Résumé
Ce travail est centré sur les différentes stratégies destinées à optimiser l’utilisation des antibiotiques afin de limiter le développement de résistances bactériennes et leur propagation. Ces stratégies sont primordiales, car elles sont de nature à influencer très directement l’épidémiologie des infections nosocomiales dont l’augmentation d’incidence est liée à la fois à une mauvaise prise en charge antimicrobienne des patients admis dans les hôpitaux et à la mauvaise observance des pratiques de soins autorisant la propagation des résistances. L’insuffisance de respect des bonnes pratiques est associée au développement de réservoirs bactériens toujours plus importants, véritables auto-amplificateurs du phénomène de résistance bactérienne. Les stratégies proposées visent à la fois l’optimisation de l’utilisation des antibiotiques et la mise en place de mesures destinées à réduire la propagation bactérienne.
Summary
Strategies to improve the use of antimicrobials and to limit the acquisition and spread of resistance are of paramount importance and may influence directly the epidemiology of nosocomial infections. The increasing incidence of nosocomial infections is strongly related to both suboptimal use of antimicrobials and poor compliance with optimal patient care practices. Cross-transmission of resistant bacteria in hospitals results from poor adherence to infection control measures such as hand hygiene and standard precautions, and leads to an increasing reservoir of resistant organisms, that further facilitate the development of resistance. The strategies proposed in this review target both the appropriate use of antimicrobials in order to decrease resistance acquisition, and improvements in health care practices to reduce cross-transmission.
La résistance aux agents antimicrobiens se développe de plus en plus rapidement et de manière quasi universelle, tant du point de vue des bacilles à Gram-négatif que de celui des coques à Gram-positif, ou des champignons, et ce phénomène est particulièrement marqué pour les microorganismes responsables des infections acquises dans le contexte des procédures de soins, souvent appelées aussi infections nosocomiales [1, 2]. Dans certaines situations, seul un nombre restreint d’antibiotiques demeure efficace, et le traitement d’infections à germes résistants constitue l’un des défis importants des deux dernières décennies ainsi que du futur [3, 4] En effet, les infections dues à ces microorganismes sont caractérisées par un traitement moins efficace et une survie des patients souvent moins bonne, ainsi que par une prise en charge qui implique l’utilisation d’importantes ressources additionnelles [1].
Les stratégies de prévention des infections nosocomiales constituent l’un des piliers importants de la maîtrise des problématiques de résistance aux antibiotiques et de la réduction de l’utilisation des agents antimicrobiens. Elles interviennent à deux niveaux : réduction et contrôle de l’utilisation des agents antimicrobiens, et limitation de la propagation de la résistance. La plupart des hôpitaux dans lesquels un programme efficace de prévention des infections a été introduit sont parvenus à réduire l’incidence des infections nosocomiales [5]. Certains programmes ont développé des outils de contrôle de l’utilisation des antibiotiques participant à la maîtrise du développement de résistances.
Stratégie d’optimisation de l’utilisation des antibiotiques
En orientant le choix et l’utilisation des antibiotiques au sein des différents secteurs hospitaliers, non seulement la qualité et la survie des patients s’en trouvent améliorées, mais lorsqu’un traitement antibiotique adéquat est prescrit, les chances de développement futur de résistance antimicrobienne sont minimisées [5, 6].
De nombreuses stratégies ont été développées afin d’optimiser l’utilisation des agents antimicrobiens et de limiter le développement de résistance (Table 1). Une partie seulement ont été testées, et seule une faible proportion des essais cliniques répondent aux critères de qualité de la médecine basée sur les preuves. Il paraît cependant important de revoir ces stratégies au sens large, afin de ne pas restreindre cette revue aux trop rares essais cliniques conduits dans le respect complet des règles de cet art, au risque de méconnaître certaines stratégies qui pourraient démontrer leur efficacité dans le futur [3]. Afin de restreindre le champ de discussion ce résumé se concentre sur la résistance bactérienne vis à vis des antibiotiques, en particulier au niveau hospitalier.
