Rapport
Session of 21 novembre 2006

06-16 À propos de la proposition de loi no 3224 instaurant un accouchement dans la discrétion

MOTS-CLÉS : confidentialité. enfant abandonné.. parturition
Draft legislation on « discret delivery »
KEY-WORDS : child, abandoned. confidentiality. parturition

Roger Henrion (au nom d’un groupe de travail)

Résumé

On assiste, depuis la fin des années 80, à de vigoureuses campagnes en faveur d’une extension du droit d’accès aux origines. La dernière manifestation de cette tendance est la proposition de loi instaurant un accouchement dans la discrétion présentée le 28 juin 2006 par madame Valérie Pécresse et 92 députés au nom de la Mission parlementaire sur la famille et les droits des enfants qui modifierait profondément le dispositif législatif actuel. Ce dernier repose sur la loi du 22 janvier 2002 voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale qui ne contraint pas la mère à communiquer son identité lors de son accouchement. Cette loi a le grand mérite de tenir compte des intérêts opposés des femmes, des nouveaux-nés et des adultes en quête de leur origine. D’une part, elle préserve au mieux la liberté de décision des femmes, le plus souvent très jeunes, souvent migrantes, dans la plus extrême détresse, ainsi que le choix de leur avenir et leur santé, mise en danger lors d’accouchements dans la clandestinité. D’autre part, elle préserve les intérêts des nouveaux-nés menacés d’abandon ou d’infanticide, menace qui ne doit pas être sous-estimée puisqu’elle a suscité à l’étranger la réapparition du « tour » sous différentes formes. Elle contribue également à diminuer le nombre des abandons trop longtemps différés, dont la nocivité est soulignée par les pédopsychiatres. Enfin, si la femme se sent contrainte de garder l’enfant, le déni de la grossesse peut se transformer en violences graves qui s’exerceront sur l’enfant dans les premières années, notion souvent retrouvée quand on étudie les maltraitances familiales. Deux instances ont apporté leur approbation à ce dispositif : la Cour européenne des Droits de l’Homme en octobre 2002 et le Comité Consultatif National d’Ethique en janvier 2006. Or, la récente proposition de loi remet fondamentalement en cause ce dispositif. Certes, la mère pourrait demander le secret de son admission mais elle serait obligée de donner son identité, lors de son accouchement. Pendant la minorité de l’enfant, la communication de l’identité de la mère et, le cas échéant, du père resterait soumise à leur accord. En revanche, à la majorité de l’enfant, la communication serait de droit. D’où de nombreux conflits en perspective. C’est pourquoi l’Académie nationale de médecine, soucieuse des éventuelles conséquences néfastes de cette proposition de loi et reconnaissant que de grands efforts concernant l’accompagnement des mères ont été faits, a estimé qu’un changement de la loi de 2002 pour laquelle on ne possède pas encore le recul indispensable serait prématuré.

Summary

Since the 1980s there have been multiple campaigns in favor of individuals’ rights to know their origins. The latest manifestation of this trend is the draft legislation on ‘‘ discrete delivery ’’ submitted to the French National Assembly on 28 June 2006 by Ms Valérie Pécresse and 92 deputies on behalf of the Parliamentary Mission on the Family and Children’s rights. This bill would profoundly change the present law, which was voted unanimously by the National Assembly on 22 January 2002, and which does not oblige a woman to give her identity when being delivered. The existing law has the merit of taking into account the potentially conflicting interests of the woman and the neonate, and that of adults searching their origins. On the one hand, it allows these women —- who are usually very young, often migrants, and always in situations of extreme distress —- to choose their future and their health, which could be compromised by a clandestine delivery outside of a maternity unit. On the other hand, it preserves the interests of the neonate, who might otherwise be abandoned or suffer infanticide, as was often the case in such circumstances. This menace should not be underestimated, as a resurgence of such events has been reported in other countries in recent years. The existing law also contributes to reducing the number of infants who are abandoned after an excessively long period of uncertainty, which child psychiatrists have found to be detrimental. Finally, if a mother is forced to keep her child, her denial of the pregnancy may lead to child abuse in the first years, a situation which is frequent in studies of family violence. Two important bodies have approved the existing law, namely the European Court of Human Rights in October 2002 and the French National Ethics Committee in January 2006. The recent proposal fundamentally challenges these measures. Although the mother may request to be admitted secretly to the maternity unit, she would be required to reveal her identity at delivery. For as long as the child is a minor, the mother’s authorization would be necessary for this information to be divulged (the same would apply to the father’s identity, if available). However, as soon as the child reaches legal adulthood, s/he would have an automatic right of access to the mother’s identity. This would certainly lead to a number of conflicts. The National Academy of Medicine is conscious that great efforts have been made to help these mothers, and is concerned about the potential adverse consequences of the proposed law. For these reasons, the Academy considers that the 2002 law should not be changed, at least until sufficient follow-up becomes available for meaningful discussion.

Introduction : un sujet récemment tranché par la loi et déjà remis en cause

A la suite d’une tendance exprimée au cours des années 80 en faveur d’une modification radicale de la législation visant à supprimer l’accouchement dans l’anonymat dit sous X, cinq rapports officiels ont été successivement publiés. Le premier, celui du Conseil d’Etat rédigé sous la direction de monsieur Paul Bouchet [2], intitulé « Statut et protection de l’enfant » est paru en mai 1990. Il proposait la création d’un conseil pour la recherche des origines familiales qui procéderait à la recherche des parents, recueillerait la volonté de ces derniers et veillerait au rapprochement psychologique des parties par une démarche de médiation, proposition très proche de la loi actuelle. Puis se sont succédés ceux contradictoires, d’une part d’une commission d’enquête sur l’état des droits de l’enfant en France, présidée par monsieur Laurent Fabius [7] en 1998 et d’un rapport de madame Irène Théry [15] à la Ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, également en 1998, d’autre part d’un rapport de madame Françoise Dekeuwer-Defossez [6] au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, en 1999. Le dernier, celui de madame Véronique Neiertz [13] paru en 2001, faisait le point sur « Le projet de loi relatif à l’accès aux origines personnelles ». Ces rapports ont abouti à une proposition de loi votée à l’unanimité par les parlementaires le 10 janvier 2002, loi datée du 22 janvier 2002 et publiée au Journal Officiel le 23 janvier 2002 [12], unanimité qui reflète un consensus exceptionnel. Cette loi a le mérite de tenir compte des intérêts divergents et opposés des femmes, des nouveaux-nés dont personne ne parle et des adolescents ou adultes en quête de leur origine, trois aspects qu’on ne saurait ni méconnaître, ni négliger.

