Rapport
Session of 25 janvier 2011

11-01 Réflexions et propositions relatives aux allégations de santé, et aux complements alimentaires

MOTS-CLÉS : aliments. allégations nutritionnelles et de santé. compléments alimentaires. denrées alimentaires. réglementation. santé publique. sécurité des aliments
Remarks and proposals regarding health claims for food complements
KEY-WORDS : consumer product safety. dietary supplements. government regulation. public health

Claude Jaffiol, Pierre Bourlioux, Jean-Paul Laplace (au nom des groupes de travail respectifs des Académies nationales de médecine et de pharmacie)

Résumé

Le développement quelque peu anarchique du marché alimentaire de la santé dans la dernière décennie a conduit à la multiplication d’allégations abusives voire trompeuses, et rendu nécessaire une harmonisation de la réglementation communautaire pour une protection accrue du consommateur. Les Académies nationales de médecine et de pharmacie ont souhaité faire le point de la situation concernant le cas général des allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires (objet du Règlement européen 1924/2006) et le cas particulier des compléments alimentaires (objet de la Directive 2002/46/ CE). Les multiples retards à la mise en œuvre d’un Règlement censé être entré en application au 1er juillet

Summary

The relatively unfettered development of the health-food market over the last decade has led to an increasing number of inappropriate and misleading health claims. Harmonization of the relevant regulations is necessary within the European Community in order to improve consumer protection. The French National Academies of Medicine and Pharmacy have examined the situation concerning nutritional and health claims for foods (Regulation EC 1924/2006 of the European Parliament and of the Council) and food supplements (Directive 2002/46 EC). The Academies criticize the repeated delays in enforcing a regulation which should have been implemented on 1 July 2007, as well as the requirement of conformity with ‘‘ nutritional profiles ’’, which remain to be defined and would inevitably be arbitrary. The Academies call for strict limitations on the number of food products authorized to claim health benefits, and for the public health implications of such products to be taken into account. The Academies stress that a varied and well-balanced diet, free of health claims or supplements, is sufficient to provide all the necessary nutrients in the vast majority of cases. The Academies point out the existence of numerous inconsistencies and ambiguities in the regulations governing food supplements, and the frequent public confusion with medicinal drugs. In particular, the Academies call for a clear distinction between well-defined and well-characterized substances used to compensate for dietary deficiencies, and certain plant-based products, which should not be classified as supplements but as products subject to marketing authorization, precautions for use, and medical control. Finally, the Academies emphasize the need for better information and education of consumers and health professionals, notably on the risks associated with misuse of food supplements.

Recommandations des Académies de médecine et de pharmacie

Le règlement (CE) no 1924/2006 du Parlement Européen et du Conseil du 20 décembre 2006, modifié en date du 18 janvier 2007, régit l’utilisation des allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires (aussi bien les aliments que les compléments alimentaires) afin d’harmoniser les législations au sein des États Membres et de protéger le consommateur.

C’est un outil de régulation favorisant la libre circulation des produits ; mais il n’est pas conçu pour être un instrument de santé publique.

En effet, pour pouvoir bénéficier d’une allégation, les denrées alimentaires devraient respecter un « profil nutritionnel » établi en prenant en considération — les quantités de nutriments contenues dans le produit considéré, — la place de la denrée alimentaire et son apport au régime de la population considérée, — sa composition nutritionnelle globale ainsi que la présence de nutriments reconnus scientifiquement comme ayant un effet sur la santé. Mais les principes sous-jacents en matière de composition nutritionnelle relèvent très largement d’une application arbitraire à l’ensemble de la population de règles qui n’ont d’intérêt que pour certaines catégories, et conduisent insidieusement à une conception erronée de ce que doit être une alimentation saine et variée, fondée sur la diversité et la complémentarité des produits.

