Résumé
La prévention médicale de la récidive des délinquants sexuels a fait l’objet de nombreux débats. Cependant la considérable littérature scientifique consacrée à ce sujet a été peu évoquée et c’est elle que se propose d’analyser le présent rapport. De nombreuses publications montrent les limites de l’expertise de la dangerosité de ces sujets mais soulignent l’intérêt des méthodes dites actuarielles. Les traitements hormonaux et les psychothérapies n’ont qu’une efficacité limitée à moyen et long terme. Une politique de prévention de la récidive ne peut donc, dans l’état actuel de nos connaissances, s’appuyer de façon prédominante sur des approches médicales . * Constitué de : Mmes C. BERGOIGNAN-ESPER, A. MARCELLI, M.O. RÉTHOTÉ, MM. R. ARDAILLOU, E.E. BAULIEU, P. BOUCHARD, E.A. CABANIS, C. DREUX, J.J. HAUW, C. JAFFIOL, PH. JEANTEUR, J.Y. LE GALL, H. LÔO, E. MILGROM, R. MORNEX, J.P. NICOLAS, J.P. OLIÉ, H. ROCHEFORT, J.D. SRAER, B. SWYNGHEDAUW. Membres de l’Ordre des médecins : Docteur P. Cressard, Docteur F. Stefani. ** Membre de l’Académie nationale de médecine *** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine
Summary
Medical prevention of recidivism by sexual delinquents is controversial, yet the abundant scientific literature on this issue is often ignored. Many publications show how difficult it is to estimate the danger represented by convicted sexual criminals but underline the value of so-called actuarial approaches. Hormonal treatments and psychotherapy have limited effectiveness in the medium and long term. As a result, anti-recidivism policies cannot currently be based mainly on medical prevention.
À l’occasion d’un fait-divers, souvent effroyable, le débat est périodiquement relancé sur le problème de la récidive des délinquants sexuels. L’opinion publique, les medias, le monde politique envisagent des mesures nouvelles et se tournent de plus en plus souvent vers la médecine pour trouver des solutions. Une loi récente et des recommandations de la Haute Autorité de Santé reflètent, entre autres, cette préoccupation.
Les réformes envisagées donnent lieu à des controverses. Les prises de position des intervenants correspondent à tout le spectre des sensibilités, mettant en avant, à des degrés divers, d’une part la nécessité fondamentale de protéger les victimes et d’autre part le désir de défendre les libertés individuelles y compris lorsqu’elles s’appliquent aux criminels. Cependant, de façon surprenante, si les aspects médicaux sont de plus en plus fréquemment évoqués, l’importante littérature scientifique internationale sur ce sujet est souvent ignorée dans le débat.
L’Académie nationale de médecine s’est donc proposé d’analyser les données scientifiques connues portant sur la prévention de la récidive des délinquants sexuels, de comparer ces données aux pratiques existant en France et d’en tirer des recommandations destinées à améliorer la situation actuelle.
L’Académie a volontairement évité d’aborder dans le présent rapport les aspects légaux ou éthiques qui ont déjà été largement examinés par ailleurs.
Les données colligées par l’Observatoire national de la délinquance et l’INSEE en janvier 2008 soulignent la grande fréquence des crimes et délits sexuels, mais aussi la difficulté à appréhender leur nombre de façon précise. En effet, une grande proportion d’entre eux ne sont jamais portés à la connaissance des tribunaux et de la police.
Ainsi, au 1-7-2007, il y avait en France 8 411 personnes écrouées pour faits sexuels. Au cours de l’année 2006, la police et la gendarmerie avaient eu à connaître 22 864 crimes et délits de cette nature.
Par contre une étude de victimisation portant sur les années 2005-2006 donne des chiffres beaucoup plus importants. Au cours de cette période 1,3 % de la population française de 18 à 60 ans aurait subi des violences sexuelles. On peut donc calculer qu’il y aurait eu 475 000 victimes dont 130 000 cas de viol et 100 000 cas de tentative de viol. Les souffrances subies par les victimes, la gravité des conséquences psychologiques à long terme, surtout s’il s’agit d’enfants et d’adolescents, amènent à envisager comme une priorité l’amélioration des méthodes de prévention de ces crimes.
Méthodes de traitement
Thérapie anti-hormonale
Le traitement médical hormonal diminue l’effet des hormones masculines soit en freinant la production testiculaire de testostérone soit en bloquant l’action de cette hormone sur ses organes-cibles.