L’Académie nationale de médecine [9] qui s’est prononcée sur ce sujet dans un rapport voté le 18 avril 2000, avait noté avec satisfaction que la loi de 2002 allait dans le sens de ses recommandations. De ce fait, la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 28 juin 2006 par madame Valérie Pécresse au nom de la Mission parlementaire d’information sur la famille et les droits des enfants remettant en cause cette loi, a particulièrement attiré son attention.

Analyse des modifications législatives envisagées par la proposition de loi

Les modifications essentielles portent sur deux articles : l’article 341-1 du Code civil et l’article 222-6 du Code de l’Action sociale et des Familles. Les suppressions sont en italique , les ajouts en caractères gras .

Nouveau libellé de certains articles

Article 341-1 du Code civil : « Lors de l’accouchement, la mère peut, après avoir donné son identité , demander que le secret de son admission soit préservé ».

Article 222-6 du Code de l’action sociale et des familles : « Toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité par un établissement de santé est informée des conséquences juridiques de cette demande et de l’importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, sous pli fermé , si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité… Elle est également informée qu’elle peut à tout moment donner son identité sous pli fermé ou compléter les renseignements qu’elle a donnés au moment de la naissance… Pour l’application des deux premiers alinéas, aucune pièce d’identité n’est exigée et il n’est procédé à aucune enquête.

Deux autres modifications, l’une portant sur l’article L 147-6 du Code de l’Action Sociale et des Familles, l’autre ajoutant un article L 147-6-1, aboutissent au fait que, pendant la minorité de l’enfant, la communication de l’identité de la mère et, le cas échéant, du père reste soumise à leur accord. En revanche, à la majorité de l’enfant, la communication est de droit.

Commentaires

Ces articles supprimant la possibilité d’accoucher dans l’anonymat et instaurant un accouchement dans la discrétion, ont pour conséquence la dissolution du Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) créé par le décret d’application de la loi du 22 janvier 2002, décret signé le 3 mai 2002 [5], organisme situé au cœur du dispositif de la loi.

Il reçoit la demande écrite des personnes qui recherchent leur origine, accompagnée des justificatifs de l’identité et de la qualité de leur auteur. Il recherche la mère de naissance, possédant pour cela des prérogatives propres pour se faire communiquer les actes de naissance d’origine par le procureur de la République ainsi que des renseignements afin de déterminer l’adresse des parents de naissance par les administrations ou services de l’état et des collectivités publiques et les organismes sociaux. Il doit s’assurer du consentement express de la mère de naissance à la levée du secret ou de sa volonté de le préserver. En cas d’acceptation, il procède à la communication de l’identité de la mère de naissance et l’identité des ascendants, descendants et collatéraux de la mère et l’un de ses membres servira de médiateur. En l’absence d’accord des parents de naissance, la communication se limitera aux renseignements ne portant pas atteinte à l’identité de la mère de naissance.

Une autre mission du CNAOP est d’établir des statistiques relatives au nombre d’accouchements avec demande de secret, avec dépôt d’un pli fermé ou non, pour mesurer l’impact de la loi.

Analyse de l’exposé des motifs et commentaires

L’exposé des motifs de la proposition de loi no 3224 développe six arguments principaux que nous regrouperons en trois thèmes.

— La souffrance psychologique de certains enfants et adultes « Une naissance sous X peut priver l’enfant qui le souhaiterait de la connaissance de ses origines. Cette situation peut être pour certains enfants, y compris devenus adultes, source de grande souffrance psychologique » .

Commentaires

Il n’est pas douteux que la connaissance des origines est, en règle, indispensable à la construction harmonieuse de la personnalité de l’enfant et de l’adolescent. Elle représente une exigence naturelle et ne pas connaître ses attaches constitue pour certains adultes une grande souffrance psychique qui ne s’atténue pas avec le temps. Ce besoin a été récemment renforcé par l’essor de la généalogie et le désir de plus en plus répandu de connaître sa filiation et ses ancêtres. On observe également un renouveau d’intérêt pour la biologie et la génétique, en un mot pour l’inné, au détriment de l’acquis. La filiation biologique a tendance à prendre le pas sur la filiation affective et la filiation juridique.

Cependant, d’une part le nombre de demandes de recherche des origines reçues par le CNAOP est nettement inférieur à ce qui était annoncé, 1740 demandes en 3 ans au 28 février 2005, et décroissent d’année en année, d’autre part l’intérêt de l’adulte recherchant son origine ne doit pas faire méconnaître l’intérêt des femmes, des nouveaux-nés et des enfants. Si on accepte de considérer le problème dans sa globalité et dans ses aspects les plus concrets, sans se limiter au seul aspect psychologique, on se rend compte qu’il s’agit d’un problème de santé publique, du fait du retentissement sur la santé des mères et des enfants.

— L’anonymat est moins demandé. La stigmatisation des mères seules n’existe plus. Le risque de recourir à l’avortement ou d’accoucher en dehors de toute structure sanitaire ne doit pas être surévalué.

« La loi de 2002 a mis en place un dispositif permettant à la mère de donner son nom ou des informations personnelles à destination de l’enfant. Dès lors, si le secret est toujours utilisé, l’anonymat est moins demandé, la majorité des femmes acceptant de laisser leur identité. Ainsi, en 2004, seuls 40 % des 394 femmes ayant accouché sous X n’ont pas décliné leur identité. Par ailleurs, l’évolution de la société fait que « les mères seules ne sont plus stigmatisées ».

« Enfin le principal risque invoqué pour maintenir l’accouchement anonyme est celui de voir les femmes concernées recourir à l’avortement ou accoucher chez
elles en dehors de toute structure sanitaire. Ce risque ne doit pas être surévalué : il ressort des chiffres qui viennent d’être cités que l’accouchement sous X n’est plus aujourd’hui une véritable alternative à l’avortement puisqu’il ne concerne que quelques centaines de femmes par an ».

Commentaires

La loi actuelle préserve au mieux l’intérêt des mères

Si l’anonymat est moins demandé, il n’en reste pas moins que quelques centaines de femmes y ont encore recours. L’important est de savoir qui sont ces femmes. Plusieurs études épidémiologiques et sociologiques en ont précisé le profil dont celle faite à la demande du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Service des Droits des Femmes, en octobre 1999 [10].