Cependant, l’analyse du règlement, les expertises de l’AESA et les auditions réalisées par les groupes de travail des deux Académies ont mis en lumière un certain nombre de questions relatives à la consommation et à la sécurité d’emploi des produits potentiellement porteurs d’allégations, et à la confusion latente entre médicament et aliment. Face à ces questions et aux remarques auxquelles elles ont donné lieu, les Académies nationales de médecine et de pharmacie recommandent :

 

Concernant les allégations nutritionnelles et de santé — de renoncer à la notion de profils nutritionnels qui ne peuvent être qu’arbitrai- rement définis, de limiter le nombre de denrées alimentaires susceptibles de porter une allégation, et de leur imposer un étiquetage spécifique précisant l’avantage et les inconvénients éventuels du produit concerné ;

— de fonder leur sélection, non seulement sur la démonstration scientifique de l’effet allégué, mais aussi sur la pertinence en termes de santé publique de la mise en marché de tels produits alimentaires, et sur le résultat d’une analyse bénéfice-risque approfondie ;

— de rejeter un modèle alimentaire et nutritionnel qui tend, par le biais de la réglementation européenne, à effacer progressivement des usages alimentaires nationaux dont on sait qu’ils sont globalement bénéfiques ;

 

Concernant plus spécifiquement les compléments alimentaires — de revoir la directive 2002/46/CE afin d’instaurer une distinction entre : des compléments alimentaires qui soient des produits bien définis et caractérisés, destinés à être utilisés en cas de carence ou de déficience et les produits à base de plantes, non destinés à compléter une alimentation normale, qui pourraient être définis comme des suppléments alimentaires ;

— de faire en sorte que leur utilisation dans certains groupes de population spécifiques relève étroitement du conseil médical et / ou pharmaceutique ;

— d’imposer qu’il soit apposé sur les emballages des compléments alimentaires une mention précisant que ces produits peuvent être à l’origine d’incompatibilités avec certains médicaments ;

— de réviser le règlement 1924/2006 pour définir les conditions dans lesquelles les suppléments alimentaires (à base de plantes, voir en 1 ci-dessus) pourraient relever d’allégations nutritionnelles et de santé, et de publier une liste de plantes autorisées avec leurs conditions d’emploi ;

— de développer l’éducation du consommateur afin de l’éclairer sur les risques et les dangers liés à une utilisation irraisonnée et au mésusage de compléments alimentaires ;

— d’assurer la plus large information sur les listes communautaires d’allégations autorisées, et de veiller à ce que les professionnels de santé aient une formation en nutrition et en pharmacologie suffisante.

 

INTRODUCTION

L’aliment ne doit plus seulement nourrir, il peut aussi être bénéfique à la santé

L’alimentation est considérée depuis la plus haute antiquité comme un facteur important, voire déterminant, de la santé. Recevant de plus en plus d’informations sur les vertus prêtées aux aliments, les consommateurs sont désormais très attentifs et réceptifs aux promesses santé des aliments et des complé- ments alimentaires aujourd’hui disponibles. Ce marché est l’objet d’enjeux industriels et d’une âpre concurrence commerciale, source de dérapages quant à la réalité des promesses.

L’explosion de ce marché alimentaire de la santé au cours des dix dernières années a amené la Communauté Européenne à se pencher sur l’harmonisation de la réglementation au niveau communautaire et sur la protection du consommateur face aux abus relatifs aux allégations trop souvent trompeuses. Pour cela, différents textes ont été élaborés et promulgués qui, pour ne citer ici que les plus récents, ont trait à la définition des compléments alimentaires (Directive 2002/46/CE), et plus généralement aux allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires en général (Règlement européen 1924/2006).

Si ces textes sont novateurs et doivent effectivement permettre de mettre de l’ordre dans un domaine devenu quelque peu anarchique, il n’en reste pas moins que leur application est beaucoup plus lente que prévu, que de nombreuses zones d’ombre persistent et que de nouvelles questions se posent. Elles sont de différentes natures mais elles forment un tout. Par mesure pédagogique, elles ont été classées en six chapitres en dépit de quelques recouvrements.