L’inhibition de la production de testostérone repose sur l’usage de stéroï- des ou de peptides qui suppriment la sécrétion de gonadotrophines, principalement celle de la LH.
— Les progestatifs de synthèse ont été les premiers utilisés dans cette indication, notamment sous leur forme injectable (acétate de médroxyprogestérone (MPA) ou Depoprovera®). L’administration de cette dernière supprime la production de testostérone par un effet antigonadotrope. Elle réduit donc en parallèle la production estrogénique qui résulte de l’aromatisation de la testostérone. Le MPA, par ailleurs largement utilisé en contraception féminine est efficace sur des périodes de plusieurs jours, semaines ou même mois. Ce traitement a montré une remarquable efficacité, avec dans certains cas une exposition continue de huit ans, mais au prix d’effets secondaires : prise de poids, et surtout diminution de la masse osseuse. L’administration de MPA nécessite une surveillance biologique afin de vérifier régulièrement la baisse de la testostéronémie.
— Le deuxième progestatif utilisé dans cette indication est l’Acétate de Cyprotérone dont l’effet est double, antigonadotrope, et antiandrogène. Ses effets seront discutés plus loin.
— Les agonistes de la GnRH : ces molécules synthétiques ont une durée de vie plus longue que celle de la GnRH et de ce fait entraînent environ trois semaines après leur injection une « désensibilisation » des cellules gonadotropes. Il s’ensuit un effondrement de la LH et de la testostérone. Ces composés ne peuvent être administrés que par injection. Ils sont utilisés couramment chez les patients porteurs d’un cancer de la prostate. Les conséquences biologiques et hormonales de leur administration sont équivalentes à celles de la castration chirurgicale. Cependant comme observé dans ce dernier cas toutes les érections ne sont pas abolies, en particulier chez les hommes jeunes. Des formulations actives pendant 3, 6 ou même 12 mois sont maintenant disponibles. Leur efficacité est largement démontrée dans la littérature, et ne nécessite plus de surveillance hormonale, mais plutôt une vérification de la réalité des injections. Des études ont été publiées concernant la leuproréline et la triptoréline. En novembre 2009, le laboratoire IPSEN a mis sur le marché, à la demande du Ministère de la Santé, le Salvacyl® présentation fléchée du Decapeptyl® dans une formulation active pendant trois mois et dosée à 11,25mg. La prescription en est réservée aux psychiatres.
— Les antagonistes de la GnRH (Orgalutran®, Cetrotide®) sont aussi des peptides injectables, capables de supprimer la fonction gonadotrope et donc d’effondrer le taux de testostérone. Ils ont l’avantage d’agir immédiatement, puisque la désensibilisation n’est pas nécessaire. Ils présentent cependant deux inconvénients : la nécessité d’injections quotidiennes ou hebdomadaires, et leur coût, nettement plus élevé que celui des agonistes.
Les traitements par les agonistes ou les antagonistes de la GnRH produisent des effets secondaires comme les bouffées de chaleur, mais surtout l’ostéoporose, avec une diminution majeure de la masse osseuse au delà de six mois de traitement et un risque fracturaire. La privation estrogénique est également associée à une augmentation du risque cardiovasculaire.
Les antiandrogènes : Ils agissent en entrant en compétition avec la testosté- rone pour la liaison à ses récepteurs nucléaires, mécanisme indispensable à l’activation des gènes androgéno-dépendants. Dans la mesure où ils n’affectent que la liaison aux récepteurs des androgènes, ces produits respectent les effets de la testostérone impliquant son aromatisation en estradiol. On sait que celui-ci est l’intermédiaire obligatoire de l’action de la testostérone sur la masse osseuse et le système cardiovasculaire.
Il existe deux catégories de produits :
— Les antiandrogènes non stéroïdiens. Ces molécules très puissantes, flutamide (Eulexine®) ou nilutamide (Anandron®), ont deux inconvénients majeurs. D’une part, elles doivent être associées à un suppresseur des gonadotrophines de nature stéroïdienne ou à un analogue de la GnRH. En effet, la levée du rétrocontrôle négatif, conséquence de la privation androgénique, entraîne inévitablement une élévation de la LH et secondairement celle de la testostérone. Cette dernière va empêcher, à son tour, la liaison de l’antiandrogène aux récepteurs. D’autre part ces produits ont une toxicité hépatique, ayant quelquefois entrainé la mort par hépatite fulminante. Leur usage est donc réservé aux cancers de la prostate où le pronostic vital est en cause.