Le premier profil est celui de femmes très jeunes vivant dans une dépendance familiale plus ou moins complète et n’ayant que peu ou pas d’autonomie. Deux tiers des femmes qui accouchent sous X ont moins de 25 ans, une sur deux a moins de 23 ans et une sur dix moins de 18 ans. Non seulement ces mères sont en moyenne beaucoup plus jeunes que les autres accouchées mais il semble qu’elles soient un peu plus jeunes aujourd’hui que par le passé ce qui est à l’opposé de l’évolution observée dans la population générale.

Le deuxième profil est celui de jeunes femmes appartenant à une famille musulmane et vivant encore chez leurs parents. Elles sont originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, de Turquie, où la grossesse hors mariage est perçue comme un déshonneur familial. Leur proportion parmi les accouchements secrets, est en augmentation. Elle varie de 30 à 50 % selon les régions et dépasse 50 % dans certains hôpitaux de la région parisienne. Les conséquences pour ces jeunes femmes, si leur grossesse est dévoilée, peuvent être dramatiques. Non seulement elles risquent d’être rejetées par leur famille mais elles sont exposées au rapatriement brutal dans leur pays d’origine avec tous les aléas que cela représente, à des mariages forcés, à des repré- sailles physiques très graves, à des menaces de mort, voire à des crimes d’honneur.

Un troisième profil, qui recoupe parfois les deux autres, est celui de femmes non ou mal insérées professionnellement, en proie à de très grandes difficultés matérielles, parfois sans abris. Les plus jeunes d’entre elles sont des mères célibataires en cours de scolarité ou d’études, à la recherche d’un premier emploi ou sans profession. Elles sont le plus souvent primipares mais ont parfois déjà un ou deux jeunes enfants à charge. Les plus âgées sont des femmes séparées, divorcées ou abandonnées, parfois marquées par un long passé de violences conjugales. Elles ont habituellement plusieurs enfants à charge. Une minorité non négligeable est issue d’un milieu aisé. Ce n’est pas la misère qui les conduit à abandonner leur enfant mais la pression familiale, le désir de poursuivre leurs études ou de trouver un emploi.

Un dernier groupe dont l’importance est difficile à déterminer, de l’ordre de 20 % des cas, est constitué de femmes ayant subi viol ou inceste dont on comprend aisément le sentiment de rejet.

Dans l’ensemble, les femmes recourant à l’accouchement sous X sont toujours dans une extrême détresse morale et une grande solitude affective et sociale.

L’abandon de l’enfant est une solution de panique, de désespoir, qui entraîne l’opprobre, opprobre plus marqué de nos jours qu’il y a trente ans, contrairement à l’opinion exprimée dans les motifs de la proposition de loi, car la différence est grande entre la mère célibataire qui assume sa grossesse et la jeune fille acculée à l’abandon de l’enfant.

Les raisons de l’abandon sont variées. Certaines femmes, parce qu’elles sont dans l’impossibilité matérielle d’élever l’enfant, estiment lui donner de meilleures chances en permettant son adoption. On a même pu parler d’acte d’amour [1, 8]. D’autres, parce qu’elles ne sont pas en situation ni matérielle ni psychologique d’accueillir l’enfant, parce qu’elles ont été violentées, enceintes par inadvertance ou n’ont que mépris pour leur partenaire expriment un farouche déni de grossesse et la dissimule. Par un phénomène mal expliqué, les jeunes femmes arrivent à tromper leur entourage le plus proche : parents et enseignants. Même les médecins, pour peu qu’ils ne soient pas très avertis, peuvent se tromper sur l’existence ou l’âge de la grossesse. L’abdomen grossit anormalement peu jusqu’au voisinage du terme et les femmes disent ne pas avoir perçu les mouvements du fœtus. Elles ne réagissent que confrontées aux premières contractions douloureuses, dans l’affolement et la précipitation.

Nombre d’accouchements se font alors dans la clandestinité, dans les pires conditions, avec les risques sévères que cela comporte pour la mère, d’autant plus qu’elle est jeune et que les tissus des voies génitales ne sont pas encore arrivés à maturité. On observe des déchirures graves du périnée, des hémorragies de la délivrance, des infections sévères pouvant entraîner l’ablation de l’utérus.

En définitive , la loi actuelle préserve au mieux la liberté de décision de la femme et le choix de son avenir. Il n’est pas certain que la disparition de l’anonymat, malgré la préservation du secret, ne soit pas à l’origine d’une augmentation des accouchements en dehors de toute structure sanitaire, accouchements souvent suivis d’un abandon sauvage voire d’un infanticide.

La loi actuelle préserve l’intérêt des nouveau-nés et des enfants

La loi française actuelle contribue aussi à sauvegarder la vie et l’intégrité de l’enfant en diminuant le nombre de certaines complications pouvant survenir au cours de la grossesse ou lors de l’accouchement de ces femmes en perdition.

C’était précisément son but. Dans la majorité des cas, les grossesses sont mal surveillées, ce qui aboutit fréquemment à des accouchements prématurés, des retards de croissance in utero, des souffrances fœtales suivies ou non de mort.

En outre, à ces accouchements dans la clandestinité succèdent des abandons dans des conditions précaires et des infanticides. Le nombre des enfants abandonnés trouvés vivants serait de 28 en 2001 et de 18 en 2003, si tant est qu’ils soient tous recensés. Leur nombre semble varier de 20 à 30 selon les années. Le nombre d’infanticides est malheureusement impossible à connaître, mêlé dans les statistiques au nombre des homicides de mineurs âgés de quinze ans ou moins, depuis 1993. Ce nombre était de 90 en 2002, 69 en 2003, 67 en 2004 dans le rapport 2005 de l’Observatoire National de la Délinquance (OND). Il paraît sous-évalué si on se réfère à une étude de Tursz [16], en juillet 2005, sur les morts suspectes de nourrissons de moins d’un an. Les nouveauxnés asphyxiés, étranglés, noyés ou privés de soins, sont retrouvés dans des sacs poubelles, des vide-ordures, des toilettes et d’autres lieux. Récemment, la police a signalé que des nouveaux-nés étaient jetés dans les déchetteries.