TABLE 1. —
Stratégies de prévention de la résistance antimicrobienne 1. Directives de choix et protocoles d’utilisation 2. Formulaires de restriction 3. Changement programmé des régimes antimicrobiens 4. Traitements antimicrobiens combinés 5. Rotation des agents antimicrobiens 6. Désescalade du traitement antimicrobien Directives et protocoles
La plupart des directives ou protocoles concernant l’administration d’antibiotiques ont été élaborés soit localement, soit au sein de sociétés nationales ou de groupements internationaux afin d’éviter la prescription inutile d’antibiotiques et/ou d’accroître leur efficacité. Malheureusement, ces recommandations sont souvent difficiles à transformer en algorithmes simples et uniformément acceptées, et un certain degré de déviance par rapport au respect de ces recommandations est généralement observé. Cela tient probablement au fait que le processus de décision est très souvent guidé en pratique quotidienne par les particularités des patients pris en charge ainsi que par le jugement et l’expérience du médecin traitant. Les directives développées au sein d’un service ont davantage de chance d’être acceptées par les équipes de soins, et leur implantation à plus de chance d’être couronnées de succès [7].
Formulaires de restriction des agents antimicrobiens
La restriction de l’utilisation de certains antibiotiques ou de certaines classes d’agents antimicrobiens a permis une réduction des dépenses hospitalières, ainsi que des effets secondaires liés aux antibiotiques [8]. Cette approche concerne généralement la prescription d’agents antimicrobiens à large spectre dont l’usage immodéré est directement associé au développement rapide de résistances, ou dans les cas où la toxicité de certains agents est fréquente et/ou facilement décelable. Il est à noter que des expériences très variables ont été reportées dans la littérature par rapport à l’emploi de ces formulaires de restriction [9, 10]. Les formulaires de restriction sont en particulier très utiles dans des situations d’épidémies, d’infections à germes multi-résistants, surtout lorsqu’ils sont combinés aux différentes mesures de prévention des infections mises en place, ou lorsqu’ils sont associés à un programme d’éducation d’utilisation des agents antimicrobiens [11]. En revanche, ces formulaires de restriction ne peuvent pas être considérés comme une alternative suffisante à la nécessité impérative d’un choix judicieux des agents antimicrobiens [12]. En effet, la résistance microbienne peut apparaître pour des antibiotiques non restreints par la liste, voire pour ceux inclus dans cette liste [10].
Changement programmé des régimes antimicrobiens
Kollef et coll . ont étudié l’influence d’un changement programmé des régimes antimicrobiens sur l’incidence des infections nosocomiales chez des patients au cours d’une chirurgie cardiaque [13]. Durant les six mois précédant l’intervention, une céphalosporine de troisième génération était utilisée pour traiter les infections bactériennes à bacilles à Gram-négatif. Au cours de six mois suivants, c’est une fluoroquinolone (ciprofloxacine) qui était utilisée en première intention. De manière surprenante, l’incidence de pneumonies liées à la ventilation mécanique fut réduite significativement dans les six mois pendant lesquels l’administration d’une fluoroquinolone était recommandée. On notait une réduction significative de l’incidence de pneumonies et des bactériémies dues aux Gram-négatif. Cette expérience fut suivie d’une série de changements programmés des régimes antimicrobiens proposés dans le traitement de première intention des infections bactériennes à bacille à Gram-négatif chez les patients admis en réanimations médicale et chirurgicale [14].
Globalement, l’adéquation de la prescription d’antibiotiques dans ce type d’infection s’est améliorée. Cependant, l’impact à long terme de tels changements programmés et répétés des régimes antimicrobiens proposés en première intention demeure inconnu, en particulier lorsque l’on considère les capacités extraordinaires des pathogènes responsables des infections nosocomiales à développer des résistances sélectives envers certaines classes d’antibiotiques.
Traitements antimicrobiens combinés
La recommandation de prescrire des traitements antimicrobiens combinés a souvent été présentée comme l’une des stratégies permettant de réduire le développement de résistances bactériennes. Malheureusement, hormis l’exemple historique du traitement de Mycobacterium tuberculosis , il n’existe actuellement pas de données convaincantes à ce jour permettant d’affirmer définitivement le bien-fondé de cette hypothèse pour d’autres microorganismes que les mycobactéries [15].