— L’acétate de cyprotérone ou Androcur® reste l’antiandrogène de référence.
Il s’agit d’un progestatif, dérivé de la 17-hydroxy progestérone, qui possède une double action : antigonadotrope et antiandrogène au niveau des récepteurs. Il est également utilisé dans le traitement du cancer de la prostate. Ce composé est cependant moins puissant que les antiandrogè- nes non stéroïdiens. Il peut être administré sous forme orale à la dose de 100 à 200 mg par jour ou sous forme injectable (non commercialisée en France) à la dose de 300 ou 600 mg par semaine ou par quinzaine. Les résultats rapportés sont bons, pourvu que le traitement soit pris régulièrement et que l’efficacité en soit contrôlée. En effet la surveillance biologique, hormonale n’est pas simple dans la mesure où le taux de testostéronémie ne baisse que d’environ 50 %. Le reste de l’effet de la molécule est la conséquence d’une action sur les récepteurs dont l’appréciation clinique est difficile. Les effets secondaires sont significatifs : fatigue, gynécomastie, et comme pour tous les produits à activité antigonadotrope, perte osseuse et augmentation du risque cardiovasculaire. Il existe une toxicité hépatique avec même quelques cas d’hépatite grave. Cela explique que l’utilisation de ce produit n’ait pas été autorisée dans certains pays, comme par exemple les États Unis.
— La testostérone exerçant des effets pléiotropiques, cognitifs, musculaires, osseux, cardiovasculaires la diminution de sa concentration ou de ses effets entraine des conséquences qui peuvent être graves. Ceci justifie la prise en charge de ces risques par un interniste : traitement préventif ou curatif de l’ostéoporose, surveillance cardiovasculaire etc.
Ainsi, les possibilités thérapeutiques des traitements visant à réduire les pulsions sexuelles sont nombreuses. On peut cependant réduire le choix à l’acétate de cyprotérone et surtout aux analogues de la GnRH. Ces derniers ont une efficacité remarquable et sont présentés sous une formulation injectable de longue durée d’action. Il est actuellement admis que le traitement antihormonal doit toujours être associé à une psychothérapie.
Psychothérapie
En France, les psychothérapies dérivées de la théorie psychanalytique sont les plus fréquemment utilisées. Elles tendent à identifier les contenus inconscients à l’origine des passages à l’acte. Les évaluations des résultats de ces traitements psychanalytiques et psychodynamiques sont rares et pratiquement inexistantes dans le domaine de la délinquance sexuelle (Gabbard, 2010).
Les thérapies comportementales des délinquants sexuels sont apparues à partir des années 60 et ont été rapidement modifiées en thérapies cognitivocomportementales ou TCC. Un des objectifs retenus pour ces psychothérapies est la prévention de la récidive. La première étape consiste à motiver le sujet en lui soulignant les avantages d’un traitement. Les sujets qui réfutent la réalité de l’agression sexuelle commise et ceux qui ne reconnaissent pas la souffrance induite par leur comportement sexuel agressif ne peuvent évidemment pas entrer dans un tel programme thérapeutique. Les fréquentes comorbidités psychiatriques (addiction, trouble du contrôle des impulsions, dépression…) doivent recevoir un traitement spécifique. Ce dernier est d’ailleurs réputé améliorer l’efficacité propre des thérapies psychologiques ou biologiques ayant pour objet la modification des comportements sexuels.
Les traitements peuvent s’effectuer en groupe ou individuellement, sans qu’aucune évaluation publiée ne permette de comparer les bénéfices de ces deux modalités.
Les objectifs fixés sont selon le cas (Marshall et coll.2006) :
— l’amélioration de l’estime de soi : cela facilite l’adhésion du sujet à sa psychothérapie et lui permet d’évoluer dans ses modes de pensée et de comportement ;
— l’acceptation de sa propre responsabilité, en particulier lorsque le sujet cherche à minimiser certains aspects de ses actes d’agression ;
— la reconstruction de la trajectoire biographique du sujet, identification des éléments saillants permettant ainsi au thérapeute de mieux le comprendre ;
— la définition des modalités d’accomplissement des actes d’agression avec reconstruction des étapes menant vers l’acte de délinquance sexuelle ;
— l’apprentissage de la reconnaissance des émotions d’autrui avec renforcement de l’empathie à autrui : ce trait psychologique est souvent altéré chez les délinquants sexuels ;
— l’acquisition de capacités sociales déficientes, par exemple la capacité à s’exprimer ou à participer à un groupe ;
— le développement de stratégies de gestion des émotions ;
— l’évaluation des contenus sexuels : les agresseurs sexuels présentent souvent des déficits dans l’aptitude à une activité sexuelle normale et nécessitent donc une rééducation pour accéder à une telle activité.
