Rapport
Session of 20 mai 2003

Sur le dépistage du cancer de la prostate par le dosage de l’antigène spécifique de la prostate (PSA) dans le plasma

MOTS-CLÉS : antigène spécifique prostate.. dépistage systématique. tumeur prostate
About prostate cancer screning with the plasma prostate specific antigen (PSA) assay
KEY-WORDS : mass screening. prostate specific antigen.. prostatic neoplasms

M. Bourel, R. Ardaillou

Résumé

Le cancer de la prostate est le plus fréquent des cancers de l’homme de plus de 50 ans. Son incidence a augmenté à cause de l’allongement de la durée de vie. C’est une maladie d’évolution lente. Si en cas d’espérance de vie inférieure à 10 ans, le risque de décès d’une autre cause que le cancer est probable, ce n’est pas le cas chez les sujets plus jeunes qui, non traités, ont un risque élevé de décéder de leur cancer. D’où la nécessité de dépister précocement la maladie par le toucher rectal et le dosage de l’antigène spécifique de la prostate (PSA), la confirmation étant obtenue par la biopsie prostatique. La prostatectomie radicale et la radiothérapie sont des traitements capables de ralentir l’évolution de la maladie et, même, de la guérir. La concentration de PSA dans le plasma fournit un marqueur d’atteinte prostatique facile à doser et de coût acceptable ; mais sa spécificité et, surtout, sa sensibilité, restent insuffisantes. Elles sont améliorées par le suivi de la cinétique et le rapport PSA libre / PSA total. L’ensemble de ces données conduit à recommander, en accord avec l’Association Française d’Urologie, qu’un dosage de PSA soit proposé et qu’un toucher rectal soit effectué par le médecin traitant dès 50 ans et jusqu’à 75 ans dans la population masculine, et dès 45 ans au vu d’antécédents familiaux. En cas d’anomalie, le malade doit consulter un urologue qui décidera quels examens et quel traitement proposer. En outre, des études sont nécessaires pour évaluer l’efficacité au long cours des principaux traitements, connaître la distribution des concentrations plasmatiques de PSA en fonction de l’âge, améliorer la sensibilité et la spécificité des tests de dépistage.

Summary

Prostate cancer is the most frequent cancer in man above 50 years. There is an increase in its incidence due to the longer life of the population. Prostate cancer is a slowly progressing disease. If life expectation is smaller than 10 years, the risk of death from another cause is greater than that from cancer whereas it is the opposite in younger patients. Therefore, screening of the disease by rectal examination and prostatic specific antigen (PSA) assay is necessary, confirmation being obtained by prostate biopsy. Total prostatectomy and radiotherapy can cure the disease or inhibit its progression. Plasma PSA is a general marker of prostate lesions. It is easy to measure and the cost of the assay is acceptable ; but its specificity and its sensitivity remain too low. In order to improve these two parameters, it has been proposed to follow PSA kinetics and to measure the ratio free PSA / total PSA. Taken together, these data lead us to recommend, in agreement with the French Association of Urology, that a PSA assay be proposed and a rectal examination be performed every year by a general practitioner in men between 50 and 75 years and from 45 years in case of familial history. If an anomaly is found, the patient must take advice from an urologist who will decide which examinations and which treatment are to be proposed. Moreover, studies are necessary to compare the principal treatments in the long term, to precise the distribution with age of plasma PSA in the population and to improve the specificity and the sensitivity of the screening test.

La question de savoir s’il est opportun de dépister le cancer de la prostate dans l’ensemble de la population masculine après 50 ans a reçu des réponses diverses ces dernières années. Si l’on s’en tient à notre pays, l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (ANAES) conclut dans une étude publiée en janvier 1999 que « les connaissances actuelles ne permettent pas de recommander un dépistage de masse du cancer de la prostate » [1]. En revanche, l’Association Française d’Urologie (AFU) qui est la société savante de référence dans ce domaine a pris position en faveur d’un dépistage « organisé » [2]. L’Académie nationale de médecine a mis au premier plan de ses préoccupations l’amélioration de la prévention des maladies, en particulier celle des cancers, et a déjà émis à ce sujet une série de recommandations [3-5]. Il est admis pour l’ensemble des tumeurs cancéreuses qu’un diagnostic précoce permet un traitement précoce et, de ce fait, améliore l’état du patient, au mieux en le guérissant, sinon en limitant l’extension locale de la tumeur et en retardant ou évitant la dissémination métastatique. Le dépistage de toute tumeur cancéreuse semble donc a priori une nécessité. En serait-il autrement pour le cancer de la prostate ? On peut considérer avec l’ANAES [1] et en se basant sur les critères de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) que des réponses affirmatives doivent être apportées aux cinq questions suivantes avant de préconiser un dépistage de masse :

