Rapport
Séance du 27 février 2007

07-08 Sur la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence, l’eau du captage « Chevalley », après transport à distance et après mélange sous le nom de « Victoria », l’eau des captages « Reine Hortense » et « Chevalley » situés sur la commune d’Aix-les-Bains (Savoie)

MOTS-CLÉS : aix-les-bains (savoie).. eau mineralisée. source chevalley. source reine hortense. source victoria

Patrice Queneau, Bernard Graber-Duvernay (au nom de la Commission XI — Eaux de consommation et thermalisme)

RAPPORT 07-08

Au nom de la Commission XI (Eaux de consommation et thermalisme)

Sur la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence, l’eau du captage « Chevalley », après transport à distance et après mélange sous le nom de « Victoria », l’eau des captages « Reine Hortense » et « Chevalley » situés sur la commune d’Aix-les-Bains (Savoie)

Patrice QUENEAU *, Bernard GRABER-DUVERNAY **

Par lettre de la Direction générale de la santé en date du 12 décembre 2006 et en application des dispositions du décret du 28 mars 1957 modifié, l’Académie nationale de médecine a été saisie d’une demande d’avis sur l’autorisation d’exploiter, en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence, l’eau du captage « Chevalley », après transport à distance et, après mélange sous le nom de « Victoria », l’eau des captages « Reine-Hortense » et « Chevalley » situés sur la commune d’Aix-les-Bains (Savoie).

Une demande d’autorisation portant sur l’eau des deux captages avait été déposée le 27 juillet 1993 et avait donné lieu à un rapport du Professeur Desgrez (approuvé dans la séance du 27 juin 1995) concluant sur des réserves concernant l’eau du forage Reine-Hortense en raison de sa forte concentration en ions sulfhydriles susceptible de présenter des inconvénients pour les curistes et le personnel et, concernant l’eau du forage Chevalley moins minéralisée que l’eau des sources naturelles, pour la nécessité d’une vérification de son efficacité thérapeutique par une enquête médicale.

Le danger potentiel évoqué d’une concentration dangereuse en hydrogène sulfuré a donné lieu en avril 1995 à une enquête du Laboratoire d’étude générale de l’exposition professionnelle de l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) de Nancy. Les résultats favorables 1 de cette enquête ont conduit à un arrêté ministériel du 4 juin 1996 autorisant l’exploitation du forage Reine-Hortense, tandis qu’un arrêté du 5 juin 1996 accordait une autorisation provisoire pour l’exploitation du forage Chevalley. D’où l’intitulé de la demande actuelle qui ne porte plus sur le forage Reine-Hortense mais seulement sur le forage Chevalley dont l’autorisation provisoire est arrivée à expiration, avec ajout d’une demande portant sur le mélange et sur le transport à distance des deux eaux.

Historique des captages

Les thermes d’Aix-les-Bains sont alimentés depuis le e XIX siècle par deux sources chaudes de grand débit : Soufre (45°) et Alun (42°).

Malgré leurs noms différents, les deux sources délivrent une eau de composition presque identique (tableau I) répondant à la définition d’une eau peu minéralisée (0,5g/L), bicarbonatée et sulfatée calcique et magnésienne, de pH neutre, pauvre en ClNa, contenant du CO2 et de la silice. Ces eaux contiennent aussi des sulfures d’origine biochimique provenant de l’action sur les sulfates de bactéries sulfatoréductrices. Ces sulfures leur ont fait attribuer l’étiquette d’eau sulfurée selon l’ancienne classification du e XIX siècle qui valorisait l’anion remarquable sans signifier pour autant une relation de cause à effet entre cet anion et une action thérapeutique de l’eau. Les quantités de sulfures étaient d’ailleurs très faibles et très variables, allant, selon les périodes, de 0,1 à 3,5 ppm, soit de 1 à 28 degrés sulfhydrotimétriques.

