Communication scientifique
Séance du 6 mars 2001

Évolution des techniques d’isolement et d’identification des virus des eaux

MOTS-CLÉS : clonage humain.. microbiologie eau. pollution eau
Evolution of concentration and typing methods of waterborne viruses
KEY-WORDS : cloning, organism.. water microbiology. water pollution

R. Vilaginès

Résumé

Si la présence de virus dans les eaux date de la haute antiquité, comme en témoignent des œuvres d’art égyptiennes révélant des atteintes de poliomyélite dès le XIVe siècle avant J-C., ce n’est que depuis quatre décennies seulement qu’ont été mises au point les méthodes nécessaires à leur isolement et à leur identification. Parmi les méthodes mises en œuvre c’est la méthode d’adsorption-élution qui a donné les meilleurs résultats. Deux importants écueils ont dû être évités concernant, dans un premier temps, l’étape de concentration sur divers matériaux dont les rendements ont dû être progressivement améliorés. Dans un second temps l’identification des virus isolés a dû également être améliorée par mise au point de typages, non plus particule par particule, mais par populations entières. Malgré ces avancées, seules quelques familles de virus susceptibles de provoquer un effet cytopathogène en cultures cellulaires ont pu être recensées. La méthode de la RT.PCR, beaucoup plus sensible, permet actuellement d’identifier les acides nucléiques (ou leurs fragments) de pratiquement tous les virus, cytopathogènes ou non. Des pourcentages élevés d’échantillons d’eaux réputées potables se sont révélés positifs. Cependant, la signification sanitaire de ces chiffres reste encore à démontrer.

Summary

The paralytic potential of the poliovirus was recognized as early as the 14 th century B.C. as illustrated in Egyptian art. But it is only after the four last decades that methods for their concentration from water and their identification were performed. Among several of them the adsorption-elution method was retained. Nevertheless two important barriers had to be ran-over. The first one was the concentration-elution steps on different materials which had to be improved. The second one was the typing method which had to move from particle by particle identification to entire viral population. Despite of these advances only a few cytopathogenic serotypes were found. The reverse transcriptase-polymerase chain reaction with its far more wide spectrum allows the fast and direct identification of viral nucleic acids (or their fragments) of almost all viruses, cytopathogenic or not. With this method elevated amounts of drinking water samples were found positive for several non cytopathogenic viruses. The sanitary significance of these results has still to be proved.

INTRODUCTION

La Seine, à débit moyen, charrie au niveau du pont de l’Alma quelque 30 000 enté- rovirus cytopathogènes par seconde. Leur nombre, déterminé par la méthode de la « transcriptase inverse — polymérisation en chaîne » (RT-PCR des anglo-saxons) est estimé à environ 100 fois plus, soit 3 millions par seconde, nonobstant les virus d’autres familles comme, par exemple, les adénovirus, les rotavirus ou encore le virus de l’hépatite A. Sachant que tous les fleuves et rivières du monde, à quelques rares exceptions près, en contiennent des quantités équivalentes, on se trouve devant une pollution planétaire majeure, méconnue la plupart du temps par le public et négligée par l’autorité sanitaire.

Ce n’est qu’après une longue quête allant de la récupération des virus des eaux à leur typage que nous disposons enfin, aujourd’hui, des outils indispensables à la mise en œuvre d’une épidémiologie des maladies à virus d’origine hydrique digne de ce nom.

CONCENTRATION DES VIRUS HYDRIQUES

La centrifugation n’ayant pas donné de bons résultats, c’est la technique de l’adsorption-élution qui a été retenue.

Adsorption-élution sur plusieurs matériaux

Les virus sont retenus par filtrations effectuées soit sur membranes filtrantes pour les faibles volumes, soit sur des filtres de type cartouches pour les gros volumes.

Filtration sur membranes

En ce qui concerne la filtration sur membrane (0,2 µm) le volume maximum pouvant être filtré est de 1 à 2 litres à condition cependant que ces eaux aient, au moins, la qualité des eaux de distribution publique.

Le principe de la méthode consiste en une filtration de l’échantillon suivie de la désorption des virus adsorbés sur les filtres par un faible volume de tampon que l’on inocule ensuite à des cellules en cultures.

FIG. 1 — Évolution de la charge électrique d’un entérovirus en fonction du pH.

Dans un premier temps on a constaté que le rendement de la désorption était proportionnel à la quantité de virus présents dans l’échantillon. Ce phénomène est lié au fait qu’une membrane filtrante possède un nombre donné de sites de fixation électrostatique irréversible pour les virus en sorte que lorsque le nombre de virus filtrés est inférieur au nombre de sites, la désorption et le rendement sont nuls.

