Rapport
Session of 30 janvier 2007

07-04 Dépistage organisé du cancer colorectal. Situation actuelle et évolution souhaitable

MOTS-CLÉS : dépistage systématique. marqueurs biologiques.. méthodes immunologiques. tumeurs colorectales
Mass screening for colorectal cancer ; current situation and future perspectives
KEY-WORDS : biological markers.. colorectal neoplasms. immunologic techniques. mass screening

Claude Dreux et Daniel Couturier (au nom d’un groupe de travail émanant de la Commission I — Biologie)

Résumé

L’utilité d’un dépistage précoce des cancers colorectaux ou des polypes susceptibles d’évoluer en cancers n’est plus à démontrer. L’Académie nationale de médecine a pris position sans ambiguïté dans un communiqué adopté en 2002, puis un rapport voté en 2004 en association avec l’Académie nationale de pharmacie. La recherche de sang occulte dans les selles suivie du test, en cas de positivité d’une coloscopie est la méthode appliquée dans pratiquement tous les pays ayant mis en place un dépistage organisé. Cette méthode est recommandée chez les personnes de 50 à 74 ans. La technique basée sur la recherche de sang dans les selles avec la réaction au gaïac est la seule préconisée jusqu’ici en France et utilise le test HEMOCCULT II ®. Cette méthode non spécifique du sang humain présente des performances limitées, particulièrement en terme de sensibilité. L’étude, chez dix mille personnes d’une nouvelle méthode de détection du sang humain dans les selles par une technique immunologique automatisée en comparaison avec l’HEMOCCULT II ® fait preuve d’une réelle avancée tant en sensibilité qu’en spécificité si l’on adapte le seuil de positivité du test aux nécessités du dépistage. Il faut tenir compte néanmoins des rares complications et du caractère pénible de la coloscopie qui imposent une spécificité élevée pour éviter les coloscopies inutiles. L’Académie nationale de médecine recommande notamment que dans les nouveaux départements proposés pour le dépistage en 2007 la méthode immunologique automatisée soit privilégiée par les autorités de santé. Dans ces départements de même que dans les vingt-trois premiers utilisant l’HEMOCCULT, une évaluation des résultats devra être effectuée tous les deux ans en tenant compte, en particulier, du rapport coût / efficacité du dépistage.

Summary

Early screening for colorectal cancer and at-risk polyps is clearly beneficial. The French National Academy of Medicine supported this form of screening unequivocally in 2002, and again in 2004, jointly with the National Academy of Pharmacy. Screening for occult blood in stools, followed by coloscopy if positive, is the method used in practically all countries that have adopted mass screening. This test is recommended for persons aged from 50 to 74 years. Only the gaiac reaction for detecting occult blood is recommended in France, as implemented in the HEMOCCULT II® test. However, this method is not specific for human blood and lacks sensitivity. A recent study involving 10 000 persons compared HEMOCCULT II® with a new automated immunological technique for detecting human blood in stools. The results showed a major improvement in both sensitivity and specificity with the immunological method, provided the positivity cutoff was adjusted to screening imperatives. It is necessary to take into account the (rare) complications and inconvenience of coloscopy, and the need for good specificity in order to avoid unnecessary coloscopies. The National Academy of Medicine recommends that the authorities favor the automated immunological method when screening is extended to other French counties in 2007. In these counties, as in the first 23 counties to use HEMOCCULT, the results must be assessed every two years, focusing notably on cost-effectiveness.

L’utilité d’un dépistage organisé des cancers colorectaux (CCR) dans la population âgée de 50 à 75 ans est communément admise. L’Académie nationale de médecine a déjà pris position en sa faveur à deux reprises [1, 2].

Chaque année plus de 35 000 cas de CCR sont découverts en France et le nombre de décès dont ils sont responsables s’élève à 16 000 [3]. La baisse de la mortalité obtenue par le dépistage organisé a été démontrée ; elle justifie sa diffusion.

Les principaux critères exigés pour mettre en œuvre un dépistage organisé sont réunis pour le CCR :

— la maladie est fréquente et grave.