L’absence de données conclusives et définitives de l’avantage potentiel de traitements combinés fait défaut en particulier pour les infections sévères [16, 17].
L’avantage potentiel de traitements antimicrobiens combinés mérite la poursuite des investigations cliniques avant qu’une conclusion définitive sur son efficacité puisse être proposée.
Rotation des agents antimicrobiens
Des données épidémiologiques suggèrent que la résistance antimicrobienne paraît devoir suivre un schéma cyclique. En effet, l’introduction de tout nouvel agent antibiotique est souvent associée à une utilisation exagérée de ce composé. Il est probable de ce fait que, lorsqu’un certain niveau d’utilisation est dépassé, la résistance bactérienne se développe, rendant l’antibiotique inefficace à terme, et donc
progressivement abandonné, le cycle se terminant par l’introduction d’un nouvel agent antimicrobien. La durée d’un tel cycle dépend de la capacité des microorganismes de développer une résistance et de la façon dont l’antibiotique est utilisé.
L’ère post-antibiotique est parfois définie comme une période durant laquelle les antibiotiques n’auraient plus d’utilité clinique, sans qu’aucun substitut ne soit disponible. La stratégie de rotation des agents antimicrobiens a été ainsi conçue afin de tenter de maîtriser le cycle infernal du développement de résistances et d’éviter d’entrer dans l’ère post-antibiotique. Cette stratégie consiste en l’utilisation contrô- lée d’un antibiotique, ou d’un nombre limité d’antibiotiques dans un secteur défini, complétée par un changement programmé de ces derniers, remplacés par d’autres agents antimicrobiens de manière à éviter le développement de résistances bacté- riennes [18]. On ne sait cependant aujourd’hui pas précisément de quelle manière la rotation des agents antimicrobiens doit être conçue et pratiquement appliquée.
Malgré de nombreux essais cliniques [19-22], réalisés dans différentes conditions épidémiologiques, il impossible aujourd’hui de préciser la place de la rotation prédéterminée des agents antimicrobiens dans la stratégie de lutte contre la résistance bactérienne.
Désescalade du traitement antimicrobien
Il est désormais établi qu’un traitement antimicrobien inadéquat en cas d’infections graves, telles qu’une pneumonie ou une bactériémie nosocomiale, est associé non seulement à une réponse thérapeutique insuffisante, mais également à une augmentation significative de la morbidité et de la mortalité [24, 25]. L’augmentation de l’incidence des infections nosocomiales due aux bactéries multirésistantes impose aux cliniciens de tenir compte des données épidémiologiques pour établir des recommandations pour le choix d’un traitement antibiotique initial.
Une stratification relative au risque de portage ou d’infections à germes résistants de même que des tests de dépistage de portage des germes cibles peuvent permettre d’identifier précocement les patients pour lesquels il est nécessaire de définir des stratégies thérapeutiques. Les patients à haut risque infectieux ou colonisés par des germes résistants doivent être traités initialement de manière agressive au moyen d’une combinaison d’antibiotiques, assurant une couverture des agents pathogènes les plus probables, basée sur la situation épidémiologique du secteur hospitalier en question. Le choix antibiotique initial peut être modifiée en fonction de chaque situation, en examinant les spécimens cliniques et microbiologiques disponibles chez le patient considéré. Ensuite, le traitement empirique doit être adapté aussitôt que l’agent pathogène responsable de l’infection est identifié. Il doit en particulier être immédiatement interrompu lorsque le diagnostic d’infection a été exclu, ou serait devenu fort improbable. Ce principe de désescalade du traitement antibiotique est une stratégie qui permet un juste équilibre entre la nécessité d’instaurer un traitement antibiotique initial adéquat chez les patients à haut risque infectieux, et
celle d’éviter l’utilisation inadéquate et inutile d’antibiotiques liés au développement et à l’acquisition de résistances [25].
