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Session of 28 février 2012

Jean-Pierre Cazenave et Georges Hauptmann

Hommage à Robert WAITZ (1900-1978)

Jean-Pierre CAZENAVE *

Georges HAUPTMANN **

Le Professeur Georges Hauptmann et moi-même désirons rendre un hommage à notre maître commun, le Professeur Robert Waitz de Strasbourg, qui a été membre de l’Académie nationale de médecine.

Robert Waitz a été une personnalité médicale et scientifique d’exception, hors du commun, à l’épreuve de la Résistance et de la déportation dans les camps nazis, où il a montré son courage et son humanité. Le 20 novembre 2011, Monsieur Roland Ries, Maire de la ville de Strasbourg a témoigné sa reconnaissance au Professeur de médecine et au Déporté d’Auschwitz/Monowitz, en inaugurant la place Robert Waitz au lieu géométrique de l’Ensemble Hématologique de Strasbourg qu’il avait créé avec la Clinique des Maladies du Sang, l’Institut d’Hématologie et le Centre Régional de Transfusion Sanguine (CRTS).

Robert Waitz a été le fondateur de l’école strasbourgeoise d’hématologie et de transfusion, qui avec lui a acquis une grande renommée. C’est en 1931, après des études de médecine et un internat à Paris, qu’il suit son Maître le Professeur Prosper Merklen, lui aussi ancien membre de notre Académie, comme chef de clinique de la

Clinique Médicale A de l’Hôpital Civil de Strasbourg. Il est nommé Professeur Agrégé de Médecine Interne en 1935. La guerre l’oblige, après sa démobilisation, à suivre l’Université de Strasbourg qui s’installe à Clermont-Ferrand. Résistant, il est arrêté en 1943 par la Gestapo et déporté à Auschwitz. Il est de retour à Strasbourg en 1945. Dès lors ses talents exceptionnels de médecin, de scientifique, d’enseignant vont s’exprimer magnifiquement grâce à sa volonté et ses qualités d’organisateur :

titulaire de la chaire d’hydrologie thérapeutique et de climatologie en 1946, titulaire de la chaire d’hématologie créée pour lui en 1961, enfin inauguration du nouveau CRTS en 1962.

L’Atlas d’Hématologie publié en 1938 par Prosper Merklen et Robert Waitz est un ouvrage admirable, précis, et beau. Il a été le compagnon inégalé de plusieurs générations de jeunes hématologistes avant et bien après la guerre. Quel impact il a eu sur le rayonnement de l’hématologie française !

En 40 ans de carrière, le Professeur Waitz et ses collaborateurs et élèves ont publié plus de 300 articles, des livres, dont un Précis de Transfusion Sanguine en 1958 et ont présenté de nombreuses communications à des congrès. Il a renouvelé complètement l’étude cytologique, mais surtout histologique de la moelle osseuse, grâce à l’invention du trocart de Waitz. Il a individualisé les myélocléroses des splénomégalies myéloïdes et étudié avec précisions leurs différentes formes primitives, secondaires, voire tumorales. Bénéficiant de ses conseils éclairés, avec Francis Oberling, nous avons développé et étudié en microscopie optique et électronique un modèle expérimental de myélofibrose et le rôle important du stroma médullaire et de la microvascularisation de la moelle. En fait, toute l’hématologie passionnait Robert Waitz : la membrane et le stroma des globules rouges, l’hématexodie, les populations plaquettaires, l’hémophilie et le facteur VIII, les échanges plasmatiques.

Robert Waitz est le précurseur et le bâtisseur de la transfusion sanguine en Alsace, à laquelle le Directeur Général de la Santé, Eugène Aujaleu, a donné un essor considérable avec la loi de 1952. A son retour de captivité, Robert Waitz prend en 1946 la responsabilité de la Transfusion à Strasbourg. Puis le bâtisseur poursuit son élan : création en 1948 du CRTS et du centre de dessiccation du plasma dans un baraquement en bois ; fondation de l’Association Régionale de Transfusion Sanguine à gestion autonome de caractère privé, ce qui était un coup de génie et enfin consécration par la construction, sur quatre étages de l’immeuble du nouveau CRTS, qui est inauguré le 30 mars 1962 et deviendra en 2000, l’Etablissement Français du Sang-Alsace. Sa retraite universitaire arrive en 1977, mais il a prévu et préparé sa succession de longue date. Le Professeur Simone Mayer, a établi, avec l’aide du Professeur Jean Dausset, prix Nobel de médecine, un laboratoire d’histocompatibilité au CRTS, ce qui va permettre le développement des greffes de moelle osseuse et de la transplantation des organes aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. De 1978 à 1986, Simone Mayer va délocaliser à Lingolsheim le Centre de Fractionnement du plasma. Je lui succède en 1987 et grâce à son soutien, je modernise l’usine de fractionnement aux normes pharmaceutiques et je prends des mesures qui limitent au mieux les drames de la contamination des transfusés et des hémophiles. Le chercheur que je suis, crée avec mes collaborateurs, deux unités INSERM implantées au CRTS qui se consacrent, l’une aux plaquettes sanguines en hémostase, thrombose et transfusion et l’autre, aux cellules dendritiques.