La loi contribue également à diminuer le nombre des abandons trop longtemps différés, dont la nocivité est soulignée par les pédopsychiatres. L’enfant, mal accepté, mal aimé, se trouve ballotté pendant des années entre différents placements plus ou moins heureux qui rendent de plus en plus difficile son adoption. Les enfants nés sous X ont l’avantage d’être d’emblée placés dans la situation juridique de pupille de l’Etat et trouvent plus rapidement une famille d’adoption. L’enfant bénéficiera avec l’adoption plénière d’un foyer stable et d’une sécurité juridique et affective qui favorisera son développement.

Enfin, si la femme se sent contrainte par son entourage, la pression sociale ou des professionnels de santé de garder l’enfant, le déni de la grossesse peut se transformer en négligences et violences graves qui s’exerceront sur l’enfant dès les premiers mois ou dans les premières années. On retrouve souvent cette notion quand on étudie les maltraitances familiales.

En résumé , une conséquence néfaste des modifications de la loi se traduisant par une augmentation des accouchements dans la clandestinité, des abandons sauvages, des infanticides, ne peut être exclue, malgré la préservation du secret de l’accouchement. Ainsi, l’article 7 de la convention internationale des droits de l’enfant qui mentionne : « l’enfant, dans la mesure du possible, a le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux » ne devrait pas faire oublier l’article 6 de la même convention : « Il est nécessaire dans toute la mesure du possible d’assurer la survie de l’enfant », et l’article 19 qui signale « Les états parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales … ».

La situation en Europe est différente et on ne constate pas de drames sanitaires particulier s « La grande majorité de nos voisins européens ne connaît pas l’accouchement sous X, or on n’y constate pas de drame sanitaire particulier » .

Commentaires

Si l’indication du nom de la mère et du père sont obligatoires dans de nombreux pays européens, la France, qui reçoit de nombreuses femmes enceintes belges, suisses et algériennes venant pour accoucher anonymement dans notre pays (15 % environ de ces accouchements), n’est pas seule à se préoccuper de ce problème. L’Italie, le Luxembourg et, dans une certaine mesure l’Espagne (dans le cas des mères non mariées) autorisent les mères à ne pas indiquer leur nom au moment de l’accouchement. D’autres pays européens, émus du nombre croissant de naissance dans des conditions hasardeuses et d’enfants abandonnés sans soins, ont tenté de pallier ces drames d’une autre manière en réinventant « le tour », heureusement amélioré.

Les allemands ont créé dans les principales villes d’Allemagne, quelques vingt-six « Babyklappen », « boîtes à bébés ». Le dépôt de l’enfant est légal alors que son abandon sur la voie publique est puni par la loi. Un délai de huit semaines est donné à la mère pour revenir chercher l’enfant. L’Autriche a installé des « nids de bébés » à partir d’octobre 2000. De même la Suisse qui a mis en place un système similaire pour protéger la vie des nourrissons : les babyfenster, « fenêtres à bébé » . La mère de naissance a six semaines pour reprendre son enfant. Dans les trois cas, le principe, identique, est de déposer l’enfant sur un lit chauffant, installé dans des boîtes transparentes situées dans un mur le long d’une rue. L’enfant est surveillé en permanence par électronique avec un système alertant le personnel médical. Mais ces solutions ne garantissent, pour la mère et l’enfant, ni le soutien, ni les soins médicaux avant, pendant, et après l’accouchement. C’est pourquoi les mêmes pays européens ou d’autres, à l’inverse de la proposition 3224 qui est faite par la Commission Parlementaire, ont envisagé une législation allant dans le sens de celle de la France. En Allemagne, des députés ont déposé, en juin 2002, un projet de loi qui proposait de « supprimer l’obligation mise à la charge de la mère, ainsi que de toutes les personnes ayant participé à l’accouchement, de déclarer la naissance à l’état civil dès lors que la femme exprime le souhait d’accoucher dans l’anonymat ». En Autriche, c’est une loi de mars 2001 qui a dépénalisé l’accouchement anonyme et permet à la femme en situation de détresse de demander l’anonymat lors de son accouchement. La Hongrie a fait de même.

En Belgique, le Comité consultatif royal de Bioéthique a suggéré à son gouvernement d’adopter de profondes modifications législatives proches de la loi française qui ont abouti à une proposition de loi déposée en mai 2002. Quant aux Etats-Unis, pour tenter de protéger la vie des nouveaux-nés, du fait de l’augmentation des infanticides ou des délaissements sauvages ayant entraîné la mort, une loi dénommée la « Safe Haeven Legislation » a été adoptée par 35 états. Elle autorise toute mère qui le souhaite à confier anonymement son nouveau-né dans des services d’urgence, sans être pénalisée : hôpitaux, commissariats de police, casernes de pompiers, services sociaux. Enfin, dans les pays d’Amérique latine qui ne connaissent pas l’accouchement anonyme,
existe un taux important d’accouchements sous une fausse identité ou d’abandons sauvages sur la voie publique.

— L’accouchement sous X peut être détourné de son objet « En cas de recours à la gestation pour autrui à l’étranger, voire de recours à une mère porteuse clandestine en France, il permet à la gestatrice de mettre au monde l’enfant en France sans établir un lien de filiation avec lui, autorisant ainsi au père de le reconnaître et de l’élever — éventuellement avec sa compagne ou son compagnon — enfreignant la législation bioéthique française qui proscrit les mères porteuses ».

Commentaires

Certes, l’accouchement sous X permet de détourner la législation bioéthique française. Mais la modification législative envisagée n’empêchera pas la persistance de mères porteuses qui reste un phénomène très rare en France.

Avis antérieur de l’Académie nationale de médecine [9]

L’Académie nationale de médecine en approuvant un rapport intitulé « A propos de l’accouchement dit sous X », dans sa séance du 18 avril 2000, a nettement pris position pour la possibilité d’accoucher dans l’anonymat tout en recommandant une amélioration des conditions de l’accouchement sous X et une harmonisation des pratiques. Dans ses propositions, évoquant la création d’un Conseil indépendant pour la recherche des origines familiales, elle suggérait que celui-ci devrait avoir deux fonctions : « D’une part d’information et de médiation destinées à favoriser la rencontre d’une mère et de son enfant en cas de démarche spontanée et concordante, d’autre part de collection des données qui manquent cruellement de nos jours, ce qui laisse libre court à toutes les interprétations ». Ce Conseil, le CNAOP, a été ultérieurement créé par la loi du 22 janvier 2002.