Lorsque le nombre de virus filtrés est supérieur au nombre de sites, le rendement de désorption augmente proportionnellement au nombre de virus présents dans l’échantillon.

Les virus étant amphotères, la solution à ce problème est que leur désorption doit être favorisée par intervention au niveau des charges électrostatiques du virus lui-même en les rendant de même signe que celles de la membrane filtrante, de façon à ce qu’elle repousse les particules virales. Ceci s’obtient en changeant le pH du milieu de désorption [14, 2].

En raison de sa structure protéique, le virus (Fig. 1) possède à la fois une fonction acide — COOH et une fonction amine — NH :

2 — à pH acide le virus est chargé positivement, l’excédent de protons réagissant avec le groupement amine hydrolysé pour former de l’eau, conduit à l’apparition de la charge positive du groupement NH + ;

3 — de même à pH alcalin le virus est chargé négativement, l’excédent d’hydroxyles formant de l’eau avec le proton H+ du groupement acide conduit à l’apparition de la charge négative du groupement COO— ;

FIG. 2 — Filtration sur cartouches.

— à pH neutre : le virus se comporte comme un zwitterion et possède les 2 types de charges.

On choisira donc un pH d’adsorption et de désorption en fonction de la polarité de la membrane utilisée.

Malgré ces avancées deux inconvénients persistaient : le rendement restait faible (15 %) pour des suspensions virales peu concentrées et des problèmes de colmatage demeuraient, même avec une eau de qualité correspondant à celle des eaux de distribution publique.

Un grand progrès a été réalisé avec la mise en œuvre de la filtration sur cartouches qui n’est autre que l’adaptation du principe précédent aux grands volumes. La méthodologie proposée initialement [9] consiste en la filtration d’échantillons d’eau de 500 litres à 1 m3 sur une série de cartouches filtrantes de 1 litre (Fig. 2) :

— les deux premières sont composées de matériaux électriquement neutres, nylon ou orlon, destinés à éliminer les matières en suspension. L’eau clarifiée est ensuite acidifiée à pH 3,5 en continu par addition de HCl 0,1 N. Le pH est contrôlé par une électrode de verre. Les virus se chargent donc positivement.

L’eau passe ensuite sur une 3ème cartouche en fibre de verre chargée négativement par nature, ce qui permet l’adsorption des virus ;

— l’élution est réalisée par 1 litre de tampon alcalin : le virus prend ainsi une charge négative ce qui permet sa désorption de la cartouche en fibre de verre, toujours chargée négativement.

Mais l’inoculation à des cellules en culture d’un volume aussi grand qu’un litre nécessiterait 1 000 boîtes de Pétri de cultures cellulaires. Il faut donc reconcentrer à nouveau. A cet effet le tampon alcalin contenant les virus est réacidifié à pH 3,5 par une solution de HCl 0,1 N et refiltré sur une membrane en fibre de verre, qui est à son tour éluée par 10 ml d’un tampon alcalin. L’éluat est ensuite inoculé à une dizaine de boîtes de Pétri seulement.

Dans ces conditions, les rendements atteignent de 45 % à 65 % et il est possible de filtrer sur le terrain d’importants volumes d’eau permettant un excellent échantillonnage.

Cette méthode présentait cependant quelques inconvénients. En effet, un certain nombre de virus adsorbés sur les matières en suspension de l’eau étaient retenus au niveau des préfiltres, et, en outre, les particules virales subissaient un double choc acide qui détruisait nombre d’entre elles. De plus, le prix de revient d’une concentration s’élevait à environ 13 000 francs.

Devant l’impossibilité de faire face à de telles exigences financières nous avons dû faire preuve d’imagination et mettre au point des techniques de concentration des virus des eaux bien moins onéreuses.

Adsorption sur lits fluidisés

Le principe d’adsorption-élution, qui reste le même, est appliqué cette fois à des microbilles de verre (100 µm) chargées négativement [8].

L’appareil est constitué d’un réservoir suivi d’une colonne en pyrex disposant à son extrémité d’une chambre d’expansion sphérique, le tout surmonté d’une burette inversée munie d’une tubulure d’évacuation.

La poudre de verre est introduite dans le flacon et placée sous agitation magnétique.

L’échantillon d’eau est préalablement acidifié, ce qui donne aux virus une charge positive.