Robert Waitz, homme d’exception, personnalité hors du commun a été un médecin, un chercheur, un transfuseur et un enseignant de renommée mondiale. Résistant et déporté dans les camps nazis, il a toujours surmonté l’horreur par son courage et manifesté à ses compagnons de captivité un dévouement empreint d’humanité et d’attention. Il est, suprême honneur, un Juste Juif. Visionnaire avant l’heure, il a imaginé et fondé l’Ensemble Hématologique Strasbourgeois, un véritable Pôle Universitaire d’Excellence. Cette structure permettant d’assurer sans faille, comme il aimait le dire : « Le diagnostic et le traitement des maladies sanguines, la recherche en hématologie, la fourniture du sang et de ses constituants et la fourniture au plan national des produits du fractionnement plasmatique ». Il a su former des collaborateurs qui ont poursuivi son œuvre avec admiration et gratitude : Georges et Simone Mayer, Francis Oberling, Georges Hauptmann, Jean-Marie Lang et JeanPierre Cazenave.

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Georges HAUPTMANN **

Au cours de la deuxième guerre mondiale, Robert Waitz s’est distingué par son engagement courageux dans la Résistance et par son action généreuse envers ses compagnons déportés dans les camps d’Auschwitz/Monowitz et de Buchenwald.

Au début du conflit Robert Waitz est médecin capitaine dans un hôpital militaire de campagne. A l’armistice il rejoint Clermont-Ferrand où la Faculté de Médecine de Strasbourg s’est repliée. Ne pouvant exercer ses fonctions en tant que Juif il rejoint la Résistance et devient très vite Chef Régional du mouvement Franc-Tireur en Auvergne puis chef adjoint des Mouvements Unis de Résistance dans cette région lorsque ces mouvements sont créés par Jean Moulin.

La Croix de Guerre lui est attribuée avec la citation suivante : « S’impose aussitôt par sa valeur et devient un dirigeant. A ce titre déploie une inlassable activité de propagande parmi la population et les étudiants et, au péril quotidien de sa vie et de sa liberté, s’adonne à l’organisation d’opérations militaires » Sa liberté lui est ravie le 3 juillet 1943 car il tombe dans une souricière montée par la Gestapo à son encontre. Il avait caché chez lui une liste des ponts et voies ferrées qu’il fallait faire sauter à l’approche des Allemands. Mais la Gestapo n’a pas trouvé ce document et son épouse Odette réussira à le transmettre au chef local du mouvement Libération, Jean Rochon. Robert Waitz est d’abord emprisonné dans la tour médiévale La Mal Coiffée à Moulins. Au mois de septembre 1943 il est transféré au camp de Drancy et déporté dans le convoi No 60 parti de la petite gare de Bobigny le 7 octobre 1943. Robert Waitz est emprisonné dans le camp d’Auschwitz III/

Monowitz créé en 1942 à proximité du chantier de construction d’une immense usine de la firme allemande I.G. Farben destinée à fabriquer du caoutchouc et de l’essence synthétique.

Le camp de Monowitz est en principe un camp dit de travail mais Robert Waitz précisera « En réalité ce camp est un camp d’extermination. Le détenu y est torturé par des souffrances multiples entraînant une déchéance progressive qui le conduit à la chambre à gaz ». Chargé des consultations dans le « Häftlingskrankenbau » (HKB = l’hôpital de détenus) il sauve la vie de nombreux déportés et organise un réseau de Résistance. Des survivants de Monowitz ont témoigné au mois d’octobre 2010 à Paris de son action en leur faveur : citons Sam Braun, Roland Haas, Marcel Jungierman, Charles Palant, Robert Wajcman, Jacques Zylbermine demeurant à Paris, Freddy Knoller à Londres, Noah Klieger à Tel Aviv.

Je ne vous communique qu’un seul témoignage, celui de Sam Braun, médecin à Paris, décédé l’année dernière : « Nous sommes en hiver 1943/44……Les deux cabanes de l’infirmerie étaient séparées du reste du camp par un grillage barbelé non électrifié. Je me trouvais le long du grillage du côté du camp lorsque j’ai été hélé par un déporté qui était de l’autre côté. Il avait une blouse grise qui avait dû être blanche il y avait bien longtemps. Il m’a demandé mon âge en allemand et lorsque je lui ai répondu 17 ans, à peine audible, il s’est rendu compte que j’étais français et c’est en français qu’il m’a redemandé mon âge, mon numéro de matricule tatoué sur le bras gauche et le Bloc dans lequel je couchais. Et le lendemain je me suis retrouvé dans la cabane du HKB. Pendant huit jours il m’a caché dans l’infirmerie. Lorsque le SS arrivait il me disait de me jeter sur la paillasse de n’importe quel lit, même s’il était occupé et lorsque le SS repartait je me relevais. Un jour où le SS avait décidé de faire une sélection il m’a fait passer pour son infirmier malgré tout le risque qu’il courait si le SS s’était rendu compte qu’il mentait. Il m’a gardé avec lui une huitaine de jours alors qu’il faisait très froid dehors et que la soupe était plus chaude que dans la cabane. Je puis affirmer, pour l’avoir appris quelques semaines plus tard, que ce qu’il avait fait pour moi, il l’avait également fait pour d’autres. Lorsque les enfants me demandent s’il y avait eu des mouvements de résistance à l’intérieur du camp, je réponds avec beaucoup d’honnêteté que je ne sais pas s’il y avait eu des mouvements organisés de résistance active mais ce que je sais c’est qu’il y avait eu des hommes qui se sont comportés comme des héros avec un courage exemplaire malgré l’énorme risque qu’ils couraient. Je cite alors le Professeur Robert Waitz, car c’est bien sût de lui dont il s’agit dans cette histoire ».

