériques ou de simulations… La fréquence et le coût considérable de ces maladies sont très sous-estimés. Leur étude épidémiologique est difficile, mais les données les plus fiables révèlent que, pour ce qui concerne les pathologies les plus sévères, 13 à 19 % de la population française sont affectés. L’impact économique de ces maladies chroniques qui induisent de multiples consultations, explorations complémentaires de plus en plus poussées, arrêts de travail, hospitalisations…est majeur. Leur fréquence, lorsqu’elles sont moins sévères, est très élevée. Qui n’a jamais souffert d’une douleur mal expliquer ayant, un jour, spontanément disparu ?

Les mécanismes évoqués et les validations expérimentales obtenues sont analysés. Les interprétations ont d’abord été psychanalytiques avec, notamment, les théories de Jacques Lacan sur la charge symbolique culpabilisante d’expériences anciennes ayant impliqué l’organe affecté à l’âge adulte. Le mouvement psychosomatique et l’alexithymie, désignant les personnes incapables d’émotion, dont les dépressions essentielles s’expriment par des symptômes somatiques sont aussi décrits. Ces théories n’ont pas été validées par des études contrôlées. Alain Autret rappelle la théorie de l’attachement de John Bowlby qui met en exergue le rôle du « caregiver », la personne qui réassure, la mère le plus souvent, et parfois, ultérieurement … le médecin traitant. Les symptômes du malade ne sont que des appels à l’aide face à une agression quelle qu’elle soit, tactique apprise lors de la première enfance et réutilisée à l’âge adulte. Pour un neurologue, rien ne s’oppose à ce que cette empreinte, ce formatage des circuits cérébraux soient du même type que ceux de l’acquisition du langage, par exemple. Des arguments en faveur de ces dernières hypothèses ont été récemment apportés par les neurosciences, notamment la neurophysiologie et la neuro-imagerie. Pour prendre deux exemples simples, au cours des paralysies dite de conversion, la zone motrice du cortex cérébral est bien inactive. Mais d’autres régions s’activent : celles qui inhibent le mouvement et le système dit « sans défaut », activé lorsque la personne éveillée n’effectue pas une tâche précise. Dans les douleurs idiopathiques, les régions impliquées dans le contrôle et le traitement de la douleur sont de petite taille, indiquant que la plasticité cérébrale y a été moins importante qu’elle ne l’est normalement. Des anomalies voisines caractérisent les effets placebo et nocebo et ceux reliant hypnose et conversion : les modifications de l’activité cérébrale au cours de paralysies induites sous hypnose sont les mêmes que celles constatées dans les paralysies de conversion. Les maladies imaginaires ont donc un substratum organique et l’on ne peut s’empêcher de trouver une analogie avec ce que l’on sait aujourd’hui du mécanisme de certaines affections psychiatriques tel l’autisme. Leur construction se fait en trois étapes : une première phase « préparatoire », dans l’enfance, le déclenchement ultérieur des symptômes à l’occasion d’un évènement traumatisant et une troisième phase d’adaptation aux symptômes associant pérennisation, voire extension, du trouble et mécanismes de défense.

Alain Autret aborde enfin le point le plus important: la prise en charge et le traitement de ces maladies fréquentes, très invalidantes. Ils sont, bien évidemment difficiles et notre système de santé, comme la formation des médecins en France, y sont très mal adaptés. La guérison nécessite cinq étapes : la personne doit comprendre qu’elle n’a pas de maladie causale ; que ses symptômes sont l’expression d’un mal-être ; que l’origine et surtout la solution de ses maux sont entre ses mains et quelle peut les trouver ; qu’elle doit parvenir à une meilleure hygiène psychologique et, enfin, qu’elle peut et doit se faire aider par des traitements structurés, fruits d’un dialogue avec son thérapeute. Ces traitements peuvent être médicamenteux, qu’il s’agisse d’antalgiques ou de placébos, par exemple les médecines douces. Il peut s’agir aussi de techniques de relaxation structurée ou d’hypnose, de thérapies cognitivo-comportementales ou de psychothérapies de soutien.

Ce qui apparait capital, c’est l’établissement d’une relation de confiance absolue entre la personne et le thérapeute. Dans le contexte social actuel d’insatisfaction générale et de haut niveau d’exigence de bien-être, il est souvent difficile au médecin traitant ou au spécialiste consulté pour des symptômes variés, parfois atypiques, persistants, qu’il ne peut expliquer aisément, d’accéder à cette relation de confiance absolue avec son malade. Cela demande une formation spécifique des thérapeutes, bien mal prise en compte dans le cursus médical actuel.

* Membre de l'Académie nationale de médecine

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