— Il existe un traitement efficace lorsque le cancer est reconnu précocement ou, mieux encore, lorsqu’une tumeur bénigne, le polype adénomateux, susceptible de se transformer en cancer est décelée et réséquée.

— Le test de dépistage basé sur la présence d’hémoglobine dans les selles est peu coûteux et sans danger. Il permet de reconnaître, dans la population générale, les sujets suspects d’être porteur d’une tumeur. Le diagnostic
nécessite une endoscopie rectocolique qui doit obligatoirement être pratiquée en cas de test positif. La coloscopie est un examen coûteux qui nécessite une anesthésie générale ; il n’est pas dépourvu de tout risque (deux complications pour mille) [4]. Dans la mesure où la fiabilité de la coloscopie est très bonne, l’efficacité du dépistage dépend principalement de la sensibilité du test du dépistage.

En France, la méthode mise en œuvre jusqu’à maintenant dans le dépistage organisé repose sur la coloration bleue obtenue avec des réactifs à base de résine de Gaïac en présence d’hémoglobine. Le test commercial utilisé est l’HEMOCCULT II ®. Ce test a le défaut d’être peu sensible ce qui entraîne un nombre élevé de faux négatifs. Il faut donc améliorer les conditions techniques du dépistage organisé pour augmenter sa sensibilité tout en conservant une spécificité de même niveau. En outre, les campagnes de dépistage à l’échelon départemental n’ont souvent touché qu’une faible partie de la population à risque. Or, il est démontré que, d’un point de vue de Santé Publique, la diminution de la mortalité mise à l’actif du dépistage organisé n’est réelle que si une fraction importante de la population (au moins 50 %) se prête au dépistage.

Ce rapport a pour objet d’attirer l’attention sur les moyens d’améliorer l’efficacité d’un dépistage dont les résultats sont encore insuffisants. Une brève revue de la situation en France et en Europe sera présentée au préalable.

Quelle est la situation actuelle en France ?

Le dépistage organisé par la recherche de sang occulte dans les selles est en cours dans vingt-trois départements et repose sur le test HEMOCCULT II ®. Ce test est prévu tous les deux ans chez les personnes asymptomatiques âgées de 50 à 74 ans ne présentant pas de facteur de risque individuel ou familial. La structure de gestion départementale invite la population cible à se rendre chez le médecin généraliste de son choix pour se faire remettre le test. Les personnes prélèvent elles-mêmes six échantillons de selles sur trois cartons, et les envoient par la poste au Centre de lecture (treize centres sont agréés, il s’agit en majorité de Centres d’Examen de Santé des Caisses primaires d’assurance maladie). En cas de test positif, le médecin généraliste, qui a remis le test et est averti du résultat, prescrit une coloscopie. Les médecins reçoivent une formation spécifique dont la structure de gestion est responsable. Ils perçoivent une rémunération dépendant du nombre de tests réalisés. Les données recueillies par les structures de gestion départementales sont transmises à l’Institut de Veille Sanitaire (InVS) pour évaluation du programme au plan national.

L’utilité du dépistage basé sur ce test et son efficacité en terme de survie ont été prouvées dans des études réalisées dans différents pays ; une des plus probantes a été réalisée en Europe du Nord, dans des conditions voisines de
celles prévues par le dépistage organisé français [5]. L’intérêt de la technique est reconnue mais ses défauts doivent être pris en considération : — la réaction colorimétrique n’est pas spécifique de l’hémoglobine humaine ; — un cancer sur deux reste non dépisté par défaut de sensibilité. Ceci a été confirmé dans le nouveau cahier des charges publié en 2006 1 ; — pour diminuer le nombre de faux positifs, les centres de lecture sont incités à ne pas dépasser 2 % de tests positifs. Ce chiffre arbitraire repose sur une préoccupation économique (éviter les coloscopies à résultats normaux), plutôt que sur une démarche scientifique ; — le test est mal accepté par les médecins qui craignent d’inquiéter ou, pire, de tranquilliser à tort leurs patients, avec pour conséquence une faible adhésion de la population ; — le cahier des charges exigé par les pouvoirs publics est particulièrement lourd. Ainsi, la généralisation du dépistage par l’HEMOCCULT II ® rencontre-t-elle des difficultés qui ne sont en partie surmontées, comme en Bourgogne, qu’au prix d’un gros travail d’information du public et des professionnels de santé [6].