1 — La maladie est-elle fréquente et constitue-t-elle ainsi un problème de santé publique ?

2 — Est-elle détectable à un stade latent (pré clinique) avant le stade déclaré (symptomatique) ?

3 — Un traitement efficace, s’il est entrepris au stade pré clinique, augmentet-il la durée de vie tout en maintenant la qualité de vie du patient ?

4 — Le test de dépistage est-il spécifique, sensible, sans danger et facile à réaliser ?

5 — Est-il également acceptable sans difficultés par le patient et d’un coût supportable pour la collectivité ?

Si on applique ces questions au cancer de la prostate, on doit reconnaître que les réponses obtenues évoluent avec les progrès scientifiques, la publication d’études portant sur le suivi au long cours de cohortes de patients traités ou non et enfin les changements dans l’attitude de la population vis-à-vis des risques encourus. C’est dans ce contexte d’hésitation que l’Académie nationale de médecine a décidé d’apporter sa contribution à la réflexion en cours.

LES CONDITIONS POUR RECOMMANDER UN DÉPISTAGE DE MASSE SONT-ELLES RÉUNIES ?

Incidence du cancer de la prostate

Cancer le plus fréquent chez l’homme de plus de 50 ans, son incidence a augmenté considérablement ces dernières décennies pour au moins deux raisons, l’augmentation de la longévité de la population et la fréquence des prescriptions de dosage de PSA à l’occasion de consultations motivées par des troubles urinaires ou d’examens de routine. Du fait de l’importance majeure de l’âge, les taux d’incidence par pays ne peuvent être comparés que sous forme de taux standardisés tenant compte de la distribution de la population selon l’âge. En France, un tel taux était de 56,4 nouveaux cas pour 100 000 personnes en 2000. La mortalité spécifique était de 10 104 décès en 2000, ce qui correspond à un taux standardisé de 15,9 pour 100 000 [6]. Si l’incidence du cancer a augmenté, son taux de mortalité spécifique a diminué. La raison en est vraisemblablement la plus grande fréquence du dosage du PSA et, ainsi, la mise en route du traitement aux stades initiaux de développement de la tumeur.

D’une maladie découverte tardivement devant des symptômes urinaires ou des métastases osseuses chez un homme de plus de 70 ans, le cancer de la prostate est devenu une maladie de l’homme plus jeune découverte à un stade localisé et souvent asymptomatique. Les principaux facteurs de risque sont l’âge du patient comme le montre la fréquence des lésions cancéreuses de la prostate découvertes à l’autopsie chez les sujets âgés (43 % chez les patients de plus de 80 ans) [1], l’origine ethnique (cancer fréquent chez les américains de race noire, rare chez les asiatiques, de fréquence intermédiaire chez les
européens) et les antécédents familiaux évoquant une prédisposition génétique. On considère que les formes héréditaires représentent de 5 à 10 % des cancers de la prostate. Elles se révèlent précocement et sont à rechercher systématiquement chez les sujets de plus de 40 ans ayant un ou plusieurs antécédents familiaux de cancer de la prostate.

Effets du traitement sur l’état du patient et sa durée de vie

Le cancer de la prostate est une maladie d’évolution lente. Il passe par trois phases, la première où le cancer est latent, la deuxième où il est asymptomatique, mais devient détectable (stade localisé), la troisième où il se traduit par des symptômes cliniques (stade avancé). L’évolution naturelle du cancer de la prostate se fait de manière inéluctable vers l’extension locale avec les troubles de la miction qui s’ensuivent et la dissémination métastatique, surtout lymphatique et osseuse. Cette évolution naturelle conduit donc à des troubles pénibles affectant de manière évidente la qualité de vie. Ce stade ultime a d’autant plus de chances de survenir actuellement à cause de l’augmentation générale de la longévité. On peut estimer qu’un patient atteint de cancer prostatique localisé non traité a un risque élevé de décéder de ce cancer dés lors qu’il a une espérance de vie supérieure à 10 ans. En cas d’espérance de vie moindre, le risque de décès d’une autre cause est plus grand que celui dû au cancer, cette estimation devant être nuancée avec le degré de différentiation de la tumeur.