 

À propos de la définition de certaines catégories de denrées alimentaires

Aux fins du Règlement 1924/2006, on entend par denrée alimentaire « toute substance ou produit, transformé, partiellement transformé ou non transformé, destiné à être ingéré ou raisonnablement susceptible d’être ingéré par l’être humain », définition qui englobe les boissons et toute substance intégrée intentionnellement dans les denrées alimentaires au cours de leur fabrication, de leur préparation ou de leur traitement. Cette définition s’applique donc non seulement à l’ensemble de nos aliments quotidiens, mais aussi aux compléments alimentaires. Or il y a là aujourd’hui une hétérogénéité qui soulève bien des interrogations.

En effet, les compléments alimentaires ont été initialement définis en France par le décret du 15 avril 1996 comme des « produits destinés à être ingérés en complément de l’alimentation courante afin de pallier l’insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers ». Cette définition concernant les vitamines et les minéraux a donc fait légitimement de ces produits des aliments puisqu’ils n’ont d’autre but que nutritionnel.

Cependant, la Directive européenne de 2002 précise dans son article 2, entièrement repris par le décret du J.O. du 20 mars 2006, que les compléments alimentaires « ont pour but de compléter le régime alimentaire normal et constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique, seuls ou combinés, commercialisés sous forme de doses destinées à être prises en unités mesurées de faible quantité ».

On s’éloigne avec cette nouvelle définition de celle que le Professeur Trémolières donnait aux aliments à savoir « une denrée alimentaire comestible, nourrissante, appétente, et coutumière ». On s’en éloigne à double titre :

— d’une part parce que ces produits sont présentés sous des formes « pharmaceutiques » de type gélules, comprimés, tablettes, etc., ce qui les rapproche insidieusement des médicaments. On notera qu’ils peuvent, à condition d’en apporter les preuves scientifiques, être porteurs d’allégation santé, au même titre que des aliments santé tels que des yaourts ou des aliments fonctionnels tels qu’une margarine enrichie en phytostérols qui font partie de l’alimentation et qui n’ont rien à voir avec la présentation des compléments alimentaires. Il est à noter qu’une allégation santé décrit la relation entre l’aliment (complément alimentaire, le cas échéant) et une fonction de l’organisme. Par contre, le règlement CE 1924/2006 ne reconnaît pas à l’aliment d’effet thérapeutique ; il décrit des allégations sur un facteur de risque de maladie liées à un constituant, un aliment, une catégorie alimentaire. Cette évolution s’explique par le développement des connaissances qui a mis en évidence l’effet protecteur de l’alimentation vis-à-vis des maladies chroniques ;

— d’autre part parce que cette définition fait appel à une action ‘‘ nutritionnelle ’’ ou ‘‘ physiologique ’’ que l’on retrouve dans la définition du médicament. En effet, la définition du médicament nouvellement étendue, dite par présentation, est la suivante :

« Toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical » (Directive 2004/27).

Cette notion de physiologie versus pharmacologie mérite qu’on s’y arrête un moment car ce qui est nouveau réside dans le fait que le médicament par fonction doit exercer une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, précision importante qui restreint le champ d’application du médicament.

Il ne suffit plus que la substance restaure, corrige ou modifie des fonctions physiologiques ; il faut qu’elle le fasse par une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, terme dont on mesure toute l’ambiguïté. À défaut, ce n’est pas un médicament ; ce peut être un simple aliment.

