Communication scientifique
Séance du 7 juin 2005

Les lésions traumatiques de la moelle épinière : épidémiologie et prise en charge pré-hospitalière

MOTS-CLÉS : épidémiologie. traitement urgence.. traumatismes de la moelle épinière
Spinal cord trauma : epidemiology and pre-hospital management
KEY-WORDS : emergency treatment.. epidemiology. spinal cord injuries

Gérard Saillant, Hugues Pascal-Mousselard, Olivier Langeron**, Jean Yves Lazennec*

Résumé

Les traumatismes médullaires touchent en France, environ 2000 personnes par an. Il s’agit le plus souvent d’hommes jeunes, victimes d’un accident de la voie publique, présentant un traumatisme du rachis cervical. La prise en charge, immédiate et pré-hospitalière, est fondamentale car elle engage le pronostic vital et le pronostic fonctionnel. Le diagnostic de lésion médullaire doit être systématiquement suspecté et le rachis immobilisé. L’examen neurologique initial est fondamental. Les gestes initiaux visent à : — maintenir une pression artérielle moyenne supérieure à 80mmHg, — assurer une bonne ventilation du patient, — le réchauffer et éviter l’hyperglycémie. Le transport doit être rapide et orienté vers un centre spécialisé dans la prise en charge de ces patients.

Summary

In France, about 2000 people suffer spinal cord injuries each year. Most patients are young men involved in road accidents and most have cervical lesions. Emergency pre-hospital care is crucial, as the lesions are potentially life-threatening and can have devastating functional consequences. The possibility of spinal cord trauma must always be kept in mind, and the spine must be immobilized. The initial neurological examination is extremely important. Initial medical care should target an average systolic blood pressure above 80 mmHg, ensure adequate ventilation, maintain the body temperature over 36° C, and control hyperglycemia. The patient should be transported rapidly to a specialized spinal trauma unit. Actuellement, la prise en charge des traumatismes vertébro-médullaires a fait de grands progrès et semble grevée de peu de complications, avec un taux de mortalité faible, et une progression constante du nombre de patients récupérant une autonomie après rééducation [1]. La qualité de la prise en charge immédiate, préhospitalière, de ces blessés médullaires est un des facteurs fondamentaux de l’amélioration du pronostic vital et fonctionnel de ces patients.

ÉPIDÉMIOLOGIE

Il faut souligner qu’il n’existe que très peu de chiffres officiels concernant l’épidé- miologie des traumatismes vertébro-médullaires en France. On ne peut alors que faire une estimation à partir des études scientifiques réalisées par les différentes sociétés savantes concernées par ce problème ou une extrapolation à partir des chiffres publiés par les pays ayant un niveau de vie et une structure sociale proche de la société française.

La prévalence des traumatismes médullaires avoisine les 250000 personnes aux États-Unis et ce chiffre augmente du fait de l’amélioration de la survie après traumatisme [2].

L’incidence des traumatismes médullaires dans les pays industrialisés varie de 18 à 40 cas par an et par million d’habitants [1, 2, 3] soit environ 2000 nouveaux cas par an en France (21 cas par an et par département).

Les hommes sont le plus souvent touchés avec un sex ratio de quatre hommes pour une femme [4]. Il s’agit le plus souvent d’hommes jeunes avec un pic de fréquence pour la tranche d’âge 20-30 ans [4]. Cependant, les études les plus récentes montrent une augmentation de la population féminine et de la moyenne d’âge des patients (37,7 fi 17,5 ans aux États-Unis en 2003) [2].

Les accidents de la voie publique constituent la première cause de traumatisme vertébro-médullaire, suivis par les chutes, les accidents de loisir et de sport.

Parmi les activités sportives, le plongeon est la première cause de lésion du rachis cervical.

Les traumatismes médullaires d’origine iatrogène sont rares mais constituent une étiologie en augmentation [2]. Ainsi une complication neurologique peut être liée à une chirurgie rachidienne ou vasculaire. Pour la chirurgie du rachis, les paraplégies complètes ou incomplètes peuvent survenir dans 0,5 % des cas pour la chirurgie de correction des scolioses [5], et dans de très faibles proportions pour des chirurgies d’arthrodèse courte (0,14 %) ou la chirurgie discale (<0,1 %) [5]. Ces accidents peuvent survenir durant la période opératoire et sont alors secondaires à un traumatisme direct de la moelle, à des étirements de la moelle lors de manœuvres de correction des déformations ou à des ischémies médullaires. Ils peuvent survenir en post-opératoire et sont alors liés à une compression (hématorachis) qui nécessite une reprise chirurgicale en urgence.

