Publié le 23 avril 2019

Séance dédiée :

« L’évaluation des politiques de santé publiques : la contribution de la Cour des comptes »

 

Introduction : Antoine DURRLEMAN, Président de chambre à la Cour des comptes, membre de l’Académie nationale de médecine.

La Cour des comptes est compétente depuis la réforme constitutionnelle de 2008 pour effectuer des évaluations de politiques publiques. Son évaluation vise à apprécier l’impact d’une politique et à émettre un jugement sur la valeur de cette politique, au regard de ses effets constatés par rapport aux objectifs que les pouvoirs publics lui ont assignés. Ces évaluations peuvent être conduites de la propre initiative de la Cour ou sur demande du Parlement ou du Gouvernement. La sixième chambre de la Cour des comptes est compétente pour le secteur de la santé, le secteur médico-social et la sécurité sociale. Elle s’est préoccupée de la politique de lutte contre le tabagisme en 2012, contre la consommation nocive d’alcool en 2016, et de la prise en charge de l’autisme en 2018. Des enquêtes ont également été menées, en particulier sur la politique vaccinale en 2017. Les mesures prises par les pouvoirs publics, suite aux recommandations de la Cour, font apparaître des résultats contrastés de ces évaluations d’une politique à l’autre.

L’évaluabilité des politiques : Nicolas BRUNNER Conseiller-maître à la Cour des comptes, Patrick NETTER Médecin biologiste pharmacologue, Conseiller expert à la Cour des comptes, membre de l’Académie nationale de médecine.

Toutes les politiques de santé ne sont pas à même d’être évaluées et la question de l’« évaluabilité » présente des aspects spécifiques. La « faisabilité » doit préalablement être mesurée : dix critères concernant cette politique sont pris en compte, parmi lesquels -avoir des objectifs connus et définis, -avoir des résultats mesurables, -avoir débuté depuis quelques années et se poursuivre encore, -ne pas faire l’objet de blocages institutionnels ou politiques identifiables, -ne pas faire l’objet d’évaluations similaires, en cours ou récentes, par d’autres institutions. La limitation des objectifs a par exemple exclu pour l’alcool d’aborder les politiques de soutien à la viti-viniculture. La présence de blocages institutionnels et de dissensions dans la société a ainsi fait renoncer la Cour, après l’avoir fortement envisagé, à évaluer la politique de lutte contre la consommation de cannabis.

Le « conseiller-expert en évaluation de santé » à la Cour a un rôle déterminant dès l’étude de faisabilité. Il doit répondre à des questions précises, par exemple éthiques, déontologiques ou faisant appel à des connaissances médicales spécialisées (pathologies du neuro-développement dans les syndromes du trouble autistique, traitement des addictions à l’alcool, pharmacovigilance, …). Le Premier président a considéré indispensable que sa légitimité et son expérience soient indiscutables. C’est pourquoi il a fait le choix de nommer pour cette mission essentielle un membre de l’Académie nationale de médecine.

Une préoccupation dans le choix des évaluations est de ne pas faire double emploi aves les rapports et/ou recommandations de Santé Publique-France, du Haut Conseil de la Santé Publique, de la Haute Autorité de Santé, des agences : Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), …

 

Les méthodes d’évaluation : Esmeralda LUCIOLLI Conseillère référendaire en service extraordinaire à la Cour des comptes, docteur en médecine, Philippe BINDER Professeur des universités, directeur du département de médecine générale à la Faculté de médecine de Poitiers.

Phase d’instruction : dans le cadre des évaluations en santé, la Cour est plus particulièrement confrontée à des difficultés liées aux sources de données, qu’elles soient quantitatives ou qualitatives. Les bases de données en santé les plus couramment utilisées sont celles du Système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM), et notamment le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Mais la prévalence de facteurs de risque tels que le tabac et l’alcool ne fait l’objet d’aucun recueil systématique, et n’est repérable que par des enquêtes spécifiques (tels que les baromètres santé), dont la périodicité ne permet cependant pas un suivi régulier. Ainsi, pour le tabac et l’alcool, les prévalences de consommation font-elles l’objet de plusieurs enquêtes menées par des acteurs différents. Parmi les jeunes, trois enquêtes, dont deux menées au plan européen, renseignent sur les consommations à un moment et à un âge donnés.

Le  « comité d’accompagnement » joue un rôle important et a pour fonction principale de faciliter la conduite de l’évaluation. La composition du comité fait l’objet d’une réflexion approfondie car il s’agit de rassembler des experts pouvant exprimer un point de vue contributif et dénué de conflits d’intérêt. Ils se positionnent en contributeurs contradicteurs pour le bien public et sont associés étroitement à l’élaboration des conclusions et des recommandations du rapport final. Les comparaisons internationales sont particulièrement importantes dans le domaine de la santé publique et sont examinées : politique efficace du Royaume Uni pour la lutte contre le tabagisme ; l’exemple écossais dans le domaine de l’alcool ; en matière de prise en charge des personnes autistes la culture d’inclusion à tous les âges de la vie, par les pays nordiques mais également par des pays du sud de l’Europe (Italie et Espagne), a été éclairante pour la Cour.

