Rapport
Session of 30 mars 2004

A propos du rapport Cordier — Ethique et professions de santé — Médecine et humanisme

MOTS-CLÉS : enseignement médical.. éthique clinique. éthique médicale. éthique professionnelle. humanisme
Ethics and Health care professions — Medicine and humanism
KEY-WORDS : education, medical.. ethics, clinical. ethics, medical. ethics, professional. humanism

Denys Pellerin *, au nom de la commission XV (éthique et responsabilités professionnelles)

Résumé

Appelée par Monsieur le Ministre de la Santé à donner son avis sur le rapport de la mission confiée à Monsieur Alain Cordier, qui a fait l’objet d’un document intitulé

Summary

Called on by the Minister of Health to give its opinion on the report by Alain Cordier, entitled Ethique et Professions de Santé (Ethics and Health Care Professions), the French National Academy of Medicine endorses his analysis of the current situation, particularly regarding health care professionals’ profound malaise and fears for their future, and the major changes that have occurred in the doctor-patient relationship. However, while it is true that ‘ ethics is at the very heart of health care ’’, the National Academy of Medicine disagrees that the training of future physicians in humanism that must pervade their daily practice, in both the hospital and the community, is best assured by professional ethicists in the university setting. To ensure that medical students’ initial appetite for ethical reflection persists and thrives, students must perceive, throughout their curriculum and particularly during their clinical training, that these considerations are held to be important by their superiors ; they must also be encouraged to apply strong ethical principles as soon as they acquire responsibility for patient management on the hospital ward. Does this not imply that it is teachers themselves who must first be persuaded of this exigency ? And is it not they who must be offered appropriate training, in the form of short workshops where they have the occasion to debate with fellow doctors, philosophers, psychologists, sociologists and patient representatives ? In addition, time must be set aside on each hospital ward for discussions, based on concrete clinical cases, among qualified clinicians, trainees and other medical staff. Whenever a particular patient raises a difficult ‘ ethical question ’’, such as a treatment indication or the choice of therapeutic approach, the entire team must be able to participate in the discussion, and must assist the doctor who has direct responsibility for the patient in his or her ‘ humanly difficult ’’ decision. The National Academy of Medicine feels that over-reliance on local ethics committees runs a risk of undermining physicians’ sense of their personal responsibility. The Academy also considers that the situation might be even worse if the responsibility for medical decisions had to be deferred to a regional ethics committee, which is even more removed from daily medical exigencies and patients’ individual experience. The respect of patients’ human dignity should be a major objective criterion for assessing ward performance, and also an important link in the ‘ systemic quality chain ’’ that is so crucial for the renewal of hospital organization in France. It should be the responsibility of each ward director to ensure that ethical principles are taught and applied on a daily basis. And the choice of ward director should take into account the candidates’ capacity to assure this aspect of their mission, in the same way as their scientific and pedagogic capacities. Successful enforcement of ethical standards should also be taken into account when assessing ward directors’ performance.

Par courrier reçu le 19 juillet 2003, Monsieur le Ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées a adressé à l’Académie nationale de médecine le rapport, remis le 15 mai 2003 [1] de la Commission animée par Monsieur Alain Cordier à laquelle il avait confié une mission de réflexion sur le thème « Ethique et Professions de santé ». Le Ministre indique qu’il en approuve les orientations et qu’il souhaite recueillir les observations de l’Académie nationale de médecine et envisager avec elle les recommandations auxquelles ce rapport pourrait donner lieu.

L’Académie nationale de médecine ne peut qu’approuver certaines des remarques formulées dès l’introduction du rapport : « il n’est pas une profession de santé qui n’exprime un profond malaise et qui ne craint pour son avenir » ou encore « il s’agit de situer la profession de médecin et de soignant dans la perspective la plus ambitieuse qui soit, l’homme parler d’éthique dans l’univers du soin n’est donc rien d’autre qu’en venir au cœur même de l’acte soignant ».

Il est vrai que la définition traditionnelle hippocratique, de la relation malade médecin a été récemment profondément ébranlée. Citons la notion contestée du pouvoir qui découle du savoir, le concept prédominant de l’autonomie de la personne, de l’assimilation d’un acte médical à une prestation de service, de consentement identifié à un contrat, certaines attentes sécuritaires qui vont jusqu’à la revendication du risque zéro, la référence excessive au principe de précaution, les revendications indemnitaires qui concourent à la judiciarisation de la médecine. Tous facteurs qui peuvent générer la méfiance là où devrait s’affirmer la confiance.

