Communication scientifique
Session of 15 mai 2007

Approche consomique des troubles tensionnels et métaboliques du rat génétiquement hypertendu de souche lyonnaise (LH)

MOTS-CLÉS : génétique. hypertension arterielle. rat
Consomic approach to blood pressure and metabolic diseases in Lyon hypertensive rats
KEY-WORDS : genetics. hypertension. rats

Jean Sassard, Sophie Gilibert, Alain Bataillard

Résumé

Les rats génétiquement hypertendus de souche lyonnaise (LH) associent hypertension et syndrome métabolique. Dans la mesure où une étude préalable avait montré l’existence de loci d’intérêt sur les chromosomes 2, 13 et 17 nous avons créé des souches consomiques, c’est-à-dire des souches de rats LH dont un chromosome a été en totalité remplacé par un chromosome équivalent provenant de rats normotendus Brown Norway (BN). Le phénotypage montre que les animaux consomiques pour le chromosome 17 (LN-17BN) présentent par rapport aux rats LH une pression artérielle légèrement mais significativement diminuée et qui reste sensible à un apport sodé exagéré. Sur le plan métabolique l’introduction du chromosome 17 d’origine BN ne modifie pas l’hypercholestérolémie mais par contre supprime totalement l’hypertriglycéridémie des rats LH. En conclusion l’approche consomique retenue semble appropriée à l’étude de pathologies complexes telles que hypertension et syndrome métabolique. Dans le cas du rat LH elle confirme le rôle fonctionnel des loci identifiés sur le chromosome 17.

Summary

Genetically hypertensive rats of the Lyon strain (LH) have both high blood pressure and a metabolic syndrome. Linkage studies have disclosed quantitative trait loci of interest on chromosomes 2, 13 and 17. In the present work we designed consomic rats, i.e. LH rats in which a full chromosome was replaced by the same chromosome originating from the Brown-Norway (BN) normotensive strain. Rats consomic for chromosome 17 (LH-17BN) exhibited slightly but significantly lower blood pressure, which remained sensitive to an oral salt load. The cholesterol level was unaffected, while the triglyceride level was markedly depressed. This consomic approach seems to be of value for studying polygenic diseases such as hypertension and the metabolic syndrome. In the case of LH rats, our results confirm the functional importance of the loci identified on chromosome 17.

INTRODUCTION

Le rat LH, comparé a ses témoins normotendus (LN) présente une hypertension artérielle associée à des signes évocateurs d’un syndrome métabolique tels que :

surcharge pondérale, hyperlipidémie, élévation du rapport insuline/glucose plasmatique et protéinurie [1].

L’étude des facteurs génétiques responsables de ces pathologies complexes repose d’abord sur la recherche de liens entre des polymorphismes génétiques (génotypage) et diverses caractéristiques phénotypiques (phénotypage) au sein de grandes populations de rats hybrides de deuxième génération dérivés de croisements entre rats LH et LN. Ceci fut réalisé en deux étapes [2, 3] et a permis de démontrer chez le rat LH que des loci d’intérêt existaient sur les chromosomes 2, 13 et 17. En particulier le chromosome 17 contient deux groupes de loci : un relié à la surcharge pondérale et l’autre à l’hypertension et à l’hyperlipidémie.

Suite à ces études de liaison, l’approche classique consiste à générer des souches congéniques qui diffèrent des souches parentales par une petite partie du chromosome d’intérêt incluant le ou les loci mis en évidence par l’étude de liaison.