Plus ce degré est faible, plus le pronostic est sévère. On a calculé que le nombre d’années perdues par un patient atteint de cancer localisé était de 3,8 à 5,2 ans par rapport à un individu sain de même âge.

Un traitement précoce améliore-t-il cette situation ? La réponse doit être considérée sous le double aspect d’amélioration de la qualité de vie et de diminution du taux de mortalité. De nombreux travaux ont évalué l’évolution des cancers de la prostate détectés précocement et traités par prostatectomie.

Nous en citerons trois publiés récemment et portant chacun sur un nombre important de patients. Hull et al . [7] ont suivi 1 000 malades âgés en moyenne de 62,9 ans traités par prostatectomie radicale pour un cancer découvert aux stades T1 (tumeur décelable histologiquement, mais indétectable au toucher rectal) ou T2 (tumeur détectable au toucher rectal, mais limitée à la prostate).

Une grande majorité (92,2 %) des malades dont le cancer était confiné à la prostate n’avaient pas récidivé au bout de 10 ans. Han et al . [8] ont rapporté une série de 2 404 malades traités également par prostatectomie radicale. Les taux de survie chez les sujets dont le cancer fut découvert à un stade précoce (localisé à la prostate) étaient de 99, 96 et 90 % à 5, 10 et 15 ans, respectivement. Ces deux études ayant commencé avant l’utilisation du dosage de PSA en pratique clinique incluent de nombreux patients dont le cancer fut découvert au stade T2, ce qui suggère que les résultats auraient pu être encore meilleurs si seuls les malades détectés au stade T1 avaient été
considérés. On doit noter que ces deux publications ne comportent pas de comparaison avec un groupe témoin de malades non traités. Le travail de Holmberg et al . [9] répond à cette objection en regroupant 695 malades dont le cancer fut détecté aux stades T1 ou T2 et qui, après tirage au sort, furent traités par prostatectomie radicale ou mis uniquement sous surveillance attentive.

Pour ces auteurs, la prostatectomie radicale réduit significativement la mortalité spécifique en relation avec le cancer, mais non la mortalité générale. La prostatectomie radicale diminue significativement le risque de métastases et améliore de ce fait la qualité de vie des malades. Un deuxième article du même groupe [10] s’intéresse plus particulièrement aux autres aspects de la qualité de vie chez les malades traités ou non. Si l’obstruction des voies urinaires survient plus fréquemment chez les malades non traités, la perte de l’érection et l’incontinence urinaire sont plus fréquentes après prostatectomie.

On peut remarquer que ces deux études analysent les événements survenus sur une période moyenne de suivi de seulement 6,2 ans, ce qui est relativement court pour des malades dont le cancer fut détecté à 64,7 ans en moyenne. Elles incluent des sujets traités au stade T2 et l’appréciation de la qualité de vie a été faite par questionnaire, ce qui comporte un élément subjectif. Les fréquences des complications données par ces auteurs sont de 80 % pour la perte de l’érection et 49 % pour l’incontinence. Dans d’autres publications, les pertes de l’érection sont observées dans 30 à 70 % des cas selon l’âge et, surtout, selon que, lors de l’intervention chirurgicale, les bandelettes vasculo-nerveuses ont pu ou non être conservées. Quant à l’incontinence, elle est habituellement modérée et, souvent, se limite à une fuite d’urine de quelques gouttes à l’effort.

En revanche, l’incontinence sévère totale est rare et n’est relevée que dans moins de 5 % des cas. Cette complication est susceptible d’être traitée efficacement.

