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RAPPORT
4 juin 2019 - Les malades mentaux demeurent les invisibles de nos sociétés, la maladie mentale restant marquée, dans notre imaginaire collectif, par l étrangeté et l idée du handicap. Trop nombreux sont ceux qui paient un lourd tribut à la stigmatisation et au renoncement thérapeutique. Pourtant des progrès considé- rables ont déjà été accomplis durant les 50 dernières années. L identification des
désordres neurobiologiques sous-jacents à ces maladies, la mise en évidence du poids de l environ- nement dans leur déclenchement annoncent des avancées majeures en matière de recherche et surtout de traitement. Les données de l épidémiologie, le poids et le coût des maladies mentales rendent indispensable une évolution radicale des investissements en recherche et dans l organisation graduée de l offre de soins. Pour la psychiatrie du XXIe siècle, l objectif n est plus de prendre en charge et d accompagner les malades mais de guérir les maladies mentales. Pour y parvenir, une mobilisation nationale et internationale à l image de celle qui fut engagée il y a quelques années contre le cancer est indispensable.
Rapporteur Jean-Pierre OLIÉ
Aucune action ponctuelle ne pourrait satisfaire l ambition imposée par la situation de la psychiatrie dans notre pays : une mobilisation nationale s im- pose, à l instar de ce que fut le plan cancer, adossée à une méthode et une approche exhaustives.
Une vaste concertation associant médecins, psycho- logues, professionnels de santé, acteurs sociaux, représentants des patients et des familles devrait en être le préalable.
Sur cette base, une équipe pluridisciplinaire pourrait être chargée de proposer aux pouvoirs publics une stratégie d ensemble, allant de la recherche aux soins et à l insertion sociale.
Pour mettre en oeuvre ce plan et sensibiliser la société à la réalité des maladies mentales, il faut une structure visible et totalement dédiée, un Institut National pour la Santé Mentale et la Psychiatrie.
Sans préjuger de ce que seraient les principales mesures d un plan national, l Académie nationale de médecine considère qu il devrait prendre en compte les 5 priorités suivantes.
Placer la recherche en psychiatrie au rang de prio- rité nationale et internationale
Plusieurs actions sont nécessaires pour rattraper le retard subi par notre pays malgré une histoire riche et la présence de compétences réelles :
un soutien durable des instituts de recherche INSERM, CNRS, CHU, Universités et agences de moyens par la mise en œuvre d appels d offres
fléchés. L identification de marqueurs de vulnérabi- lité et/ou de maladie mentale est désormais à portée de main, ce qui justifie d en faire une priorité de la recherche en psychiatrie ;
la formation et le recrutement d ensei- gnants-chercheurs en santé mentale et psychiatrie conditionneront le caractère pérenne des réseaux et coopérations nécessaires pour les recherches en neurobiologie, épidémiologie et sciences humaines et sociales appliquées à la psychiatrie ;
l effort national de recherche doit s inscrire dans une démarche globale. À l occasion de la Présidence française du G7, la priorité de la recherche en psychiatrie doit être portée à l échelle internationale comme une voie de progrès médical et social pour tous les pays.
Mettre en place un dispositif de première écoute et d orientation s appuyant sur un réseau renforcé de Maisons des adolescents
Pour accélérer les prises en charge et la première orientation dès l apparition des difficultés, il convient de mettre en place un maillage des acteurs de terrain s appuyant sur un dispositif national. À ce titre, la mise en place d un service et d un numéro régional ou national pour les malades et leur famille apparaît essentielle pour fédérer les acteurs et accélérer les prises en charge.
Dans ce cadre, les missions des Maisons des adoles- cents, qui devront effectivement être présentes dans chaque département, devront être confortées pour :
Recommandations
mener de larges actions d éducation à la santé mentale en lien avec les acteurs de l Éducation nationale, de l université et le représentant départe- mental de la MILDECA;
contribuer activement au dépistage des maladies mentales débutantes et à la mise en œuvre des trai- tements nécessaires en coopération avec les acteurs sanitaires du département ;
assurer la publication annuelle d un bilan d acti- vité permettant une évaluation de la structure et une action d information-déstigmatisation vers le grand public.