Dès lors se pose la question du positionnement de ces produits, ce qui induit plusieurs interrogations : les types de produits admis par la législation, les doses employées, leur finalité, les preuves de leur efficacité, les contrôles exigés, les risques encourus par les utilisateurs …

En conséquence, les Académies nationales de médecine et de pharmacie — regrettent que dans les attendus qui figurent en tête du Règlement européen ne figure pas une phrase du type : ‘‘ La nutrition repose d’abord sur une alimentation variée et équilibrée apportant les éléments nécessaires à l’établissement et au maintien d’une bonne santé. Seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier de faire appel à des compléments alimentaires ’’ ;

— estiment que ne devraient porter le nom de compléments alimentaires que les produits bien définis, (excluant donc les produits à base de plantes), qui sans répondre à la définition du médicament, sont utilisés en cas de carence ou de déficience (insuffisance d’apport ou d’assimilation) ;

— soulignent la regrettable confusion induite dans l’esprit du public du fait de la présentation des compléments alimentaires sous forme de doses, telles que les gélules, les pastilles, les comprimés, et autres formes analogues de préparations liquides ou en poudre destinées à être prises en unités mesurées de faible quantité ;

— insistent également sur le fait que, dans la mesure où les compléments alimentaires peuvent présenter un intérêt éventuel dans certains groupes de populations spécifiques (ex : femmes enceintes, personnes âgées en institution, jeunes enfants, …), leur utilisation relève étroitement du conseil médical et/ou pharmaceutique.

À propos des allégations de santé portant sur les denrées alimentaires

Le règlement 1924/2006 du Parlement Européen et du Conseil du 20 décembre 2006, modifié en date du 18 janvier 2007, régit l’utilisation des « allégations nutritionnelles et de santé » portant sur les denrées alimentaires afin d’harmoniser les législations au sein des Etats Membres et de protéger les consommateurs.

Selon ce texte, une allégation de santé est définie comme « toute allégation (message ou représentation) qui affirme, suggère ou implique l’existence d’une relation entre d’une part, une catégorie de denrées alimentaires, une denrée alimentaire ou l’un de ses composants, et d’autre part, la santé . »

Les demandes d’allégations spécifiques sont préparées par les professionnels (fabricants, distributeurs …) selon un format de dossier établi par l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA). Ces dossiers individuels sont transmis, via l’État membre (en France la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes, DGCCRF), à l’AESA. Chaque dossier passe par une phase d’évaluation scientifique très poussée. Les demandeurs doivent constituer un dossier extrêmement complet sur la base des dispositions de l’article 15.3 et du guide relatif à la préparation des demandes et aux types de preuves scientifiques nécessaires à la justification des allégations.

Ce dossier vise à fournir à l’expert toute l’information qui lui est nécessaire, de façon à permettre une évaluation de l’ensemble des preuves scientifiques disponibles. Une attention particulière est portée aux points suivants :

— la caractérisation du constituant, de l’aliment, ou de la catégorie d’aliments eu égard à l’effet allégué. Il s’agit de s’assurer que le produit proposé au consommateur est bien identique à celui sur lequel les preuves scientifiques ont été obtenues ;

— l’allégation doit être suffisamment précise pour être évaluable sur des critères scientifiques précis ;

— l’allégation santé doit faire état d’un effet réellement bénéfique pour la santé et doit être démontrée d’après les résultats obtenus au cours d’essais cliniques randomisés contrôlés en double aveugle contre placebo chez des sujets sains (représentatifs de la population générale). Cette assertion qui paraît simple s’avère assez délicate à mettre en pratique. Elle soulève la question d’un effet lié à des principes physiologiques fondamentaux. La capacité des marqueurs et des facteurs de risque de maladie à rendre compte d’un bénéfice pour la santé doit également être évaluée : le fait d’améliorer certains paramètres antioxydants peut-il par exemple signifier que le risque de maladie cardio-vasculaire est diminué ?

 

Les études cliniques d’intervention sur la population humaine saine avec une haute qualité statistique étant les critères de référence pour l’AESA, un très faible nombre d’allégations spécifiques ont été reconnues (une vingtaine à ce jour).

Une condition essentielle préalable à la notion d’allégation mérite d’être rappelée ici, sans préjudice des conditions générales énumérées à l’article 5 du Règlement et des dispositions de l’article 7 : le respect des profils nutritionnels .