La chirurgie de l’aorte peut se compliquer de paraplégies d’origine ischémique par interruption du flux artériel à destinée médullaire. Le risque de déficit neurologique post-opératoire varie de 12 % à 33 %, le risque de paraplégie s’établissant à moins de 8 % selon une méta analyse de la littérature [6].

Le rachis cervical est plus souvent atteint que le rachis dorso-lombaire (60/40 %) [4].

Ainsi les tétraplégies (54,1 %) sont plus fréquentes que les paraplégies [2] et les atteintes neurologiques complètes (55,6 % [2]) prédominent sur les lésions incomplètes. Pour d’autres auteurs, l’atteinte de la charnière thoraco-lombaire serait la plus fréquente (55 % des traumatismes siégeant entre D10 et L2).

Les traumatismes médullaires peuvent être isolés ou associés à d’autres lésions traumatiques (viscérale, crânienne, osseuses..). La prédominance des accidents de la voie publique dans les causes de traumatisme médullaire explique la fréquence des lésions associées. 10 % des blessés vertébro-médullaires présentent des fractures périphériques, dont 8 % de fractures ouvertes dans l’étude d’Anderson [7]. Les accidents de deux roues sont la première cause d’association à des traumatismes crâniens (60 %) [1].

Les atteintes rachidiennes à plusieurs étages représentent moins de 2 % des cas [7].

Ces co-morbidités sont importantes à prendre en compte car elles grèvent le pronostic fonctionnel [8].

Quelques particularités doivent retenir l’attention :

— les enfants de moins de 15 ans représentent environ 14 % des traumatismes médullaires [9]. Le diagnostic radiographique peut s’avérer plus difficile sur ces rachis en croissance. Les traumatismes médullaires sans lésion radiographique visible (SCIWORA : Spinal Cord Injury Without Radiographic Abnormalities) sont fréquents chez l’enfant de moins de dix ans et s’accompagnent volontiers de lésions neurologiques complètes.

— chez le sujet âgé, la lésion vertébrale survient pour des traumatismes à faible énergie et le pronostic vital peut être engagé. Au-delà de soixante ans les chutes constituent la première étiologie de lésion médullaire [2]. Il faut insister ici sur les traumatismes médullaires sur canal cervical étroit (10 % des traumatismes du rachis cervical avec troubles neurologiques) [10], responsables de tableaux neurologiques spécifiques (syndrome central de la moelle), ne montrant aucune anomalie radiographiquement décelable et nécessitant une exploration IRM.

Chez le sujet âgé, les tassements ostéoporotiques ont une fausse réputation de bénignité. Très fréquents, ils sont de diagnostic souvent tardif.

La fréquence relative de ces traumatismes devrait augmenter dans l’avenir, compte tenu du vieillissement de la population. Leur prise en charge et leurs conséquences posent des problèmes spécifiques aussi bien sur le plan médical que socioéconomique.

CONSÉQUENCES PHYSIOPATHOLOGIQUES DE LA LÉSION MÉDULLAIRE

La lésion de la moelle a des conséquences immédiates sur les grands systèmes physiologiques. La compréhension et le traitement des désordres induits par le traumatisme médullaire sont essentiels à la prise en charge immédiate de ces blessés.

Les gestes réalisés sur les lieux de l’accident et au cours du transport sont dictés par le retentissement du traumatisme vertébro-médullaire sur les systèmes respiratoire, cardio-circulatoire, thermorégulateur…

Cardio-vasculaire

Les conséquences de la lésion médullaire sur le système cardio-vasculaire seront d’autant plus importantes que la lésion médullaire est cervicale et haute. En pratique, les conséquences cliniques apparaissent pour une lésion siégeant au-dessus de T6. L’atteinte médullaire s’accompagne d’une disparition du tonus sympathique avec perte d’adaptation cardio-circulatoire sous-lésionnelle [12, 13] se traduisant par une vasoplégie sous-lésionnelle et une hypovolémie relative. Elle est de traitement difficile car il existe une perte d’adaptation concomitante aux variations volémiques avec risque d’OAP en cas de surcharge volémique, aggravé par une éventuelle contusion pulmonaire ou myocardique associée.