La survenue de cinq cas de légionellose en octobre-novembre 1982 et en mai 1984 a entraîné toute une série de mesures dont une enquête bactériologique dans tout l’établissement, qui établit la contamination quasi-constante du griffon des sources par Legionella , puis sérologique auprès de curistes et du personnel, tandis qu’une enquête clinique était menée dans les hôpitaux de la région.

Devant l’échec des mesures de désinfection pratiquées — dont il faut souligner qu’elles ne pouvaient pas porter sur l’eau thermale elle-même qui ne devait pas être modifiée pour garder son label d’ « eau minérale naturelle » — il fut décidé de pratiquer un forage profond susceptible de fournir une eau exempte de toute contamination de surface. En même temps, la décision fut prise de construire un nouvel établissement thermal répondant à toutes les normes de l’hygiène actuelle.

1. Concentrations d’hydrogène sulfuré aux points d’usage inférieures ou égales à 0,1 ppm alors que les valeurs limites sont de 5 pour la valeur moyenne d’exposition (VME) et de 10 pour la valeur limite d’exposition (VLE).

TABLEAU I — Concentrations des principaux électrolytes de l’eau des deux sources naturelles et de la source froide de montagne utilisée pour refroidir le mélange Alun Soufre Source froide Température 42° 45° 11° Conductivité 851 835 306 Ca en mg/L 143 141 Mg en mg/L 22,4 21,2 Na en mg/L 38 36 K en mg/L 4,6 4,6 Cl en mg/L 29 29 SO4 en mg/L 235 224 17,2 HCO3 en mg/L 291 289 247 Si en mg/L 25 24,3 4,5 Sulfures en °SF entre 2 et 26 (16,7) entre 0,5 et 22 (8,3) Le forage eut lieu dans le parc des thermes sous le nom de Reine-Hortense. Il dut être prolongé jusqu’à 1 100 m pour ramener une eau de concentration voisine de celle de l’eau des sources naturelles, un peu moins chaude, à 38°, et plus riche en sulfures. En l’absence d’écoulement artésien, un pompage s’avéra nécessaire. Les essais montrèrent qu’au delà de 80 m3/h le niveau de la source naturelle Alun commençait à baisser avec le risque d’une inversion du courant de la source et d’une contamination de l’aquifère profond par les eaux de surface. Le risque était trop grand pour être couru. Or ce débit ne suffisait pas à assurer l’alimentation des thermes, les sources de Soufre et d’Alun procurant jusque-là une quantité double d’eau thermale (160m3/h). Il fallut envisager un second forage en le situant assez loin du premier pour que le pompage effectué sur l’un ne retentisse pas sur l’autre.

Ce fut le forage Chevalley qui dût descendre jusqu’à 2 200 m pour atteindre le filon thermal, à une profondeur où l’eau était beaucoup plus chaude (72°) mais moins minéralisée. En effet, l’eau thermale s’enrichit en remontant par lessivage des évaporites gypseuses du trias et la prélever trop bas expose à recueillir une eau plus chaude mais moins minéralisée.

Les deux forages ont complètement remplacé les sources naturelles à partir de mars 1993.

Leur exploitation se fait uniquement par le mélange de leurs eaux dans la proportion de 36 % pour l’eau de Reine-Hortense et 64 % pour celle de Chevalley. Cette proportion a été établie en vue d’assurer au mélange la température minimale de 58° nécessaire à l’éradication de Legionella . L’eau de ce mélange appelé Victoria circule dans les thermes à la température de 59° et elle n’est refroidie qu’aux points d’usage par mélange avec la même eau thermale refroidie à 17° à l’aide d’échangeurs à plaques et stockée dans des réservoirs séparés.

TABLEAU II — Concentrations des principaux électrolytes de l’eau des deux forages et de leur mélange (mélange Victoria) Reine Hortense Chevalley Victoria Température 38° 70° 59°2 Conductivité 752
que les travaux expérimentaux sur la traversée de la peau par les ions de soufre marqué et leur fixation sur le cartilage ont utilisé aussi bien des sulfates que des sulfures ; et que ces travaux ne suffisent pas à prouver que l’efficacité des traitements thermaux rhumatologiques provient de la présence de soufre dans l’eau.