Avis d’autres instances — Avis de la Cour Européenne des Droits de l’Homme

La grande chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en audience publique, le 9 octobre 2002, a donné acte à la France de sa tentative de conciliation entre les intérêts de la mère et de l’enfant, à l’occasion de la plainte d’une jeune femme abandonnée à la naissance, admise en qualité de pupille de l’Etat puis adoptée en la forme plénière en janvier 1969.

Le communiqué publié par le greffier de la Cour Européenne mentionne, en date du 13 février 2003 [4] : « La Cour relève que les intérêts en présence font apparaître, d’une part le droit à la connaissance de ses origines et l’intérêt vital de l’enfant dans son épanouissement, et d’autre part l’intérêt d’une femme à
conserver l’anonymat pour sauvegarder sa santé en accouchant dans des conditions médicales appropriées. Il s’agit de deux intérêts difficilement conciliables concernant deux adultes jouissant chacun de l’autonomie de sa volonté ». Il ajoute : « De surcroît, il y a lieu de tenir compte de l’intérêt des tiers et de leur protection, essentiellement les parents adoptifs, le père ou le restant de la famille biologique ». « Enfin, l’intérêt général est également en jeu dans la mesure où la loi française a pour objectif de protéger la santé de la mère et de l’enfant lors de l’accouchement, d’éviter des avortements, en particulier clandestins, et des abandons sauvages ». La Cour rappelle par ailleurs « que certains pays ne prévoient pas l’obligation de déclarer le nom des parents biologiques lors de la naissance, et que d’autres connaissent des pratiques d’abandons d’enfants engendrant des débats sur l’accouchement anonyme ».

Elle note que la loi française du 22 janvier 2002 renforce la possibilité de lever le secret de l’identité de la mère en facilitant la recherche des origines biologiques par la mise en place d’un Conseil National de l’Accès aux Origines Personnelles. Selon la Cour : « La législation française tente ainsi d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisants entre les intérêts en cause.

Avis du Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé [3, 11]

Le Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) s’est prononcé pour le maintien de la loi du 22 janvier 2002, dans son avis no 90 intitulé « Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation », présenté lors de la conférence de presse du 26 janvier 2006.

Il est écrit dans le chapitre V-1 concernant les recommandations : « Les valeurs éthiques qui ont conduit à légiférer ont abouti avec la loi du 22 janvier 2002 qui a créé le CNAOP à un équilibre délicat qu’il est souhaitable de maintenir. Il convient d’attendre un retour d’expériences plus marqué pour proposer des modifications. Il est important de veiller à informer la mère sur la possibilité de laisser un jour, si elle le souhaite, sous enveloppe scellée des renseignements non identifiants ou identifiants et de pouvoir révéler ultérieurement des données identifiantes, mais en indiquant que son refus sera toujours respecté. On peut souhaiter dès maintenant que ne puisse jamais être levé l’anonymat d’une mère sans qu’elle y ait consenti de son vivant ».

BIBLIOGRAPHIE [1] BONNET C. — Geste d’amour. L’accouchement sous X. Odile Jacob, Paris, 2001.

[2] BOUCHET P. — Statut et protection de l’enfant. La Documentation française, Paris, 1991.

[3] Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé. Avis no 90. Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation.

[4] Cour européenne des Droits de l’Homme. Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme. F. 67075 — Strasbourg Cedex.

[5] Décret no 2002-781 du 3 mai 2002 relatif au Conseil national pour l’accès aux origines personnelles et à l’accompagnement et l’information des femmes.

[6] DEKEUWER-DEFOSSEZ F. — Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps. Rapport au Garde des Sceaux, Ministre de la justice, Septembre 1999.

[7] FABIUS L. et BRET J.P. — Droits de l’enfant, de nouveaux espaces à conquérir. Assemblée nationale, commission d’enquête, Rapport no 871, 1998.

[8] GUILLIN J. — De l’oubli à la mémoire. Stock Paris 1996.

[9] HENRION R. — A propos de l’accouchement sous X. Bull. Acad. Natle Med ., 2000, 184 , 815-821.

[10] KACHOUKH F. — Accouchement ‘‘ sous X ’’ et secret de ses origines : comprendre et accompagner les situations en présence. Groupe de travail sur l’accouchement « sous X ». Rapport au Ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Service des Droits des Femmes, Octobre 1999.

[11] LE BOURSICOT M.C. — La CEDH valide le dispositif français relatif à l’accouchement sous X et à la connaissance de ses origines. Revue Juridique , Personnes et Famille, 2003, 4 , 19-20.

[12] Loi no 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État.

[13] NEIERTZ V. — Rapport sur le projet de loi (no 2870) relatif à l’accès aux origines personnelles. Les documents législatifs de l’Assemblée nationale 2001, no 3086, 1-76.

[14] Observatoire National de la Délinquance. Rapport annuel 2005. Mis en ligne sur internet.

[15] THÉRY I. — Couple, filiation et parenté d’aujourd’hui : le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée. Rapport à la Ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Odile Jacob-Documentation française, Paris, 1998.

[16] TURSZ A., CROST M., GERBOUIN-REROLLE P. — Synthèse du rapport à la mission de recherche Droit et Justice. Ministère de la Justice, Juillet 2005.

ANNEXE

La loi française a deux volets, l’un prospectif, l’autre rétrospectif [12]. Elle est mise en œuvre par le CNAOP.

Le volet prospectif

Il est cohérent. La loi ne contraint pas la mère de naissance à communiquer son identité, même de manière confidentielle. La femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité est « invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité » (article L. 222-6 du Code de l’aide sociale et de la famille :

CASF). Cet article pivot fait référence expressément à l’acceptation de la femme, ce qui, ajouté à l’interdiction d’exiger d’elle une pièce d’identité ou de faire une enquête,
permet de rassurer sur le respect de sa liberté. Mais il énonce aussi que la femme doit être informée non seulement des conséquences juridiques de sa demande de secret, mais aussi de l’importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire.

La femme est invitée, au moment de son accouchement, à laisser dans une enveloppe cachetée : son nom, ses prénoms, la date et le lieu de sa naissance. A l’extérieur de l’enveloppe figureront les prénoms qu’éventuellement elle aura choisi pour l’enfant ainsi que le sexe, la date, l’heure et le lieu de la naissance de ce dernier. Ce pli sera conservé fermé par le service de l’Aide sociale à l’enfance du département (ASE) et sera ouvert uniquement par un membre du CNAOP si celui-ci est saisi d’une demande d’accès à la connaissance de ses origines par l’enfant devenu adulte ou, si il est mineur, par son ou ses représentants légaux ou par lui-même avec l’accord de ceux-ci. Dans ce cas, la mère sera contactée par le CNAOP qui lui demandera de confirmer ou non son désir de secret.