La persistance du tonus parasympathique explique les bradycardies, particulièrement lors de traumatismes cervicaux. Les complications peuvent aller jusqu’à l’arrêt cardiaque pour les traumatismes du rachis cervical supérieur (permettant d’évoquer le diagnostic sur les lieux de l’accident).

Ventilatoire

Les conséquences respiratoires de la lésion médullaire dépendent du niveau lésionnel. Une lésion siégeant au dessus de C4 est responsable d’une paralysie phrénique et impose une assistance ventilatoire. Une lésion siégeant entre C4 et la moelle dorsale haute permet une autonomie respiratoire avec une fonction diaphragmatique préservée, mais précaire par la paralysie des muscles intercostaux et abdominaux. La capacité vitale est abaissée à 50 % par diminution du volume de réserve expiratoire. La perte des muscles expiratoires explique l’absence de toux efficace et le risque secondaire d’encombrement bronchique et d’atélectasie. Les problèmes respiratoires peuvent être aggravés par l’existence d’une contusion pulmonaire associée, particulièrement fréquente dans les traumatismes du rachis dorsal [14] ou d’un hemomédiastin.

Digestive

L’existence d’un iléus paralytique avec risque de dilatation gastrique aigue impose la mise en place d’une sonde gastrique. Il faut souligner dans ce contexte de lésion médullaire, la difficulté du diagnostic d’une lésion abdominale traumatique associée (hémorragique, ischémique, perforation d’organe creux…) Urinaire

L’atteinte neurologique sphinctérienne peut occasionner une rétention aiguë d’urine, indolore du fait de la lésion médullaire. Il faut tenir compte d’un éventuel traumatisme du bassin associé avant la mise en place d’une sonde urinaire.

Thermorégulation

La paralysie musculaire diminue les possibilités de thermogénèse. Par ailleurs la vasodilatation périphérique favorise cette tendance à l’hypothermie. Ces patients seront considérés comme poïkilothermes.

L’association hypothermie, hypoxie, hypovolémie aggrave les conséquences cardiovasculaires de la lésion médullaire.

Lésions secondaires de la moelle

L’ischémie médullaire est le mécanisme principal de constitution des lésions sus et sous jacentes au niveau médullaire initialement contus. Or tout concours à l’isché- mie : perte de l’autorégulation du débit sanguin médullaire, lésions locales de la microcirculation (œdème, compression, thromboses..), lésions régionales artérielles (vasospasme) ou veineuses (thromboses), perturbations hémodynamiques générales, problèmes respiratoires (hypoxie, hypercapnie).

CONDUITE À TENIR IMMÉDIATE, PRÉHOSPITALIÈRE

La prise en charge immédiate, sur les lieux de l’accident d’un traumatisme médullaire est fondamentale, car elle peut engager le pronostic vital et le pronostic fonctionnel.

L’optimisation de cette prise en charge poursuit un triple objectif :

— suspecter systématiquement le diagnostic. En effet le symposium de la Société Française d’Orthopédie et Traumatologie (SOFCOT) en 2001 a mis en évidence un retard au diagnostic dans 24 % des cas pour les traumatismes du rachis cervical [15].

— standardiser les conditions de prise en charge préhospitalière afin d’éviter l’aggravation neurologique durant cette période. Une amélioration sensible de
cette prise en charge a permis de passer de 12 % d’aggravation neurologique en 1983 (symposium SOFCOT) à 3 % en 2001 pour les lésions cervicales [15].

— optimiser l’évaluation neurologique initiale. L’examen neurologique initial, sur les lieux de l’accident est souvent le seul disponible. Il ne pourra être reproduit après intubation du patient ou chez un sujet dans le coma. Il est particulièrement difficile à réaliser chez le polytraumatisé. Cet examen initial constitue donc l’examen de référence, engageant les prises de décision, en particulier chirurgicale, ultérieures. La surveillance de la récupération neurologique se fera en référence à cet examen. Le pronostic est également engagé dans la mesure où il a été montré que la sévérité de l’atteinte neurologique initiale et la localisation anatomique (cervicale, dorsale) sont prédictifs de la récupération future [16]. La précision et la fiabilité de cet examen initial sont donc fondamentales.

