Rapport
Session of 28 novembre 2006

06-15 Alcool et modération : clarifier l’information du consommateur

MOTS-CLÉS : alcoolisme/prévention et contrôle. boissons alcoolisées. consommation d’alcool. étiquetage produits.. publicité. troubles liés à l’alcool/prévention et contrôle
Alcohol and moderation : clarify the information of the consumer
KEY-WORDS : advertising. alcohol-related disorders/prevention and control. alcohol drinking. alcoholic beverages. alcoholism/prevention and control. product labeling.

Roger Nordmann (au nom de la Commission V-B — Addictions)

Résumé

L’objectif de la loi de santé publique étant de réduire de 20 % d’ici 2008 la consommation annuelle d’alcool par habitant, il apparaît indispensable de remplacer par des données quantitatives le conseil trop flou et trop subjectif de « consommation avec modération ». Il ne donne, en effet, pas d’indication concrète sur la quantité d’alcool maximale à ne pas dépasser, en particulier en cas de consommation de plusieurs alcools différents. Le « verre standard » ne peut être considéré comme un étalon de référence satisfaisant, car il est mal défini et ne correspond qu’à la verrerie de la restauration. En conséquence, l’Académie nationale de médecine recommande d’exprimer, dans les messages de prévention destinés à la population générale, les seuils à ne pas dépasser non en « verres standard », mais en « unités alcool », une unité correspondant à dix grammes d’alcool. Pour permettre au consommateur de se situer aisément par rapport à ces seuils, elle préconise l’indication systématique du contenu en « unités alcool » sur l’étiquetage de tous les conditionnements de boissons alcooliques, et ceci de façon très lisible et quelle que soit la nature de la boisson considérée. Il convient cependant de souligner que la recommandation de ne dépasser en aucun cas les seuils définis dans les messages de prévention ne signifie nullement qu’une consommation inférieure à ces seuils est dénuée de tout risque, notamment dans certaines circonstances et pour certaines catégories de consommateurs.

Summary

In order to reduce mean alcohol consumption by 20 % — an aim defined in French public health legislation — it will be necessary to replace the present concept of ‘‘ drink with moderation ’’ by more explicit, quantitative indications. Indeed, this concept is vague and subjective, giving no concrete indication as to the quantity of alcohol that should never be exceeded. The ‘‘ standard glass ’’ is an unsatisfactory reference, being poorly defined and corresponding only to the glasses used in bars and restaurants. The National Academy of Medicine therefore recommends that prevention messages aimed at the general population should indicate consumption thresholds in ‘‘ units of alcohol ’’ (one unit corresponding to ten grams of ethanol) and no longer in ‘‘ standard glasses ’’. To help the consumer visualize these thresholds, the Academy advocates systematic labeling of all alcoholic beverages with their content in ‘‘ units of alcohol ’’. This labeling should be clearly legible. In addition, recommendations that these thresholds should never be exceeded should not be interpreted as meaning that alcohol consumption at lower levels is risk-free, especially in certain circumstances and certain population subgroups.

La prévention de la consommation excessive d’alcool est l’un des objectifs de la loi de Santé publique du 9 août 2004. Comme le souligne à juste titre le plan gouvernemental alcool 2004- 2008, pour contribuer à cette prévention, il apparaît indispensable de clarifier les limites de la « consommation modérée », notion floue à l’heure actuelle. Ceci est d’autant plus nécessaire que le Conseil de modération et de prévention, créé par décret du 4 octobre 2005, doit siéger à brève échéance.

Alors que la majorité de nos concitoyens pense avoir une attitude « responsable » vis-à-vis de leur consommation d’alcool, qu’ils estiment « modérée », les études épidémiologiques démontrent qu’en plus des sujets alcoolo-dépendants (que l’on dénommait autrefois « alcooliques ») près de trois millions de Français ont une consommation « à risque », alors qu’ils n’en sont le plus souvent pas conscients.

A l’évidence, il serait souhaitable de pouvoir préciser à chaque consommateur la limite au-delà de laquelle l’usage dont il est coutumier devient « à risque ».

Cet idéal n’est hélas pas réalisable à l’heure actuelle, car cette limite varie d’individu à individu en fonction de nombreux facteurs, notamment génétiques, encore mal définis. Il est, de ce fait, impossible de définir un seuil individuel de sécurité totale.

Les messages de prévention doivent donc se satisfaire de recommandations globales, résultant d’enquêtes réalisées sur de très vastes populations.

Celles-ci ont établi que, quelle que soit la boisson considérée (vin, bière, cidre
ou spiritueux), le facteur essentiel à prendre en compte est la quantité d’alcool consommée.

Comment dès lors rendre ce seuil intelligible à l’ensemble de la population ?

Pour tenter d’y répondre, l’Organisation mondiale de la santé a eu recours à la notion de « verres standard » liée au fait que le volume d’une consommation de boisson alcoolique délivrée dans un lieu public (café ou restaurant) contient environ la même quantité d’alcool.