L’autre type de traitement à visée curatrice recommandé dans les formes localisées est la radiothérapie externe. Les taux de survie à 10 ans paraissent voisins de ceux de la chirurgie ; par contre, à 15 ou 20 ans, ils seraient inférieurs. Cependant, une difficulté d’appréciation des résultats de ces séries vient du fait que l’hormonothérapie y est très souvent associée. La radiothérapie externe est grevée d’un risque d’impuissance inférieur à la chirurgie, mais néanmoins présent dans 30 à 40 % des cas. Les complications vésicales et rectales sont d’environ 10 à 20 %, souvent mais non toujours transitoires. Il existe d’autres traitements du cancer de la prostate, mais souvent trop récents pour pouvoir être évalués avec précision sur le long terme (curiethérapie interstitielle par implantation locale de grains radioactifs et ultrasons de haute intensité). On manque actuellement d’études qui compareraient sur une longue période l’évolution de cancers de la prostate détectés au stade T1 et, après tirage au sort, uniquement surveillés ou traités par prostatectomie radicale. De telles études laissant sans traitement des sujets atteints de cancer poseraient certainement des problèmes éthiques. Des études sont en cours pour mieux
apprécier l’impact du dépistage organisé sur la mortalité par cancer de la prostate. En particulier, la France, sous l’égide de l’Association Française d’Urologie, participe à l’étude européenne ERSPC (« European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer ») [11] et organise une étude nationale sur les sujets à risque. Les résultats définitifs de ces études ne seront connus que dans plusieurs années.

Le dosage du PSA est-il un bon outil de dépistage ?

L’avènement du dosage du PSA à la fin des années 80 a ouvert la voie au dépistage du cancer de la prostate. Le PSA est une glycoprotéine de 237 acides aminés appartenant à une famille de protéases, les kallicréines dont la synthèse est induite par les androgènes. Il est sécrété quasi exclusivement par les cellules épithéliales des acini de la prostate. Il est donc spécifique d’un organe, la prostate, et non d’une maladie, le cancer de la prostate. Cela explique qu’il soit présent dans le plasma des hommes à des taux de l’ordre du ng/ml et pratiquement indétectable chez la femme ou l’homme après prostatectomie totale. Le PSA circulant existe sous deux formes, libre (10-40 %) et complexé à l’α-1antichymotrypsine (90-10 %). Des progrès techniques récents ont permis d’identifier aussi dans le plasma le pro PSA (précurseur inactif du PSA auquel il donne naissance après libération des 7 acides aminés N-terminaux) et les produits de dégradation du PSA par clivage enzymatique (essentiellement, les peptides 1-145 et 1-183). Le dosage du PSA utilise habituellement deux anticorps, un de capture qui se fixe sur le PSA et un de marquage qui permet de reconnaître le complexe formé. La fiabilité des résultats a été accrue par un étalonnage standardisé comportant un mélange de PSA libre et de PSA lié pour se rapprocher des conditions physiologiques.

Les coefficients de variation du dosage varient autour de 10 % [12]. Les résultats doivent être régulièrement contrôlés par le dosage d’échantillons témoins. La question essentielle reste celle du taux de PSA total assurant les meilleures spécificité (pourcentage de sujets ayant un test négatif qui sont indemnes de cancer) et sensibilité (pourcentage de sujets atteints parmi ceux ayant un test positif). Ces deux paramètres varient en sens inverse, c’est-à-dire que si on abaisse le seuil, on augmente la spécificité et on diminue la sensibilité. Le problème se complique du fait que ce seuil idéal varie avec l’âge.

Pendant plusieurs années, une concentration de PSA total de 4 ng / ml a été considérée comme la limite supérieure de la normale, la zone entre 4 et 10 ng/ml étant celle de la suspicion et celle au-delà de 10 ng / ml celle d’une forte probabilité, surtout en l’absence d’un gros adénome. Le taux seuil de 4 ng / ml laisse échapper un nombre non négligeable de cancers chez les sujets jeunes et, inversement, seule une fraction minoritaire (25 % environ) des sujets avec un taux de PSA entre 4 et 10 ng / ml ont une biopsie positive.