Prévention des infections nosocomiales
Stratégies globales de prévention
L’hygiène hospitalière comprend une large série de mesures allant du contrôle de l’environnement, à celui des pratiques de soins et du choix des matériaux destinés aux soins, en passant par les mesures administratives liées à l’accréditation des institutions et à l’éducation du personnel. Parmi les défis majeurs du domaine, on cite volontiers le développement de stratégies destinées à améliorer la qualité de la prise en charge et à modifier le comportement des soignants en regard du risque infectieux.
Le comportement des soignants auxquels il est demandé de suivre et de respecter ces mesures est à la base du principe de prévention du risque infectieux. La majorité des infections nosocomiales est associée aux pratiques de soins. Le risque infectieux est inhérent à ces pratiques et quasiment omniprésent. Les protocoles de soins et de prise en charge des patients comprennent une série de mesures destinées à limiter le risque infectieux, tant pour le patient ou la communauté, que pour le soignant.
Ainsi, le respect des mesures de précautions et des protocoles impliquant ces mesures font partie intégrante des démarches de gestion du risque infectieux, de prévention des infections croisées, de limitation de la transmission des résistances et de maintien de la qualité des soins.
L’éducation est l’une des pierres d’angle de l’amélioration des pratiques de soins visant à réduire le risque infectieux. Elle est nécessaire à tous les niveaux hiérarchiques ou de formation. Les programmes éducatifs doivent ici aborder des questions aussi variées que la disponibilité et la valeur des recommandations de bonnes pratiques, le risque potentiel de transmission croisée, la connaissance des indications d’hygiène manuelle, du respect des procédures destinées à limiter la propagation des germes résistants, et celle de la mauvaise observance des pratiques par la plupart des soignants ; de même, le lien entre infections associées aux pratiques de soins et morbidité, mortalité et excédents de dépenses, ainsi que l’évidence épidémiologique de l’impact d’une meilleure observance des pratiques, doivent être enseignées. Par ailleurs, l’encadrement doit assurer l’enseignement des aspects techniques du geste d’hygiène des mains, du respect des mesures de prévention de la propagation des germes pathogènes, et du respect des lignes de conduite proposées pour le choix de l’administration des agents antimicrobiens, ainsi que l’avantage des options à disposition dans certaines situations.
Les stratégies de promotion du changement de comportement et des pratiques soignantes doivent être mises sur pied en connaissance des différents paramètres influençant ces pratiques. Se basant sur les données des théories socio-cognitives du
comportement, ces interventions doivent être multifactorielles, considérant simultanément plusieurs des paramètres-clés. Ces stratégies montrent une analogie avec certains principes de marketing. Les interventions doivent considérer différents niveaux d’influence, y compris au plan cognitif. L’individu, en l’occurrence le soignant, évolue au sein d’un groupe, part d’un système de soins et de ses ramifications sociales et environnementales. Les diverses interactions entre le soignant, son environnement, et les réseaux qui l’entourent, influencent son comportement. Connaissances, motivation, intention, perception du risque et de l’impact de l’amélioration du comportement, ainsi que sentiment de capacité de contrôle et d’intégration en milieu social, sont autant de paramètres influençant le comportement.
Modifier le comportement des soignants et maintenir durablement ce changement comptent parmi les défis prioritaires de la prévention du risque infectieux et de la maîtrise de la propagation des résistances bactériennes. Les stratégies visant à promouvoir et à maintenir ce changement doivent être multiparamétriques et tenir compte des interactions entre l’individu et son milieu socio-cognitif, ainsi que des contraintes de l’environnement et des systèmes dans lesquels il évolue.
Mesures de contrôles
Les mesures de contrôle des germes résistants sont multiples et ne peuvent pas être détaillés ici, compte tenu que certaines sont spécifiques, variant selon le mode de transmission, la niche écologique, le site réservoir, ou encore la propension à la propagation épidémique des bactéries concernées. À titre d’illustration les mesures recommandées pour le contrôle de la propagation des staphylocoques dorés résistants à la méticilline figurent sur la Table 2.
