Publié le 22 janvier 2019

Séance dédiée : « La santé des migrants »

Organisateur : Alfred SPIRA

 

 

Introduction par Alfred SPIRA, membre de l’Académie nationale de médecine, sur le  thème : La santé des migrants, une exigence sanitaire et sociale

Environ 200 000 personnes (immigrés, étrangers, réfugiés, exilés…)  rejoignent la France chaque année, soit 3 p.mille de sa population. La santé de ces milliers de migrants, femmes vulnérables, mineurs non accompagnés, hommes exclus socialement, nécessite un cadre protecteur et accueillant leur permettant de se remettre des violences vécues dans les pays d’origine et de transit, ce que les dispositifs existants ne permettent pas en l’état. Les maladies des migrants sont des pathologies préexistantes ou acquises depuis leur arrivée : fréquents traumatismes psychiques et mentaux, séquelles de traumatismes physiques, affections parasitaires, bactériennes ou virales, tuberculose, affections respiratoires, infections sexuellement transmissibles (VIH, VHB), maladies liées à l’environnement (diabète, HTA) ou d’adaptation (logements insalubres, perturbations familiales, du travail, du mode de vie, insécurité). Ils rejoignent ensuite la situation épidémiologique de leur pays de résidence. Les migrants cumulent en outre une vulnérabilité sociale et administrative, liée de façon « syndémique » à de nombreux autres facteurs de risque. L’Académie nationale de médecine a adopté en juin 2017 un rapport intitulé « Précarité, pauvreté et santé » en partie consacré aux migrants ; le Comité national consultatif d’éthique a émis en octobre 2017 un avis (N°127) sur le thème « santé des migrants et exigence éthique ». « Sans prendre parti dans la dimension politique de la question », ces deux institutions « font le constat d’une situation complexe pour laquelle les solutions mises en œuvre par l’ensemble des acteurs publics ne sont pas à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui et de demain ».

Communications

L’accueil sanitaire des migrants en France et en Europe par Françoise SIVIGNON, ancienne Présidente de Médecins du Monde

En Europe et singulièrement depuis 2015, les politiques migratoires font l’objet de dérives portant atteinte à la santé de celles et ceux qui viennent chercher protection et accueil. La santé de milliers de migrants, femmes vulnérables, mineurs non accompagnés ou hommes, fait l’objet d’idées fausses et de préjugés. De plus, la médecine peut être instrumentalisée à des fins de contrôle migratoire. Présents sur le territoire français et européen et dans des zones de conflits et d’extrême pauvreté, Médecins du Monde peut attester que la santé des migrants nécessite un cadre protecteur et accueillant leur permettant de se remettre des violences vécues dans les pays d’origine et de transit, ce que les dispositifs ne permettent pas en l’état. Si les pathologies rencontrées n’ont guère de spécificité, les traumatismes subis ont des conséquences physiques parfois graves et psychologiquement profondes. Sur le sol français et européen, un accueil et un hébergement dignes, combinés à des soins adaptés seraient conformes à nos valeurs de solidarité et d’humanité.

La santé des migrants, une urgence pour la solidarité par Louis GALLOIS, Président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)

La bonne santé résulte d’interactions complexes entre les caractéristiques personnelles des individus et des facteurs sociaux, économiques, comportementaux et environnementaux. Favoriser des conditions de vie meilleures pour préserver ou rétablir la santé des personnes les plus précaires, dont les migrants, est une des missions portée par les associations membres de la Fédération des acteurs de la solidarité. La prise en charge des personnes en grande situation de précarité, et notamment des migrants, nécessite une réelle coordination entre les acteurs responsables de leur accueil, de leur accès à l’hébergement et au logement, aux soins, conditions indispensables pour leur permettre de s’intégrer rapidement et dignement. Les acteurs des champs social et sanitaire doivent se rencontrer sur les territoires, pour  accompagner ensemble au mieux les personnes vers des possibilités de vie normale. Il en va de notre responsabilité collective pour permettre au modèle français de solidarité de perdurer, en protégeant toutes les personnes qui vivent sur notre sol.

Exil et violences par Antoine LAZARUS, Centre Primo Lévi, Centre de soins « Vivre après la torture »

Les liens entre exil et violences sont analysés du point de vue des problèmes de santé liés à la précarité, la violence, la migration, la souffrance mentale.