Les résultats disponibles après la campagne de dépistage 2002-2004 utilisant l’HEMOCCULT II ® dans dix-neuf départements français ont été évalués par l’InVS en janvier 2006 [7]. La mise en œuvre du programme a été difficile. Les départements sélectionnés en 2002 n’ont mis en route le programme qu’en 2003-2004. Le financement a été échelonné et parfois retardé et le nombre de médecins participants est resté trop faible.

Le bilan des premiers résultats obtenus dans ces dix-neuf départements permet de dégager les données suivantes :

— sur les 2 700 000 personnes invitées à participer au dépistage (qui ne représentent que 66 % de la population cible), 680 000 seulement se sont prêtées au test HEMOCCULT II ® ;

— le taux de participation espéré était de 50 % pour observer une diminution significative à long terme de la mortalité par CCR. Or, la participation moyenne pour les départements où le dépistage a été commencé depuis plus de douze mois et où plus de 80 % de la population a été contactée, a été seulement de 33 % ;

— le pourcentage moyen de tests Hemoccult II ® non analysables a été de 3,4 % (1,1 à 6,6 %) ;

— le pourcentage moyen des tests positifs s’est élevé à 2,7 % de la population examinée. Il en est résulté 11 578 coloscopies (78 % des tests positifs). Le pourcentage moyen de coloscopies n’ayant détecté ni polypes ni cancer (faux positifs) a été de 54 % (42 à 65 %) ;

— la valeur prédictive positive (VPP) a été en moyenne de :

— 31 % (17 à 45 %) pour un adénome — 22,5 % (12 à 45 %) pour un adénome de plus d’un centimètre — 9,3 % pour un cancer.

1. Annexe 255 du J.O., p. 32038-32040.

La conclusion de l’InVS est que « les principaux indicateurs, en dehors des taux de participation, sont cohérents avec les références internationales » pour ce type de dépistage organisé avec le test HEMOCCULT II ®. L’InVS commente ces résultats en considérant qu’ils « devront être consolidés dans le temps notamment en ce qui concerne la participation » sans évoquer l’amélioration des performances du test de dépistage initialement choisi.

Qu’en est-il en Europe ?

Une enquête a été réalisée par l’IDCA (« International Digestive Cancer Alliance ») auprès de quarante sociétés nationales de gastroentérologie dont vingt-cinq d’entre elles appartenant à un pays membre de l’Union européenne (UE) [8]. La moitié des pays de l’UE a élaboré des recommandations en matière de dépistage du CCR, mais seulement 44 % d’entre eux ont édicté des règles pratiques pour ce dépistage. Dans 62 % des cas, il s’agit d’un dépistage basé sur le test H TM EMOCCULT en première intention ; dans 38 % des cas, le choix est laissé entre l’Hemoccult TM suivi le cas échéant de la coloscopie ou la coloscopie en première intention. Quatre pays sont cités en exemple pour leurs activités coordonnées de dépistage : la France, la République tchèque, la Finlande et l’Allemagne. En Allemagne la coloscopie en première intention est recommandée à partir de 53 ans avec d’excellents résultats diagnostiques, mais seulement 10 % de la population cible a participé jusqu’à présent à ce programme.

La France est donc, parmi les pays de l’Union européenne, un des premiers à avoir engagé un programme de dépistage des CCR, même si la généralisation du dépistage à l’ensemble des départements tarde à se concrétiser pour des raisons financières certes, mais aussi par un manque d’adhésion des professionnels de santé et de la population concernée.

Une amélioration technique : la recherche automatisée de sang humain occulte dans les selles par la méthode MAGSTREAM.