Il est fort justement rappelé que les denrées alimentaires dont la promotion est assurée au moyen d’allégations peuvent être perçues par les consommateurs comme présentant un avantage nutritionnel, physiologique ou lié à la santé, par rapport à d’autres produits. De ce fait, il se pourrait que les consommateurs modifient leurs choix, mettant en péril l’équilibre des quantités consommées de divers nutriments. C’est la raison pour laquelle il a été jugé nécessaire d’imposer un pré- requis à la faculté de faire état d’une allégation. Aussi, avant de donner lieu à des allégations nutritionnelles ou de santé, les denrées alimentaires doivent respecter un « profil nutritionnel » établi en prenant en considération i) les quantités de nutriments contenues dans le produit considéré, ii) la place de la denrée alimentaire et son apport au régime de la population considérée, iii) sa composition nutritionnelle globale ainsi que la présence de nutriments reconnus scientifiquement comme ayant un effet sur la santé.

Soulignons cependant que la notion de « profil nutritionnel », introduite dans le Règlement européen 1924/2006 en son article 4, n’a pas encore trouvé à ce jour de définition réglementaire ou consensuelle. Nous sommes donc confrontés à un Règlement entré en application au 1er juillet 2007, et dont un élément clé n’est pas défini. Car c’est bien la pièce essentielle qui manque : le ou les critère(s) d’éligibilité ouvrant droit à porter une allégation. Cette question n’a toujours pas trouvé de consensus au niveau des Etats membres.

En conséquence, les Académies nationales de médecine et de pharmacie — rappellent que, pour une très grande part de la population, le bon usage d’une alimentation variée et équilibrée, sans allégations particulières ni compléments d’aucune sorte, suffit à apporter tous les nutriments nécessaires à la santé, et que l’usage de tels produits porteurs d’allégations ou présentés comme des compléments n’est justifié que pour des groupes de la population générale ou des situations de déficience caractérisées ;

— déplorent les multiples retards qui tendent à discréditer le Règlement européen 1924/2006, mais soutiennent néanmoins ses objectifs, et notamment la volonté d’une amélioration de l’offre alimentaire et d’une protection accrue du consommateur contre de fausses promesses en fournissant des preuves d’efficacité clinique de qualité ;

— attirent cependant l’attention sur le fait que le Règlement européen 1924/2006 est un outil de régulation favorisant la libre circulation des produits et non un instrument à visée de santé publique. Il est donc essentiel que soit menée l’étude d’évaluation mentionnée dans le règlement pour vérifier que son objectif initial a été bien atteint et qu’il n’a pas été détourné d’une manière qui pourrait s’avérer en définitive préjudiciable à une partie de la population ;

— observent qu’il est précisément fait appel à des critères de santé publique pour définir le profil nutritionnel des aliments qui seraient autorisés à porter une allégation. La controverse persistante sur les critères de choix, responsable du retard considérable de la décision « technique » en réponse à l’article 4 du Règlement 1924/2006, témoigne de la difficulté pour ce Règlement de servir une politique de santé publique ;

— appuient la démarche de rigueur de l’AESA pour une évaluation de la pertinence scientifique des allégations fondée sur l’examen de la totalité des preuves scientifiques disponibles (cas des plantes mis à part). Mais soulignent les limites de sa responsabilité en l’absence regrettable d’une évaluation de la pertinence en matière de santé publique et de toute analyse bénéfice-risque conjointe ;

— rappellent que l’équilibre alimentaire se construit sur les consommations de produits variés au fil des jours. Il est donc regrettable que le processus engagé visant à étudier les allégations aliment par aliment, sous la contrainte de profils nutritionnels qui n’ont d’autre valeur que celle de seuils arbitraires, conduise à accréditer dans l’esprit du public l’idée fausse que l’équilibre alimentaire ne peut être atteint que par l’équilibre de chaque aliment. Elles attirent l’attention sur le fait que la conception sous-jacente à cette approche fractionnée de l’alimentation, nutriment par nutriment, est une conception erronée dont les résultats en termes de santé publique peuvent être considérés comme néfastes ;

