Résumé
L’addiction à la cocaïne est un problème mondial de santé publique. Cette drogue est de plus en plus consommée en France. La cocaïne a des effets psychoactifs et addictifs en agissant essentiellement sur le système mésocorticolimbique cérébral, un ensemble de régions interconnectées qui a une action régulatrice sur le plaisir et sur la motivation. L’effet initial à court terme, principalement médié par l’augmentation de la concentration synaptique de la dopamine, entraîne une certaine euphorie et le désir de reprendre de la drogue. A plus long terme, la cocaïne provoque l’addiction avec son risque de rechute. Une escalade dramatique dans la recherche et dans la consommation de drogue est caractéristique de la dysrégulation des circuits cérébraux de la récompense. L’addiction à la cocaïne est rapidement progressive et comporte de graves conséquences médicales, psychiatriques et psychosociales. A ce jour, aucun médicament n’a été officiellement approuvé dans le traitement de cette dépendance. Toutefois, l’addiction à la cocaïne étant une maladie pharmacologiquement induite des circuits cérébraux de l’apprentissage de la récompense, on peut espérer la découverte de nouveaux médicaments prenant directement pour cible la pathologie biologique de cette addiction. Les progrès dans la compréhension de la dépendance à la cocaïne ont ainsi déjà permis d’identifier des médicaments dont les effets neurobiologiques suggèrent qu’ils seraient susceptibles d’aider les patients à se sevrer et à éviter les rechutes. Plusieurs de ces médicaments ont donné des résultats encourageants dans des essais cliniques contrôlés chez des patients dépendants. Ces résultats prometteurs demandent à être confirmés dans de plus vastes études cliniques contrôlées. Différentes formes de thérapies comportementales ont fait la preuve de leur efficacité à l’encontre de cette addiction. Les moyens psychothérapeutiques semblent devoir être très utilement combinés aux traitements médicamenteux chez ces malades .
Summary
Cocaine addiction is an important public health problem worldwide, and use of this drug is growing in France. Cocaine produces its psychoactive and addictive effects primarily by acting on the brain’s reward system — a set of interconnected regions that regulate pleasure and motivation. An initial short-term effect due to a build-up of the neurochemical dopamine gives rise to euphoria and to a desire to take the drug again. Cocaine’s many longer-term effects include addiction, persistent craving and a high risk of relapse. Dysregulation of brain reward pathways is associated with a drastic escalation of drug-seeking behaviors and intake. Cocaine addiction is rapidly progressive and can have severe medical, psychiatric and psychosocial consequences. There are no proven pharmacotherapies for cocaine addiction. However, cocaine addiction being due to a pharmacologically induced reduction in the neuroplasticity of brain circuits mediating normal reward learning, novel pharmacotherapies directly targeting the biological pathology of addiction should be feasible. Progress in the neurobiology of cocaine dependence has enabled researchers to identify medications that might help patients initiate abstinence and avoid relapse. Several such medications, and a vaccine, have given encouraging results in controlled clinical trials with cocaine-dependent patients. Major behavioral therapies have also proven to be effective on cocaine addiction. Treatment approaches combining medication and behavioral intervention are likely to produce the best results.
La cocaïne est un alcaloïde extrait des feuilles de coca, fournies par l ’Erythroxylon coca [1], arbrisseau originaire de la Bolivie et de différents pays de l’Amérique du
Sud. « Plante divine » des peuples Quechua et Aymara, « l’arbre par excellence » (« Khoca » en langue aymara) était cultivé bien avant l’Empire Inca et les feuilles de coca étaient chiquées pour leurs propriétés stimulantes. Elles sont toujours employées dans ce but par les populations andines et, lors de l’Exposition universelle de Séville, en 1992, les boliviens présentèrent les feuilles de coca parmi les richesses généreusement offertes par la terre des Andes. Ce geste, naturel pour eux, faillit créer un incident diplomatique.