 

Les résultats obtenus : Patrick LEFAS Président de chambre honoraire à la Cour des comptes, Benoît VALLET Conseiller-maître à la Cour des comptes, ancien Directeur Général de la Santé.

La Cour des comptes estime que conformément à sa mission constitutionnelle ses recommandations sont importantes pour éclairer les décideurs politiques – Gouvernement et Parlement – et les administrations compétentes sur les choix qu’il leur appartient de faire pour améliorer l’efficience de l’action publique. Elle publie systématiquement ses travaux d’évaluation pour informer l’opinion publique et assure le suivi de ses travaux d’évaluation et de ses recommandations.

Dans le domaine du tabac, la prévalence du tabagisme, que ce soit parmi les jeunes ou en population générale, était parmi les plus élevées d’Europe de l’Ouest. Les politiques de prévention menées se caractérisaient par leur caractère discontinu et souvent peu coordonné : les intérêts contradictoires entre les administrations chargées de la santé et celles chargées des finances étaient ainsi particulièrement marquées sur les aspects relatifs aux prix et à la fiscalité. Cependant les recommandations de la Cour ont été suivies d’effet, comme elle l’a constaté dans une nouvelle enquête de suivi effectuée en 2015 dont il a été rendu compte dans le rapport public annuel de février 2016. L’élément clé a été le lancement dans le cadre du plan Cancer d’un programme national de réduction du tabagisme : une impulsion forte en décidant la mise en place du paquet neutre pour les cigarettes et le tabac à rouler ; le forfait d’aide au sevrage a évolué jusqu’à une prise en charge de droit commun. Ainsi, depuis le 1er janvier 2019, ces traitements sont remboursés sur prescription à 65 % par l’assurance maladie obligatoire, et le forfait d’aide au sevrage n’existe plus. La mise en œuvre dans la durée d’une politique de relèvement soutenu des prix, comme la Cour l’avait recommandé, portera par étapes, d’ici le 1er novembre 2020, le paquet de 20 cigarettes à 10 euros. L’étude DePICT (Description des Perceptions, Images et Comportements liés au Tabac) en 2017 après la mise en place du paquet neutre, comme la Cour l’avait recommandé, montre la baisse de la première expérimentation du tabac chez 2000 jeunes de 12 à 17 ans: 20,8 vs 26,3% en 2016; et encore plus marquée chez les jeunes filles: 13,4 vs 25,2 % en 2016. Le lancement de l’opération « moi(s) sans tabac » a aussi permis d’obtenir des résultats significatifs : le nombre de fumeurs quotidiens a baissé d’un million de 2016 à 2017 (- 7,7 %), avant même l’augmentation des prix,  passant de 44,2 à 35,3 % chez les hommes de 18 à 24 ans et de 36,1 à 30,5 % chez les hommes de 45 à 54 ans, de 21,1 à 17,6 % chez les femmes de 55 à 64 ans, et de 49,7 à 43,5 % chez les sans-emploi. Les ventes de tabac ont baissé de 1,4 % entre 2016 et 2017 et à nouveau de près de 10 % entre 2017 et 2018. Les recommandations de la cour ont largement contribué à ce succès.

Pour l’alcool, la consommation moyenne en France par habitant et par an, bien qu’en baisse tendancielle, est bien supérieure à des pays comme l’Italie, la Suède ou les autres pays nordiques. La fiscalité de l’alcool différenciée entre le vin et les autres produits témoigne tout autant d’un soutien des pouvoirs publics à la filière. Le bilan à ce jour des suites données aux onze recommandations du rapport d’évaluation de la Cour sur les politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool est modeste. Le relèvement des taxes sur les boissons alcoolisées et l’instauration d’un prix minimum de l’unité d’alcool pur contenu dans chaque boisson, compatible avec le droit européen, ne sont pas plus retenus. Les modalités d’une interdiction de la consommation de vin, de bière, de cidre et de poiré sur le lieu de travail sont jugées trop difficiles à définir. Pourtant en France 4 millions de personnes consomment trop d’alcool et ce nombre ne baisse plus. Le lobby de l’alcool continue à mettre en doute l’effet délétère de sa consommation chez les femmes enceintes. La Cour n’a pas réussi à convaincre au plus haut de l’état.

 

Conclusion : Antoine DURRLEMAN

Il est primordial de ne pas avoir la « Santé Publique » honteuse !

Notre pays est en retard sur la promotion des politiques de prévention.

Les différents pouvoirs publics ont une difficulté à se mettre en cohérence pour la santé…

Mais la Cour des comptes est tenace !