C’est à cause de ces limites que des essais ont été accomplis pour améliorer la validité de la méthode. Ces essais sont de quatre ordres :

1. ajuster le taux seuil à l’âge — Faire varier le seuil du taux de PSA avec l’âge est justifié par l’augmentation du volume de la glande en rapport avec la fréquence croissante de l’hyperplasie bénigne avec les années. Pour cette raison, il a été proposé de diminuer le taux seuil du PSA total à 2,5 ng/ml entre 40 et 49 ans et de l’élever à 6,5 ng/ml entre 70 et 79 ans. Il est probable que ces chiffres continueront à faire l’objet de débats et seront sujet à révision ;

2. rapporter le taux de PSA au volume de la prostate — C’est la « densité » du PSA qui ajuste le taux de PSA au volume de la prostate estimé par échographie ;

3. suivre l’ évolution du taux de PSA. La cinétique du PSA est essentielle parce que la concentration de ce marqueur augmente plus vite chez les malades atteints de cancer que chez les sujets normaux et ceux atteints d’hypertrophie bénigne de la prostate. Mesurer cette cinétique suppose trois dosages consécutifs sur une période de 18 mois à 2 ans effectués dans le même laboratoire. Un accroissement de plus de 0, 75 ng/ml et / an permettrait d’obtenir une meilleure sensibilité de 72 % tout en conservant une spécificité de 90 % ;

4. mettre au point le dosage de nouveaux marqueurs [13]. La mesure séparée des concentrations de PSA libre et lié permettrait de mieux discriminer cancer et hyperplasie aux taux intermédiaires de 4 à 10 ng / ml. La fraction de PSA libre par rapport au PSA total est plus basse chez les malades atteints de cancer que chez ceux ayant un adénome, le seuil habituellement admis pour le rapport PSA libre sur PSA total étant de 0,15 avec une zone d’incertitude entre 0,15 et 0,25. Inversement, il est possible de mesurer le PSA lié à l’α-1antichymotrypsine ; mais, la technique récemment introduite n’a pas un recul suffisant pour être convenablement évaluée. Enfin, ces dernières années, de nouveaux marqueurs dérivés du PSA sont apparus. Il s’agit du dosage du pro PSA (forme immature) et du rapport PSA clivé sur PSA mature. Des résultats récents concernant cette dernière technique semblent encourageants. Un rapport supérieur à 6,5 % ferait craindre un risque particulier de cancer.

Le dosage de PSA apparaît ainsi comme un outil utile, mais imparfait. Son coût est raisonnable (cotation : B70 correspondant à la somme de 19 euros). Les questions qui se posent sont donc : 1 — Faut-il l’associer à d’autres examens pour renforcer sa puissance prédictive ? 2 — Que faut-il faire en réponse à la découverte d’un taux de PSA élevé ? 3 — Doit-on préférer le « libre accès », c’est-à-dire des prescriptions de routine non étayées par des indications précises ou le dépistage organisé ? Il est clair que la demande de dosage de PSA doit être proposée en même temps qu’un examen clinique comportant un toucher rectal. En cas d’anomalie au toucher rectal et / ou de concentration de PSA élevée, un avis spécialisé par un urologue est souhaitable. En effet,
celui-ci jugera de l’intérêt de répéter les dosages pour étudier la cinétique du PSA ou, plus souvent, de la nécessité d’une échographie endorectale et d’une biopsie. Ce dernier examen est indispensable pour affirmer le diagnostic de cancer de la prostate. Il est réalisé sous contrôle échographique par voie endorectale. Les prélèvements, au nombre d’au moins six, seront répartis dans toute la glande. Le diagnostic histopathologique peut être difficile [14]. Aussi, l’examen histologique doit-il être effectué par un praticien familier avec cette pathologie et son résultat éventuellement confirmé par un deuxième anatomopathologiste.

La réponse à la question du « dépistage individuel » versus le « dépistage organisé » reste ouverte. Actuellement, le dosage de PSA est entré dans la routine clinique avec 1 200 000 dosages par an [15]. Il existe une demande accrue des malades à leur médecin. Le temps n’est donc plus à une discussion théorique sur la nécessité du dosage, mais le débat doit porter sur ses indications et les conclusions à tirer des résultats obtenus. Dans ce contexte, des programmes de dépistage dans la population à risque après sensibilisation du public par les médecins généralistes pourraient être entrepris au plan départemental ou régional. Un nouveau procédé, récemment mis au point, le dosage de PSA sur buvard ne nécessite pas une prise de sang par voie intraveineuse et pourrait donc être adapté au dépistage organisé.