Le chlorhydrate de cocaïne utilisé par les cocaïnomanes se présente sous la forme d’une poudre blanche, généralement « sniffée » (prisée) et parfois injectée par voie intraveineuse, ou plus rarement fumée. Fortement stimulante, elle entraîne un sentiment d’euphorie, de puissance intellectuelle et physique, et une indifférence à la fatigue. Le « crack » correspond à la cocaïne base, obtenue après adjonction de bicarbonate de soude. Le « freebase » provient de l’adjonction d’ammoniaque au chlorhydrate de cocaïne [2, 3]. Fabriquées par l’usager lui-même, ces deux formes sont presque toujours fumées, rarement injectées. Leur action, très intense, est plus rapide que celle du chlorhydrate de cocaïne (une ou deux minutes contre quinze à trente minutes), mais disparaît plus vite (en dix à quinze minutes contre environ une heure).
L’orientation d’une partie de la production en direction de l’Europe entraîne, depuis quelques années, une offre de plus en plus abondante. Il en résulte une diminution des prix, favorisant l’accès de ce stupéfiant à des milieux socioculturels très variés [2].
Le nombre des consommateurs réguliers a beaucoup augmenté ces dernières années, créant des manifestations pathologiques graves et des difficultés professionnelles majeures [4] et, par conséquent, un nouveau souci de santé publique.
Épidémiologie
Épidémiologie dans le monde
La coca est cultivée principalement en Colombie (61 %), au Pérou (29 %) et en Bolivie (10 %).
La production mondiale de cocaïne (994 tonnes en 2007) a augmenté par rapport à 2005 (910 tonnes), car les rendements ont progressé et les techniques de transformation se sont améliorées.
Il y a deux grands itinéraires pour la cocaïne : de la région andine, notamment la Colombie, vers les Etats-Unis (souvent via le Mexique), et de la région andine vers l’Europe (via les Caraïbes et, de plus en plus, l’Afrique de l’Ouest).
Les saisies de cocaïne, déclarées par 119 pays du monde, ont été de 706 tonnes en 2006. L’Amérique du Sud vient en tête des saisies de cocaïne dans le monde (45 %), devant l’Amérique du Nord (24 %) et l’Europe (17 %).
L’Espagne et le Portugal restent les principales portes d’entrée de cocaïne en Europe. Les Pays-Bas et la France sont maintenant identifiés comme d’importantes plaques tournantes pour la distribution de la cocaïne en Europe. Les pays de l’Est sont récemment devenus d’importants intermédiaires dans ce trafic [5].
Selon les estimations des Nations Unies, l’usage de la cocaïne affecte 13,4 millions de personnes dans le monde, soit 0,3 % de la population âgée de 15 à 64 ans. Il y a 6,5 millions de consommateurs en Amérique du Nord et 3,3 millions de cocaïnomanes en Europe, où l’usage de cette drogue continue à augmenter. L’Europe est, par ordre d’importance, la deuxième destination de la cocaïne. Lors des vingt dernières années, les saisies de cocaïne en Europe n’ont pas cessé d’augmenter. Pourtant, les prix ne se sont pas élevés et on n’a pas signalé de dégradation sensible du degré de pureté de la drogue. Par conséquent, la progression des saisies ne correspond pas seulement à l’intensification des efforts de répression, mais malheureusement aussi à l’augmentation de l’offre de cocaïne sur le marché Européen.
Épidémiologie en France
Le niveau d’expérimentation (usage au moins une fois au cours de la vie) de la cocaïne dans la population générale est le plus élevé parmi les produits illicites stimulants [2]. Après avoir plus que doublé en dix ans, il atteint 2,6 % chez les personnes de 15 à 64 ans. La fréquence d’expérimentation est maximale chez les 25-34 ans où elle atteint 4,1 %.
L’usage au cours de l’année chez le 15-64 ans a triplé entre 2000 et 2005, année où il concerne 0,6 % d’entre eux. Le niveau d’usage atteint 1,6 % chez les 25-34 ans et concerne trois fois plus d’hommes que de femmes. Le nombre des personnes âgées de 12 à 75 ans ayant expérimenté la cocaïne est estimé à plus d’un million et celui des usagers occasionnels (au moins un usage au cours de l’année) à 250 000 [2, 4] , contre 150 000, deux ans plus tôt, en 2003 [5, 6].
En 2005, parmi les jeunes âgés de 17 ans, l’expérimentation de cocaïne (chlorhydrate) concerne 3 % des garçons et 2 % des filles et celle du « crack » 0,8 % des garçons et 0,6 % des filles [6]. Au cours d’un mois donné, 0,9 % des jeunes de 17 ans consomment du chlorhydrate de cocaïne et 0,2 % prennent du « crack ».
