Publié le 28 février 2012

Informationhypertension artérielle, anti-hypertenseurs, médecine préventive.Treatment of hypertension arterielle : present and perspectivesantihypertensive agents, hypertension, préventive medecine.Pierre-François Plouin * et Nicolas POSTEL-VINAY, Nicolas Postel-Vinay

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en relation avec le contenu de cet article

Pierre-François PLOUIN * et Nicolas POSTEL-VINAY Données épidémiologiques

Dans la période de 2005 à 2007, deux enquêtes portant sur la population française métropolitaine de 18 à 74 ans ont estimé la prévalence de l’HTA à 31 % [1, 2], une valeur comparable à la moyenne mondiale de 26,4 % [3]. Ceci représente un effectif d’environ treize millions d’hypertendus en France pour cette tranche d’âge. La moitié seulement des français hypertendus (52 %) connaissaient leur HTA, et seulement la moitié des hypertendus traités (51 %) avaient une pression artérielle (PA) <140/90 mmHg [1]. À cette population d’hypertendus non contrôlés, on peut ajouter l’estimation par sondage de quatre millions de sujets dont la PA dépasse les normes et qui ne reçoivent pas d’antihypertenseurs, parce qu’ils ne sont pas dépistés ou parce qu’ils relèvent seulement d’un traitement non médicamenteux [4]. Or une augmentation de 20 mmHg de la PA systolique habituelle est associée à un doublement de la mortalité par cardiopathie ischémique et par accident cérébrovasculaire d’origine ischémique ou hémorragique [5].

Données médico-économiques

En 2006, tous régimes d’assurance-maladie confondus, 10,5 millions de personnes ont sollicité en France le remboursement d’un médicament antihypertenseur, pour un total de 4,4 milliards d’euros [6]. Compte tenu du vieillissement de la population, de la prévalence très élevée de l’HTA après 74 ans, et de la difficulté du contrôle de l’HTA systolique du sujet âgé, on peut tabler en 2011 sur une population hypertendue à traiter dépassant quinze millions et sur une population traitée et non contrôlée de plus de cinq millions. Le coût d’une optimisation du contrôle de l’HTA en France serait alors de l’ordre du milliard d’euros, somme à mettre en perspective avec les économies liées la prévention des accidents cardiovasculaires.

Stabilité de la pharmacopée antihypertensive

Il n’y a pas eu dans les vingt dernières années de progrès décisif dans le domaine des antihypertenseurs. Les diurétiques thiazidiques et apparentés, les bétabloquants, les antagonistes calciques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes du récepteur de l’angiotensine II (ARAII) sont connus depuis plusieurs décennies pour offrir une efficacité de prévention cardiovasculaire et rénale en première ou en deuxième intention. Ils sont rarement suffisants en monothérapie et les dernières années ont vu se multiplier les associations dans le même comprimé :

diurétique + bétabloquant, diurétique + IEC ou ARAII, bétabloquant + antagoniste calcique, antagoniste calcique + IEC ou ARAII. Les alpha-bloquants et antihypertenseurs centraux n’ont pas fait la preuve d’une efficacité de prévention après plusieurs décennies de mise sur le marché. L’efficacité en prévention cardiovasculaire des inhibiteurs de la rénine est en cours d’évaluation. Les espoirs du vaccin anti-rénine n’ont pas été confirmés. De nouveaux agents antihypertenseurs sont en phase précoce d’évaluation (donneurs de NO, antagonistes de la vasopressine, inhibiteurs de l’endopeptidase neutre et des récepteurs de l’endothéline), mais ils ne viendraient sur le marché que dans plusieurs années si leur efficacité et leur sécurité étaient confirmées.

PROGRÈS POTENTIELS

Plusieurs éléments concourent à un mauvais contrôle de la PA : la relative complexité du traitement, une polythérapie étant nécessaire à la majorité des patients, le défaut d’observance du traitement par les patients, et l’inertie médicale. À défaut de nouveaux médicaments améliorant le service médical rendu, les progrès peuvent venir de l’emploi plus fréquent des traitements non médicamenteux, de l’amélioration de l’observance, de la lutte contre l’inertie médicale, et de la recherche d’une meilleure efficience.