— insistent sur le caractère anxiogène de l’exigence du tout nutritionnel pour les individus qu’elle coupe de leur physiologie et de la perception de leurs propres besoins et rappellent avec force que l’alimentation doit rester un acte simple et spontané, affranchi de tout calcul, et de toute autosurveillance obsessionnelle (orthorexie). L’aliment doit rester, conformé- ment à la définition formulée par le Professeur Trémolières, « une denrée comestible, nourrissante, appétente, et coutumière ».

Comment éviter le risque de confusion avec les médicaments

La problématique particulière des compléments alimentaires tient à plusieurs facteurs :

— la nouvelle définition des compléments alimentaires suite à la Directive européenne 2002/46/CE, reprise en France par le Décret 2006/356 du 20 mars 2006. Cette définition fait entrer dans cette catégorie de produits des denrées alimentaires constituant une source concentrée de nutriments ou d’autres substances « ayant un effet nutritionnel ou physiologique ». Mais comment faire la différence entre le physiologique et le pharmacologique ?

— la mention, dans les allégations santé possibles, de la réduction d’un facteur de risque de maladie, ce qui empiète sur la prévention à l’égard de maladies humaines ;

— leur présentation sous une forme quasi-identique à celle des médicaments, entrainant pour le consommateur une confusion encore augmentée par des dénominations sans définition consensuelle ou réglementaire telles que ‘‘ alicaments ’’ ou ‘‘ nutraceutiques ’’, vocables couramment employés à tort dans différents médias ;

— le fait que les plantes et préparations à base de plantes possédant des propriétés nutritionnelles ou physiologiques peuvent entrer dans la composition des compléments alimentaires, qu’il y a parmi celles-ci des plantes médicinales, que les législations (médicament vs aliment) sont différentes d’un pays à l’autre au sein de l’Union européenne et que l’existence de la libre circulation de ces produits entre pays pose un problème majeur pour assurer la protection du consommateur au niveau souhaité par les autorités nationales.

En conséquence, les Académies nationales de médecine et de pharmacie — rappellent avec insistance que les compléments alimentaires peuvent induire dans l’esprit du public une confusion avec les médicaments du fait de leur présentation sous forme de doses, telles que les gélules, les pastilles, les comprimés, et autres formes de préparations destinées à être prises en unités mesurées de faible quantité. Elles souhaitent que sur l’emballage figure la mention « Ce produit peut être incompatible avec certains médicaments » ;

— estiment que le fait d’autoriser des allégations portant sur la réduction d’un facteur de risque de maladie reconnaît le rôle de certains constituants/ aliment/catégories d’aliment dans la prévention d’une maladie (prévention qui fait partie de la définition du médicament) et que par conséquent les études cliniques à l’appui de ces effets doivent être de bonne qualité et faites sur des populations pour lesquelles il y a un véritable bénéfice à consommer ces aliments ;

— observent que, s’il existe des frontières juridiques bien définies entre un complément alimentaire et un médicament, il n’existe pas de frontière claire entre un effet dit physiologique et un effet pharmacologique. Il s’agit plutôt d’un continuum entre la physiologie et la pharmacologie, entre un état d’équilibre et l’apparition d’un état pathologique. Une même substance, un même produit, une même plante pourront avoir les deux en fonction de la dose, en fonction de la présentation ou en fonction de l’intention du geste thérapeutique ou du conseil nutritionnel.

Quelle place pour les compléments alimentaires à base de plantes

Dans le cas particulier des compléments à base de plantes, aucune demande d’allégation n’a, à ce jour, obtenu l’agrément des experts de l’AESA car dans la plupart des dossiers le produit est insuffisamment caractérisé et/ou, la justification scientifique ne fait référence qu’à la tradition. La situation est donc bloquée. Il est indispensable de changer d’orientation.