En 2006, il y a eu 3 400 interpellations pour usage de cocaïne ou de « crack » (nombre multiplié par trois depuis 1995) et les services répressifs ont interpellé 2 800 usagers-revendeurs et trafiquants [4].
Depuis l’année 2000, les saisies de cocaïne en France ne cessent d’augmenter. En 2006 (10 166 kg), elles avaient doublé par rapport à 2005 (5186 kg) [5].
Le prix médian du gramme de cocaïne, de 60 euros en 2006, avait été divisé par deux par rapport au début des années 90 [4] et les produits issus des saisies de rue présentaient des taux de pureté se situant entre 20 et 30 % [2, 4].
On estime qu’entre 2000 et 2005 le nombre d’usagers pris en charge principalement pour un usage de cocaïne et de « crack », dans les CSST (centres de soins spécialisés pour toxicomanes), a progressé de 78 % [7].
Les données du dispositif DRAMES (décès en relation avec l’abus de médicaments et de substances) recensaient en 2006, 168 décès directement liés aux drogues illicites, parmi lesquels 26 % étaient liés à l’usage de la cocaïne, utilisée seule dans un tiers des cas associée à d’autres substances, notamment des opiacés, dans les deux autres tiers [2].
Neurobiologie de la cocaïne
L’addiction à la cocaïne commence généralement par un simple usage récréatif, mais tend à dégénérer avec le temps vers un désordre invétéré de consommations à rechutes, d’une désespérante chronicité. On peut donc considérer cette addiction comme une véritable maladie du cerveau et il faut, pour la comprendre, tenter de faire une analyse coordonnée de la fonction cérébrale et du comportement.
Les progrès récents de la biologie moléculaire et de l’imagerie cérébrale ont fourni l’opportunité d’étudier la neurobiologie de l’addiction à la cocaïne chez les êtres humains. L’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique nucléaire et la tomo- graphie par émission de positons ont apporté des moyens d’identifier les structures cérébrales associées au besoin impérieux et au désir irrépressible (« craving ») de drogue [8-10]. De plus, les progrès de ces techniques ont mis en évidence les modifications de la structure et de la fonction du cerveau, consécutives à l’exposition chronique à la cocaïne [11-13]. En outre, de nouvelles techniques de biologie moléculaire ont conduit à des analyses post-mortem significatives du tissu cérébral des sujets dépendants à la cocaïne [14, 15].
Toutefois, la recherche sur les addictions comporte de nombreuses difficultés chez l’Homme. Il est souvent délicat de préciser la responsabilité des facteurs génétiques, celle des conditions socioéconomiques et celle des combinaisons de drogues. Il est aussi d’impérieuses considérations éthiques qui empêchent d’administrer de la drogue à des patients dépendants convalescents ou guéris, ou à des volontaires sains.
C’est pourquoi l’expérimentation animale demeure irremplaçable. Un nombre croissant de laboratoires étudient actuellement les récepteurs, les enzymes, l’expression génique et les marqueurs métaboliques chez les animaux exposés à la cocaïne, et ceci plus particulièrement chez le Rat que l’on peut rendre facilement dépendant [16].
L’autoadministration systémique de cocaïne chez les rats est ainsi devenue un précieux outil d’étude de la neurobiologie de cette addiction.
Structures neuroanatomiques impliquées dans l’addiction à la cocaïne
La cocaïne agit sur les « circuits neuronaux du plaisir », identifiés dans les années 1950 par Olds et Milner [17]. Elle active le système de récompense du cerveau, dont les structures clés sont impliquées dans la dépendance. Elles comprennent l’aire tegmentaire ventrale (ATV), le faisceau télencéphalique médian, le noyau accumbens, le cortex frontal médian, l’amygdale et l’hypothalamus latéral. Beaucoup de ces formations font partie du système dopaminergique mésocorticolimbique , qui est actuellement l’un des principaux sujets de la recherche sur les addictions. Les neurones dopaminergiques de l’ATV projettent leurs axones via le faisceau télencéphalique médian sur le noyau accumbens, l’amygdale et le cortex frontal. Des projections réciproques de neurones renfermant de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) à partir du noyau accumbens se font en retour, via le faisceau télencéphalique médian, sur les neurones de l’ATV. D’autres régions cérébrales modulent ce système par l’intermédiaire de peptides opioïdes, de GABA, de sérotonine et de glutamate, qui interagissent avec l’ATV, le noyau accumbens et diverses structures au sein de ce système.