CONCLUSIONS

Au vu des données exposées plus haut, quelles réponses peut-on donner à la question de savoir si les conditions sont réunies pour préconiser un dépistage de masse du cancer de la prostate ?

1. Le cancer de la prostate constitue un réel problème de santé publique. Bien qu’en terme d’années de vie perdue, il arrive derrière les cancers bronchique et colorectal, il reste le plus fréquent des cancers masculins et la deuxième cause de mort par cancer chez l’homme.

2. La maladie peut être suspectée à un stade précoce soit par une anomalie au toucher rectal soit souvent par un examen biologique devenu de routine, le dosage du PSA, la confirmation étant obtenue par la biopsie prostatique.

3. Il existe des traitements susceptibles de guérir la maladie ou de s’opposer à son évolution, essentiellement la prostatectomie radicale et la radiothérapie externe conventionnelle et maintenant conformationnelle. De plus, de nouveaux traitements prometteurs sont à l’essai. La prostatectomie radicale considérée comme le traitement le plus efficace allonge notablement la survie sans récidive du cancer, mais son effet sur la survie globale, bien que très probable, n’est pas définitivement établi.

4. Le dosage de la concentration de PSA fournit un marqueur d’atteinte prostatique ; mais sa spécificité et surtout sa sensibilité pour le diagnostic de
cancer restent insuffisantes ; d’où les affinements proposés, comme le rapport PSA libre / PSA total, le dosage du PSA complexé et l’étude de la cinétique qui a cependant l’inconvénient de retarder le traitement de 18 à 24 mois en cas de positivité ; en tout état de cause, l’interprétation de toute élévation du taux de PSA avant l’indication d’une biopsie nécessite le recours à l’urologue qui pourra faire la part d’un éventuel adénome ou d’une infection chronique, et ce d’autant plus que la biopsie prostatique est grevée dans ces cas de complications plus fréquentes.

5. L’acceptabilité du test est bonne au plan individuel et économiquement acceptable pour la collectivité, d’autant plus si l’on met en balance le coût des traitements.

RECOMMANDATIONS

En conséquence, l’Académie nationale de médecine recommande :

1. qu’un dosage du PSA total soit proposé et un toucher rectal effectué par le médecin traitant tous les ans dès 50 ans et jusqu’à 75 ans dans la population masculine, et dès 45 ans s’il existe un risque héréditaire apprécié par la connaissance de cancers de la prostate dans la famille ;

2. que, en cas d’anomalie au toucher rectal ou dans la concentration de PSA, le malade consulte un urologue ;

3. que des informations détaillées soient fournies par celui-ci au patient sur les avantages et les limites du dosage de PSA, la nécessité de la biopsie pour obtenir un diagnostic certain, les diverses modalités thérapeutiques en cas de cancer avec les éléments de choix en fonction de l’état général, des motivations personnelles et de la connaissance des éventuelles complications post-opératoires ou post-radiothérapiques ;

4. que des études soient poursuivies sur la distribution des concentrations plasmatiques de PSA dans la population en fonction de l’âge, sur la recherche de marqueurs améliorant la spécificité et la sensibilité du test et sur l’évaluation comparative au long cours des principaux traitements ;

5. que soit mise à l’étude la possibilité de dépistages organisés dans des départements ou régions qui auraient l’avantage de fournir des données épidémiologiques utiles et d’évaluer l’intérêt relatif du dépistage organisé par rapport au dépistage individuel.

Experts consultés — O. CUSSENOT, professeur des universités praticien hospitalier, Hôpital Tenon, Paris.

— J. FIET, professeur des universités, biologiste des hôpitaux, Hôpital St-Louis, Paris.

— P. HUC, chef de clinique assistant, service de cancérologie, Hôpital Tenon, Paris.

— P. MANGIN, professeur des universités praticien hospitalier, CHU de Brabois, Nancy.

— F. RICHARD, professeur des universités praticien hospitalier, Hôpital de la Pitié, Paris.

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[15] Rapport de la Commission d’orientation sur le cancer. Site internet : www.sante.gouv.fr, 2003.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 20 mai 2003, a adopté ce rapport (12 abstentions).

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 5, 985-995, séance du 20 mai 2003