D’autre part, la mère de naissance est informée qu’à tout moment, elle peut lever le secret de son identité qu’elle ait accouché sous X ou confié son identité sous pli fermé. Elle peut également remettre ce pli ultérieurement ou compléter les renseignements donnés lors de la naissance.

La loi confie aux correspondants départementaux du CNAOP la charge d’assurer la mise en œuvre de l’accompagnement psychologique et social de la femme, de lui délivrer les informations nécessaires, de recueillir les renseignements non identifiants et éventuellement le pli fermé. Une difficulté pratique est d’accomplir ces tâches dans le temps très bref qui est actuellement celui de l’hospitalisation de la mère en maternité. La loi énonce donc que ces formalités, à défaut de la présence d’un correspondant départemental, pourront être accomplies sous la responsabilité du directeur de l’établissement de santé.

Notons aussi que l’article 223-7 du CASF prévoit que la prise en charge des frais d’hébergement et d’accouchement n’est plus subordonné à la seule demande de secret mais qu’elle s’applique dès lors que l’enfant est confié en vue d’une adoption.

Le volet rétrospectif

Il est plus délicat à appliquer. En effet, la loi nouvelle est une loi dite de procédure qui appréhende toutes les situations existantes et le CNAOP est saisi de demandes d’accès aux origines par des personnes nées il y a 30, 40, 50 ans ou plus. Or le droit a été modifié à plusieurs reprises au cours du siècle dernier, la dernière réforme datant de juillet 1996. Jusqu’à présent, une personne à la recherche de ses origines pouvait adresser sa demande au service de l’aide sociale à l’enfance de son département de naissance ou à l’organisme d’adoption privée auquel elle avait été confiée. Dans l’hypothèse d’un refus de communication de documents fondé sur le respect de l’intimité de la vie privée ou sur la loi du 17 juillet 1978 sur la communication de documents administratifs, elle pouvait saisir la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA). Celle-ci rendait alors un avis circonstancié sur la possibilité de communiquer des documents. En cas de litige, le demandeur pouvait saisir la juridiction administrative qui seule, par une décision s’imposant aux services départementaux et aux organismes d’adoption, pouvait déterminer les modalités de la communication des documents et décider si elle devait être intégrale ou faite après occultation des mentions identifiantes. Désormais la communication au demandeur d’accès « d’éléments permettant d’identifier
sa mère biologique est subordonnée dans tous les cas à l’intervention du CNAOP auquel il revient de s’assurer que celle-ci ne s’oppose pas à la divulgation de ces documents ».

L’article 147-7 de la loi précise que l’accès d’une personne à ses origines est sans effet sur l’état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que se soit.

COMMUNIQUÉ au nom d’un groupe de travail

A propos de la proposition de loi no 3224 instaurant un accouchement dans la discrétion

Roger HENRION*

Cette proposition de loi, si elle était adoptée, modifierait profondément le dispositif législatif actuel concernant l’accouchement dans l’anonymat, encore dit accouchement sous X.

Pour mesurer l’importance du changement il convient de rappeler la genèse et les résultats de la loi actuelle votée en 2002. Elle a résulté d’une tendance manifestée dans les années 1980 visant à revenir sur l’anonymat .

L’Académie en avait pris acte dès 2000 (rapport du 18 avril 2000). Tout en affirmant la nécessité de maintenir l’anonymat, elle avait recommandé une certaine ouverture et la création d’un conseil indépendant pour la recherche des origines familiales.

C’est en ce sens que s’est prononcée la loi du 22 Janvier 2002 votée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale. Cette loi ne contraint pas la mère de naissance à communiquer son identité, même de manière confidentielle. La femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité est « invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité ». La loi a créé également un organe de médiation, le Conseil national pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP), qui a été mis en place par un décret du 3 mai 2002. Ce conseil a pour fonction de recevoir la demande écrite des personnes qui recherchent leur origine, de rechercher la mère de naissance, de s’assurer du consentement express de la mère de naissance à la levée du secret ou de * Membre de l’Académie nationale de médecine * Constitué de : MM. ARTHUIS (Président), Crépin, DAVID (Rapporteur), HENRION, JOUANNET, SALLÉ, SUREAU.

sa volonté de le préserver. En cas d’acceptation, il procède à la communication de l’identité de la mère de naissance et l’identité des ascendants, descendants et collatéraux de la mère et l’un de ses membres servira de médiateur. En l’absence d’accord des parents de naissance, la communication se limitera aux renseignements ne portant pas atteinte à l’identité de la mère de naissance.

Cette loi a le grand mérite de tenir compte des intérêts divergents et opposés des femmes, des nouveaux-nés et des adolescents ou adultes en quête de leur origine, trois aspects qu’on ne saurait ni méconnaître, ni négliger. Elle préserve au mieux la liberté de décision des femmes, le plus souvent très jeunes, souvent migrantes, dans la plus extrême détresse, ainsi que le choix de leur avenir et leur santé, mise en danger lors d’accouchements dans la clandestinité. Elle préserve également les intérêts des nouveaux-nés menacés d’abandon ou d’infanticide, menace qui ne doit pas être sous-estimée puisqu’elle a suscité à l’étranger la réapparition du « tour » sous la forme de « boîtes à bébés » en Allemagne, de « tiroirs à bébés » en Autriche ou de « fenêtres à bébés » en Suisse. Elle contribue également à diminuer le nombre des abandons trop longtemps différés, dont la nocivité est soulignée par les pédopsychiatres. Enfin, si la femme se sent contrainte par son entourage, la pression sociale ou des professionnels de santé de garder l’enfant, le déni de la grossesse peut se transformer en négligences et violences graves qui s’exerceront sur l’enfant dès les premiers mois ou dans les premières années, notion souvent retrouvée quand on étudie les maltraitances familiales.

Deux instances devaient apporter leur approbation à ce dispositif, d’une part la Cour Européenne des Droits de l’Homme, d’autre part le Comité Consultatif National d’Ethique.