Certains neurones du système dopaminergique mésocorticolimbique comportent des similitudes d’architecture, d’expression de récepteurs et de connexion avec les autres régions du cerveau. Ils sont situés dans la région cérébrale antérieure et comprennent la portion centromédiane de l’amygdale, le noyau inférieur de la strie terminale et l’enveloppe du noyau accumbens. Ces éléments constituent une entité fonctionnelle que l’on appelle le « complexe amygdalien ». Celui-ci reçoit des affé- rences de l’hippocampe, de l’amygdale latérobasale, du mésencéphale et de l’hypothalamus latéral et envoie des efférences au pallidum ventral, à l’ATV et à l’hypothalamus latéral [18].
Cibles moléculaires de la cocaïne
La dopamine, libérée à partir des terminaisons des neurones de l’ATV dans le noyau accumbens, est un médiateur essentiel du système de récompense mis en jeu par les drogues en général et la cocaïne en particulier. La cocaïne se fixe sur le transporteur de la dopamine (DAT) et en inhibe la recapture. Ceci a pour conséquence d’élever la concentration extracellulaire de dopamine des synapses dopaminergiques. La dopamine, ainsi libérée en abondance, se fixe aux récepteurs de type D1 (récepteurs D1 et D5) et de type D2 (récepteurs D2, D3 et D4) qui régulent l’activité de l’adénylcyclase dans les dendrites des neurones GABAergiques du noyau accumbens. L’hyperactivité dopaminergique qui résulte de ce processus se traduit cliniquement par l’augmentation de l’activité psychomotrice.
Mais, des études récentes portant sur des souris dépourvues du gène du DAT, ont démontré que la dopamine, principal neuromédiateur impliqué dans l’addiction à la cocaïne, n’était pas le seul. Chez ces animaux, les psychostimulants ne modifient pas les concentrations extracellulaires de dopamine et n’augmentent pas l’activité locomotrice. Et pourtant, les souris dépourvues de ce gène peuvent encore être entraî- nées à manier un levier pour recevoir une dose de cocaïne intraveineuse, ce qui suggère que d’autres gènes, et d’autres neuromédiateurs, interviennent pour contribuer au processus de renforcement. Outre l’inhibition du DAT, la cocaïne bloque la recapture de la sérotonine (en inhibant son transporteur SERT) et celle de la noradrénaline (en inhibant son transporteur NET). Chez les souris dépourvues du gène codant le DAT, la liaison résiduelle d’un analogue de la cocaïne peut être déplacée par les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. D’autre part, la cocaïne stimule des neurones situés dans des régions à haute densité en fibres sérotoninergiques. Ainsi, l’inhibition de la recapture de la sérotonine pourrait-elle contribuer à l’effet psychostimulant. En empêchant la recapture des neurotransmetteurs, la drogue amplifie leur action et provoque une hyperactivation qui induit euphorie (dopamine), sentiment de confiance (sérotonine), et mobilisation de son énergie (noradrénaline), effets caractéristiques de la prise aiguë de cocaïne.
À moyen terme, les effets de la cocaïne conduisent à des modifications de l’expression des gènes
Ces modifications se produisent dans le système limbique, principal site d’action de la cocaïne, et sont d’une durée suffisante pour contribuer significativement au passage de l’abus de drogue à l’addiction proprement dite. Il se produit une altération de l’expression de nombreux gènes au sein du noyau accumbens. Certains d’entre eux influent sur le métabolisme du glutamate, important neuromédiateur, et sur celui des opioïdes naturels du cerveau [19, 20].
À long terme, la cocaïne entraîne des modifications de la structure des neurones
L’exposition chronique à la cocaïne provoque sur les neurones du noyau accumbens une altération structurale qui semble persister plusieurs mois après la dernière prise de la drogue. La cocaïne stimule chez ces cellules la formation de dendrites [20, 21].
Risque d’origine génétique de l’addiction à la cocaïne
De vastes études épidémiologiques ont démontré que le risque de développer une addiction à la cocaïne, ou à une autre drogue, était en grande partie (environ 50 %) génétique [22, 23]. Ce degré d’héritabilité dépasse largement celui de bien d’autres affections considérées comme hautement transmissibles, telles que le diabète de type 2, l’hypertension artérielle ou le cancer du sein [24]. Cependant, les gènes spécifiques qui sous tendent le risque d’addiction à la cocaïne ne sont pas encore connus.