Comme le chromosome 17 comportait plusieurs loci intéressants nous avons choisi une approche consomique consistant à créer des souches chez lesquelles la totalité d’un chromosome — et non une partie seulement — a été modifée [4]. Dans la mesure où les rats LH et LN sont génétiquement proches, cette approche est difficile et nous avons décidé d’utiliser comme donneurs de chromosomes normotendus non pas des rats LN mais des rats d’une autre souche génétiquement plus éloignée, la souche Brown Norway (BN). Notre travail a donc consisté à créer puis à phénotyper deux souches de rats LH consomiques pour les chromosomes 17 et 13, c’est-à-dire portant un chromosome 17 ou 13 d’origine BN.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Création des souches consomiques

L’introduction d’un chromosome d’origine BN dans le génome du rat LH est réalisée en croisant un mâle LH avec une femelle BN. Les hybrides mâles de première génération (FI) sont alors croisés avec une femelle LH. Après chaque croisement en
retour le génotypage des animaux permet de ne conserver que ceux qui sont hétérozygotes pour le chromosome d’intérêt (17 ou 13). Au terme de six croisements en retour, qui à chaque fois enrichissent le génome des rats en gènes LH sauf sur les chromosomes d’intérêt, l’ensemble du génome des animaux est entièrement caractérisé. Les rats hétérozygotes pour le chromosome d’intérêt et homozygotes LH pour les autres sont alors repérés puis croisés entre eux pour obtenir des animaux chez lesquels le chromosome d’intérêt est fixé sous sa forme BN homozygote. Les souches ainsi obtenues sont maintenues par des croisements frère-sœur.

Phénotypage

Les animaux sont caractérisés au cours d’un protocole qui dure dix semaines. A l’âge de quinze semaines chez des groupes de dix rats mâles on implante, sous anesthésie générale, des radiotransmetteurs (TAMPAC 40 ; Data Sci. Int.) reliés à un fin cathéter inséré dans l’aorte sous rénale.

La pression artérielle est enregistrée par télémétrie battement par battement pour des périodes de vingt-deux heures consécutives chez le rat conscient et libre de ses mouvements. Deux enregistrements (R ; R ) sont réalisés la première semaine et 1 2 leur moyenne fournit la valeur de base.

La semaine suivante les animaux sont placés en cage à métabolisme. Après habituation, les urines de vingt-quatre heures sont recueillies pour mesure de l’excrétion des protéines et de la créatinine.

Les animaux, de retour dans leur cage d’origine, reçoivent alors une charge sodée faite de 1 % de NaCl dans l’eau de boisson pendant une semaine, suivie, la semaine suivante, d’une charge de 2 % de NaCl. Enfin la charge sodée est arrêtée. Quinze jours après, les animaux à jeun sont euthanasiés par décapitation, 30 minutes suivant une injection ip de diazepam.

La pression artérielle est enregistrée à la fin de chaque période de charge sodée (R , 3 R ) puis au terme de la période de retour à une alimentation normale (R ). Les 4 5 concentrations plasmatiques en cholestérol et triglycérides ainsi que le rapport insuline/glucose sont mesurés sur des échantillons de sang prélevés au moment de l’euthanasie.

Les résultats sont exprimés sous la forme χ¯ fi s.e.m. L’analyse statistique a utilisé le test de Mann et Whitney.

Compte tenu de l’état d’avancement des travaux, les résultats présentés ne porteront que sur les souches parentales LH et BN et sur la souche consomique pour le chromosome 17 (LH-17BN).

RÉSULTATS

La figure 1 montre que les rats LH ont un poids corporel bien supérieur à celui des rats BN, tandis que les rats LH-17BN présente un poids significativement abaissé par

FIG. 1. — Évolution du poids corporel en fonction de l’âge chez les rats LH (n=10) BN (n=10) et LH-BN17 (n=10) rapport aux témoins LH. La charge sodée s’accompagne d’un ralentissement de la prise de poids qui est identique dans les trois souches.

Comme les pressions artérielles systolique, diastolique et moyenne évoluent de façon identique, nous ne présenterons que ceux de la pression artérielle moyenne (PAM, mm Hg). La PAM des rats LH (voir figure 2) s’établit à environ 40 mm Hg au dessus de celle des rats BN. Au cours de la charge sodée, et en particulier lorsque celle-ci est constituée par de l’eau de boisson additionnée de 2 % de NaCl, la PAM s’élève de façon marquée (+ 20 %) chez le rat LH alors qu’elle n’est que peu affectée (+ 5 %) chez les rats BN.