Un rappel terminologique précise les différences entre migrants, réfugiés et exilés. Le concept d’exil étant celui qui est le plus problématique. L’exilé est en situation tout à la fois politique et d’acculturation différente de celle du migrant travailleur. Les définitions des violences et de leurs effets s’appuient sur le Rapport mondial sur la violence et la santé proposé en 2002 par l’OMS. Il montre que les violences sont facteurs de risque, notamment psycho-traumatiques à long terme, sur la santé des personnes qui en ont été victimes et leurs proches.

Après une estimation du nombre de migrants ayant subi la torture et en besoin potentiel de soins, des mentions particulières sont faites sur la spécificité des effets des violences de l’exil pour les femmes, les enfants et les personnes âgées. Il est rappelé ensuite que le psycho-traumatisme longtemps dénié est reconnu aujourd’hui mais que les manques de formations de professionnels compétents sont considérables. La conclusion insiste sur la violence inhérente à la migration  qui souvent réactive les traumatismes anciens. Les professionnels de santé ont alors un devoir de prévention, de protection

Éléments relatifs à la santé et au recours aux soins des personnes migrantes en France par Dominique KEROUEDAN , Membre correspondant de l’Académie nationale de Médecine, Fondatrice et conseillère scientifique de la spécialisation « Global Health » à l’École des affaires internationales de Sciences Po à Paris

L’état de santé de la population migrante en France est relativement peu documenté et peu connu. L’une des raisons a trait au fait que, conformément aux instructions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), les grandes enquêtes ont longtemps évité de faire référence aux critères de nationalité, d’ethnie ou de pays d’origine. Il en découle que la plupart des données sanitaires sont ponctuelles, collectées à partir de l’utilisation des services de santé d’ONG telles que le SAMU-Social de Paris, Médecins du Monde (MDM), ou le Comité pour la santé des exilés (COMEDE), par exemple. Il nous a paru intéressant de nous arrêter plus spécifiquement sur les résultats de deux études : les conclusions de celles-ci attirent l’attention sur la vulnérabilité des jeunes et des femmes, tout en mettant en avant le passé de violences que ces populations immigrées ont subies dans leur pays d’origine, lors de leur parcours migratoire (guerres, tortures, violences sexuelles) ou même une fois arrivées en France (violences sexuelles et autres violences à l’encontre des femmes). En modélisant le fait qu’une proportion significative de contaminations par le VIH, dont la prévalence est comprise entre 35 et 49%, se produiraient probablement après la migration, l’enquête ANRS-PARCOURS invite à rompre avec les idées reçues. Il est nécessaire d’approfondir les études sanitaires auprès de ces personnes en France, du fait des inégalités de protection sociale et de santé, des conséquences de ces inégalités pour elles-mêmes et leurs proches, mais aussi du fait des ajustements des politiques de santé que ces données impliquent. De plus, le lien établi entre les violences sexuelles et l’infection à VIH doit inciter les pouvoirs publics et la société civile à redoubler de vigilance en vue de prévenir les violences subies par les filles et les femmes sur le territoire français.

Conclusion par Marc GENTILINI (Membre de l’Académie nationale de médecine)

Dans le monde, sur 7 milliards d’habitants, sont comptés : 1 milliard d’affamés, 1 milliard d’assoiffés, 1,5 milliards sans assainissement, 1,2 milliards sans électricité.

Les gens heureux ne migrent pas. Et pourtant 3,4 %  de la population mondiale est constituée de migrants (258 millions dont 25 millions de réfugiés). Les migrations humaines sont un phénomène structurel ou conjoncturel, un problème douloureux et complexe. Face à cette situation évolutive mais prévisible la proposition d’une politique internationale s’exprime dans le pacte de Marrakech (2018, Louise Arbour). Dans le cadre de l’OMS s’est tenue en Décembre 2018 la journée Internationale des migrants  avec publication de recommandations sur la santé des réfugiés et des migrants, en collaboration avec la Commission européenne. Cinq publications sont disponibles : santé infantile, promotion de la santé, vieillissement en bonne santé, santé maternelle et néonatale, santé mentale. Ces recommandations complèteront : le rapport sur la santé des réfugiés et des migrants dans la Région européenne de l’OMS (1er trimestre 2019), et le rapport du Groupe de travail de l’Académie de Médecine