Bien entendu, à côté des facteurs génétiques de prédisposition, on sait depuis longtemps que le stress [25] est capable d’augmenter le risque individuel d’addiction ; mais comment le fait-il, et pourquoi agit-il ainsi sur certaines personnes et pas sur d’autres ? Ceci demeure mystérieux.
Effets de la cocaïne chez l’homme
En prise aiguë, les effets de la cocaïne sont sujet-dépendants et dose- dépendants
Les symptômes évoquent un tableau clinique d’allure maniaque, avec : bien-être, euphorie, désinhibition, augmentation de l’énergie, de l’estime de soi, de l’activité motrice, de la libido, avec tachypsychie, logorrhée et idées de grandeur. Il s’y associe des troubles du sommeil, une tachycardie et de l’agressivité.
L’addiction à la cocaïne est d’installation rapidement progressive
À l’euphorie liée à la prise du produit succède le syndrome de sevrage aux effets opposés [26, 27]. Il associe différentes manifestations cliniques comme : l’asthénie, l’hypersomnie, l’anhédonie, le ralentissement psychomoteur, le manque d’énergie, la tristesse, l’augmentation de l’appétit, les troubles cognitifs et, surtout, l’ardente envie de retrouver l’euphorie liée à la cocaïne. De là le besoin irrésistible d’en consommer (« craving »), des altérations de la prise de décision et des comportements de recherche de la drogue conduisant à une nouvelle consommation. Puis, le cycle recommence [28].
Complications somatiques de l’addiction à la cocaïne
Les complications somatiques étant multiples, seules les plus importantes seront mentionnées.
Les complications infectieuses s’expliquent par le partage des pailles, des pipes de crack et des seringues pour injections intraveineuses : infections à VIH, hépatites B ou C. Il faut mentionner aussi le risque indirect d’autres infections sexuellement transmissibles.
Les complications cardiovasculaires sont fréquentes, et toute symptomatologie cardiaque chez un sujet jeune sans antécédent particulier doit faire évoquer la consommation de cocaïne [29, 30]. Il peut s’agir de simples douleurs thoraciques qui nécessitent, au minimum, une brève période d’observation [31], mais aussi d’infarctus du myocarde [30], de cardiomyopathie dilatée, d’insuffisance ventriculaire gauche, d’arythmies de types variés et de mort subite [32]. En outre, l’usage de cocaïne a pu être associé à des thromboses artérielles ou veineuses [32], à la dissection aortique [33-35] et à l’hypertension maligne avec microangiopathie [36]. L’usage de la cocaïne augmente le risque de thrombose des stents coronaires [37]. La physiopathologie de ces accidents, complexe et multifactorielle, fait intervenir l’hypertension artérielle, l’athérome coronaire [38], l’activation plaquettaire [39] et l’érythrocytose transitoire qui augmente la viscosité sanguine [40]. La consommation simultanée d’alcool et de tabac, très fréquente, exacerbe la cardiotoxicité de la cocaïne [33].
Les complications neurologiques se manifestent par des convulsions et des accidents vasculaires cérébraux (AVC). La fréquence des crises épileptiques généralisées varie de 1 à 40 % des sujets dépendants, selon les études [41]. L’inhibition, par la cocaïne, du transporteur de la noradrénaline a été incriminée dans leur physiopathologie [42]. Surtout sous forme de « crack », elle augmente le risque d’AVC, ischémique ou hémorragique, chez les sujets jeunes [43]. Les accidents ischémiques intéressent préférentiellement la substance blanche, et particulièrement le territoire de l’artère cérébrale moyenne [44]. Leur mécanisme fait intervenir les effets hémodynamiques, vasoconstricteurs [45] et prothrombotiques [39, 40] de la cocaïne. Les hémorragies, favorisées par les crises hypertensives, peuvent être intracérébrales ou sousarachnoïdiennes. Elles viennent souvent révéler une malformation artérioveineuse ou un anévrysme préexistant [46]. De plus, des encéphalopathies postérieures réversibles et des atrophies cérébrales [47] ont été décrites. La cocaïne provoque une vasoconstriction cérébrale que détecte l’angiographie par résonance magnétique nucléaire [48]. La réduction du débit sanguin cérébral se produit dans les huit minutes qui suivent son injection [49]. Elle entraîne, à la longue, des anomalies structurelles du lobe frontal, d’autant plus marquées que son usage a été plus prolongé [50]. Chez les sujets dépendants à la cocaïne, des troubles cognitifs ont été décrits. Il s’agit particulièrement de troubles de l’attention et des fonctions exécutives [51, 52], dans la genèse desquels intervient probablement un désordre de la fonction thalamo-corticale [53].