L’eau à tester acidifiée, envoyée par la tubulure, entraîne la poudre de verre qui se met en suspension.

Lorsqu’elle arrive dans la chambre d’expansion, la vitesse ascensionnelle de l’eau diminue jusqu’à contrebalancer l’accélération de la pesanteur appliquée aux micro-

FIG. 3 — Filtration sur poudre de verre d’échantillons d’eau de 500 l à 1 m3.

billes créant ainsi un « lit fluidisé » de particules à travers lequel l’eau à tester passe en continu. Elle est ensuite éliminée dans la partie supérieure de l’appareil par la tubulure prévue à cet effet.

Quand toute l’eau est passée, l’appareil est inversé et la poudre sédimente dans la burette située, à l’origine, dans la partie supérieure de l’appareil.

Il suffit ensuite d’éluer le virus adsorbé sur les billes de verre à l’aide d’une solution alcaline de glycine colorée au rouge de phénol pour visualiser l’élution.

Les principaux intérêts de cet appareil sont que, pour un rendement (45 à 65 %), et une absence de colmatage équivalents à l’appareillage complexe mettant en œuvre des cartouches, il ne coûte que de l’ordre de 500 francs et, à la limite, les microbilles de verre sont réutilisables indéfiniment.

Cet appareil devait néanmoins atteindre rapidement ses limites. En effet les échantillons de 10 à 20 litres qu’il était susceptible de traiter étaient suffisants pour des eaux riches en virus comme les eaux résiduaires, mais se sont avérés insuffisants pour des eaux plus pauvres comme, par exemple, des eaux de rivière. Il devenait donc nécessaire d’augmenter le volume des échantillons.

Une nouvelle génération d’appareil a donc été créée faisant appel à une nouvelle géométrie [10] en forme de cône (Fig. 3). Ils peuvent traiter entre 500 litres et 1 m3 d’eau. Cependant un nouveau problème survenait. En effet, un échantillon de 1 m3 est malcommode à véhiculer et à manutentionner. Par ailleurs, demeurait l’inconvénient pour la viabilité des virus des chocs de pH acide puis alcalin qu’on leur infligeait.

FIG. 4 — Schéma de filtration sur cartouche et différents modèles de cartouches.

Une nouvelle et dernière méthode a donc été mise au point. Elle fait appel à de la laine de verre en cartouches.

Adsorption sur laine de verre

Le principe est toujours celui de l’adsorption-élution mais la fixation s’effectue sans acidification et l’élution à pH alcalin s’effectue en présence de protéines (extrait de bœuf) [4] protégeant le virus. Il n’y a donc plus de choc de pH, ce qui conduit à un rendement de 74 % [12].

D’autre part, sur le plan pratique, on évite le transport de grands volumes d’eau ; il n’est en outre plus nécessaire de surveiller l’appareil en raison de l’absence d’acidification en continu et les échantillons d’eau testés sont de volume illimité.

Ces cartouches peuvent être branchées sur le robinet puis récupérées plusieurs heures après. Il semble donc qu’après plus de 25 ans de recherche nous disposions enfin d’une méthode quasi idéale pour la récupération des virus hydriques poussant sur cultures cellulaires. Ce qui n’est pas le cas, malheureusement, de tous les virus susceptibles de se trouver dans l’eau.

L’originalité de cette dernière technique est double. D’une part, à la différence d’autres méthodes, elle n’introduit aucune modification préalable de l’échantillon et, d’autre part, le faible coût de la laine de verre (de l’ordre de 5 francs pour l’analyse de 100 litres d’eau) a permis son développement non seulement dans 8 pays industrialisés mais aussi, cela mérite d’être souligné, dans 5 pays à faible pouvoir d’achat.

Identification des virus isolés

Le cap de la concentration franchi nous nous sommes heurtés à un second problème.

En effet, si la quantification des virus recueillis par la méthode des plages [1] ne
posait pas de problème il n’en allait pas de même pour leur typage. En effet, la technique classique de typage implique que chaque plage soit clonée, cultivée sur culture cellulaire et titrée. Des aliquotes de cent particules virales sont ensuite isolées et identifiées à l’aide d’anticorps spécifiques.

Sans entrer dans le détail il faut savoir que, pour un seul virus cloné de la suspension virale concentrée à partir de l’eau, ce travail demande 7 jours, consomme 50 boîtes de Pétri et 10 tubes de cultures cellulaires par virus. C’est donc un véritable travail de bénédictin qui a néanmoins été fait jusqu’à présent par les laboratoires de virologie des eaux, qui ont pu constater que la quasi totalité des eaux de notre planète étaient contaminées par des virus, et en particulier par des poliovirus.

