Communiqué
Séance du 8 mars 2011

À propos de l’accouchement dans le secret

MOTS-CLÉS : confidentialité. enfant abandonné.. parturition

Roger HENRION *

Communiquéconfidentialité, enfant abandonné., parturitionRoger Henrion

Roger HENRION *

À l’occasion de la parution du rapport de la mission parlementaire récemment remis au Premier Ministre par son rapporteur, Madame Brigitte Barèges [1], sur l’accouchement dans le secret qui préconise, entre autres, de supprimer la possibilité pour une femme d’accoucher dans l’anonymat, accouchement dit sous X, tout en maintenant la possibilité d’accoucher dans le secret, l’Académie nationale de médecine confirme sa position déjà émise à deux reprises en 2000 ( Bull. Acad. Natle Med ., 2000, 184 , 815-821) et 2006 ( Bull. Acad. Natle

Méd ., 2006, 190 , 1809-1825).

 

Elle réitère son opposition formelle à la possibilité de lever l’anonymat et en rappelle les raisons.

Sans sous-estimer aucunement l’importance pour tout être humain de connaî- tre ses origines, exigence naturelle dont l’absence peut être source de très grande souffrance psychologique, l’Académie nationale de médecine demande que la question soit considérée dans sa globalité et ses aspects les plus concrets sans se limiter au seul aspect psychologique des adultes à la recherche de leur origine.

La mise en cause de l’anonymat serait lourde de conséquences en compromettant la confiance des femmes en grande difficulté, leur faisant fuir les maternités et les services sociaux avec les risques que cela comporte pour les mères, les nourrissons et les enfants.

— Les mères qui recourent à l’accouchement sous X sont souvent jeunes et célibataires, sans aucun contact avec le père. Découvrant trop tardivement leur grossesse pour l’interrompre ou se préparer à être mère et accepter l’enfant, elles sont en règle générale dans une grande solitude affective et une extrême détresse où se mêlent difficultés sociales, psychologiques et économiques. Un rapport de 2009 au Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Service du Droits des Femmes et une étude de 2010 de l’Institut national d’études démographiques, effectuée pour le Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) sont à ce propos éclairants.

— Les grossesses, non détectées par l’entourage, sont peu ou mal suivies, voire non suivies, ce qui peut provoquer des retards de croissance in utero, des accouchements prématurés, des hypoxies ou anoxies fœtales, à l’origine d’éventuelles séquelles psychomotrices. Nombre de ces accouchements se font dans la clandestinité, dans les pires conditions, avec les risques de déchirures graves du périnée, d’hémorragies de la délivrance, de rétentions placentaires et d’infections sévères, hémorragies et infections pouvant entraîner l’ablation de l’utérus.

— À ces accouchements dans la clandestinité succèdent des abandons dans des lieux variés et des conditions précaires. Au mieux, l’enfant est recueilli dans un état d’hypothermie. Au pire, il est retrouvé mort et la mère risque fort d’être condamnée pour infanticide.

— À ces abandons s’ajoutent les infanticides dont le nombre est malheureusement impossible à connaître, dissimulé dans les statistiques des homicides de mineurs de moins de 15 ans, ce qui laisse libre cours à toutes les interprétations. Les femmes acculées au désespoir, affolées ou déniant leur état de grossesse, laissent sans soin, étranglent, asphyxient ou noient leurs nouveaux nés qui sont retrouvés dans des sacs poubelles, des videordures, des toilettes, voire des déchetteries. D’après une étude d’Anne Tursz, datant de 2005, le nombre de ces infanticides serait sous-évalué.

Leur importance et leur accroissement en cas de levée de l’anonymat sont niés par ceux qui prônent la levée de l’anonymat, ce qui ne manque pas de laisser sceptique si l’on considère que plusieurs pays européens (Allemagne, Autriche, Suisse, Belgique, Italie, république Tchèque) ont eu recours à des équivalents des « tours d’abandon du Moyen Âge » pour pallier ces drames, solution qui ne protège ni la mère, ni l’enfant.

— La loi contribue également à diminuer le nombre des abandons trop longtemps différés, source de placements successifs, dont la nocivité est soulignée par les pédopsychiatres. Les enfant nés sous X ont au moins l’avantage d’être d’emblée placés dans la situation juridique de pupilles de l’État et de trouver plus rapidement une famille d’adoption et un foyer stable.

— Si la femme se sent contrainte de garder l’enfant, le déni de grossesse peut se transformer en négligences ou violences graves, notion fréquemment retrouvée quand on étudie les maltraitances familiales.

— Non seulement la loi actuelle protège l’enfant sans pour autant nier ses attentes, mais elle préserve la liberté de décision de la femme et le choix de son avenir. Il est difficile d’imaginer ce que sera la vie d’une femme qui, pendant 18 ans, vivra avec l’anxiété d’une éventuelle découverte de son secret.

D’autre part, il est évident qu’en ces temps où l’adoption d’enfants nés en France a considérablement diminué et où l’on cherche à améliorer les conditions de l’adoption, la disparition programmée de l’anonymat — à plus forte raison si une autre mesure proposée, la possibilité pour la mère de naissance de déposer auprès du CNAOP une demande de recherche de l’enfant dont elle a accouché devait être retenue — pourrait être à l’origine d’une réticence de plus en plus marquée des familles désirant adopter et favoriser l’adoption internationale. Les familles qui adopteront dans ces conditions devront en effet savoir que l’enfant pourra, lorsqu’il aura 18 ans, rechercher sa famille d’origine et que les mères de naissance pourraient également rechercher leur enfant.

Doit-on rappeler que la loi instaurant le CNAOP :

— a été votée, à l’unanimité par l’Assemblée nationale en janvier 2002 ;

— a reçu un avis favorable de la grande chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a donné acte à la France de sa tentative de conciliation entre les intérêts de la mère et de l’enfant, en audience publique, le 9 octobre 2002. Selon la Cour : « la législation française tente ainsi d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisants entre les intérêts en cause » ;

— a reçu un avis favorable du Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé qui s’est prononcé, en 2006, dans son avis no 90, pour le maintien de la loi, considérant qu’elle respectait un équilibre délicat.

Doit-on, dans ces conditions, modifier une loi équilibrée qui ne concernerait environ que 1,5 % des personnes nées dans le secret [1] ?

En revanche, l’Académie nationale de médecine approuve pleinement :

— le maintien du CNAOP et toute mesure destinée à lui donner les moyens d’accomplir au mieux ses difficiles missions, notamment au plan humain ;

— l’amélioration de l’accompagnement des mères avant et au moment de la naissance ainsi que l’amélioration de l’accueil à la maternité, souvent déterminants pour la décision qu’elles prendront ;

— l’amélioration du contenu du dossier des enfants.

L’Académie demande instamment que soit établie la possibilité d’isoler les infanticides précoces parmi les infanticides de moins de 15 ans afin d’avoir des données fiables sur leur nombre évitant toute interprétation tendancieuse.

Il serait souhaitable que la législation concernant ce sujet crucial cesse de fluctuer au gré des changements de responsables politiques entretenant chez les mères un climat d’insécurité propre à les faire fuir ou à s’enfermer dans le secret, là où la confiance et la sérénité seraient éminemment nécessaires pour un bon accompagnement.

 

BIBLIOGRAPHIE [1] BARRÈGES B. — Rapport de la mission parlementaire sur l’accouchement dans le secret, 12 novembre 2010, La Documentation Française 2010.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 8 mars 2011, a adopté le texte de ce communiqué à l’unanimité.

 

* Membre de l’Académie nationale de médecine

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 3, 729-732, séance du 8 mars 2011