Les complications ORL sont souvent observées chez les utilisateurs de cocaïne par voie nasale. Du fait de la sensibilité de la cloison nasale à la vasoconstriction locale induite par la drogue, les perforations par nécrose ischémique sont fréquentes. Des lésions plus agressives, simulant un granulome malin centrofacial ou une granulomatose de Wegener [54], ont pu imposer une difficile reconstruction palatine [55].
Les complications respiratoires concernent surtout les utilisateurs de « crack ou de « freebase ». Des œdèmes pulmonaires non cardiogéniques [56], des hémorragies alvéolaires [57], des pneumothorax et des pneumomédiastins [58], des lésions thermiques des voies respiratoires, des pneumopathies interstitielles fibrosantes [59] peuvent se voir. Des bronchospasmes, des crises d’asthme, des pneumopathies hyperéosinophiliques, des insuffisances respiratoires par bronchiolite oblitérante avec pneumonie organisée (BOOP) surviennent parfois [59]. De rares cas d’hypertension artérielle pulmonaire ont été signalés avec la cocaïne injectée ou inhalée [59].
Les complications rénales sont communes chez les usagers de cocaïne et de « crack », chez lesquels l’altération de la fonction rénale est trois fois plus fréquente que chez les non utilisateurs. On observe des néphropathies variées : syndromes néphrotiques, glomérulonéphrites aiguës, amyloïdoses rénales, néphropathies interstitielles et rhabdomyolyses. Les lésions rénales sont liées aux modifications hémodynamiques, aux troubles de la synthèse et de la dégradation de la matrice glomérulaire, au stress oxydatif et à l’induction de l’athérogénèse rénale. L’administration intrapéritonéale expérimentale de cocaïne au rat de laboratoire induit des lésions non spécifiques des cellules glomérulaires, interstitielles et tubulaires [60].
Dans le domaine de la psychiatrie , les troubles de l’humeur, les troubles anxieux, l’hyperactivité avec déficit de l’attention, les troubles de la personnalité, sont à rechercher et à traiter [27].
Le risque de mortalité est bien plus élevé chez les usagers de cocaïne et de « crack » (de l’ordre de 17 % après 5 ans de surveillance) que dans la population générale [61].
L’homicide et le sida, causes fréquentes, s’associent aux nombreuses autres manifestations pathologiques.
Le risque, pour les enfants exposés à la cocaïne in utero , préoccupe les pédiatres depuis longtemps. L’exposition, pendant le premier trimestre de la gestation, a un effet durable sur le développement physique des enfants, qui grandissent plus lentement et qui sont plus petits, aux âges de sept ans et de dix ans que ceux qui n’y ont pas été exposés [62]. L’exposition à la cocaïne in utero réduit le débit sanguin cérébral, et cette réduction peut encore persister à l’adolescence [63]. Perturbant l’acquisition du langage chez les enfants de un à quatre ans [64], elle a un impact négatif sur leur comportement lors de la scolarisation [65]. Pourtant, le quotient intellectuel global des enfants de quatre ans qui ont été exposés à la cocaïne in utero ne diffère pas significativement de celui des témoins non exposés. En revanche, on observe des déficits significatifs des performances visuo-spatiales, des connaissances générales et des aptitudes arithmétiques [66]. Naturellement, l’amélioration de l’environnement familial peut conduire aux progrès des performances [66].
Traitement de l’addiction à la cocaïne
Le traitement de l’addiction à la cocaïne associe des moyens pharmacologiques et psychothérapeutiques. Il faut distinguer le sevrage et la prévention des rechutes [27].
