Communication scientifique
Séance du 11 janvier 2011

Réflexions sur la formation initiale du chirurgien en 2010 : l’acquisition des fondamentaux

MOTS-CLÉS : chirurgie générale/enseignement et education. enseignement spécialisé en médecine. formation clinique pratique. gestion du risque. humanisme. recherche
Basic surgical training in 2010
KEY-WORDS : clinical clerkship. education, medical, graduate. general surgery/ education. humanism. research. risk management

Daniel Loisance

Résumé

La formation initiale du chirurgien qui a longtemps reposé sur le compagnonnage, doit intégrer les grands changements que connaît la spécialité. La formation à la gestuelle et aux techniques chirurgicales, la formation clinique et l’apport constitué par la recherche clinique et expérimentale, la formation au travail en équipe et à la gestion du risque doivent être menées de front et sont indispensables pour que perdure dans l’avenir la position de leader du chirurgien.

Summary

Initial surgical training must take into account the major changes that have taken place in recent years. Training in surgical technique, clinical expertise, communication skills, clinical and experimental surgical research, team work and risk management is required to maintain the leadership position of future surgeons.

L’Académie nationale de médecine s’est toujours préoccupée des problèmes de la formation des médecins et des chirurgiens [1]. Une réflexion est d’ailleurs actuellement en cours sur la formation des chirurgiens. Ce travail a pour but de contribuer

Fig. 1. — Paul Claudel décrit le geste chirurgical dans son hommage à Henri Mondor, dans le Figaro Littéraire du 12 décembre 1953. Le portrait de Henri Mondor est de Dunoyer de Segonzac.

à permettre de rendre plus attractive pour les meilleurs et plus efficace la formation chirurgicale.

La formation du chirurgien a très longtemps reposé sur les principes développés par Sir William Halsted en 1889 au John Hopkins Hospital [2] : la mise en responsabilité très progressive du jeune chirurgien sous le contrôle très strict d’un senior. Ce mode de transmission du savoir par compagnonnage a, pendant des années fait la preuve de sa très grande efficacité dans la formation clinique, l’acquisition de la technique et du comportement même du jeune chirurgien vis-à-vis du malade. Mais le monde a changé. La chirurgie n’est plus une activité solitaire, mais un travail d’équipe.

L’acte chirurgical est aidé par des moyens techniques, ce qui risque de remettre en cause la formation de la main chirurgicale elle même. Les interventions les plus complexes peuvent être réalisées par voie percutanée. Le malade aussi a changé, aujourd’hui beaucoup mieux informé, plus exigeant.

Ce travail est une réflexion sur la formation initiale qui devrait préparer au mieux le jeune chirurgien à ces évolutions : la formation au geste chirurgical, la formation à la pratique clinique, qui conduit à l’indication opératoire, la réalisation de l’intervention elle-même et l’évaluation de son résultat, mais aussi la préparation à la formation de l’équipe chirurgicale et au leadership. Il s’agit bien de former un « homme qui doit combiner la plus grande dextérité avec les plus hautes capacités intellectuelles et morales » [3].

La formation au geste chirurgical de base ou la formation de la main chirurgicale

La chirurgie est pour une partie, mais celle-ci est essentielle, une activité technique.

Longtemps, la formation du chirurgien a reposé sur le compagnonnage et l’acquisition progressive, très contrôlée par le maître, d’une expertise. C’est ce qu’indiquait Gosset : « un des meilleurs exercices pour un chirurgien est d’aider aux opérations, surtout s’il a la chance d’être pendant des années près d’un homme méthodique, simple, calme, tenace dans ses manœuvres » ou encore « Le jeune apprenti doit apprendre au contact de son maître que les temps opératoires ont le rythme d’un ballet » [4]. Ainsi, dans un passé encore récent, l’externe apprenait au contact de son interne les premiers rudiments du métier (le lavage des mains, l’habillage, les nœuds…), et l’interne apprenait de son chef de clinique les séquences opératoires. Si le compagnonnage traditionnel reste essentiel, son efficacité pourrait être optimisée par les données les plus récentes sur l’acquisition de toute gestuelle.