L’Académie nationale de médecine a déjà exprimé ses craintes à ce sujet, notamment dans les deux avis formulés à propos de la Loi no 2002-303 du 4 mars 2002 dite « des droits des malades » [2-3].

Elle « réitérait ses réserves … sur ce texte qui se veut reflet de l’évolution qui marque en notre société la relation médecin malade » et « déplorait qu’un
texte législatif contribue à substituer une attitude consumériste de l’usager à la tradition hippocratique et humaniste de la médecine française ». Or, en dépit de certaines revendications de consommateurs de soins, essentiellement formulées par des bien portants, la personne malade continue à attendre du médecin une écoute patiente et attentive, la proximité dans le dialogue intime de personne à personne, la compréhension de son mal, le choix de la décision la meilleure pour elle à laquelle elle va consentir parce qu’elle a confiance, parce que ses désirs et ses choix ont été entendus et compris par celui qui n’est pas un fournisseur comme un autre mais qui est médecin.

C’est donc bien d’ humanisme qu’il s’agit, au-delà des mots employés pour le dire qui récusent la morale, parlent de civisme, de charisme ou de droit, ou plus globalement d’ Ethique, semblant oublier que l’éthique est questionnement .

L’Humanisme, relation à l’autre et respect de l‘autre est une attitude, une conviction, un comportement, une réponse à ce questionnement. Tout ce que l’on semble attendre de l’éthique aujourd’hui est clairement inscrit dans le code de Déontologie Médicale qui, lui, est normatif, peut et doit être enseigné. Tout médecin se doit de le respecter en toutes circonstances dans son comportement et ses décisions.

L’Académie nationale de médecine fait observer que les modalités de la relation malade médecin diffèrent selon les modes d’exercice, du médecin généraliste ou du médecin hospitalier. Le dialogue singulier s’établit entre le malade et le médecin généraliste, dans le cadre feutré de son cabinet, ou dans le cadre d’une visite au domicile, au cœur de l’intimité du malade.

En milieu hospitalier, certaines spécialités rendent inévitables une cascade de délégations, pour des explorations complémentaires telles que biologiques ou d’imagerie. Elles peuvent susciter pour le malade le sentiment d’être écrasé dans l’univers bruyant et anonyme de l’établissement hospitalier où dominent la technologie et les responsabilités diluées de ses multiples acteurs. Le malade sait « que sa maladie y sera bien soignée ». La personne malade peut se sentir perdue ou oubliée par les équipes médicales et soignantes qui se succèdent à son chevet en dépit des réels efforts de beaucoup d’hospitaliers pour préserver avec leur patient une relation personnalisée.

Si dans les deux situations décrites la différence est apparente, l’attente du malade est la même . L’Académie nationale de médecine a déjà souligné que ce que la loi présente aujourd’hui comme un droit des malades a toujours été et demeure plus que jamais le devoir du médecin . Cette singularité de l’exercice du métier de médecin, comme d’ailleurs de tous ceux qui de près ou de loin participent à l’acte de soin, leur impose d’intégrer cette dimension de la relation humaine, singulière, comme fondement même de leur profession.

L’Académie nationale de médecine n’estime pas pour autant qu’il faut confier à un enseignement universitaire théorique de l’Ethique, et à un corps de
spécialiste universitaires d’éthiciens professionnels la mission de transmettre aux étudiants par un enseignement fait de modules ou de séminaires ou sous toute autre forme, ce qui ne peut être appris que dans le concret du quotidien, au cours de la formation clinique hospitalière, à quelque niveau qu’ils soient de leurs études, dès lors qu’ils ont revêtu « la blouse blanche ».

Concrètement, l’Académie nationale de médecine formule ci-dessous ses remarques et recommandations :

Il est souhaitable qu’un enseignement théorique demeure dispensé en PCEM 1 dans le cadre du module d’enseignement des Sciences Humaines et

Sociales. Il apporte aux jeunes étudiants l’initiation à la réflexion sur la personne humaine qui manque dans l’enseignement des classes terminales scientifiques dont est issue la grande majorité des candidats au concours de fin de PCEM 1 qui donne accès aux études médicales. Il est regrettable que les mêmes possibilités d’accès ne soient pas offertes aux candidats issus des filières littéraires de l’enseignement secondaire et dont la vocation « humaniste » est probablement plus vivace.