Moyens pharmacologiques
Quoi qu’aucun médicament n’ait été officiellement approuvé à ce jour dans le traitement de cette dépendance, les progrès des connaissances de la neurobiologie de la cocaïne ont conduit à essayer des molécules qui peuvent être actives, et laissent espérer la découverte de nouveaux médicaments efficaces [67].
Traitement du sevrage
Le syndrome de sevrage de la cocaïne associe l’asthénie, le ralentissement psychomoteur ou l’agitation, l’irritabilité, l’anhédonie, la tristesse, les troubles de l’appétit, de la concentration et du sommeil [27]. Ce syndrome pénible conduit souvent à l’abandon du traitement et à la recherche de la drogue [68].
La N-Acétylcystéine , agent glutamatergique, a montré des résultats intéressants avec une tendance à la réduction du syndrome de sevrage dans le groupe traité à forte posologie. Une réduction du désir et de l’intérêt de consommer de la cocaïne en présence de signaux liés à cette drogue (images de crack, de poudre…) a été constatée [69, 70].
Le modafinil , inhibiteur de la recapture de la dopamine [71] habituellement prescrit dans le traitement de la narcolepsie, s’oppose en tous points aux symptômes du sevrage cocaïnique [68]. Il a également donné des résultats prometteurs dans la prévention des rechutes [69, 70].
Le propranolol , bêtabloquant essentiellement employé pour traiter l’angor et l’hypertension artérielle, réduit l’action de l’adrénaline et, par conséquent, l’anxiété et d’autres symptômes du sevrage. Plusieurs essais cliniques semblent montrer son efficacité dans le sevrage et l’abstinence de cocaïne [68].
Le bupropion , inhibiteur de la recapture de la dopamine, est un antidépresseur approuvé dans le traitement de la dépendance à la nicotine. Il a été essayé dans le traitement de l’addiction à la cocaïne, avec des résultats discutés [68, 70].
Prévention des rechutes
Lorsque les patients dépendants de la cocaïne ont réussi leur sevrage, alors commence une période thérapeutique plus difficile encore, celle de la prévention des rechutes [68]. A cette phase, les médications prometteuses sont essentiellement les agents gabaergiques, le disulfirame, le modafinil et l’aripiprazole.
Parmi les agents gabaergiques , le baclofène (antispastique utilisé dans la sclérose en plaques et les atteintes médullaires), aurait une efficacité « anticraving » dans la dépendance à la cocaïne [69, 70]. Le topiramate (antiépileptique et antimigraineux), associé à des séances de thérapie comportementale, s’est montré supérieur au placebo dans le maintien de l’abstinence [69, 70]. La vigabatrine et la tiagabine (anticonvulsivants) sont à l’étude [69]. La gabapentine n’a pas fait la preuve de son efficacité [69].
Le disulfirame a pour principale propriété d’inhiber l’aldéhyde-déshydrogénase, enzyme responsable de la transformation de l’acétaldéhyde en acétate dans le métabolisme de l’alcool, ce qui a pour conséquence d’augmenter la concentration plasmatique d’acétaldéhyde. Le disulfirame combiné à l’éthanol est à l’origine des réactions aversives. Il est utilisé dans la prévention des rechutes au cours de l’alcoolodépendance. Mais il a aussi une action dopaminergique et semble avoir une utile influence directe sur la consommation de cocaïne, en plus de la consommation d’alcool [68-70].
Le vaccin anticocaïne , en cours d’évaluation chez l’homme, a été élaboré et testé chez l’animal dès 1996. Les anticorps anticocaïne se fixent sur la drogue en formant un complexe inactif qui ne peut théoriquement pas franchir la barrière hématoencéphalique. D’après les premiers essais cliniques, il pourrait avoir son utilité dans la prévention des rechutes [68-70].
Beaucoup d’autres médicaments ont été essayés, sans résultats probants. C’est le cas de nombreux antidépresseurs : désipramine, fluoxétine, imipramine [72] ; de nombreux antipsychotiques : halopéridol, olanzapine, rispéridone [73] ; de nombreux agonistes dopaminergiques : amantadine, bromocriptine, pergolide [74] et de bien des anticonvulsivants : carbamazépine, lamotrigine, phénytoïne, valproate [75].
En revanche, la psychothérapie peut être très utilement combinée aux traitements médicamenteux chez ces patients [27].