Exemples d’interventions
À Genève au cours des dernières années, nous avons pu démontrer l’impact à long terme de deux interventions complexes, résultant de démarches visant à une amé- lioration globale et durable de la qualité des soins couplée à une réduction de la nécessité d’utiliser des antibiotiques.
Concernant l’hygiène manuelle, dont il est bien établi qu’elle est souvent déficiente, nous avons conduit une intervention multimodale sur le long terme [26, 27]. Après observation des pratiques en décembre 1994, une campagne de promotion de l’hygiène des mains a été conduite pendant plusieurs années. L’intervention comprenait la promotion de l’hygiène des mains par l’intermédiaire d’affiches murales largement distribuées, renouvelées périodiquement, figurant l’importante de l’hygiène et des soins aux mains, des infections nosocomiales et de l’emploi préfé- rentiel de la friciton hydro-alcoolique par rapport au lavage des mains conventionnel ; la mesure répétée à intervalle de six mois de l’observance des pratiques d’hygiène des mains et la restitution de la performance moyenne institutionnelle et
TABLE 2. — Mesures de contrôle vis à vis de germes résistants, l’exemple du staphylocoque doré résistant 1. Sensibilisation et éducation du personnel soignant 2. Solidarité institutionnelle / inter-institutionnelle (déclaration transparente des sujets colonisés ou infectés) 3. Promotion de l’hygiène des mains 4. Respect des précautions de contact – isolement et attribution de chambres individuelles ou réunissant des patients porteurs – regroupement en cohorte large ou spécifique 5. Dépistage systématique, dirigé, ou selon profil à risque 6. Dépistage/Reconnaissance immédiate des cas 7. Décolonisation selon schéma validés 8. Antibiothérapie contrôlée 9. Dépistage du personnel soignant (et décontamination) par service après chaque période d’observation ( www.hopisafe.ch) . Globalement, les résultats ont consisté en une amélioration notable et soutenue de l’observance moyenne institutionnelle à l’hygiène des mains, passant de 48 % en décembre 1994 à 66 % en décembre 1997. L’impact de l’amélioration de l’observance à l’hygiène des mains a été une diminution de près de 50 % des taux de prévalence des infections nosocomiales, ainsi que du taux de transmission des staphylocoques dorés résistants à la méticilline (SARM ou MRSA). Ces résultats ont largement été repris au terme d’un processus de revue systématique de toutes les données publiées au cours de la dernière décennie, par un groupe d’experts internationaux. Ces travaux ont récemment abouti à la publication de recommandations pratiques pour l’hygiène des mains en milieu de soins sous l’égide de plusieurs sociétés et groupements nordaméricains [28]. Ces démarches ont été suivies de révisions des recommandations au sein de plusieurs pays en Europe en particulier, ainsi que par de nombreuses sociétés savantes. Ces nouvelles recommandations sont aujourd’hui considérées comme standard de qualité des soins ; certaines nations, comme le Royaume Uni par exemple, ont décidé, par décret, que l’accès à la friction hydro-alcoolique devenait obligatoire au sein des institutions de soins. Un délai de 6 mois a été donné aux hôpitaux de soins aigus pour la mise en place de cette stratégie, et un accompagnement logistique centralisé massif a été mis à disposition par l’agence nationale pour la sécurité des patients (National Patient Safety Agency, www.npsa.nhs.uk/ cleanyourhands ).
De même, après avoir constaté que les recommandations en usage ne correspondaient plus aux pratiques effectives des soignants, nous avons développé un programme d’éducation spécifiquement destiné à prévenir les infections liées aux accès vasculaires. Fondé sur la démonstration de leur efficacité dans la littérature, ce programme comprend des directives précises sur la pose des différents accès vasculaires (préparation du matériel, désinfection de la peau, précautions stériles maximales, technique détaillée d’insertion), sur leur utilisation (désinfection systémati-
que des mains, manipulation des réseaux) et sur les soins qui leur sont apportés (schéma de remplacement, type et fréquence de réfection des pansements) [29].