Dès le PCEM 2 et au-delà , il conviendrait que dans chaque module d’enseignement les enseignants dégagent devant leurs étudiants les aspects de leur discipline qui peuvent conduire à un questionnement éthique, ceci aussi bien dans les disciplines fondamentales et biologiques que cliniques, tant est aujourd’hui évidente l’interdisciplinarité de la médecine.

— L’Académie nationale de médecine ne méconnaît pas que l’appétit de réflexion « éthique » des jeunes étudiants s’affadit parfois avec le temps.

L’enthousiasme pour les aspects techniques et scientifiques de la médecine moderne prend alors le relais de leurs interrogations initiales. Pour que se maintienne l’appétit initial des étudiants pour la réflexion éthique et même qu’elle se renforce, il faudrait qu’ils la perçoivent tout au long de leur cursus et notamment leur enseignement clinique chez leurs aînés, leurs seniors, et leurs maîtres et qu’ils apprennent par eux à l’appliquer dès qu’ils acquièrent à l’hôpital, à leur exemple, la responsabilité de la prise en charge des malades. N’est-ce pas alors les enseignants qu’il faut convaincre de cette exigence, et ne seraient-ils pas ceux auxquels il conviendrait d’apporter la possibilité d’une formation appropriée ?

Il semblerait particulièrement opportun que soient organisés pour eux de courts séminaires leur offrant l’occasion de rencontres et de fructueux échanges avec d’autres médecins, des philosophes, des psychologues, des sociologues, et avec des représentants d’associations de malades, et des sociétés savantes particulièrement concernées par les questionnements éthiques spécifiques à leur domaine d’activité.

— C’est au sein des services hospitaliers que l’étudiant doit pouvoir s’impré- gner de cette permanente exigence d’humanisme. Au-delà du staff technique, il conviendrait que de manière régulière les cas précis d’un ou deux malades
choisis à dessein en raison des questionnements éthiques qu’ils soulèvent soient collectivement étudiés, discutés par l’ensemble des médecins qui ont la charge de les traiter, le personnel soignant concerné qui l’accompagne au quotidien, mais aussi d’autres médecins et bien entendu les étudiants.

L’Académie nationale de médecine s’attend à ce qu’on objecte à sa proposition le manque de temps des médecins, le manque de personnel, la charge de travail, la succession des équipes soignantes fragmentées par la réduction du temps de travail. Mais pourquoi ce qui devrait être un temps obligatoire dans la vie d’un service hospitalier serait-il moins nécessaire que celui consacré à la révision d’un dossier pour en extraire les informations nécessaires aux exigences d’un P.M.S.I ?

L’Académie nationale de médecine s’accorde avec le rapport Cordier pour souligner que l’organisation des services, notamment hospitalo-universitaires, basée sur la coopération d’équipes multidisciplinaires associant des spécialistes s eniors ne s’accommode plus d’une organisation hiérarchique, et d’obligations strictes imposées par un chef de service. Néanmoins l’Académie nationale de médecine estime qu’il est de l’intérêt général de tout l’ensemble hospitalier que renaisse cet « humanisme à la Française. » Cette auto formation continue à cette indispensable prise en compte de la dignité du malade comme une personne humaine, devrait s’imposer parmi les critères objectifs de « qualité » du service ou de l’unité de soins et comme un maillon de la « chaîne de qualité systémique » si nécessaire au renouveau de notre organisation hospitalière [3].

C’est au chef de « pôle » ou de service, de fédération ou de département que doit revenir l’obligation de la mise en œuvre de ces dispositions pour la garantie de leur pérennité et de leur efficacité pédagogique au quotidien, aussi bien dans les règles élémentaires de savoir-vivre que dans l’apprentissage de la relation avec le malade.