Le remplacement du chromosome 17 du rat LH par celui du rat BN amène une diminution faible (5 mm Hg) mais significative de la PAM et ceci sans affecter sa sensibilité à une surcharge sodée.

Quant aux lipides plasmatiques mesurés chez les rats à jeun (fig. 3) âgés de 25 semaines ils sont très fortement augmentés chez les rats LH comparés aux rats BN.

Chez les rats LH-17 BN la cholestérolémie est non significativement diminuée alors que la triglycéridémie revient au niveau observé chez les rats BN.

Les données concernant les rats porteurs d’un chromosome 13 d’origine BN sont en cours d’acquisition. Une analyse préliminaire suggère néanmoins que ce chromosome est susceptible d’expliquer une partie importante de l’hypertension du rat LH.

FIG. 2. — Évolution de la pression artérielle (PAM) avant, pendant puis après une charge sodée chez les rats LH (n=10) BN (n=10) et LH-BN17 (n=8) FIG. 3. — Concentration plasmatique en cholestérol et triglycérides chez les rats LH (n=10) BN (n=10) et LH-BN17 (n=8) à jeun, âgés de 25 semaines DISCUSSION

Dans ce travail nous avons complètement remplacé le chromosome 17 du rat LH par celui de rats normotendus BN. Les résultats obtenus démontrent que ce chromosome est fonctionnellement impliqué dans les anomalies de la pression artérielle, du poids corporel et surtout du métabolisme des lipides qui caractérisent le rat LH.

La décision de développer des souches consomiques qui diffèrent des souches parentales par un chromosome entier et non de créer des souches congéniques qui ne diffèrent que par des fragments de chromosomes a été dictée par le fait que les anomalies tensionnelles comme métaboliques sont, chacune, sous le contrôle de
plusieurs gènes. Dès lors, il est important de respecter autant que possible les interactions épigénétiques qui peuvent se produire au sein d’un chromosome.

Le choix du rat BN comme donneur de chromosomes normotendus en lieu et place du rat LN qui est le témoin naturel du rat LH et avait été utilisé pour l’étude de liaison à une double justification. D’abord méthodologique, car le polymorphisme génétique existant entre les rats LH et BN est bien supérieur à celui qui existe entre les rats LH et LN, ce qui facilite et rend plus sûr le choix des animaux pouvant donner une souche consomique. En effet, on dispose dans ce but d’un plus grand nombre de marqueurs polymorphes. Ensuite génétique, car le génome du rat BN a été entièrement séquencé [5] et cette souche a été soigneusement caractérisée sur le plan physiologique [6]. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’on retrouve entre les rats LH et BN des différences morphologiques, cardiovasculaires et métaboliques proches de celles décelées entre les rats LH et LN [7]. Ceci indique que, sur le plan fonctionnel, l’usage du rat BN se trouve entièrement justifié.

L’introduction d’un chromosome 17 d’origine BN chez le rat LH à des conséquences fonctionnelles qui sont en accord avec ce que laissait imaginer l’étude de la liaison phénotype-génotype [3]. Sur le plan pondéral il s’en suit une diminution significative de l’excès présenté par les rats LH. Du point de vue tensionnel, le chromosome 17 d’origine BN amène une réduction significative de la PAM des rats LH. Elle est toutefois limitée et il convient de souligner que la PAM des rats LH-17BN reste aussi sensible au sel que celle des rats LH. Il est donc clair que un (ou des gènes) porté(s) par le chromosome 17 participe(nt) de façon modeste à l’hypertension du rat LH. De façon intéressante, ces résultats sont en accord avec ceux obtenus chez deux souches de rats génétiquement hypertendus et sensibles au sel, les rats de Dahl [8] et les rats Sabra [9]. Parmi les gènes candidats portés par le chromosome 17 on trouve celui qui code pour le récepteur 1 de l’angiotensine II [3].

Ce locus mérite des études ultérieures (analyse haplotypique, création de souches congéniques) dans la mesure où l’hypertension du rat LH est rénine dépendante [10]. Sur le plan lipidique, le chromosome 17 du rat BN n’affecte pas l’hypercholestérolémie du rat LH alors qu’elle supprime son hypertriglycéridémie. Il devient alors possible d’utiliser le modèle du rat LH-17 BN pour tenter de savoir si l’hypertriglycéridémie du rat LH est liée à une absorption accrue ou à une dégradation limitée.