Cette modalité d’expression des messages de prévention en « verres standard » présente cependant de nombreux inconvénients :

— la consommation en dehors des lieux publics n’a pas recours à des verres standardisés ; de plus, les verres sont souvent remplis à nouveau avant d’avoir été totalement vidés, empêchant de ce fait tout calcul en verres consommés ;

— de nombreuses boissons alcooliques mises sur le marché ont un degré alcoolique différant fortement des normes utilisées pour définir le volume du « verre standard » correspondant (ceci notamment pour certaines bières visant en particulier les jeunes, dont le degré alcoolique est beaucoup plus élevé que celui des bières traditionnelles et qui sont souvent commercialisées en conditionnements « prêt à boire », dont le volume est sans rapport avec celui du « verre standard » correspondant) ;

— la notion de « verre standard » n’est pas définie de façon univoque en France et à l’étranger :

• En France, les messages de prévention diffusés jusqu’ici se fondent sur un « verre standard » contenant environ 10 grammes d’alcool (soit 7 cl pour un apéritif à 18°, 10 cl pour un vin à 12°, 25 cl pour une bière à 5° et 3 cl pour un spiritueux à 45°). Cependant, les documents préparatoires aux Etats généraux de l’alcool indiquent, de façon surprenante, que la verrerie standardisée de la restauration délivre 12 grammes d’alcool (soit 12 cl de vin à 12,5° ou 4 cl de whisky à 40°).

• À l’étranger, le contenu en alcool d’un « verre standard » diffère notablement de pays en pays (7,9 g. en Grande-Bretagne, 12 aux USA, 13,6 au Canada, plus de 20 au Japon).

Compte tenu de ces inconvénients, il apparaît nécessaire que les messages de prévention d’une consommation « à risque » fassent appel à la quantité d’alcool consommée (exprimée en « unités alcool » correspondant à 10 grammes) et non en « verres standard ».

Pour sa part, l’ étiquetage de tous les conditionnements de boissons alcooliques devrait indiquer, en caractères aisément lisibles, leur contenu en « unités alcool. » A l’heure actuelle, cet étiquetage comporte le volume du contenu ainsi que le volume d’alcool pur présent dans 100 ml. Seul un calcul relativement complexe, faisant intervenir le poids spécifique de l’éthanol, permet d’en
déduire la quantité d’alcool. L’indication du contenu en « unités alcool » permettrait à l’usager de mieux adapter sa consommation aux messages de prévention :

— pas plus de 4 unités pour l’usage ponctuel ;

— pas plus de 21 unités par semaine, soit 3 par jour en moyenne, chez l’homme — pas plus de 14 unités par semaine, soit 2 par jour en moyenne, chez la femme ;

— abstention de toute consommation d’alcool au moins un jour par semaine.

À titre d’exemple, l’étiquetage d’une canette de 50 cl de bière à 10° indiquant que son contenu correspond à 4 « unités alcool » permettrait aisément à son consommateur de se rendre compte que cette seule consommation lui fait atteindre le seuil à ne pas dépasser lors d’une consommation ponctuelle.

De même, l’indication du contenu en « unités alcool » (accompagnée de préférence d’une échelle graduée en unités pour les conditionnements autres que les prêts-à-boire) faciliterait grandement l’information des sujets consommant plusieurs variétés de boissons au cours d’une occasion ponctuelle ou d’une journée, information que l’étiquetage actuel ne permet guère d’appré- hender.

L’étiquetage systématique des boissons alcooliques en « unités alcool » permettrait ainsi au consommateur de se situer aisément par rapport au seuil critique qu’il lui est recommandé de ne pas dépasser. Il est cependant nécessaire d’insister sur le fait que ce seuil n’est pas une donnée mathématique adaptée à tout consommateur. Il ne représente, en effet, qu’un compromis entre, d’une part, le plaisir et les éventuels effets bénéfiques d’une consommation « modérée » et, d’autre part, les risques avérés d’une consommation excessive. Il n’est pas adapté à une catégorie importante de situations particulièrement « à risque », pour lesquelles l’abstention de toute consommation alcoolique doit être préconisée. Il en est ainsi notamment de la grossesse, de la conduite automobile, d’un travail sur machine dangereuse ainsi que de la prise de médicament ou autres substances susceptibles de potentialiser les effets de l’alcool.

RECOMMANDATIONS

L’objectif numéro 1 de la Loi de Santé Publique du 9 août 2004 étant de réduire de 20 % d’ici 2008 la consommation annuelle moyenne d’alcool par habitant, il apparaît indispensable de remplacer, dans les messages de prévention destinés à la population générale, le concept flou de consommation « avec modération » par des donnés quantitatives.

À cet effet, l’Organisation Mondiale de la Santé a établi des recommandations exprimées en « verres standard », la verrerie de la restauration étant standardisée de façon à délivrer la même quantité d’alcool, quelle que soit la nature de la boisson alcoolisée considérée.

Cette expression en « verres standard » n’est cependant pas satisfaisante à la fois en raison de l’absence de définition unanimement acceptée de la quantité d’alcool à délivrer dans un « verre standard » et des modalités de la consommation des boissons alcooliques (qui a lieu pour une large part en dehors des restaurants ou cafés.) En conséquence, l’Académie nationale de médecine émet les recommandations suivantes :

— En raison de l’imprécision des notions de « consommation avec modération » et de « verres standard » les messages destinés à la population générale devraient exprimer les limites de consommation qu’il est recommandé de ne pas dépasser non en « verres standard » mais en « unités alcool », une unité correspondant à dix grammes d’éthanol.

— L’étiquetage de tous les conditionnements de boissons alcooliques devrait donc indiquer systématiquement leur contenu en « unités alcool » et ceci de façon très lisible et quelle que soit la nature de la boisson considérée.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 28 novembre 2006, a adopté le texte de ce rapport (quatre abstentions).

* Membre de l’Académie nationale de médecine, Président de la Commission « Addictions »

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 8, 1803-1807, séance du 28 novembre 2006