— Dès lors que la situation particulière d’une personne malade poserait un difficile « questionnement éthique » tel que le bien fondé d’un traitement, le choix entre diverses attitudes thérapeutiques, l’équipe toute entière devrait contribuer à la réflexion et aider le médecin, en charge directe du malade, dans sa décision qui peut être « humainement » difficile. L’Académie nationale de médecine observe en effet que les espaces éthiques locaux risqueraient de conduire les praticiens concernés, inévitablement enclins à solliciter l’avis de ces comités cliniques d’éthique à se décharger de leur responsabilité. Il faut à cet égard observer que ces comités locaux nés d’inspirations généreuses sont en fait, sans base légale ni responsabilité juridique. L’Académie nationale de médecine craint qu’il en soit de même, voire pire encore — si la responsabilité d’une décision médicale devait être subordonnée à l’avis d’un centre d’éthique régional , nécessairement bien éloigné des réalités du terrain et du vécu du malade au jour le jour.

— Ce renouveau d’un climat d’humanisme dans les établissements hospitaliers devrait assurer à tous les futurs médecins quel que soit le mode d’exercice qu’ils auront choisi, la formation aux attitudes relationnelles qui s’imposent à tout médecin et la parfaite assimilation des règles de la déontologie médicale.

Un contrôle pourrait en être fait en fin d’études universitaires dans le cadre du module terminal. Il faut noter les initiatives du Conseil national de l’Ordre des Médecins pour tenir en éveil les médecins praticiens sur l’exigence de cette attitude humaniste qui découle de l’éthique professionnelle. Cette sensibilisation doit être entretenue dans le cadre de la formation continue.

— Pour ceux qui auront choisi une carrière hospitalière, il conviendrait qu’ils soient bien avertis du fait que la responsabilité de prendre en compte et faire respecter ces éléments de la chaîne de qualité revient au médecin chef de service. Il conviendrait sans doute que le processus de nomination à ces fonctions prenne en compte l’évaluation préalable de la capacité du candidat à assurer cet aspect de sa mission, au même titre que ses capacités scientifiques ou pédagogiques.

Il devrait en être de même en cas de défaillance ou à l’occasion d’un renouvellement dans les fonctions de responsabilité de chef de service.

BIBLIOGRAPHIE [1] Cordier A. Rapport sur « Ethique et professions de santé » http : //www.sante.gouv.fr/htm/actu/cordier [2]

Bull. Acad. Natle Méd . 2001 , 185 , no 7, 1345-1354 séance du 9 oct. 2001.

[3]

Bull. Acad. Natle Méd. 2003, 187 , no 5, 997-1000 séance du 27 mai 2003.

[4]

Bull. Acad. Natle. Méd. 2003, 187 , no 1, 129-139, séance du 28 janvier 2003 *

* *

L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 30 mars 2004, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.

RAPPORT

Au nom de la Commission XI (Climatisme-Thermalisme-Eaux Minérales )

Sur la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, après transport à distance, l’eau du captage « Loméga » situé sur la commune de JONZAC (Charente-Maritime)

Henri LECLERC *

Par lettre du 5 février 2004, la Direction Générale de la Santé sollicite l’avis de l’Académie nationale de médecine relatif à la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, après transport à distance, l’eau du captage « Loméga » situé sur la commune de Jonzac en Charente Maritime.

Rappelons qu’une demande préalable avait été présentée à l’Académie nationale de médecine le 11 février 2003 et qu’elle avait fait l’objet d’un sursis à statuer dans l’attente de l’installation du dispositif de canalisation de l’émergence jusqu’à la galerie technique des thermes et de la vérification de la stabilité des composants chimiques et microbiologiques de l’eau.

Transport à distance

Le transport de l’eau thermale s’effectue par une canalisation en polybutène, préisolée au polyuréthane, de 100 mm de diamètre et compatible avec le transfert de chaleur à distance. La conduite repose sur un lit de sable dans une tranchée de 1,10m de profondeur, sur une distance de 1260 m de la tête de captage jusqu’à l’entrée de l’établissement thermal. Les terrains traversés sont, soit propriété communale, soit propriété privée, avec convention pour autorisation de passage.

Caractéristiques physico-chimiques

La source « Loméga » fait partie des eaux fortement minéralisées (résidu sec> 1500mg/L), avec un profil de type sulfaté, chloruré sodique. Elle contient en * Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine

* Membre de l’Académie nationale de médecine.

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 3, 539-546, séance du 30 mars 2004