Ramassage et immobilisation

Sur les lieux de l’accident, les manœuvres de désincarcération, le ramassage et le transport du blessé doivent, avant tout, tenter de maintenir l’axe du rachis (tête-coutronc).

Une lésion vertébro-médullaire doit systématiquement être suspectée. Ainsi, quelques règles simples doivent être appliquées :

— Tout polytraumatisé est un blessé médullaire jusqu’à preuve radiologique du contraire.

— Tout traumatisé crânien grave est un blessé médullaire jusqu’à preuve radiologique du contraire.

— Tout blessé médullaire est un polytraumatisé jusqu’à preuve du contraire.

Le déplacement du blessé est réalisé à plusieurs intervenants, en rectitude, en évitant tout mouvement de rotation, flexion-extension ou inclinaison latérale. Une traction modérée est réalisée en maintenant la tête à deux mains et en exerçant une traction au niveau des pieds. Deux autres intervenants maintiennent le tronc et le bassin.

Le rachis cervical est immobilisé dans une minerve semi-rigide avec appui sternal, occipital et mentonnier. La minerve est mise en place sans manipulation intempestive et doit être adaptée au patient. La mise en place d’un étrier de traction de type étrier de « Gardner », aisé à mettre en place, peut faciliter la manipulation du blessé et aider à l’immobilisation. Il est impératif de n’utiliser que des tractions peu importantes (4 kg maximum) en l’absence de connaissance précise du niveau lésé. Le blessé est transporté dans un matelas « coquille » à dépression.

Bilan clinique

Le bilan sur les lieux de l’accident ne peut être que clinique. Il sera différent selon qu’il s’agit d’un traumatisme isolé du rachis, le plus souvent cervical ou d’un traumatisme du rachis dans le cadre d’un polytraumatisme.

Chez le blessé inconscient, un arrêt cardiocirculatoire initial, une bradycardie, un priapisme seront évocateurs d’une lésion médullaire.

Une urgence absolue abdominale (hémorragique), thoracique (rupture de l’isthme aortique) ou crânienne (hématome extra dural) doit être éliminée. L’état de conscience est chiffré par le Glasgow Coma Scale (score de Glasgow).

Un examen clinique soigneux et détaillé peut alors être réalisé.

La palpation méthodique des épineuses est réalisée en décubitus dorsal.

L’horaire et les résultats de l’examen neurologique détaillé sont consignés par écrit, au mieux sur des fiches préétablies à cet effet. Cet examen doit être complet, sans retarder la prise en charge. Il a été codifié par l’American Spinal Injury Association (ASIA) afin d’établir un score (Fig.1).

La motricité volontaire est évaluée par groupes musculaires, côtés de 0 à 5. Les muscles abdominaux sont testés en faisant tousser le patient.

La sensibilité superficielle est évaluée par niveaux métamériques.

La sensibilité périnéale, l’évaluation de la contraction du sphincter anal (tonicité, contraction volontaire et réflexe) et des réflexes clitorido-anal et bulbo-caverneux, recherchent une « épargne sacrée ».

Les réflexes ostéo tendineux et cutanés plantaires seront recherchés.

Les résultats de cet examen permettent de préciser le niveau moteur et sensitif de la lésion ainsi que son caractère complet ou incomplet.

Au terme de cet examen, une cotation ASIA est déterminée et reportée sur la feuille de cotation.

Une évaluation de la fonction respiratoire est impérative : recherche d’une détresse respiratoire dans les atteintes neurologiques hautes, évaluation de la qualité de la toux et de l’ampliation thoracique pour les niveaux lésionnels sous jacents.

Lesfonctionshémodynamiquessontévaluées(pouls,tensionartérielle)etmonitorées.

Conditionnement

Respiratoire

L’oxygénation du patient doit être favorisée par la mise en place d’une sonde nasale ou d’un masque.

Une assistance ventilatoire peut s’avérer nécessaire. L’intubation trachéale sous laryngoscopie directe chez un traumatisé du rachis cervical peut être un geste difficile et à risque. La Société Française d’Anesthésie Réanimation (SFAR) recommande alors la mise en place d’un long mandrin souple dans la trachée afin de guider la sonde sans visualisation de la glotte, diminuant ainsi le risque de mobilisation du rachis pendant la manœuvre.