L’ensemble des médecins et des infirmières en charge des patients ont été spécialement et régulièrement entraînés à appliquer ces recommandations. Dans les 8 mois suivant son introduction, l’incidence des bactériémies liées aux accès vasculaires a diminué de 67 % (de 6.6 à 2.3 bactériémie primaire par 1000 jours-cathéter) et celle des sites d’insertion des cathéters de 64 % (de 9.2 à 3.3 bactériémie primaire par 1000 jours-cathéter). Parallèlement, nous avons observé une réduction de 35 % de l’incidence globale des infections nosocomiales acquises en réanimation. Nous avons pu montrer que cette réduction était maintenue 6 ans après l’intervention.
Une démarche comparable a conduit d’autres équipes à développer des programmes spécifiques, dont l’introduction a également été suivie d’une réduction significative des épisodes d’infection [30-32]. Ce concept d’introduction coordonnée d’une stratégie préventive prenant en compte l’ensemble de ces mesures dans le processus de prise en charge des patients s’est imposé [32]. Il est désormais à la base des nouvelles directives de prévention des infections liées aux accès vasculaires conjointes à près de 15 organisations scientifiques publiées en août 2002 (http :
//www.cdc.gov/mmwr/preview/mmwrhtml/rr5110a1.htm) [33].
Conclusions
Les praticiens hospitaliers doivent développer et promouvoir les stratégies visant à une meilleure utilisation des agents antimicrobiens. Certaines, telles que la rotation des agents antimicrobiens, les traitements combinés, les changements programmés des régimes antimicrobiens, ou encore le principe de désescalade, sont extrêmement prometteuses. Ces stratégies ont démontré des effets favorables sur des populations définies de patients seulement. Elles ont permis une réduction des taux d’infections nosocomiales. Les actions visant à interrompre la propagation des germes résistants sont de première importance, car elle contribue à limiter l’importance du réservoir de résistance, lui-même à l’origine de nouveaux phénomènes de propagation et d’amplification du phénomène de résistance. Les stratégies améliorant les pratiques de soins sont efficaces ; elles nécessitent souvent une approche multidisciplinaire, et multimodale. Elles ont l’avantage d’une meilleure persistance dans le temps, mais implique probablement une réactivation permanente. Des études contrôlées, réalisées selon les règles de l’art de la médecine basée sur les preuves, sont indispensables afin que des décisions et des recommandations plus générales puissent être proposées. Dans tous les cas, les stratégies les plus efficaces sont multidisciplinaires, nécessitant la coopération des médecins traitants, de l’ensemble de l’équipe médicosoignante, des membres du programme de prévention des infections, de la pharmacie et des médecins consultant spécialisés en microbiologie et en maladies infectieuses. Ces programmes hospitaliers, qui peuvent être inclus dans la perspective d’amélioration continue de la qualité des soins, doivent permettre de conserver l’efficacité des agents antimicrobiens et de limiter au maximum le développement et la propagation des résistances bactériennes et fongiques dans le futur.
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DISCUSSION
M. Pierre RONDOT
Vous avez parlé initialement des observances à respecter par le personnel hospitalier. Que pensez-vous de ce qui doit être recommandé aux visiteurs ?
Il est en effet important que le personnel de soins respecte les consignes établies et qui font l’objet de protocoles rigoureux. Concernant les visiteurs, si les recommandations officielles ne figurent pas dans les protocoles établis, chaque institution de soins veille cependant à édicter des recommandations propres à l’institution à l’intention des visiteurs. C’est le cas par exemple pour les Hôpitaux Universitaires de Genève où des recommandations simples, à la portée des visiteurs, et établies en plusieurs langues, sont préparées et distribuées. Par ailleurs, il est du devoir de l’équipe soignante en charge du patient considéré, d’informer les visiteurs sur les précautions à prendre et à respecter, et de les faire respecter dans la mesure où elles ne le sont pas.
M. Jean-Roger LE GALL
En réanimation, les recommandations aux visiteurs sont systématiques : port de blouses, recours aux solutions hydro-alcooliques. Ma question est : quelle est l’utilité, en plus des solutions hydro-alcooliques pour les mains, du port de blouses jetables, de masques, de gants ?