Après la terrible Marche de la Mort d’Auschwitz à Gleiwitz en janvier 1945 Robert Waitz est interné à Buchenwald. A la demande de Marcel Paul il entre dans le pavillon où les médecins SS pratiquaient des expériences de transmission du typhus exanthé- matique. Marcel Paul l’avait chargé de témoigner de ces actions. Il est rapatrié à Paris le 18 avril 1945 en compagnie, entre autres, de Marcel Paul et de Charles Richet, professeur à la Faculté de Médecine de Paris. A sa descente d’avion à l’aéroport du Bourget il est interviewé par le journaliste Jean Quittard et déclare : « Nous espérons que l’enseignement que l’on peut tirer des évènements des dernières années, de ce que nous avons vu dans les camps de concentration…. devront servir pour que de tels faits ne se reproduisent et d’autres enseignements également devront montrer combien l’éducation, dans les universités, dans les écoles, doit être remaniée afin que cette génération s’oppose à ce que de tels faits ne se reproduisent ».

Il retrouve son épouse et sa petite fille mais retourne très rapidement au camp de Bergen Belsen pour aider aux soins et au rapatriement des déportés. Le voici à l’aéroport du Bourget le 25 avril 1945, en costume de médecin militaire en compagnie d’autres rapatriés de Buchenwald : Maurice Suhard, professeur de Médecine à Angers, Eugène Thomas, député du Nord, le colonel Alfred Heurteaux, un aviateur, un as de la Première Guerre Mondiale, Albert Forcinal, député de l’Eure, membre du groupe de Résistance « Libération ».

Robert Waitz fut le premier à témoigner en mai 1945 à la Société de Médecine des Hôpitaux de Paris des expérimentations criminelles réalisées par des médecins nazis à Buchenwald puis à décrire dans plusieurs publications les conséquences pathologiques liées à la déportation.

Robert Waitz a témoigné aux procès de Nuremberg en 1947 et de Francfort en 1952.

De 1962 à 1968 il a présidé le Comité International d’Auschwitz et assuré de ce fait la mise en place du Monument International d’Auschwitz/Birkenau en 1965.

En bref, Robert Waitz s’est engagé dans la Résistance contre les occupants nazis dès 1941, il a subi la déportation, il a porté assistance aux déportés et sauvé de nombreuses vies humaines, il a réussi à résister aux SS au péril de sa vie, il a témoigné des sévices infligés aux déportés et des conséquences médicales de la déportation. Il fut Victime, Témoin — Juste.

Les Justes sont ceux dont les actions constituent des exemples exceptionnels de courage, de générosité et d’humanité. Katy Hazan, une historienne juive, a proposé d’appeler Justes juifs, les Juifs qui ont agi comme Robert Waitz.

Au mois de janvier 1975 Jean Bernard a rendu hommage à Robert Waitz à Strasbourg à l’occasion de la remise de son buste réalisé par le sculpteur François Cacheux. À la conférence organisée à Paris en 2010 par le Cercle d’Etude de la Déportation et de la Shoah — Amicale d’Auschwitz, Charles Palant, né en 1922, un survivant du camp de Monowitz, membre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, a formulé la proposition suivante :

« Alors je voudrais m’adresser au ministre de la Santé publique, je voudrais m’adresser aux responsables au plus haut niveau et leur dire que la République s’honorerait en donnant le nom de Robert Waitz à un grand établissement hospitalier, notamment un CHU, un Centre Hospitalier Universitaire, pour que dans l’avenir des étudiants devenus médecins puissent dire : J’ai étudié chez Robert Waitz, comme d’autres disent j’ai étudié chez Pasteur ou chez Robert Debré et ce serait une façon intelligente et historiquement fondée de perpétuer le nom d’hommes comme Robert Waitz qui, pendant l’atroce nuit de l’hitlérisme nous ont aidés à croire au matin et qui, dans les heures de désespérance, nous ont aidés à combattre, non seulement pour être des martyrs mais pour être ce que nous sommes ».

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : jeanpierre.cazenave@efs-alsace.fr ** Hématologie biologique — Strasbourg, e-mail : georges.hauptmann@gmail.com Tirés à part : Professeur Georges Hauptmann et Professeur Jean-Pierre Cazenave, mêmes adresses</p>