L’acquisition de toute gestuelle en fait, et ceci est vrai également de la gestuelle chirurgicale, passe par trois stades : le stade de la compréhension : il s’agit de connaître les principes de la réalisation et le but du geste ; le stade de l’intégration ou de l’incorporation : il s’agit de maîtriser les différentes composantes du geste, de tendre à la fluidité et à la perfection du geste avec une économie de moyens ; le troisième stade est celui de l’automatisation complète du geste : le geste, parfait, est alors réalisé inconsciemment, ce qui libère l’esprit pour d’autres tâches.

 

Cette complexité dans l’acquisition de la maîtrise du geste a été parfaitement décrite, dans la Chine ancienne : Zhuangzi (Tchouang Tseu pour les occidentaux, 350-275 av JC) [5], utilisant trois paraboles, celle du charron fabricant une roue, celle du boucher découpant un bœuf et celle du nageur échappant au torrent, a détaillé les particularités de ces trois étapes. Paul Claudel [6], dans son hommage à Henri Mondor a repris, sans toutefois citer ses sources, la parabole du boucher, soulignant le terme ultime de l’acquisition de la gestuelle : « l’œil, l’esprit et la main ne font plus qu’un et l’on ne pourrait dire qui a le premier rôle » (Figure 1). Plus récemment, l’importance cette acquisition en trois temps de la gestuelle a été à nouveau soulignée par les spécialistes de la formation [7]. Chacun des stades mérite donc réflexion.

La compréhension préalable du geste lui-même est essentielle. Tout doit être expliqué en termes simples : pourquoi faire les nœuds de la main droite ou de la main gauche, quelle est la conséquence de la traction sur tel ou tel chef sur le serrage du nœud, pourquoi utiliser le majeur pour « descendre » les nœuds….. Cette première étape de l’acquisition de la gestuelle est faite au mieux, en première analyse, par les mots et la démonstration du maître. Cependant, il est peu d’ouvrages qui précisent le rationnel du geste et facilitent sa compréhension [8-10] et peu de seniors prennent le temps d’expliquer le pourquoi des choses si évident pour eux. De plus, on peut observer que se limiter à suivre les mouvements du professeur ne peut suffire, « empêche d’habiter son propre corps parce que l’attention est focalisée sur celui de l’autre » [11]. Cette difficulté du transfert de la connaissance peut être frustrante pour le maître : « il y a là un tour que je ne puis exprimer par des mots de sorte que je n’ai pu le transmettre à mes fils » disait le charron au roi Lu. « Quand j’attaque le bois trop doucement, mon coup ne porte pas, quand j’attaque trop fort, il s’arrête dans le bois » [5]. L’élève se doit ainsi de comprendre que l’acquisition du geste relève essentiellement d’une conquête personnelle : « entre force et douceur ma main trouve » [5]. Il convient d’utiliser la mémoire motrice pour investir et intégrer le geste en profondeur. L’effort individuel est donc bien indispensable.

L’étape suivante dans la maîtrise du geste, l’intégration progressive, l’incorporation, va permettre la fluidité du geste, sa réalisation automatique. « Toute la science du monde n’accomplit pas un chirurgien : c’est le faire qui le consacre » disait Paul Valéry [12]. « Ce n’est rien de feuilleter les livres, de gazouiller, de caqueter en chambre de la chirurgie, si la main ne met en usage ce que la raison ordonne » avait déjà dit Ambroise Paré dès 1529, dans ses cours de « chirurgie » à l’Hôtel Dieu.

L’entraînement individuel est donc, à ce stade, essentiel. Qui dit entraînement dit donc effort, patience, ténacité, persévérance.