Autorisation d’exploiter le mélange des eaux des forages Reine-Hortense et Chevalley

Le Professeur Desgrez a écrit : « Le principe d’un tel mélange de deux eaux de composition si différente n’est pas admis par l’Académie nationale de médecine. Elle refuse dans ce cas l’appellation d’eau minérale naturelle ».

Il s’agit moins ici d’une différence de composition que de concentration de deux eaux qui proviennent bien du même aquifère comme en témoignent : la ressemblance des diagrammes de Schoeller Berkaloff ; la concentration voisine en silicates signifiant que les deux eaux ont des cheminements identiques dans la profondeur du sol ; les teneurs en carbone 14 indiquant que les deux eaux ont presque le même âge apparent.

Il serait intéressant de retrouver la jurisprudence à laquelle se réfère le Professeur Desgrez concernant le refus d’appellation d’eau minérale naturelle par l’ANM pour certains mélanges d’eau thermale. Autant il apparaît légitime d’être strict en matière d’alimentation des établissements thermaux par une eau de réputation thérapeutique, autant il pourrait passer pour formaliste de considérer comme condamnable, du point de vue de l’orthodoxie thermale, l’union reconstituée d’une eau à deux étapes de son cheminement souterrain et ce d’autant plus que leur mélange a fait la preuve d’une efficacité thérapeutique.

Autorisation du transport à distance

Les données contenues dans les rapports de la DRIRE du 5 août 2005 et du Conseil départemental d’hygiène du 26 septembre 2005 transmis par la préfecture de la Savoie et les conclusions de ces rapports témoignent clairement de la parfaite qualité des matériaux utilisés pour transporter et stocker l’eau thermale 2 et de l’absence de toute modification de cette eau aussi bien sur le plan physico-chimique que bactériologique tout au long de son trajet.

2. L’eau est refoulée par la pompe immergée de chaque forage dans une canalisation en inox de 150 mm de diamètre posée en fouille sur une longueur de 750 m pour Reine-Hortense et de 200 m pour Chevalley. Le mélange s’effectue dans une bâche en inox de 10 m3 calorifugée et munie de dispositifs de disconnection pour éviter toute contamination à rebours. Le mélange est pompé en partie basse par trois pompes multicellulaires en inox et distribué vers 18 bâches de stockage de 50 m3 chacune pour moitié à la température du mélange de 59° et pour moitié à l’état refroidi à 17°.

CONCLUSION

Au vu des données et des arguments présentés, la Commission XI réunie le 16 janvier 2007 à 17 heures, sous la Présidence du Professeur Claude Boudène, propose de rendre un avis favorable concernant le transport à distance des eaux des forages Reine-Hortense et Chevalley.

Elle considère comme acceptable la preuve apportée de l’efficacité thérapeutique du mélange constitué pour les deux tiers de l’eau de Chevalley et accepte en conséquence d’autoriser l’exploitation du forage Chevalley sous réserve qu’elle reste identique aux conditions de l’étude clinique, c’est à dire sous la forme du mélange deux tiers — un tiers des deux eaux.

Elle accepte de considérer comme eau minérale naturelle le mélange de l’eau des deux forages pour la raison qu’en mélangeant deux eaux provenant du même aquifère il n’a pas été fait violence à la nature et que, le mélange ayant montré une efficacité thérapeutique anti-rhumatismale, on peut considérer comme respecté l’essentiel des exigences de l’ANM en matière de contrôle de l’activité thermale, à savoir la probabilité d’une utilité thérapeutique et ce, dans des conditions de sécurité suffisante.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 27 février 2007 a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.

* Membre de l’Académie nationale de médecine ** Ancien Directeur médical des Thermes Nationaux d’Aix-les-Bains

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 2, 429-434, séance du 27 février 2007