Aucune étude n’a fixé la durée optimale de la psychothérapie : la littérature fait en général état de traitements s’étendant sur plusieurs mois ou années.
Évaluation de la dangerosité des délinquants sexuels
Dans leur méta-analyse Hanson et Morton (2003) ont calculé un taux de récidive de 13,8 % chez 23 494 délinquants sexuels suivis pendant une période de cinq à six ans. Des chiffres de même ordre de grandeur ont été publiés par divers autres auteurs (Craig et coll. 2008).
Il s’agit certainement d’une sous-estimation car ces statistiques s’appuient sur le nombre de condamnations. Or, comme nous l’avons vu précédemment, beaucoup de ces crimes et délits échappent à la justice. En outre certains criminels sexuels, en particulier les violeurs de femmes adultes, récidivent parfois sur un mode violent mais non sexuel. Ces faits ne sont pas inclus dans la statistique précédente. Précisons que la récidive est rare dans les cas d’inceste après qu’il y ait eu une intervention judiciaire (Schmucker et Losel, 2008).
La prévention médicale de la récidive ne peut pas s’appliquer à l’ensemble de la population des délinquants sexuels. Il est donc indispensable d’identifier les sujets les plus dangereux, ceux qui sont susceptibles de récidiver.
Dans ce but, trois sortes de méthodes ont été employées :
— l’évaluation clinique non structurée fait uniquement appel à l’expérience personnelle du psychologue ou du psychiatre. Elle varie évidemment en fonction du praticien qui l’exerce.
— l’évaluation clinique structurée se fonde sur l’analyse d’un certain nombre de caractéristiques du sujet définies préalablement. L’expert émet une opinion en fonction de ces données ainsi que de son impression clinique.
— très différentes sont les méthodes actuarielles. Celles-ci sont basées sur l’analyse statistique. Sont retenues uniquement les caractéristiques qui différencient de façon significative les délinquants récidivistes des non récidivistes. C’est une approche totalement empirique. On définit ainsi un certain nombre d’items qui permettent par addition d’obtenir une note globale, laquelle mesure la dangerosité du sujet.
Static-99 (Hanson et Bussiere, 1998) est probablement le test actuariel de dangerosité le plus employé. Il comporte dix items notés de façon binaire 0 ou 1, sauf l’item sur le nombre d’infractions sexuelles antérieures qui peut être coté 0, 1, 2 ou 3. Nous pouvons citer en exemple les items suivants : nombre de victimes, s’agit-il de proches du patient ou d’étrangers (plus à risque de récidive), s’agit-il de victimes de sexe féminin ou masculin (plus à risque de récidive), etc.
L’addition des notes item par item aboutit à une note (« score ») globale comprise entre 0 et 12. Cette note est alors rapportée à une échelle de récidive précédemment établie à partir d’une population de 1 086 délinquants sexuels.
Soulignons que cette méthode a l’avantage d’aboutir à des résultats identiques lorsqu’elle est utilisée par des praticiens différents.
L’efficacité relative de ces approches a fait l’objet de nombreuses études.
Hanson et Morton-Bourgon (2008) ont effectué une méta-analyse comparative des diverses méthodes en utilisant 118 études différentes qui comportaient un total de 45 398 sujets. Ces auteurs ont observé que les méthodes actuarielles étaient les plus efficaces dans la prévision de la récidive, le jugement clinique non structuré s’avérant le moins efficace, l’évaluation clinique structurée ayant une efficacité intermédiaire.