Ériger l éducation de la population et des profes- sionnels sociaux et sanitaires à la santé mentale et aux signes des maladies mentales au rang de priorité
Pour les futurs professionnels sanitaires :
la formation des futurs infirmiers doit retrouver un volume d enseignement théorique et pratique en rapport avec l ampleur de la morbidité des maladies mentales. Les infirmiers qui le souhaitent doivent pouvoir acquérir un complément de formation leur donnant une spécialisation qui leur permettra d être des partenaires pour les différents intervenants au sein des maisons médicales et des hôpitaux locaux ;
la formation à la psychiatrie des futurs médecins doit également être amplifiée ;
la formation des psychologues doit être réor- ganisée pour devenir pleinement une formation professionnalisante clinique et thérapeutique. Ceux qui ont acquis une compétence en un type de psychothérapie efficace pour traiter une ou des maladies mentales doivent acquérir un droit au titre.
Des actions de sensibilisation du plus grand nombre à la maladie mentale devront être conduites dans la durée. C est la clé de la déstigmatisation et d une mobilisation nationale pour ériger la psychiatrie en cause nationale.
Soutenir le rôle sentinelle du médecin généraliste pour la détection des maladies mentales et l orien- tation des patients vers une offre de soins graduée du soutien psychologique à la prise en charge des cas les plus complexes
Ceci suppose :
un effort de formation des futurs médecins généralistes et de formation continue des médecins en activité ;
la possibilité pour le médecin généraliste de s appuyer et coopérer avec des professionnels, infir- miers et/ou psychologues, capables d apporter un
soutien psychologique aux personnes en demande ; une inscription de cette offre de soins de première
ligne dans une organisation psychiatrique graduée comprenant : un deuxième niveau de psychiatrie libérale ou publique sectorisée s appuyant sur une plateforme dotée des outils nécessaires à un diagnostic conduisant à l orientation thérapeutique adéquate ; un troisième niveau régional s appuyant sur un plateau technique (clinique, neuropsycho- logique, biologique, en neuro-imagerie...) du type des centres experts ou des centres d excellence thérapeutique centrés sur les cas les plus sévères ou résistants ; les équipes pluri-professionnelles de secteur de même que les professionnels psychiatres libéraux ont vocation à travailler en lien étroit avec ces plateaux techniques régionaux.
Créer un Institut National pour la Santé Mentale et la Psychiatrie comme catalyseur d une ambi- tion nationale
À l image de l InCa pour le cancer, l Institut devra être l outil de la mise en œuvre d un plan national pour la psychiatrie avec une attention particulière à la structuration des réseaux de recherche et de soins en vue d une généralisation des bonnes pratiques et de l accès de tous et en tout lieu à des soins et des prises en charge d excellence. L Institut devra égale- ment jouer un rôle central en termes de diffusion de la connaissance des maladies mentales auprès de la population.
La réussite d un tel institut suppose une adhésion de la communauté psychiatrique : il doit être mis en place en étroit partenariat avec, notamment, les profession- nels hospitalo-universitaires de la psychiatrie.
L Institut devra également lancer la mise en place de projets pilotes de coordination des acteurs au plan local. À ce titre, dans le cadre territorial des dépar- tements-candidats, les différents acteurs (système de soins, départements, régions, services de l État, asso- ciations...) pourraient s engager dans la mise en place des ordonnances de vie permettant aux malades les plus touchés d avoir accès à un traitement personna- lisé ainsi qu à une prise en charge sociale susceptibles de favoriser l indispensable insertion dans la vie collective.
Ces projets pilotes conduits par les acteurs sanitaires et sociaux ainsi que financiers devront faire l objet d une évaluation externe sur une base médicale mais aussi économique : l enjeu est de démontrer que l amélioration de la qualité des soins et des prises en charge permettra de dégager des marges de manœuvre financières.
Soigner les maladies mentales : pour un plan de mobilisation nationale