En fait, il n’y a dans cette nécessité d’un investissement personnel du chirurgien en formation rien de bien original : celui-ci est dans la situation de tout élève, qu’il soit à l’école de danse de l’Opéra de Paris ou étudiant à l’Ecole des Beaux arts. Il en est de même de la maîtrise des arts martiaux, de la calligraphie, du golf, de toutes les activités où « le coup est réussi ou raté à l’instant d’être réalisé » [11].

 

Cette nécessité d’un investissement personnel de l’élève a été parfaitement soulignée par de grands artistes. Rodin, dans son Testament artistique [13], écrivait à ses élèves : « exercez vous sans relâche…. Il faut vous rompre au métier… L’artiste adore son métier : sa plus grande récompense est la joie de bien faire… L’art n’est pas simplement une idée. C’est le résultat de beaucoup de travail ». Rostropowitcz dans une conférence à l’Université de Yale déclarait en 1971: « quand je ne pratique pas une journée, je suis le seul à le savoir. Quand je ne pratique pas deux jours, ma femme le sait. Quand je ne pratique pas trois jours, le monde entier le sait ». Tiger Woods, capable d’envoyer une balle de golf dans un cercle de 1 mètre de diamètre, placé à

Fig. 2. — les modèles in vitro sur tube de silicone, sur aorte de rat conservée et sur cœur isolé de porc facilitent la « deliberate practice », associant entraînement intensif et recherche de l’excellence qui permet la maîtrise du geste fondamental en chirurgie.

Notre expérience montre que cette formation micro chirurgicale de première intention, avant toute formation strictement chirurgicale, garantit la gestuelle la plus élégante, la moins agressive en chirurgie (Figure 3). En effet, tous les temps de l’intervention chirurgicale tirent profit de cette approche micro chirurgicale chez le petit animal : la dissection (du fait de la fragilité des tissus), l’exposition (l’étudiant travaille seul), la réalisation des sutures (sur des vaisseaux de plus en plus petits, de plus en plus fragiles, avec du matériel de suture de plus en plus fin). Un autre intérêt de ce modèle micro chirurgical ne doit pas être sous estimé : ces modèles sont difficiles. Ils permettent donc au jeune chirurgien de comprendre l’intérêt de la patience, de l’effort, de la ténacité, autant de qualités indispensables dans le métier.

Ils sont aussi l’occasion de savourer la joie intense que procure le succès. Des grilles d’auto-évaluation ont été proposées, qui permettent de juger de la progression de l’élève [16] : jouant avec l’acronyme PAR, pour le PAR des golfeurs (qui établit un standard pour chaque trou), pour le PAR des pilotes (Précision Approach Radar), cet auteur décrit un outil objectif d’évaluation des performances de l’élève, aux

Fig. 3. — L’acquisition de la gestuelle chirurgicale de base se fait au mieux lors de cours intensifs comme lors des premiers cours de microchirurgie organisés dès 1974 au CHU Henri Mondor.

différents niveaux de l’acquisition du geste : le premier niveau du PAR est Posture, Adresse, Relax ; le niveau le plus élevé est Precision, Adaptability, Reliability.

Une dernière observation sur l’acquisition du geste nous parait importante. Celle-ci est d’autant plus facile et rapide qu’elle intervient tôt. De plus la qualité du geste et l’âge auquel a commencé un entrainement intensif sont étroitement liés [14]. Ceci a été démontré dans la pratique d’activités artistiques ou sportives. Les grands virtuoses ont souvent commencé tôt : Mozart « qui jouait avec les notes » dès deux ans, Rostropowitcz dès quatre ans, Tiger Wood qui tenait des clubs dès l’âge de deux ans, Noureev qui dansait dès l’âge de sept ans. L’expérience montre que les chirurgiens les plus habiles ont souvent commencé très tôt dans le cursus de leurs études médicales. C’est dire combien l’abandon du stage des jeunes externes dans les blocs opératoires n’est pas été une bonne décision.