Cependant, même avec les méthodes optimales, la qualité des informations obtenues reste imparfaite. L’efficacité, en termes de sensibilité et de spécificité, d’un test de dépistage est souvent mesurée par la représentation ROC (Receiver Operating Characteristic). Celle-ci permet de définir un coefficient AUC (Area Under Curve) Une méthode de dépistage totalement non spécifique a une valeur d’AUC de 0,5. Une méthode aux performances idéales a un coefficient AUC de 1. Lorsque cette approche est appliquée aux tests de prédiction de la récidive des délinquants sexuels (Craig et coll., 2008) on aboutit à un AUC d’environ 0,75. Ces prédictions ont donc une certaine valeur mais leurs résultats restent encore très imparfaits.
Résultats des traitements
L’évaluation du résultat des traitements a pu être effectuée de façons diverses.
Dans certaines études elle a été fondée sur l’interrogatoire des sujets au cours de leur suivi psychologique ou psychiatrique. Dans le cas de certaines paraphilies, essentiellement de la pédophilie, la pléthysmographie pénienne a été utilisée. Un dosage de la testostéronémie a été employé pour évaluer l’effet et l’observance des traitements antihormonaux. En fait tous ces paramètres sont trop indirects et le seul résultat vraiment important sur le plan pratique est la mise en évidence d’un effet du traitement sur le taux de récidive.
Les études dans ce domaine sont cependant très difficiles et obéissent très rarement aux exigences habituelles des essais thérapeutiques. Il est difficile, pour des raisons éthiques évidentes, de mener des essais randomisés et encore plus d’administrer des placebos. La plupart des articles publiés portent sur des nombres limités de sujets, suivis quelquefois pendant des durées courtes. Certaines publications ne comportent pas de groupe témoin ou un groupe témoin non comparable à celui des sujets traités. Il n’est donc pas étonnant que des résultats complètement divergents aient pu être obtenus, en particulier dans l’évaluation des psychothérapies. Par ailleurs Schmuker et Losel (2008) notent, en comparant les diverses publications sur ce sujet, que l’effet thérapeutique rapporté est plus net lorsque ce sont les médecins soignants qui colligent eux-mêmes les cas de récidive. Ces mêmes auteurs signalent que les résultats sont plus probants dans des projets modèles que lorsqu’on étudie les effets des traitements dans des conditions de routine.
Quelques études modèles ont été publiées sur les effets des traitements antihormonaux dans la prévention de la récidive. Des résultats spectaculaires ont parfois été décrits. Cependant l’analyse plus précise de ces articles montre leurs limites.
Ainsi un des articles les plus cités est le travail de Rosler et Witztum (1998) qui ont étudié l’effet d’un analogue du GnRH chez trente hommes. Ils annoncent un résultat parfait : aucun comportement sexuel « anormal » chez ces délinquants pendant la durée de l’étude, alors que ces mêmes sujets indiquaient la survenue de 2 à 8 « incidents » sexuels par mois avant le traitement.
Cependant à tous les stades de l’étude les sujets ont été sélectionnés. Ainsi pour entrer dans l’essai, les sujets devaient être volontaires. Sur 49 volontaires, 19 ont été exclus pour des raisons diverses. En fonction du temps, le traitement hormonal a été arrêté chez un grand nombre de sujets : la moitié au bout de deux ans, les trois-quarts au bout de trois ans. Les auteurs de l’article notent eux-mêmes qu’à l’arrêt du traitement les symptômes réapparaissaient. Or il faut souligner que les délinquants sexuels sont susceptibles de récidiver sur des périodes très longues, souvent de plusieurs dizaines d’années.
Plusieurs auteurs ont effectué des méta-analyses, permettant de rassembler des populations relativement importantes et de sélectionner les études méthodologiquement satisfaisantes.
Des séries non publiées, obtenues à partir de registres, ont été incluses. Ce dernier point permet d’éviter le biais bien connu selon lequel seuls les résultats positifs sont publiés.
La méta-analyse de Schmuker et Losel datant de 2008 est généralement considérée comme une des plus fiables. Elle regroupe 80 études différentes portant au total sur 22 181 sujets. Les auteurs concluent que le taux de récidive est abaissé de 37 % par les divers traitements utilisés. Dans cette analyse ont été incluses des publications portant sur la castration chirurgicale (Heim et coll.1979). Or, celle-ci a un effet très important car elle abaisse de 95 % le taux de récidive. Si on omet dans la méta-analyse les effets de ce type de castration, les traitements hormonaux et la psychothérapie abaissent de 25 % le taux de récidive. Signalons que la castration chirurgicale a été uniquement utilisée chez des volontaires qui sont une population à moindre risque de récidive et en général chez des pédophiles. Ces derniers limitent leur activité criminelle à des atteintes sexuelles. Les résultats ne sont pas extrapolables aux violeurs de femmes adultes qui sont fréquemment des sujets asociaux responsables à la fois de violences sexuelles et non sexuelles. Par ailleurs les méta-analyses ont montré que seul le traitement poursuivi après l’incarcération est d’une certaine efficacité. Lorsque la thérapie est limitée au séjour carcéral, elle n’empêcherait pas la récidive. De même les traitements sont plus efficaces chez les volontaires que chez ceux qui y sont soumis dans des conditions coercitives.