En suivant le même protocole que celui utilisé pour le dépistage organisé basé sur le test HEMOCCULT II ®, l’équipe ERI3 INSERM « Cancer et populations » appartenant à l’EA 3936 de l’Université de Caen a proposé une méthode de lecture automatisée de dosage de l’hémoglobine humaine dans les selles (automate M ® AGSTREAM , Fujirebio, Japon) [9]. Cette méthode est déjà largement utilisée dans plusieurs pays (Japon, Italie, Australie…). Elle est basée sur l’agglutination de particules de gélatine magnétisées recouvertes avec un anticorps spécifique de l’hémoglobine humaine. Une lecture optique automatisée permet de doser la quantité d’hémoglobine présente dans le prélèvement.

Les avantages de la méthode sont :

— de meilleures fiabilité et reproductibilité du dosage automatisé par rapport à une interprétation visuelle et qualitative du résultat telle qu’elle est réalisée avec la méthode au Gaïac ;

— l’évaluation quantitative de la concentration d’hémoglobine dans l’échantillon permettant de fixer un seuil de positivité plus ou moins élevé ;

— la spécificité de dosage de l’hémoglobine humaine (sachant que le test au Gaïac ne décèle que le sang non dégradé par la digestion, éliminant ainsi, en principe, l’hémoglobine provenant de l’alimentation, mais pas l’interfé- rence de certains médicaments) ;

— le coût du test immunologique serait du même ordre de grandeur que celui du test au Gaïac, mais ceci doit être confirmé en fonction du nombre de tests envisagés.

En France, ce test a été évalué dans deux études menées successivement dans la Manche chez 7 421 personnes âgées de 50 à 74 ans, puis dans le Calvados chez 10 673 sujets âgés de 50 à 74 ans. Dans la dernière étude, les patients ayant au moins un test positif ont fait l’objet d’une coloscopie totale.

Au seuil de positivité préconisé par le fabriquant du test immunologique (20 ng d’hémoglobine/ml correspondant à 0,1 à 0,2 mg d’hémoglobine par gramme de selles), le pourcentage de positivité était de 6,9 % versus 2,4 % avec l’HEMOCCULT II ®.

En adoptant ce seuil, la sensibilité du dépistage d’une néoplasie avancée (cancer colorectal ou adénome de plus de 1 cm de diamètre ou porteur de dysplasie de haut grade) était améliorée de 202 % par rapport au test HEMOCCULT II ® ; mais ce gain de sensibilité s’accompagnait d’une baisse de spécificité avec une augmentation de 168 % des résultats faussement positifs.

Dans ce contexte, deux autres seuils ont été évalués : 50 et 75 ng/ml.

— Au seuil de 50 ng/ml, la sensibilité du test immunologique est de 68 à 83 % versus 50 % pour le test au gaïac d’après les différentes études.

— Au seuil de 75 ng/ml, la sensibilité du test immunologique est de 61 à 81 %, ce qui correspond à une diminution de 1/3 des faux négatifs. Avec ce seuil, la VPP atteignait 49,2 % versus 27,7 % pour l’HEMOCCULT II ®.

Quel que soit le seuil retenu, les gains étaient toujours plus importants pour les lésions précancéreuses que pour les cancers.

Le choix d’un seuil permet aussi d’atteindre un taux de positivité similaire à celui observé avec le test HHEMOCCULT II ® et tel que souhaité par les autorités de santé pour maintenir le nombre de coloscopies provoquées par le dépistage dans une limite acceptable.

C’est ce qu’a montré E. Dorval dans son intervention devant le groupe de travail le 25 octobre 2006. Il a présenté le tableau suivant [9] analysant les performances du test MAGSTREAM en fonction du seuil de positivité :

% de résultats Hb (ng/ml) Sensibilité Spécificité positifs en population 85 % 94 % 5,8 % > 20 68-83 % 97 % 3,1 % > 50 61-81 % 98 % 2,0 % > 75 Des études d’économie de la santé devraient permettre de définir le taux de positivité qui correspond au meilleur équilibre sensibilité/spécificité.

Ainsi, le remplacement de l’HEMOCCULT II ® par les tests immunologiques pourrait accentuer la réduction de morbi-mortalité par cancer colorectal sans modifier la stratégie en place.

Il apparaît aussi que les tests immunologiques automatisés ne nécessitent pas l’interruption de l’usage de certains médicaments (Vitamine C, aspirine). Ils ont une meilleure sensibilité que les tests au Gaïac, le gain étant plus important pour les adénomes à haut risque et les cancers.

