Chères Consœurs, Chers Confrères, Chers Collègues Mesdames, Messieurs
Lorsque j’ai été admis dans cette compagnie, en 2002 comme correspondant puis en 2006 comme titulaire, je n’imaginais certes pas me retrouver aujourd’hui dans cet habit et derrière ce pupitre. Cette nouvelle présidence coïncide avec un renouvellement important du bureau et en particulier avec le départ de notre secrétaire perpétuel, Raymond Ardaillou ; j’ai eu l’avantage et le plaisir de travailler avec lui, pratiquement pendant toutes ces années, d’abord comme secrétaire de la commission de biologie dont il était le président, puis au conseil d’administration ; je pense être l’interprète de tous en le remerciant très sincèrement pour le travail énorme qu’il a effectué au profit de notre compagnie au cours de ces dernières années. Mes remerciements vont bien sûr également au président sortant, que je connaissais en fait peu lorsque nous étions tous les deux en activité dans le même CHU, mais dont j’ai pu apprécier pendant l’année écoulée la finesse et la pondération. Je tiens à dire qu’au cours de cette période j’ai été particulièrement sensible à la disponibilité et à l’amabilité du personnel tant des services administratifs que de notre magnifique bibliothèque. Comme vous tous j’ai bénéficié de la qualité des exposés inscrits à nos ordres du jour, mais préalablement soigneusement sélectionnés et critiqués par le comité de rédaction dirigé par Jean Cambier. Après plus de dix ans de ces activités académiques, j’ai ainsi (mais peut-être à tort) le sentiment d’être beaucoup plus « savant » en médecine que je ne l’étais pendant ma période d’activité professionnelle.
J’ai été frappé l’année dernière, lorsque mon ami Yves Logeais entra dans le vif de son allocution en disant qu’il était « né à Rennes dans une famille catholique ». Vous me permettrez de dire à mon tour que je suis né à Saint-Brieuc (département des Côtes du nord, rebaptisé depuis en Côtes d’Armor) et que je suis un pur produit de l’école publique de l’époque : école Curie de Saint-Brieuc puis école de la rue Papu et Lycée de garçons à Rennes (avec un bref passage au lycée de Cherbourg). J’ai également fait mes études universitaires à Rennes et trois noms, parmi beaucoup, me viennent immédiatement à l’esprit : Michel Bourel professeur de médecine interne, que beaucoup d’entre vous ont connu dans cette enceinte et Jean Pecker, professeur de neurochirurgie qui ont été les principaux fondateurs du CHU de cette ville, enfin celui de Hagenmuller, devenu depuis membre de l’Académie des Sciences, mais qui enseignait à l’époque la chimie minérale en PCB et auquel je dois sans doute pour une large part ma vocation de biochimiste. Grâce à l’appui de Jacques Polonovski, auquel notre compagnie a rendu récemment hommage, j’ai été nommé maître de conférences-agrégé au titre de la coopération et affecté à Bujumbura (république du Burundi) pendant cinq ans ; il s’agissait pour l’université locale (et pour des raisons que je n’ai jamais tout à fait comprises) de substituer au système belge d’enseignement médical assez voisin du système anglo-saxon, le modèle français de l’époque. Bien entendu les conditions de travail étaient très rudimentaires et relevaient autant de l’exercice de la médecine que de l’enseignement de la biochimie ; c’était également l’époque des premiers massacres entre Houtous et Tutsis. Rentré à Rennes en 1976, j’ai été nommé en 1978 titulaire de la chaire de Biochimie médicale et chef du service hospitalier correspondant. Cette discipline a connu depuis les années 60 un extraordinaire développement tant sur le plan intellectuel avec en particulier la création de deux nouvelles disciplines filles (biologie cellulaire et génétique moléculaire) que sur les plans analytique, technique et technologique. Plus globalement l’essor pour ne pas dire l’explosion de la biologie et de l’imagerie médicale, sans compter les nouvelles capacités de séquençage des ADN, ont conduit et conduisent à une révision permanente des concepts, des pratiques médicales , des enseignements, ce qui justifierait certainement une ou plusieurs révisions de la nosologie.
Le hasard des rencontres au restaurant universitaire m’a conduit à épouser Martine Compayré, ici présente. Le hasard a également fait que nos origines sociales étaient totalement différentes : du côté maternel je suis petit-fils d’un maréchal des logis-chef tué au Chemin des dames en 1917 et du côté paternel de paysans bretons illettrés et n’ayant jamais parlé un mot de français ; dans sa lignée paternelle mon épouse est l’arrière petite-fille de Jules Poirier, proviseur du Lycée Jeanson de Sailly de 1902 à 1909, et de Gabriel Compayré, natif d’Albi, normalien et brillant universitaire de l’époque, recteur de plusieurs académies, auteur d’un grand nombre d’ouvrages d’enseignement, de pédagogie et d’éducation des enfants, membre de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques) mais aussi collaborateur de Jules Ferry et d’Emile Combes, et à ce titre l’un des artisans en 1905 de la loi de séparation de l’Église et de l’État (ce qui lui valut quelques difficultés avec la hiérarchie catholique). Dans le contexte actuel je pense qu’il n’est pas inutile de rappeler que le socle de notre république est la laïcité, c’est-à-dire la neutralité de l’État vis-à-vis de toute croyance philosophique, et telle que la concevait cet arrière-grand-père par alliance, mais laïcité incompatible avec tout communautarisme qu’il soit d’ordre ethnique ou religieux. Si j’ai évoqué ce sujet c’est bien entendu en raison des difficultés rencontrées par nos collègues et confrères au cours de leur exercice médical dans certains hôpitaux et certains quartiers.