FIG. 1. — Fiche d’évaluation du score ASIA.

Hémodynamique

L’attitude vis-à-vis de l’hémodynamique du blessé médullaire vise à obtenir une pression artérielle optimale afin de maintenir une pression de perfusion médullaire.

Ce point est fondamental. Les recommandations de la SFAR [17] conduisent aux attitudes suivantes :

— Maintenir une pression artérielle moyenne supérieure ou égale à 80mmHg dès la prise en charge.

— Un remplissage vasculaire évitant les solutés hypotoniques et glucosés en privilégiant les cristalloïdes et les colloïdes de synthèse en première intention sera mis en place.

— Afin de limiter les volumes de remplissage (surtout lors de contusions pulmonaires associées), des vasopresseurs de type sympathomimétique direct (Noradrénaline) peuvent être utilisés.

— Éviter les poussées tensionnelles supérieures à 110mmHg afin de ne pas augmenter l’œdème et l’hémorragie médullaire.

— Un cathétérisme artériel permettant un monitorage continu de la pression artérielle doit être mis en place au plus tôt, afin de dépister toute hypotension.

— Le système veineux périmédullaire est un système de drainage de suppléance du système veineux cave. Toute augmentation de pression intrathoracique ou abdomino-pelvienne doit être corrigée afin d’éviter les conséquences sur le drainage veineux médullaire.

Lutte contre les facteurs d’agression secondaire

Il semble que la glycémie doive être étroitement contrôlée chez le blessé médullaire [18] si on se base sur les effets néfastes de l’hyperglycémie chez le traumatisé crânien.

L’hypercapnie augmente le débit sanguin médullaire tandis que l’hypocapnie la diminue [19].

La correction de l’hypoxie et de l’hypothermie sont également essentielles.

Ainsi une ventilation continue et un réchauffement actif par couverture de survie seront-ils mis en place.

Place des traitements médicaux à visée neuroprotectrice

Aucune des molécules utilisées à visée de protection médullaire pharmacologique (corticoïdes de type méthylprédnisolone, gangliosides, antagonistes des récepteurs NMDA, antagonistes opiacés, inhibiteurs calciques) n’a fait la preuve objective de son efficacité [17, 20]. Les complications liées à certains de ces traitements et
particulièrement la corticothérapie à fortes doses ont, par contre, été clairement documentées.

Ce traitement par corticoïdes à forte dose n’est donc plus actuellement recommandé [17].

En pratique

La prise en charge immédiate du traumatisé médullaire nécessite :

— l’immobilisation du rachis (minerve, matelas coquille), — un remplissage vasculaire par voie veineuse périphérique et éventuellement l’utilisation de vasopresseurs (noradrénaline à la seringue électrique), avec pour objectif une pression artérielle moyenne supérieure ou égale à 80mmHg, dans le but de maintenir une pression de perfusion médullaire, — une oxygénothérapie avec recours possible à la ventilation assistée par intubation trachéale (objectif de SpO2 ≥97 %), — un réchauffement par couverture de survie — d’éviter l’hyperglycémie par contrôle de la glycémie capillaire ORIENTATION DES SECOURS

L’organisation du transfert de ces patients est essentielle. Un blessé présentant un traumatisme vertébro-médullaire suspecté ou avéré doit être orienté rapidement vers un établissement hospitalier de référence, disposant en permanence des moyens techniques et humains nécessaires à la prise en charge de ces patients. Le délai de prise en charge chirurgicale permettant une décompression de la moelle et une stabilisation de la lésion du rachis doit être le plus court possible. Le transport héliporté, s’il est possible, est préférable.

Ces patients relèvent d’une prise en charge multidisciplinaire (réanimation, radiologie, chirurgie, rééducation) nécessitant des équipes entraînées et coordonnées et un plateau technique performant (scanner, IRM, urodynamique..). Le centre d’accueil doit donc être prévenu dès la prise en charge sur les lieux de l’accident, afin que la réception en milieu hospitalier soit mise en place. Le choix du moyen de transport doit tenir compte du niveau d’expertise des centres situés à proximité des lieux de l’accident. Ainsi, un transport héliporté vers un centre éloigné sera préfé- rable à un transport routier vers un centre de proximité non équipé pour la prise en charge de ce type de blessé, pour une durée de transport équivalente. Il faut souligner, ici, l’importance du rôle joué par les médecins régulateurs des transports d’urgences et de l’évaluation médicale sur les lieux de l’accident.