En conclusion, la technique, de typage classique de part sa lourdeur, ne permettait que d’effectuer, au mieux, une dizaine de typage par jour alors que certains concentrats, effectués à partir d’eaux de rivières ou résiduaires pouvaient contenir jusqu’à 800 000 particules. C’est pourquoi nous avons été amenés à mettre au point 2 techniques de typage non plus individu par individu mais par populations entières.

TYPAGES PAR POPULATIONS VIRALES

Ils sont de deux types : typage sur colonnes d’anticorps et clonage par répliques.

Typage sur colonnes d’anticorps

Une première démarche a consisté à diviser l’ensemble de la population en plusieurs lots et à faire passer chaque lot sur quatre colonnes de Sephadex où, sur trois d’entre elles, sont fixés des anticorps spécifiques Anti-Poliovirus 1, Anti-Poliovirus 2, Anti-Poliovirus 3. Après une heure d’incubation à 37° C, les colonnes sont éluées.

Les virus correspondants aux anticorps présents dans la colonne restent donc fixés sur celles-ci et les autres, élués dans l’effluent, sont comptés par titrage.

La comparaison des titres obtenus (Fig. 5) à la sortie des différentes colonnes permet de connaître exactement, par différence, non seulement le type, mais aussi le nombre de particules virales restées fixées.

Bien que cette méthode se soit révélée parfaitement quantitative et dotée d’une bonne répétabilité, (résultats non publiés) nous avons dû l’abandonner en raison non seulement d’une mise en œuvre délicate, mais aussi du fait que nombre de concentrats d’eaux de rivière, généralement assez chargés en matières en suspension, colmataient les colonnes.

Clonage par répliques

Nous nous sommes donc finalement orientés vers une méthode beaucoup plus simple à mettre en œuvre. Sachant que les virus peuvent induire des plages de lyse

FIG. 5 — Numération et typage simultanés sur colonnes de Sephadex contenant des anticorps anti-poliovirus 1, 2 et 3.

dans des cultures cellulaires, nous avons pensé que ces plages, issues de la mise en culture de concentrats d’eau, pouvaient à l’instar de la technique de replicas en bactériologie [5], être repiquées à l’aide d’une aiguille dans une autre boîte de Pétri contenant des cellules en culture recouvertes d’une couche de gélose contenant des anticorps.

Ce court-circuit permet donc de limiter à une seule étape, particulièrement rapide et simple, le typage des virus.

La technique du transfert réalisée, nous nous sommes ensuite attachés à son application en hydrologie, à savoir la possibilité offerte, pour la première fois, d’effectuer en une seule étape : le clonage, l’identification et la numération de populations virales mélangées comme celles issues de l’environnement [11].

Tout d’abord nous avons vérifié la faisabilité de la séroneutralisation des virus transférés (Fig. 6) en transférant les trois types de poliovirus dans une boîte de Pétri ne contenant pas d’anticorps et les résultats du même transfert sur des boîtes contenant des anticorps anti-poliovirus contre les types 1, type 2, type 3 ; types 1 + 2 ; 1 + 3 et finalement contre les types 2 et 3.

FIG. 6 — Transfert par piqûres de plages de poliovirus types 1, 2 et 3 dans des cultures cellulaires en boîtes de Pétri, recouvertes de géloses contenant ou non des anticorps anti-poliovirus 1, 2 et 3.

Ces résultats concluants appliqués à la pratique courante permettent donc de compter et d’identifier simultanément les différentes populations virales contenues dans la boîte de Pétri originelle (Fig. 7).

A cet effet les plages à transférer sont tout d’abord relevées sur un calque puis transférées simultanément sur plusieurs boîtes de Pétri contenant différents anticorps. Il est donc facile, par simple différence, de compter et typer les différents virus présents dans la population virale d’origine.

FIG. 7 — Répliques de plages issues d’un concentrat d’eau de rivière dans des cultures cellulaires recouvertes de géloses contenant des anticorps anti-poliomylitiques 1, 2 et 3.

CONCLUSION

Malgré les progrès réalisés dans le domaine de la mise en évidence des virus des eaux, de très importantes zones d’ombre demeurent. En effet, si l’on sait que 98 % des virus isolés à partir d’eaux de surface sont des entérovirus, il faut noter que plus de 100 sérotypes ont été détectés dans des matières fécales humaines [6]. Les poliovirus issus du vaccin buccal sont donc loin d’être les seuls en cause.