Moyens psychothérapeutiques
Les altérations cognitives induites par l’addiction à la cocaïne sont susceptibles d’être à l’origine de difficultés, pour les malades, à suivre leurs séances de thérapie cognitive et comportementale [51]. Néanmoins, différentes formes de thérapie comportementale ont montré leur efficacité [27, 76].
L’entretien motivationnel est une approche centrée sur le patient, visant à amener un changement de comportement en aidant le malade à explorer et à résoudre son ambivalence [27].
La prévention des rechutes, issue des théories cognitives et comportementales, cherche à identifier des situations à haut risque chez des patients vulnérables, et à développer des stratégies comportementales afin de les aider à éviter de consommer à nouveau [27].
D’autres techniques comme le management des contingences, évaluées aux EtatsUnis [76], ne le sont pas encore en France.
Il convient en outre de favoriser la resocialisation de ces patients, par des consultations sociales et d’orientation professionnelle, toutes méthodes susceptibles d’aider les consommateurs de cocaïne à se motiver pour maintenir une abstinence durable.
Prévention de l’addiction à la cocaïne
Les données épidémiologiques démontrent malheureusement que les efforts déployés jusqu’à présent dans ce domaine l’ont été en vain.
Nous souhaitons souligner l’importance de la prévention primaire, avant même la première expérimentation, par une information scientifique de qualité, c’est-à-dire par l’éducation à la santé, dès l’école primaire et jusqu’à l’université ou la grande école.
CONCLUSION
L’usage de la cocaïne est un problème de santé publique de plus en plus préoccupant en France. Cet usage conduit à l’addiction, véritable maladie du cerveau provoquée par la cocaïne elle-même. L’addiction à ce stupéfiant entraîne des complications sociales, psychiatriques et somatiques graves, et parfois mortelles. L’exposition prénatale à la cocaïne peut être à l’origine d’altérations cognitives et comportementales durables chez l’enfant et l’adolescent.
Le traitement de l’addiction à la cocaïne associe actuellement des moyens psychothérapeutiques et pharmacologiques. En effet, quoique aucun médicament n’ait été officiellement validé à ce jour pour traiter cette dépendance, les progrès du savoir dans le champ de la neurobiologie de la cocaïne laissent espérer que quelques molécules, dont certaines sont déjà disponibles, puissent être efficaces. Les travaux en cours dans ce domaine doivent être vigoureusement encouragés et soutenus.
Les troubles cognitifs et comportementaux induits par la cocaïne sont des éléments prédictifs de mauvaise réponse aux traitements pharmacologiques et aux thérapies comportementales. Il faut donc souligner l’importance de la prévention primaire, avant même la première consommation, par l’éducation à la santé, dès l’école primaire et jusque dans les universités.
REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient M. Bruno Giros (INSERM U513, Université Pierre et Marie Curie) pour ses précieuses informations sur la neuropharmacologie de la cocaïne, et MM. Roger Nordmann, Jean Costentin et Bernard Hillemand, ainsi que l’ensemble des membres de la Commission VI (Addictions) de l’Académie nationale de médecine pour leurs conseils et leurs encouragements.
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DISCUSSION
M. Pierre RONDOT
Pourquoi le traitement de la maladie de Parkinson par la dopamine ne provoque-t-il pas les mêmes syndromes que la cocaïne ou de façon exceptionnelle ?
Je me suis souvent posé cette question, sans y trouver de réponse satisfaisante.
M. Jean COSTENTIN
Il a été récemment évoqué l’intérêt de la réglisse dans l’aide au sevrage, du fait de l’isoliquirifigénine — un dérivé des chalcones. Qu’en pensez-vous ?
Je n’ai, actuellement, aucune information à ce sujet.
M. Pierre DELAVEAU
Quelle est la sociologie actuelle des consommateurs toxicomanes de chlorhydrate de cocaïne et de crack ?
La consommation de chlorhydrate de cocaïne se rencontre aujourd’hui dans toutes les classes de la société. Le « crack » était naguère l’apanage de certains milieux marginaux, notamment de l’Est parisien. Mais le « crack » et le « freebase », étant préparés par les usagers eux-mêmes, ont la réputation d’être « propres » et, de ce fait, la consommation s’en est répandue bien au-delà des marginaux. Ceci est grave, car ces produits, dont l’action est rapide et puissante mais brève, induisent la dépendance en peu de temps.
Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 4, 947-963, séance du 28 avril 2009