Des voies prometteuses, mais encore à l’étude : le dépistage par les méthodes analysant l’ADN et le coloscanner

Méthodes d’analyse de l’ADN.

Récemment J. Sobhani et M. Abolhassani ont effectué une revue de ces méthodes [10]. Du fait de la faible sensibilité des tests utilisés jusqu’ici (test au Gaïac) qu’ils estiment à 25-50 %, ils préconisent la recherche de méthodes plus sensibles et de même spécificité basées sur l’examen de l’ADN des cellules tumorales. On estime que sur 1010 cellules coliques exfoliées en cas de cancers coliques, 14 à 24 % des cellules libérées dans la lumière intestinale sont d’origine tumorale. Les ADN anormaux seraient de meilleurs marqueurs que les protéines tumorales telles des mucines anormalement glycosylées ou des cytokératines, voire de peptides surexprimés par ces cellules cancéreuses.

Leur expérience personnelle porte essentiellement sur un test fécal de détection de l’ADN altéré. L’ADN est relativement stable dans les selles. On observe des anomalies de taille et de séquences (mutations ponctuelles) d’ADN chez les patients atteints de cancers ou même porteurs d’adénomes. On admet que l’ADN altéré est en principe d’origine tumorale.

Après une phase d’extraction de l’ADN tumoral, l’ADN est analysé d’abord selon son poids parce que les cellules tumorales qui échappent à l’apoptose possèdent des fragments d’ADN plus longs que ceux habituellement retrouvés dans une cellule normale. Mais cette technique présente une faible sensibilité, l’ADN long étant souvent dégradé au cours de la phase pré-analytique. Par contre, des mutations des gènes tels que APC, K-ras, p. 53 ou des anomalies des microsatellites ont été observées. On obtient par ces techniques une
sensibilité de 62 à 91 % pour les adénocarcinomes et de 27 à 82 % pour les adénomes [11].

Des ensembles moléculaires incluant vingt-trois marqueurs ont été également étudiés et adaptés aux conditions de dépistage. Les résultats obtenus sont jusqu’à présent décevants en raison des conditions de prélèvement et de conservation des selles.

Des anomalies de méthylation des gènes SFRP (« secreted frizzled related protein ») ou de la vimentine ont été également recherchées. Une sensibilité de 46 % associée à une spécificité de 90 % a pu être ainsi obtenue.

L’ensemble des recherches actuellement publiées permet d’espérer que l’analyse de l’ADN fécal puisse devenir un test de choix. Il faudra cependant résoudre les problèmes de coût et d’application au dépistage de masse, notamment en ce qui concerne la phase pré-analytique (acheminement, conservation, extraction…) et l’automatisation. La spécificité par rapport à des tumeurs digestives diverses (gastriques, pancréatiques, biliaires…) devra être aussi étudiée.

La réalisation de collections biologiques telle celle en cours à l’Hôpital Henri Mondor (Créteil) doit contribuer à la mise au point de méthodes susceptibles d’être appliquées au dépistage organisé et/ou au dépistage individuel des CCR. Cette initiative est exemplaire et concrétise le désir de perfectionner les moyens de dépistage du CCR. Elle sera également utile à l’établissement de critères à base génétique permettant de choisir entre plusieurs traitements et de fixer un pronostic.

Coloscanner ou coloscopie virtuelle.

De même que l’on s’efforce d’améliorer les résultats du test de dépistage, il faut se préoccuper du perfectionnement de la méthode de diagnostic. C’est dans cette perspective que l’on peut être conduit à tirer parti du coloscanner.

Cette technique radiologique nouvelle, non invasive, facilement acceptée par les patients, utilise le scanner à rayons X. Elle représente une alternative à la coloscopie classique dans le cas où celle-ci, comme en Allemagne, est utilisée en première intention dans le dépistage de masse. Elle peut être aussi prescrite en cas de positivité de la recherche d’hémoglobine dans les selles pour confirmer le diagnostic. Il faut cependant savoir que si une ou des tumeurs sont détectées, la coloscopie classique sera obligatoire pour en permettre la biopsie ou la résection. La sensibilité atteint 93 % avec un taux moyen de faux positifs diminué. La coloscopie virtuelle offre les avantages suivants : — un caractère invasif réduit ; — une bonne tolérance avec reprise des activités immédiate après l’examen, en dépit d’un ressenti parfois pénible de l’insufflation colique ;

— un coût inférieur à celui de la coloscopie. Les risques encourus sont exceptionnels, la perforation aérique étant observée dans un cas sur deux mille seulement [12, 13].