Dans l’état actuel des connaissances il n’y a pas au niveau du chromosome 17 et dans les régions porteuses de loci identifiés par l’étude de liaison de gène connu pour influencer le métabolisme des triglycérides. De toute façon, l’étude des rats LH-17BN montre bien que l’hypercholestérolémie et l’hypertriglycéridémie du rat LH résultent de mécanismes différents.

En conclusion, ce travail nous semble prouver l’intérêt de l’approche consomique lorsque l’on étudie des pathologies aussi plurifactorielles que l’hypertension et le syndrome métabolique. Il confirme, sur le plan fonctionnel, l’importance du chromosome 17 et, grâce au développement de lignées congéniques, devrait conduire à une localisation plus précise des gènes impliqués.

REMERCIEMENTS

L’aide du Pr Anne KWITEK (Medical College of Wisconsin) pour le génotypage a été essentielle à ce travail.

BIBLIOGRAPHIE [1] VINCENT M., BOUSSAIRI E.H., CARTIER R., LO M., SASSOLAS A., et al. — High blood pressure and metabolic disorders are associated in the Lyon hypertensive rat. J . Hypertens. , 1993, 11 , 1179-1185.

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[3] BILUSIC M., BATAILLARD A., TSCHANNEN M.R., GAO L., BARRETO N.E., et al — Mapping the genetic determinants of hypertension, metabolic diseases and related phenotypes in the Lyon Hypertensive rat. Hypertension , 2004, 44 , 1-7.

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Genome sequence of Brown Norway rat yields insights into mammalian evolution.

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[7] VINCENT M., SASSARD J. — The Lyon strains.

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[9] YAGIL C., SAPOJNIKOV M., KREUTZ R., KATNI G., LINDPAINTNER K., et al. — Salt susceptibility maps to chromosome 1 and 17 with sex specificity in the Sabra rat model of hypertension.

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[10] FLORIN M., LO M., LIU K.L., SASSARD J. — Salt sensitivy in genetically hypertensive rats of the Lyon strain. Kidney Int. , 2001, 59 , 1865-1872.

DISCUSSION

M. Claude JAFFIOL

Peut-on envisager pour le futur un dépistage génétique des sujets potentiellement à risque de développer une maladie métabolique telle que le diabète et peut-on envisager un développement de la pharmaco génomique ?

A long terme il semble possible d’espérer que les données de la génétique contribuent à un meilleur dépistage et une meilleure adaptation des thérapeutiques pour des maladies aussi complexes qu’hypertension et maladies métaboliques.

M. Roger BOULU

Est-ce que des recherches de même type de rats ont été conduites sur d’autres souches de rats hypertendus ?

Oui sur les rats de dahl sensibles au sel. Non chez les rats SHR car ils ont été l’objet de dérives génétiques liées à leur élevage dans de multiples endroits et ce quelquefois sans attention suffisante.

M. Raymond ARDAILLOU

Quelle est la place des études pangénomiques par puces à ADN dans la mise en évidence des gènes responsables de l’état pathologique ?

Elle est essentielle. En ce qui concerne nos rats, H. Jacob et A. Kwitek ont réalisé ce travail avec 4 328 marqueurs. Les résultats montrent que nos souches de rats sont proches sur le plan génétique : 85 %. Il s’en suit que pour les chromosomes ayant montré qu’ils influaient sur un paramètre fonctionnel l’étude pangénomique permettra de focaliser les travaux ultérieurs sur les portions — 15 % en moyenne — qui diffèrent entre animaux hyper et normotendus. Ceci devrait grandement accélérer le choix des souches congéniques à phénotyper.


* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, ** Faculté de Pharmacie — Lyon 1 Tirés-à-part : Professeur Jean SASSARD, même adresse

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, nos 4-5, 849-856, séance du 15 mai 2007