En octobre 2002, la grande chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme a donné acte à la France de sa tentative de conciliation entre les intérêts de la mère et de l’enfant. La Cour relève que « les intérêts en présence font apparaître, d’une part le droit à la connaissance de ses origines et l’intérêt vital de l’enfant dans son épanouissement, et d’autre part l’intérêt d’une femme à conserver l’anonymat pour sauvegarder sa santé en accouchant dans des conditions médicales appropriées. Il s’agit de deux intérêts difficilement conciliables concernant deux adultes jouissant chacun de l’autonomie de sa volonté.

De surcroît, il y a lieu de tenir compte de l’intérêt des tiers et de leur protection, essentiellement les parents adoptifs, le père ou le restant de la famille biologique. L’intérêt général est également en jeu dans la mesure où la loi française a pour objectif de protéger la santé de la mère et de l’enfant lors de l’accouchement, d’éviter des avortements, en particulier clandestins, et des abandons sauvages ».

En janvier 2006, le Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé s’est prononcé pour le maintien de la loi du 22 janvier 2002, dans son avis no 90 intitulé « Accès aux origines, anonymat et secret de la
filiation ». Cet avis précise que « les valeurs éthiques qui ont conduit à légiférer ont abouti avec la loi du 22 janvier 2002 qui a créé le CNAOP à un équilibre délicat qu’il est souhaitable de maintenir. Il convient d’attendre un retour d’expériences plus marqué pour proposer des modifications ».

En opposition avec ces avis favorables et en dépit des résultats obtenus par la mise en œuvre du CNAOP, la récente proposition de loi du 28 juin 2006 remet en cause ce dispositif. Certes, la mère pourrait demander le secret de son admission mais elle serait obligée de donner son identité, lors de son accouchement. Pendant la minorité de l’enfant, la communication de l’identité de la mère et, le cas échéant, du père resterait soumise à leur accord. En revanche, à la majorité de l’enfant, la communication serait de droit.

L’Académie nationale de médecine, soucieuse des conséquences éventuelles de cette proposition de loi :

considérant d’une part que la loi actuelle répond aux recommandations qu’elle avait formulées dans un rapport publié en 2000, loi approuvée par ailleurs par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2002 et le Comité Consultatif d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, en 2006, d’autre part que cette loi a permis, grâce à son application par le CNAOP, de trouver le nécessaire équilibre entre le désir légitime des adolescents et adultes de connaître leur origine, le désir non moins légitime du droit à l’anonymat de certaines mères et la protection des nouveau-nés ;

reconnaissant que de grands efforts concernant l’accompagnement des mères et la collecte des données concernant les accouchements avec demande de secret ont été faits ;

estime que, dans les conditions actuelles, un changement de la loi de 2002 pour laquelle on ne possède pas encore le recul indispensable et dont les conséquences sont encore insuffisamment évaluées, serait prématuré et susceptible d’entraîner des effets nocifs.

*

* *

L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 21 novembre 2006, a adopté le texte de ce communiqué à l’unanimité.