Comment augmenter l’adhésion de la population lors des campagnes de dépistage organisé ?

Comme le souligne l’InVS [7], l’efficacité du dépistage en terme de survie des malades atteints de cancer du colon dans une population donnée est directement fonction de la fraction de cette population acceptant le dépistage. Le chiffre requis minimum est de 50 %. On est encore loin du compte avec un taux d’environ un tiers de participants. Une meilleure adhésion de la population sera recherchée en associant à la campagne d’information et en motivant d’autres professionnels de santé que les médecins généralistes et les gastroentérologues. Sera particulièrement recherchée la participation des médecins du travail, des pharmaciens et des médecins spécialistes avertis des problèmes de prévention comme les gynécologues. L’information devra également provenir de la Caisse locale d’Assurance Maladie, des municipalités, de la presse et des chaînes de radio et de télévision régionales et enfin des associations qui constituent un bon relais avec la population. L’accent pourra être mis sur l’amélioration de la sensibilité des tests immunologiques par rapport à ceux basés sur la coloration obtenue avec les tests au Gaïac.

Dépistage individuel versus dépistage organisé du cancer colorectal

Le dépistage organisé du CCR mis progressivement et difficilement en place dans les départements français par le Ministère chargé de la Santé a un objectif de résultat sur la Santé Publique. Il ne doit pas être confondu avec le dépistage individuel dont la finalité est différente.

Dans le domaine des CCR, le dépistage individuel concerne principalement les sujets à haut risque (antécédents familiaux de tumeurs, antécédents personnels de maladies inflammatoires de l’intestin). Le dépistage repose alors sur la coloscopie de première intention qui sera renouvelée en fonction de la situation individuelle. Les sujets à très haut risque [familles atteintes de polypose adénomateuse familiale ou de cancers rectocoliques familiaux sans polypose (HNPCC ; « hereditary non polyposis colorectal cancer »)] doivent être pris en charge par des équipes incluant des oncogénéticiens.

On doit aussi citer des initiatives individuelles ou associatives de dépistage (par exemple BIOPRÉVENTION) qui s’adressent à la population générale. Elles font appel à la détection de saignement par les méthodes immunologiques (les seules prises en charge par les organismes payeurs) dans un contexte qui facilite l’adhésion du public. Une étude comprenant plusieurs réactifs immunologiques disponibles en France a été récemment effectuée [14] ; elle montre que, quel que soit le test, la méthode immunologique de détection de l’hémoglobine humaine donne de meilleurs résultats que le test au Gaïac.

Ces initiatives concurrentielles ou redondantes avec la campagne nationale de dépistage montrent l’intérêt d’introduire sans délai les améliorations nécessaires pour rendre le dépistage national organisé plus attractif et plus performant.

CONCLUSION

L’intérêt du dépistage précoce en gain de survie des CCR ou des polypes susceptibles d’évoluer défavorablement a été démontré. Le nombre sans cesse croissant de ces cancers et leur pronostic péjoratif, malgré les progrès accomplis dans leur traitement, justifie amplement la recherche de meilleures méthodes de dépistage.

La recherche de sang occulte dans les selles constitue actuellement la méthode la plus utilisée pour les dépistages organisés dans la population des deux sexes de 50-74 ans.

La technique basée sur la recherche de sang occulte avec la réaction au Gaïac est celle adoptée dans plusieurs pays et a été la seule jusqu’ici préconisée en France pour les dépistages organisés : nous en avons montré les limites.

Du fait de ses faibles performances, l’adhésion au dépistage organisé des professionnels de santé de même que celle du public concerné est médiocre, ce qui contribue à expliquer la participation moyenne de 33 % obtenue dans les vingt-deux départements où le dépistage organisé a été mis en œuvre, d’après l’évaluation de l’InVS en janvier 2006.