Il faut également noter que les familles, les types et les quantités de virus qui peuvent être détectés, dépendent non seulement de leur cytopathogénicité mais aussi de la nature des cellules utilisées comme de la méthode de mise en œuvre (milieu liquide, plages, immunofluorescence…). Dans le meilleur des cas, cette vision de la seule partie émergée de l’iceberg ne permet guère, faute d’études épidémiologiques associées, de se faire une idée précise de l’impact des virus hydriques sur la santé publique. Les seuls exemples concrets l’ont été à la suite de pénétrations accidentelles d’eaux usées dans des stations de pompage d’eau potable ayant notamment conduit, en 1977 dans la région de Melun et en 1981 dans la région de Versailles [13], à plusieurs milliers de cas de gastroentérites dus à des rotavirus.

L’application de nos méthodes aux eaux de Seine et Marne a montré une importante régression des virus dans les eaux des deux cours d’eau. En effet en 4 années, de 1988 à 1993, tous les prélèvements (301) se sont révélés positifs à une concentration moyenne de 1 UFP pour 10 litres, avec une prédominance des entérovirus (83 % et 92,2 % respectivement en Seine et en Marne) loin devant les adénovirus (12 % et 5,4 %) et les réovirus (5 % et 2,4 %). Leur concentration est tombée à 1 pour 20 litres de 1992 à 1995 pour n’atteindre en 1999, avec seulement 7 % d’échantillons positifs, une concentration moyenne de 1 virus pour 200 litres.

Ce phénomène pourrait être la sommation de plusieurs événements :

— application de la recommandation de 1982 de la Direction Générale de la Santé (DGS) d’utiliser le vaccin poliomyélitique injectable sur le constat de quelques cas de paralysies post-vaccinales après administration per os de vaccin atténué chez des sujets immunodéprimés ou contacts de sujets vaccinés. Dans la continuité de la recommandation de la DGS le calendrier vaccinal 2000 dispose, comme ses prédécesseurs, que le vaccin poliomyélitique injectable est recommandé pour les primo-vaccinations et les rappels, le vaccin poliomyélitique oral étant réservé uniquement aux situations épidémiques ;

— la création en 1987 et son renforcement en 1992 de la station d’épuration d’eaux usées de Valenton sur la Seine. Le renforcement en 1995-1996 du traitement de la station d’épuration d’eaux usées de Noisy le Grand sur la Marne ;

— finalement on peut, mais à un degré moindre, prendre en compte la généralisation progressive des couches-culottes jetables pour bébés au cours des 30 derniè- res années.

La mise en œuvre de la technique de la transcriptase inverse-polymérisation en chaîne, de mise en œuvre beaucoup plus simple que la méthode faisant appel à l’effet cytopathogène, à récemment révélé [3] la présence de virus dans 23 % des 224 échantillons d’eau potable testés. Des entérovirus ont été détectés dans 17 % des échantillons, des adénovirus dans 4 % et le virus de l’hépatite A dans 3 %. Précé- demment, une technique équivalente avait déjà révélé la présence du virus de l’hépatite A dans des eaux de Seine et dans des eaux de distribution publique [7].

Ces résultats, apparemment inquiétants, doivent être considérés avec beaucoup de recul. En effet, rien ne prouve que les virus détectés étaient effectivement des particules virales infectantes (virions). Il s’agit plus vraisemblablement de fragments d’acides nucléiques viraux.

Bien que la signification sanitaire de ces chiffres reste encore à démontrer par des études complémentaires, il n’en demeure pas moins que l’extraordinaire capacité de détection de la RT-PCR, qui permet d’identifier les acides nucléiques (ou leurs fragments) de virus ne provoquant pas d’effet cytopathogène en cultures cellulaires, devrait permettre, à terme, une meilleure connaissance de l’impact des maladies virales d’origine hydrique sur la Santé Publique.

Dans l’immédiat, cette technique qui ne s’est développée que depuis 5 ans environ rend déjà, par sa rapidité de réponse (24 h) des services remarquables en ce qui concerne le diagnostic des maladies virales en milieu hospitalier.

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[14] WALLIS C., MELNICK J.L. — Concentration of enteroviruses on membranes filters. J. Virol ., 1977, 1 , 472-477.