La situation financière, économique et sociale de notre pays est aujourd’hui plus que préoccupante, constat partagé par la grande majorité de nos concitoyens. Parmi les nombreuses raisons de cette situation, l’une me semble d’autant plus importante qu’elle n’apparaît pas très souvent au premier plan : c’est la faillite de l’école primaire. J’appartiens à une génération qui a eu la chance, à l’école publique ou à l’école privée, d’apprendre de façon structurée et solide ce que l’on appelle maintenant avec un certain pédantisme les « fondamentaux », c’est-à-dire tout simplement à lire, écrire et compter; ainsi en 1945 j’étais en cours préparatoire où au bout de quelques mois tous les gamins, même les quelques simplets présents, savaient lire et écrire de façon élémentaire mais correcte ; aussi ai-je du mal à réaliser qu’en 2014, 17 % des enfants (statistiques officielles) entrant en 6e ne maîtrisent ni la lecture ni l’écriture, que les copies du bac (couronné pourtant par près de 90 % de réussite…) sont très souvent rédigées dans un jargon grammatical bourré de fautes d’orthographe. Bien entendu cette situation de quasi-analphabétisme gagne maintenant l’université, à en croire la description que font différents collègues du contenu de certaines thèses ; les médias viennent d’ailleurs de nous annoncer que les présidents d’université venaient d’en prendre conscience. J’ai toujours appris qu’un bon usage du français et de sa grammaire de fait indispensable à la maîtrise des concepts particulièrement dans le domaine scientifique, qui ne souffre aucune imprécision ; aussi n’ai je pas été trop surpris de découvrir récemment la création d’une nouvelle catégorie d’écoles privées, ayant pour but de réapprendre à lire et surtout écrire correctement aux jeunes cadres de l’industrie. À l’élitisme a été ainsi substitué l’égalitarisme, c’est-à-dire le nivellement par le bas. Cette déficience de l’instruction primaire est bien entendu largement compensée par les parents dans les milieux favorisés, mais conduit à l’élimination très rapide des enfants d’origine modeste : lorsque j’étais lycéen, 10 à 15 % des élèves de Polytechnique étaient fils d’ouvrier ou de paysan, je ne suis pas sûr qu’il en reste un seul aujourd’hui.
Un autre sujet, que je trouve préoccupant, est celui des ambitions ou des préférences manifestées par les étudiants : après les concours aux grandes écoles, après médecine et pharmacie, les choix se portent sur le droit et l’économie, et en dernier lieu sur les Sciences et les Lettres ou même sur les Lettres avant les Sciences. Ce constat est d’autant plus paradoxal que pour une large part notre civilisation, mais surtout notre économie et donc notre niveau de vie, sont le résultat des progrès scientifiques, techniques et technologiques. À mon sens une des raisons de cet état de fait est l’absence de considération et d’éclat attribué par les moyens d’information aux acteurs de la Science ; à titre d’exemple dans l’actualité récente, nous avons appris la pose de la sonde Phylae sur un météorite, après plus de dix ans de navigation spatiale ; pour moi il s’agit d’une réussite tout à fait extraordinaire, résultant du travail et de l’intellect de centaines de mathématiciens, d’astrophysiciens, d’informaticiens, d’ingénieurs et de techniciens. Aucune de ces personnes n’a été mise en valeur par les médias, totalement occupés à l’époque par les démêlés avec la justice d’une starlette ayant malencontreusement poignardé son compagnon. Mais je pense en fait que la raison principale est notre organisation sociologique qui confond gestion et administration et qui, au moins dans le secteur publique, coiffe toute activité professionnelle par une direction administrative, dont les acteurs sont de formation purement juridique, mais disposent néanmoins de la totalité ou la quasi-totalité du pouvoir de décision. C’est ce qui est arrivé au corps médical dans les hôpitaux. Les débats actuels sur la gouvernance, sans parler du risque d’étatisation de la médecine encore libérale, montrent la gravité des questions soulevées. Les effets délétères n’apparaitront qu’au long cours à nos concitoyens.
Le recrutement actuel des étudiants en médecine reste de grande qualité intellectuelle, sans doute l’effet du concours (encore que l’on puisse une fois de plus regretter que ce concours n’ait pas lieu dès l’entrée en première année), mais aussi l’effet d’une image encore socialement et matériellement attractive de la profession. Souhaitons simplement que cette situation perdure, ce qui implique que soit clairement affirmé, entre autres, que l’activité, et donc la compétence, des professions médicales ne se limite pas aux soins mais qu’elle englobe de nombreux domaines : biologie, imagerie, mais aussi technologie des multiples instruments utilisés et gestion de toutes ces activités.
Permettez-moi pour conclure de vous redire l’importance que j’attache à la présidence de notre Académie qui à mon regard revêt deux qualités essentielles : constituée de membres élus par leurs pairs elle est aujourd’hui, avec l’ordre des médecins, la seule structure médicale totalement indépendante ; composée d’ un très large éventail de spécialités médicales, chirurgicales et biologiques elle est un lieu de synthèse et ses avis m’ont toujours paru globalement pertinents (je n’ose pas dire empreints de sagesse).
Bull. Acad. Natle Méd., 2015, 199, no 1, 115-118, séance du 6 janvier 2015