L’étude, chez 10 000 personnes, d’une nouvelle méthode de détection du sang humain dans les selles par une technique immunologique automatisée [10] en comparaison avec la technique au Gaïac de l’HEMOCCULT II ® démontre une réelle avancée.

La possibilité de régler la limite de positivité du test permettrait aux autorités de santé de fixer les critères de dépistage en privilégiant la spécificité ou la sensibilité. Avec le seuil de positivité le plus élevé (75 ng/ml), le taux de positivité du test dans la population est voisin de celui obtenu avec l’HEMOCCULT II ® (2,4 %) permettant d’éviter l’inflation des coloscopies de dépistage. Ce chiffre est obtenu avec un gain de sensibilité de 90 % et une diminution des faux positifs de 33 %. Le remplacement du test au Gaïac actuellement utilisé ne modifie guère le coût du dépistage. Ainsi, les résultats disponibles du test immunologique automatisé pour la détection de l’hémoglobine humaine incitent-ils à le préférer au test au Gaïac.

Le dépistage individuel concerne principalement les sujets ayant un risque élevé de développement de la maladie et repose sur la coloscopie de première intention.

Des initiatives individuelles ou associatives de dépistage existent en concurrence avec la campagne menée par les pouvoirs publics. Elles reposent sur les tests immunologiques pris en charge par l’assurance maladie. Ces initiatives soulignent l’importance de perfectionner la méthode de dépistage préconisée par le Ministère chargé de la santé.

Communiqué

L’Académie nationale de médecine a déjà attiré l’attention en janvier 2002 et en février 2004 (en association avec l’Académie nationale de pharmacie) sur les méthodes de dépistage organisé des cancers colorectaux. Les résultats disponibles font état d’une faible sensibilité du test au Gaïac et d’une participation insuffisante de la population concernée. Par contre une méthode immunologique automatisée est maintenant validée et présente une spécificité et surtout une sensibilité très supérieure.

De ce fait l’Académie nationale de médecine émet les recommandations suivantes :

— les dépistages organisés en cours dans vingt-trois départements chez les personnes de 50 à 74 ans doivent être poursuivis à raison d’un examen individuel tous les deux ans. Afin d’obtenir une meilleure adhésion du public, il est indispensable d’associer aux médecins généralistes d’autres professionnels de santé : biologistes, pharmaciens, infirmiers, etc. Ces dépistages organisés devront faire l’objet d’évaluations régulières par un comité comportant des médecins généralistes, des gastroentérologues, des biologistes et des épidémiologistes.

— Dans les nouveaux départements proposés pour le dépistage organisé en 2007 (quatorze, dont Paris, plus douze après réexamen de leur dossier) la méthode immunologique automatisée devrait être introduite par les autorités de santé. Même si les avantages du test immunologique sont démontrés, il est nécessaire de prévoir une évaluation de la nouvelle méthode après un délai de deux années ; elle s’assurera de la fiabilité des résultats obtenus, de leur conformité aux résultats attendus ; enfin le coût économique devra être pris en considération.

— Il est indispensable de poursuivre et d’intensifier la recherche d’autres méthodes de réalisation simple et sans danger basées, notamment, sur l’analyse de l’ADN fécal, mais aussi sur l’imagerie médicale.

Ces recherches devraient être, en partie au moins, financées par les pouvoirs publics dans le cadre de la politique de prévention.

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massgeneralimaging.org [14] FAVENNEC L., KAPEL N., MAGNE D. et al. — Ann. Biol. Clin ., 1992, 50 , 311-312.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 30 janvier 2007, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.

* Membre de l’Académie nationale de médecine ** Constitué de : Membres de l’Académie : Mme ADOLPHE (Secrétaire), MM. ARDAILLOU, BOUREL, COUTURIER, DREUX (Président), JEANTEUR, MALAFOSSE, NORDLINGER. Membres extérieurs : Mme Nathalie KAPEL, M. GUY LAUNOY.

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 1, 155-166, séance du 30 janvier 2007