DISCUSSION

M. Henri LECLERC

Les infections d’origine hydrique ont changé de nature. Elles sont en effet, actuellement, beaucoup plus d’ordre viral ou parasitaire que bactérienne. Les raisons de cette évolution tiennent aux doses infectieuses des virus entériques, beaucoup plus faibles que celles des bactéries à la résistance des virus, à la désinfection, au contrôle bactériologique qui utilise des indicateurs bactériens, ceux-ci ne pouvant garantir le comportement des virus. La contamination des eaux d’alimentation à faible taux par les virus ne pourrait-elle pas induire un risque infectieux endémique, ce qui paraît beaucoup plus difficile à contrôler ? Récemment, une étude réalisée en Suisse fait état de la contamination virale de 33 % des eaux minérales embouteillées. Cette fréquence de contamination ne met-elle pas en cause la méthode d’investigation moléculaire ou leur interprétation, en l’absence de cas infectieux observés ?

Il est tout à fait possible que les virus soient à l’origine de risques infectieux endémiques.

Je pense, en effet, que la mise en place d’un suivi épidémiologique sérieux serait à même de pouvoir répondre à cette interrogation. En ce qui concerne la contamination de 33 % des eaux minérales embouteillées en Suisse on peut effectivement penser que la méthode d’investigation moléculaire mise en œuvre permet la détection des fragments d’acides nucléïques non infectieux. Comme indiqué précédemment, des études complémentaires sont nécessaires pour faire la relation entre infectiosité et amplification génique.

M. Léon LE MINOR

Quel est le devenir des virus des eaux dans les usines de potabilisation ? Quel avenir peut-on imaginer pour la RT-PCR ? Peut-on envisager une transmission hydrique pour la fièvre aphteuse ?

Les traitements pratiqués dans les établissements de potabilisation modernes comportent, généralement, plusieurs étapes conduisant à l’élimination des virus : floculation
décantation, qui en éliminent déjà de l’ordre de 99,9 %, filtration sur charbon actif, ozonation et chloration finale. La probabilité de passage de virus dans les eaux de distribution publique est donc quasiment nulle. L’apparition des nouveaux appareillages de laboratoire va d’ores et déjà permettre de faire passer les cadences analytiques de 3 par jour à 32 toutes les 3 heures. D’autre part, des études sont en cours pour être à même d’amplifier la partie médiane du génome en plus de l’extrémité 5′ non codante de celui-ci.

Il est vraisemblable que, dans ces conditions, on soit à même de détecter des fragments d’ARN effectivement infectieux. La contamination des eaux par le virus aphteux et son transport par voie hydrique sont tout à fait possibles. Il s’agit d’un picornaviridae du genre aphtovirus dont le comportement est équivalent à celui du poliovirus. Il peut être introduit dans les eaux de surface par la salive et/ou les pieds ulcérés d’onguligrades à sabots fendus. En ce qui concerne les eaux de distribution publique, son éradication est assurée par les traitements visés ci-dessus.

M. Michel ARTHUIS

Je voudrais savoir si ce sont les virus polio sauvages qui prédominent et la place qui revient au vaccin vivant atténué per os, type SABIN ?

A ma connaissance, on ne trouve plus de virus polio sauvages dans les eaux de surface. De même on ne peut pas dire qu’on y retrouve des quantités importantes de virus issus du vaccin atténué du type Sabin. En effet, nos travaux ont montré que, globalement, les entérovirus dans les eaux ont nettement diminué depuis 1993 et l’on pense que la recommandation de la Direction Générale de la Santé de 1982 de ne plus utiliser le vaccin per os y certainement pour quelque chose. Cela dit, nous n’avons pas déterminé la place des virus est des vaccins type Sabin par rapport aux autres entérovirus.

M. Jacques EUZÉBY

Les amibes telluriennes peuvent-elles véhiculer des virus, comme elles le font des bactéries, telles que legionnella et autres ?

Nous avons pu montrer que les trophozoïdes d’Acanthamoeba castellanii n’adsorbent ni le poliovirus type 1 ni le virus de la stomatite vésiculeuse serotype Indiana. Après enkystement dans un milieu contenant respectivement 5.4.108 et 3.108 particules virales/ml, les kystes obtenus ne renferment pas de virus. Ces données sont en contradiction avec l’hypothèse selon laquelle les amibes libres de l’eau pourraient jouer le rôle de vecteur pour les virus animaux.


* Centre de Recherche et de Contrôle des Eaux de la Ville de Paris, 144-156, avenue Paul Vaillant Couturier — 75014 Paris. Tirés-à-part : Professeur Roland VILAGINÈS, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 15 septembre 2000, accepté le 16 octobre 2000.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 3, 495-508, séance du 6 mars 2001