Notons que parmi les psychothérapies, seules les méthodes cognitives — comportementales ont montré un effet.
Certains auteurs restent cependant critiques sur les effets des traitements, en particulier des psychothérapies. Ainsi Rice et Harris (2003) ont repris la méta-analyse de Hanson et collaborateurs (2002) et ont souligné le fait que dans beaucoup d’études analysées, les témoins n’étaient pas comparables aux sujets traités. En effet ces groupes témoins incluaient une proportion non déterminée de sujets qui auraient refusé le traitement s’il leur avait été proposé ou qui l’auraient abandonné en cours de route. Rice et Harris considèrent que l’effet de la psychothérapie sur le taux de récidive n’est pas démontré. Ces mêmes auteurs soulignent un point important qui est le manque de corrélation entre l’évaluation des progrès telle qu’elle est faite par le psychothérapeute et le taux de récidive.
Conclusions et recommandations
Le présent rapport souligne les difficultés suivantes à l’élaboration d’une politique :
— nous n’avons qu’une capacité imparfaite pour prédire la dangerosité des sujets donc pour décider lesquels d’entre eux devraient se soumettre à un traitement.
— l’efficacité des traitements dans les essais actuellement publiés est déjà largement incomplète. Qu’en serait-il chez des sujets non plus volontaires mais contraints ? Qu’en serait-il par ailleurs, non plus dans des conditions d’essais limités mais dans une application de routine à une population hétérogène beaucoup plus importante et avec des moyens limités ?
— nous ne savons pas sur quels critères déterminer la durée des traitements, la part respective à laisser aux psychothérapies et aux thérapeutiques hormonales, la conduite à tenir devant la survenue des complications de ces dernières. Le problème est d’autant plus prégnant que la dangerosité des délinquants sexuels s’étend fréquemment sur plusieurs dizaines d’années.
En fonction de ces difficultés et des données précédemment exposées l’Académie nationale de médecine formule les recommandations suivantes :
— Améliorer la pratique des expertises de dangerosité des criminels sexuels en enseignant et en diffusant les méthodes actuarielles. Informer les magistrats et le public en général, du caractère très imparfait des prévisions, même quand l’expertise a utilisé les meilleurs instruments actuellement disponibles.
— Définir une politique qui ne soit pas uniquement basée sur des moyens médicaux. Les traitements à visée hormonale ou psychologique ayant une efficacité très partielle et quelquefois des effets secondaires marquants ne peuvent être le seul outil d’une politique de prévention de la récidive.
— Mettre en place des actions incitatives de recherche afin d’améliorer la prévention médicale de la récidive des délinquants sexuels. À l’heure actuelle, la recherche dans ce domaine est en France absolument sous dotée et mal structurée.
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Nous remercions pour leur aide les personnalités auditionnées :
Docteur Magali BODON-BRUZEL, Maison d’arrêt SMPR de Fresnes ; Madame Noëlle CAMPOCASSI, Juge d’Application des Peines, Tribunal de grande instance de Paris ; Docteur Frédéric CHAPELLE, Président de la Société Française des Thérapies Comportementales-Cognitives (Toulouse) ; Docteur Roland COUTANCEAU, Antenne de Psychiatrie Légale, La Garenne Colombes ; Professeur Michel PUGEAT, UMR_S 863 — Hormones Stéroïdes, Protéines, Hôpital Debrousse (Lyon) ; Docteur Serge STOLERU, Unité INSERM 669 (Paris) ; Professeur Florence THIBAUT, Service de Psychiatrie, CHU de Rouen.
Nous sommes reconnaissants à Serge Stoléru d’avoir eu l’amabilité de relire le présent rapport *
* *
L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 22 juin 2010, a adopté le texte de ce rapport moins six voix contre et dix-sept abstentions.
Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 6, 1033-1044, séance du 22 juin 2010