Traitements non médicamenteux

Ce sont la réduction de l’apport sodé, calorique ou en alcool, et l’augmentation de la dépense physique, des apports en calcium ou en potassium. Ces traitements ont une efficacité démontrée sur la PA et sur plusieurs facteurs de risque métabolique ou rythmique. Ils réduisent moins la PA qu’une monothérapie antihypertensive : la différence de systolique entre les groupes recevant un traitement non médicamenteux et les groupes témoins est typiquement de 4 à 5 mmHg, contre un écart au placebo de 6 à 8 mmHg pour la plupart des monothérapies. A l’exception de données préliminaires concernant la réduction des apports sodés [7], il n’y a guère d’essai contrôlé montrant directement leur efficacité en prévention cardiovasculaire.

En revanche la réduction de PA qu’ils assurent est associée, dans les études de cohorte, à une réduction substantielle de la morbimortalité coronaire et cérébrovasculaire. Les traitements non médicamenteux peuvent bénéficier aux hypertendus, mais aussi aux personnes qui ont une PA comprise entre 120/80 et 140/90 mmHg.

Ces personnes ont un plus faible risque relatif d’événement cardiovasculaire que les hypertendus mais vu leur très grand effectif, elles cumulent un nombre aussi important d’accidents cardiovasculaires [1, 2]. En conséquence, une prévention efficiente pourrait porter sur une réduction générale, non personnelle, des apports sodés via une intervention auprès de l’industrie alimentaire [8, 9]. Cette approche pourrait générer des économies en dépenses de santé de l’ordre de plusieurs milliards d’euros chaque année en France.

Observance du traitement

L’observance peut être améliorée par l’éducation thérapeutique, l’automesure tensionnelle, l’usage de combinaisons en monoprise et la prise en charge du coût des antihypertenseurs. La combinaison de plusieurs agents antihypertenseurs dans le même comprimé améliore des objectifs intermédiaires: réduction mieux prévisible de la PA et possible amélioration de l’observance. La combinaison de deux principes actifs est autorisée en France, mais les trithérapies en monoprise, bien que disponibles en pharmacie, n’ont pas été acceptées au remboursement par la Commission de la Transparence. La prise en charge à 100 % du coût des antihypertenseurs, par une couverture institutionnelle ou par une assurance complémentaire, semble un facteur déterminant de l’observance. L’individualisation du traitement n’a pas de critère robuste et n’a pas fait la preuve de son efficacité en prévention.

Inertie médicale

L’inertie thérapeutique peut être réduite par l’utilisation d’algorithmes de traitement simplifié couplée aux résultats de l’automesure [10]. Les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) pour la prescription d’antihypertenseurs pourraient être renforcées par une politique active de formation vis-à-vis de l’adaptation des traitements concernant les médecins, mais aussi les pharmaciens et les infirmiè- res [11]. Une plus grande implication des patients et des personnels paramédicaux en amont de la consultation médicale devrait être évaluée.

Amélioration de l’efficience

La politique tarifaire visant à améliorer l’efficience des traitements médicamenteux est d’efficacité modeste. La place relative des classes d’antihypertenseurs s’est un peu modifiée, avec une croissance des prescriptions d’ARAII et IEC au détriment des bétabloquants et des diurétiques. Le déclin des bétabloquants serait justifié par une moindre efficacité en prévention primaire par comparaison aux diurétiques, antagonistes calciques, IEC et ARAII [12]. Cette assertion, reprise dans les recommandations du National Institute for Clinical Excellence au Royaume Uni, n’a pas été confirmée par une métaanalyse récente selon laquelle ces classes d’antihypertenseurs sont équipotentes en termes de réduction de la PA et de prévention des complications coronaires et cérébrovasculaires [13]. En ce qui concerne les diurétiques, ils sont surtout prescrits en association fixe avec les ARAII et les IEC. La HAS a proposé de préférer les IEC aux ARAII car ils ont pratiquement les mêmes indications alors que les ARAII, plus récents, sont en moyenne plus coûteux. Cette politique n’a pas convaincu parce que certains IEC sont plus chers que certains ARAII et parce que ces derniers seront prochainement génériqués.

PERSPECTIVES

La découverte d’un médicament antihypertenseur supérieur aux médicaments existants en termes de réduction de PA et de prévention cardiovasculaire n’est pas exclue. La découverte d’un traitement actif en monothérapie chez la majorité des hypertendus, à l’instar des statines dans l’hypercholestérolémie, est en revanche peu probable du fait de la complexité des régulations et contre-régulations impliquées dans le contrôle de la PA. En outre la longueur et le coût des essais visant à montrer à long terme la supériorité d’un médicament de prévention rendent ces recherches peu rentables pour l’industrie pharmaceutique.