L’utilité, pour les visiteurs, en plus des solutions pour friction hydro-alcoolique, du port de blouses jetables, de masques ou de gants, n’est pas documentée pour la plupart des situations, y compris en réanimation. Il y a évidemment les situations d’exception, tels qu’en cas de germes aéroportés (exemple : tuberculose), ou de transmission par gouttelettes (exemple : méningite à méningocoque), au cours desquelles le port de masque adapté est nécessaire et recommandé.
M. Pierre BÉGUÉ
Les solutions hydro-alcooliques sont une véritable révolution dans la pratique de l’hygiène.
Comment explique-t-on leur action supérieure à celle des autres procédés utilisés auparavant ?
Les raisons de la supériorité des solutions hydro-alcooliques pour l’hygiène des mains au cours des soins sont avant tout liées aux propriétés d’effet antimicrobien immédiat de l’alcool, de l’accessibilité facilitée des solutions pour friction hydro-alcoolique qui
peuvent être mises à disposition aux abords immédiats du patient et que les soignants sont à même de transporter sur eux au cours de leurs déplacements au sein du système hospitalier, la bonne tolérance des produits lorsqu’ils contiennent des émollients protecteurs, et le gain de temps considérable, associés à l’efficacité des produits et à la rapidité avec laquelle les mains sont à nouveau prêtes à accomplir un soin.
M. Roger NORDMANN
J’ai été particulièrement frappé, par la grande supériorité de l’acte d’hygiène des mains par friction hydro-alcoolique par rapport au savon. Ce qui est vérifié à l’hôpital doit également être exact en milieu extra-hospitalier. Cependant, à l’heure actuelle, le pain de savon a été remplacé dans les toilettes publiques par des flacons de savon liquide. Ne conviendrait-il pas de remplacer ce savon liquide par la solution hydro-alcoolique dans l’ensemble de ces toilettes publiques ? Cependant n’y aurait-il pas alors risque de consommation de cette solution par les sujets en difficulté avec l’alcool si cette solution est de l’alcool à 70° sans addition d’une substance le rendant « repoussante à la consommation » ?
Il est certain que la mise à disposition de solutions hydro-alcooliques dans des lieux publiques serait probablement associée à une efficacité supérieure à celle des savons en pains ou liquides. Il convient cependant de rappeler que lorsque les mains sont souillées, l’utilisation d’un lavage manuel à l’eau, avec ou sans savon, est recommandée, la solution hydro-alcoolique n’étant pas optimale dans cette situation. Il est vrai également qu’une solution à base d’alcool éthylique pourrait être associée à sa consommation dans un système sans surveillance par les individus abusant habituellement de l’alcool, si une substance la rendant repoussante à la consommation n’y est pas ajoutée. Nous n’avons cependant, à ma connaissance, jamais été confrontés à cette problématique au sein de nos institutions.
M. Pierre GODEAU
La contamination microbienne par la membrane des stéthoscopes souvent porteuse de germes justifie t-elle une désinfection systématique ?
La contamination microbienne de la membrane et de la surface extérieures des stéthoscopes justifie, à mon avis, une désinfection régulière du stéthoscope au moyen idéalement de tampons alcoolisés.
M. Bernard HILLEMAND
La mise en pratique du lavage hydro-alcoolique des mains, d’où chute de la morbidité des infections nosocomiales, s’est-elle faite à effectifs infirmiers constants ou non ?
Les observations de réduction de la morbidité des infections nosocomiales, en parallèle du recours à la friction hydro-alcoolique comme mesure préférentielle de l’hygiène des mains, ont été formulées à effectifs infirmiers constants, voire diminués dans certains secteurs de l’institution, et de toute évidence à charge de travail de plus en plus importante au cours du temps.
* Service de Prévention et Contrôle de l’Infection, Direction médicale, Hôpitaux Universitaires de Genève CH-1211 Genève 14, Suisse Tel : (+4122).372. 9828 FAX : (+4122).372. 3987 E-mail : didier.pittet@hcuge.ch Tirés à part : Professeur Didier PITTET, même adresse Article reçu le 20 octobre 2004, accepté le 25 octobre 2004
Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 8, 1269-1281, séance du 9 novembre 2004