Lorsqu’il existe des lésions extra rachidiennes, mettant en jeu le pronostic vital, non stabilisées par la prise en charge extra hospitalière, le patient doit être orienté vers un centre hospitalier de proximité. Il sera secondairement transféré vers un centre de
référence pour prendre en charge ses lésions vertébro-médullaires. Ce transfert secondaire sera, au mieux, organisé dès la phase initiale de transfert vers le centre hospitalier de proximité.

CAS PARTICULIERS DES ACCIDENTS OPÉRATOIRES

Si l’obtention d’un taux 0 de complication est illusoire, la limitation des accidents opératoires passe essentiellement par la prévention. Les chirurgies rachidiennes à risque doivent être effectuées par des équipes chirurgicales entraînées. Le monitorage per-opératoire des potentiels évoqués somesthésiques et moteurs permet de dépister précocement les souffrances médullaires, avec une sensibilité accrue pour les potentiels évoqués moteurs [21, 22, 23]. Ces techniques nécessitent cependant un investissement technique et humain important (adaptation des techniques anesthé- siques, présence d’un médecin électrophysiologiste, matériel de recueil des données électriques…).

Durant la période post-opératoire, une surveillance rapprochée, intégrant un examen neurologique, au sein d’une équipe où le personnel paramédical est sensibilisé et formé au dépistage des complications neurologiques permet le diagnostic précoce de ces complications et une reprise chirurgicale en urgence si nécessaire.

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DISCUSSION

M. Alain LARCAN

Ayant eu l’expérience du transport d’une cinquantaine de traumatismes médullaires, par an, on ne peut que confirmer la nécessité absolue d’immobilisation en rectitude axiale, tête-cou-
tronc et ceci dès le dégagement désincarcération (avec le problème particulier du casque des motocyclistes). Mais quels sont les moyens les meilleurs : sans le collier-minerve ? Planche avec disposition fixe ou amovible d’immobilisation de la tête et surtout les coquilles, antirétraction mais susceptible d’un effet d’ « impaction » qui serait, en théorie, prévenu par des barres verticales incorporées. Mais si un de ces dispositifs était réellement supérieur, le remplacement de la panoplie de toutes les ambulances serait très onéreux. Est-on capable de fixer ce choix ?

Votre question pose justement le problème des premiers gestes où tout peut se jouer et s’aggraver. L’idéal est la rectitude avec au mieux un étrier de Gardner, tout le monde devrait pouvoir le poser en percutané quelles que soient les circonstances de l’accident. Il permet la traction, la rectitude et l’immobilisation. Cependant, en l’absence de moyens sophistiqués, tout dispositif quel qu’il soit, évitant les mouvements de flexion et surtout de rotation, peut être utilisé, même s’il est artisanal. Le principe devrait être enseigné dans les écoles de secourisme mais également dès le début du cursus des études médicales.

M. Jean-Daniel PICARD

Dès qu’il existe des signes neurologiques, quel est l’intérêt des clichés simples ? N’est-il pas plus logique de passer directement au scanner ?

Le scanner hélocoïdal a effectivement transformé les approches diagnostiques des lésions traumatiques du rachis. Les clichés simples gardent cependant un intérêt en l’absence de scanner, tant au niveau cervical que lombaire. Ils nous paraissent d’autre part indispensables lorsqu’ils sont couplés à des épreuves dynamiques, prudentes devant une lésion traumatique avec signe médullaire et sans aucune anomalie radiologique. Les clichés dynamiques permettent en effet de détecter des entorses graves du segment mobile rachidien.


* Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique, Groupe Hospitalier Pitié-Salpétrière, 47-83 Boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13. UFR Pitié-Salpétrière, Paris VI. ** Département d’Anesthésie-Réanimation, Groupe Hospitalier Pitié-Salpétrière, même adresse. Tirés-à-part : Professeur Gérard SAILLANT, à l’adresse ci-dessus. Article reçu et accepté le 23 mai 2005.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 6, 1095-1107, séance du 7 juin 2005