À l’opposé, on a proposé une prévention non spécifique par une combinaison standard de génériques. Les tenants de cette « polypill » espèrent améliorer la prévention cardiovasculaire dans la population par la prescription à large échelle d’une combinaison du type aspirine + IEC + statine à doses faibles, sans tenir compte de la PA initiale ni surveiller la PA. La sécurité d’une telle approche reste à démontrer. On note qu’une réduction modérée de l’apport sodé dans la population générale va dans le même sens, sans exposer aux effets secondaires d’un traitement pharmacologique.

On a vu récemment apparaître, pour les cas d’HTA les plus sévères, des traitements non médicamenteux fondés sur la stimulation baroréflexe ou la dénervation rénale [14]. L’efficacité en prévention et la sécurité à long terme de ces techniques restent à confirmer.

Enfin des progrès peut aussi venir d’une meilleure sélection de la population à traiter grâce à l’usage généralisé de la mesure ambulatoire de la PA ou de l’automesure tensionnelle : une meilleure définition de la PA habituelle des candidats au traitement antihypertenseur permettait d’écarter les HTA isolées de consultations (HTA « blouse blanche ») et de mieux suivre les HTA masquées.

BIBLIOGRAPHIE [1] Godet-Tobie H., Vernay M., Noukpoape A., Salanave B., Malon A., Castbon K., de Perett C. — Niveau tensionnel moyen et prévalence de l’hypertension artérielle chez les adultes de 18 à 74 ans, ENNS 2006-2007. BEH., 2008, 49-50 , 478-83.

[2] Wagner A., Arveiler D., Ruidavets JB., Cottel D., Bongard V., Dallongueville J., Ferrieres J., Amouyel P., Haas B. — État des lieux sur l’hypertension artérielle en France en 2007 : l’étude Mona Lisa. BEH., 2008, 49-50 , 483-6.

[3] Kearney PM., Whelton M., Reynolds K., Muntner P., Whelton PK., He J. — Global burden of hypertension: analysis of worldwide data. Lancet, 2005, 365 , 217-23.

[4] http://comitehta.org/index.php?option=com_docman&Itemid=80 [5] Prospective Studies Collaboration. Age-specific relevance of usual blood pressure to vascular mortality: a meta-analysis of individual data for one million adults in 61 prospective studies.

Lancet, 2002, 30 , 1903-13.

[6] Note de cadrage : Évaluation des médicaments antihypertenseurs et place dans la stratégie thérapeutique. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2010-07 [7] Cook NR., Cutler JA., Obarzanek E., Buring JE., Rexrode KM., Kumanyika SK., Appel LJ., Whelton PK. — Long term effects of dietary sodium reduction on cardiovascular disease outcomes: observational follow-up of the trials of hypertension prevention (TOHP). BMJ., 2007, 334 , 885-8.

[8] Murray CJ., Lauer JA., Hutubessy RC., Niessen L., Tomijima N., Rodgers A., Lawes CM., Evans DB. — Effectiveness and costs of interventions to lower systolic blood pressure and cholesterol: a global and regional analysis on reduction of cardiovascular-disease risk . Lancet , 2003, 61, 717-25.

[9] Bibbins-Domingo K., Chertow GM., Coxson PG., Moran A., Lightwood JM., Pletcher MJ., Goldman L. — Projected effect of dietary salt reductions on future cardiovascular disease.

N. Engl. J. Med., 2010, 362 , 590-9.

[10] Agarwal R., Bills JE., Hecht TJ., Light RP. — Role of home blood pressure monitoring in overcoming therapeutic inertia and improving hypertension control : a systematic review and meta-analysis. Hypertension, 2011, 57 , 29-38.

[11] Nesbitt SD. — Overcoming therapeutic inertia in patients with hypertension.

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[12] Lindholm LH., Carlberg B., Samuelsson O. — Should beta blockers remain first choice in the treatment of primary hypertension? A meta-analysis. Lancet, 2005, 366, 1545-53.

[13] Turnbull F., Neal B., Ninomiya T., Algert C., Arima H., Barzi F., Bulpitt C., Chalmers J., Fagard R., Gleason A., Heritier S., Li N., Perkovic V., Woodward M., Macmahon S.

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[14] Symplicity HTN-2 Investigators. Renal sympathetic denervation in patients with treatmentresistant hypertension (The Symplicity HTN-2 Trial): a randomised controlled trial. Lancet, 2010, 376 , 903-9.

* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, e-mail : Pierre-francois.plouin@egp.aphp.fr Tirés-à-part : Professeur Pierre-François Plouin, même adresse Article reçu et accepté le 14 février 2011