En outre, il existe une faille considérable dans le système en raison du fait que chaque pays a sa propre conception alors que la libre circulation pour les compléments alimentaires fait que tout produit autorisé dans un pays de la Communauté doit être autorisé dans les autres pays sous réserve qu’il ne soit pas démontré de risques pour le consommateur.

En conséquence, les Académies nationales de médecine et de pharmacie — considèrent que la dénomination « compléments alimentaires » est inadaptée pour les plantes dans sa traduction française : en effet, ce ne sont pas des compléments « nutritionnels » destinés à compléter une alimentation normale mais des « suppléments alimentaires » utilisés dans certaines conditions bien précises et pour un temps limité ce qui rejoint l’intitulé international de « dietary supplements » ;

— estiment que les « compléments alimentaires » (selon la Directive européenne 2002/46/CE reprise en France par le Décret 2006/356 du 20 mars 2006) à base de plantes occupent une place à part et nécessitent un statut particulier à chaque Etat Membre car il n’existe aucun consensus au niveau européen ;

— regrettent dans un souci d’équité et de transparence pour le consommateur que les critères de recul d’utilisation et d’usage traditionnel ne soient pas reconnus officiellement pour les compléments alimentaires à base de plantes alors qu’ils sont pris en compte pour l’évaluation de l’intérêt et la mise sur le marché des médicaments qui renferment des plantes analogues ;

— souhaitent qu’en termes de preuves d’efficacité et d’allégations un équilibre raisonnable puisse être trouvé pour harmoniser l’existence de ces deux catégories de produits tout en veillant à leur innocuité ;

— souhaitent qu’une liste de plantes autorisées avec leurs conditions d’emploi (en précisant les parties utilisées et leur mode de préparation) soit publiée par les autorités nationales de tutelle après avis d’un Comité d’experts ;

— demandent d’éviter, voire de refuser, toute forme d’innovation trop « provocatrice » en utilisant des plantes pour lesquelles les connaissances chimio- pharmaco-toxicologiques et le recul d’utilisation sont scientifiquement insuffisantes ;

— souhaitent pour la caractérisation des plantes et de leurs principes actifs, que soit exigée, chaque fois que c’est possible, la conformité aux monographies de la Pharmacopée européenne ou à défaut d’une Pharmacopée nationale d’un État Membre.

Comment assurer la sécurité d’emploi des compléments alimentaires

Les dangers peuvent être d’origines diverses : contaminations chimiques (plomb, mercure…), microbiologiques, mais aussi allergies, mésusage (culturistes, sportifs en quête de dopant non recensé, sujets atteints de troubles de l’érection ou d’un surpoids…), fraudes multiples. Les déclarations d’effets indésirables sont rares car elles ne sont pas encore entrées dans les modes de raisonnement du public et des professionnels de santé. D’ailleurs, savait-on à qui les adresser avant le Décret No 2010-688 du 23 juin 2010 relatif à la vigilance sur certaines denrées alimentaires ? L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) n’était pas connue du corps médical autant que des vétérinaires.

La vigilance confiée à la nouvelle Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement, et du travail (ANSES), est donc débutante.

Ainsi on ne sait pratiquement rien sur les dangers pour le fœtus, pour la femme enceinte, pour l’enfant allaité dans le cas d’un usage normal et a fortiori en cas de mésusage de ces produits. Cette situation n’est pas réservée à la France.

Sans vigilance, il n’y a pas de notification et donc pas d’effet indésirable recensé d’où une fausse impression de sécurité.