* Membre de l’Académie nationale de médecine ** Constitué de : MM. BERCHE, COUTURIER, CRÉMER, LOISANCE (Président), MORNEX, QUENEAU. Auditions de : Madame Toupillier et de Monsieur le Professeur Nicolas (DHOS), Le Professeur Fuentes (Président de la Conférence des Présidents de CME des CHU), Le Professeur Vadrot, Messieurs Jouven (Directeur du Groupe Hospitalier Sud Ardennes) et Le Berre (Directeur du Groupe Hospitalier de Granville-Avranches). 1827 Bull. Acad. Natle Méd. , 2006, 190 , no 8, 1827-1828, séance du 21 novembre 2006 de chacun des services dont les missions sont diverses, l’Académie Nationale de médecine tient à formuler les remarques suivantes : • L’Académie souhaite que l’organisation en pôles : — préserve l’existence des Services , qui sont la base de l’animation d’une discipline médicale et universitaire, — conforte l’autorité et la responsabilité des Chefs de Service : animateurs d’une équipe, ils sont les seuls véritables responsables des soins et de l’activité universitaire. Ils sont les seuls garants de l’identité d’une équipe. Elle s’inquiète donc de la constitution de Pôles très hétérogènes, issus du regroupement de Services aux missions très différentes, qui de facto perdent toute finalité médicale. • L’Académie insiste pour que la mise en place des pôles intervienne avec souplesse et prenne en compte les particularités . Elle émet des réserves sur des décisions hâtives lors de la constitution des pôles. Elle souhaite donc qu’un délai soit accordé pour qu’un vrai dialogue puisse s’instaurer entre médecins et personnels de direction. Ce délai supplémentaire est par ailleurs nécessaire pour que puissent être mis en place les outils indispensables à une véritable gestion. • L’Académie insiste pour que les responsables des pôles disposent de tous les moyens ( autorité sur l’ensemble des personnels et autonomie financière) pour assumer leur mission. • L’Académie souhaite une clarification des responsabilités respectives de la CME, des CCM, du Comité exécutif. Elle s’inquiète aussi de la multiplication des diverses commissions et comités, souvent redondants, qui réduisent le temps disponible aux médecins pour leurs missions premières (soins, enseignement, recherche.). • L’Académie souhaite qu’un effort de communication et de formation soit réalisé au sein de la communauté médicale et des équipes de direction pour que le sens véritable de la réforme soit bien compris. • L’Académie, enfin, estime que, pour être vraiment efficaces, les nouvelles règles de la gouvernance hospitalière soient accompagnées rapidement d’une véritable modernisation de la gestion de l’hôpital. * * * L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 21 novembre 2006, a adopté le texte de ce communiqué (six abstentions). 1828 Bull. Acad. Natle Méd. , 2006, 190 , no 8, 1803-1807, séance du 28 novembre 2006 ou spiritueux), le facteur essentiel à prendre en compte est la quantité d’alcool consommée. Comment dès lors rendre ce seuil intelligible à l’ensemble de la population ? Pour tenter d’y répondre, l’Organisation mondiale de la santé a eu recours à la notion de « verres standard » liée au fait que le volume d’une consommation de boisson alcoolique délivrée dans un lieu public (café ou restaurant) contient environ la même quantité d’alcool. Cette modalité d’expression des messages de prévention en « verres standard » présente cependant de nombreux inconvénients : — la consommation en dehors des lieux publics n’a pas recours à des verres standardisés ; de plus, les verres sont souvent remplis à nouveau avant d’avoir été totalement vidés, empêchant de ce fait tout calcul en verres consommés ; — de nombreuses boissons alcooliques mises sur le marché ont un degré alcoolique différant fortement des normes utilisées pour définir le volume du « verre standard » correspondant (ceci notamment pour certaines bières visant en particulier les jeunes, dont le degré alcoolique est beaucoup plus élevé que celui des bières traditionnelles et qui sont souvent commercialisées en conditionnements « prêt à boire », dont le volume est sans rapport avec celui du « verre standard » correspondant) ; — la notion de « verre standard » n’est pas définie de façon univoque en France et à l’étranger : • En France, les messages de prévention diffusés jusqu’ici se fondent sur un « verre standard » contenant environ 10 grammes d’alcool (soit 7 cl pour un apéritif à 18°, 10 cl pour un vin à 12°, 25 cl pour une bière à 5° et 3 cl pour un spiritueux à 45°). Cependant, les documents préparatoires aux Etats généraux de l’alcool indiquent, de façon surprenante, que la verrerie standardisée de la restauration délivre 12 grammes d’alcool (soit 12 cl de vin à 12,5° ou 4 cl de whisky à 40°). • À l’étranger, le contenu en alcool d’un « verre standard » diffère notablement de pays en pays (7,9 g. en Grande-Bretagne, 12 aux USA, 13,6 au Canada, plus de 20 au Japon). Compte tenu de ces inconvénients, il apparaît nécessaire que les messages de prévention d’une consommation « à risque » fassent appel à la quantité d’alcool consommée (exprimée en « unités alcool » correspondant à 10 grammes) et non en « verres standard ». Pour sa part, l’ étiquetage de tous les conditionnements de boissons alcooliques devrait indiquer, en caractères aisément lisibles, leur contenu en « unités alcool. » A l’heure actuelle, cet étiquetage comporte le volume du contenu ainsi que le volume d’alcool pur présent dans 100 ml. Seul un calcul relativement complexe, faisant intervenir le poids spécifique de l’éthanol, permet d’en 1805 Bull. Acad. Natle Méd. , 2006, 190 , no 8, 1803-1807, séance du 28 novembre 2006 déduire la quantité d’alcool. L’indication du contenu en « unités alcool » permettrait à l’usager de mieux adapter sa consommation aux messages de prévention : — pas plus de 4 unités pour l’usage ponctuel ; — pas plus de 21 unités par semaine, soit 3 par jour en moyenne, chez l’homme — pas plus de 14 unités par semaine, soit 2 par jour en moyenne, chez la femme ; — abstention de toute consommation d’alcool au moins un jour par semaine. À titre d’exemple, l’étiquetage d’une canette de 50 cl de bière à 10° indiquant que son contenu correspond à 4 « unités alcool » permettrait aisément à son consommateur de se rendre compte que cette seule consommation lui fait atteindre le seuil à ne pas dépasser lors d’une consommation ponctuelle. De même, l’indication du contenu en « unités alcool » (accompagnée de préférence d’une échelle graduée en unités pour les conditionnements autres que les prêts-à-boire) faciliterait grandement l’information des sujets consommant plusieurs variétés de boissons au cours d’une occasion ponctuelle ou d’une journée, information que l’étiquetage actuel ne permet guère d’appréhender. L’étiquetage systématique des boissons alcooliques en « unités alcool » permettrait ainsi au consommateur de se situer aisément par rapport au seuil critique qu’il lui est recommandé de ne pas dépasser. Il est cependant nécessaire d’insister sur le fait que ce seuil n’est pas une donnée mathématique adaptée à tout consommateur. Il ne représente, en effet, qu’un compromis entre, d’une part, le plaisir et les éventuels effets bénéfiques d’une consommation « modérée » et, d’autre part, les risques avérés d’une consommation excessive. Il n’est pas adapté à une catégorie importante de situations particulièrement « à risque », pour lesquelles l’abstention de toute consommation alcoolique doit être préconisée. Il en est ainsi notamment de la grossesse, de la conduite automobile, d’un travail sur machine dangereuse ainsi que de la prise de médicament ou autres substances susceptibles de potentialiser les effets de l’alcool. RECOMMANDATIONS L’objectif numéro 1 de la Loi de Santé Publique du 9 août 2004 étant de réduire de 20 % d’ici 2008 la consommation annuelle moyenne d’alcool par habitant, il apparaît indispensable de remplacer, dans les messages de prévention destinés à la population générale, le concept flou de consommation « avec modération » par des donnés quantitatives. 1806 Bull. Acad. Natle Méd. , 2006, 190 , no 8, 1803-1807, séance du 28 novembre 2006 À cet effet, l’Organisation Mondiale de la Santé a établi des recommandations exprimées en « verres standard », la verrerie de la restauration étant standardisée de façon à délivrer la même quantité d’alcool, quelle que soit la nature de la boisson alcoolisée considérée. Cette expression en « verres standard » n’est cependant pas satisfaisante à la fois en raison de l’absence de définition unanimement acceptée de la quantité d’alcool à délivrer dans un « verre standard » et des modalités de la consommation des boissons alcooliques (qui a lieu pour une large part en dehors des restaurants ou cafés.) En conséquence, l’Académie nationale de médecine émet les recommandations suivantes : — En raison de l’imprécision des notions de « consommation avec modération » et de « verres standard » les messages destinés à la population générale devraient exprimer les limites de consommation qu’il est recommandé de ne pas dépasser non en « verres standard » mais en « unités alcool », une unité correspondant à dix grammes d’éthanol. — L’étiquetage de tous les conditionnements de boissons alcooliques devrait donc indiquer systématiquement leur contenu en « unités alcool » et ceci de façon très lisible et quelle que soit la nature de la boisson considérée. * *¨ * L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 28 novembre 2006, a adopté le texte de ce rapport (quatre abstentions). 1807 Bull. Acad. Natle Méd. , 2006, 190 , no 8, 1809-1825, séance du 21 novembre 2006 RAPPORT 06-16 au nom d’un groupe de travail A propos de la proposition de loi no 3224 instaurant un accouchement dans la discrétion * Membre de l’Académie nationale de médecine * Constitué de : MM. ARTHUIS (Président), CRÉPIN, DAVID (Rapporteur), HENRION, JOUANNET, SALLÉ, SUREAU.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 8, 1809-1825, séance du 21 novembre 2006