En conséquence, les Académies nationales de médecine et de pharmacie — soutiennent le déploiement du Dispositif national de vigilance en soulignant que, s’il n’y a pas de bénéfice pour la population générale à consommer des compléments alimentaires, leur usage prolongé en auto-prescription constitue un risque dans la mesure où il peut exister des effets secondaires indésirables, que des accidents ont été rapportés et que l’on manque d’études qui permettraient lors de prises régulières au long cours, d’établir leur totale innocuité ;

— attirent l’attention sur le fait qu’il existe pour certaines vitamines et certains minéraux un risque de dépassement des limites de sécurité du fait du cumul de la consommation d’aliments enrichis et de l’usage de compléments alimentaires , lors de consommations extrêmes par des cibles particulières ;

— mettent en garde contre les difficultés d’évaluation de l’innocuité dans le cas des plantes et des extraits végétaux, et contre l’insuffisante évaluation du risque accru de développement de toxicité lors d’une supplémentation au long cours ;

— alertent contre le mésusage de compléments alimentaires qui peuvent s’intégrer dans une stratégie de dopage, intentionnelle ou non, favorisée par la commercialisation via Internet, difficilement contrôlable, de toutes sortes de produits aux caractéristiques incertaines.

Comment assurer la protection du consommateur

D’une manière générale, les consommateurs doivent pouvoir à l’avenir se fier sans réserve aux allégations mentionnées sur les produits alimentaires, ce qui légitime la rigueur du contrôle de la véracité des allégations. De plus, dans le cas particulier des compléments alimentaires, ils doivent pouvoir disposer de produits satisfaisant à plusieurs exigences additionnelles : la fabrication et le contrôle de ces produits doivent être agréés par l’autorité de tutelle et si une allégation santé est revendiquée, elle doit avoir obtenue une autorisation de la Commission européenne ; le produit doit être fabriqué selon les normes en usage (bonnes pratiques de fabrication) ; le produit doit être efficace et avoir prouvé son innocuité ; la vente de ces produits doit être sécurisée, et les vendeurs doivent pouvoir donner des conseils éclairés au consommateur.

En conséquence, les Académies nationales de médecine et de pharmacie — estiment que la fabrication et le contrôle des compléments alimentaires en France selon les recommandations des principales organisations professionnelles est un gage de qualité et qu’il faut tout faire pour éviter que le consommateur ne se fournisse auprès de sites incontrôlés via Internet, et pour l’encourager à solliciter les avis du médecin ou du pharmacien ;

— souhaitent que les listes communautaires d’allégations autorisées qui sont disponibles sur Internet, soient régulièrement mises à disposition des consommateurs tout particulièrement grâce au réseau des pharmacies d’officine qui réalisent en France plus de 50 % du chiffre d’affaires des compléments alimentaires ;

— demandent que les professionnels de santé qui prescrivent ou conseillent ces produits aient une formation suffisante pour pouvoir conseiller efficacement le consommateur. Le Corps médical et les pharmaciens d’officine ont à ce niveau un rôle primordial à jouer ;

— proposent que les prescriptions médicales de compléments alimentaires soient rédigées sur une ordonnance séparée de celle des prescriptions de médicaments pour éviter toute confusion de délivrance à l’officine (surtout lorsque les dénominations des compléments alimentaires sont proches de celles de spécialités) ;

— regrettent qu’il soit aussi difficile de protéger le consommateur de ses propres erreurs alors qu’est entretenue une certaine confusion entre aliment et médicament dans l’esprit du public. En effet, le déremboursement de certains médicaments et la pratique commune d’une automédication incontrôlée peut favoriser l’usage abusif de compléments alimentaires.

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L’Académie nationale de médecine saisie dans sa séance du 25 janvier 2011 a adopté le texte de ce rapport par 60 voix pour, 5 voix contre et 11 abstentions.

 

L’Académie nationale de pharmacie saisie dans sa séance du 2 février 2011 a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.

 

Ce rapport dans son intégralité peut être consulté sur le site www.academiemedecine.fr

<p>* Membre de l’Académie nationale de Médecine ** Membre de l’Académie nationale de Pharmacie 3. Les auteurs déclarent sur l’honneur n’avoir aucun conflit d’intérêts.</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 1, 189-202, séance du 25 janvier 2011