La formation doit être adaptée aux évolutions des techniques utilisées par le chirurgien. C’est le problème de la formation aux aides à la vision (le microscope opératoire, la chirurgie vidéo assistée) ou au geste (la chirurgie laparoscopique, les télémanipulateurs). Des séminaires de formation avec formation théorique peuvent être organisés de façon ponctuelle avec travail sur des modèles synthétiques ou préparés à partir de tissus et d’organes animaux, (comme cela est fait dans le cadre du « Heart Lab » annuel organisé à Zurich par L. von Segesser ou à Strasbourg à l’IRCAD). Il n’est pas inintéressant de rappeler que les accros aux jeux vidéo dans leur enfance montrent une plus grande rapidité à l’acquisition de la vidéo chirurgie [17], ce qui conduit à évoquer la réalité d’une neuro-plasticité cérébrale qui existerait chez le chirurgien comme elle a été démontrée chez le musicien.

 

Un mot sur l’utilisation de simulateurs dans la formation du chirurgien. Les premiers simulateurs ont déjà fait la preuve de leur intérêt dans la formation à certains gestes comme la maîtrise des techniques de cathétérisme interventionnel. En chirurgie, les étudiants qui ont pu bénéficier d’une formation sur modèle, feront mieux en situation réelle (temps de suture, qualité de la suture, nombre de gestes inutiles) que les autres [18]. Les progrès de la technologie combinant la reconstitution d’images en trois dimensions, la fusion d’images de source différente (CT scan, ultra sons, images macroscopiques…) permettront sous peu la réalisation, sur un écran, d’interventions virtuelles. De nombreux prototypes ont été mis au point, et des centres de formation sur simulateurs ont été organisés comme aux États-Unis à Stanford, en Angleterre ou en Irlande. Ces prototypes sont de plus en plus sophistiqués et incluent la perception haptique. On peut espérer qu’à très court terme, le jeune interne en chirurgie disposera de consoles simulant très précisément la réalité : il sera alors dans la situation de l’élève pilote qui apprend son métier sans voler du tout. Ce changement de paradigme dans la formation du chirurgien permet d’apporter une bonne réponse à bon nombre de difficultés actuelles (la limitation des heures de travail, la difficulté de l’évaluation des performances individuelles d’un chirurgien, les problèmes médico-légaux et assurantiels sous jacents aux techniques de formation actuelles).

La formation de la tête chirurgicale

L’acquisition de la compétence technique ne résume pas la formation du chirurgien.

En effet la compétence du chirurgien requiert, outre la maîtrise du geste, celle des processus décisionnels, de la communication avec le malade, la maîtrise des méthodes d’évaluation, une compétence de leader, un souci de la gestion du risque.

L’objectif est que le chirurgien associe une démarche scientifique à un comportement humaniste. C’est le problème de la formation clinique, de la formation à la recherche et de la formation par la recherche.

La formation clinique, la formation humaniste

La formation clinique est devenue le parent pauvre de la formation des jeunes médecins et à fortiori de celle des chirurgiens. L’examen clinique doit être réhabilité, dans toutes ses composantes: l’interrogatoire et l’écoute, patiente et attentive, l’examen clinique complet avec l’inspection, la palpation. La formation clinique comprend la maîtrise de la séméiologie, générale et spécialisée.

La formation clinique générale est indispensable ne serait-ce que pour éviter les effets de l’hyperspécialisation. Apprendre à considérer un patient comme un ensemble est devenu indispensable. Le patient peut certes présenter un problème de santé ponctuel, mais il s’agit avant tout d’un être humain dans un contexte personnel, familial, social et professionnel singulier, pouvant présenter des pathologies associées qui vont primer, dans la décision opératoire, sur la pathologie cardiaque. Pour faire

Fig. 4.— La formation clinique au lit du malade : bien souvent l’examen clinique permet de réduire la sur-prescription d’examens complémentaires. La chirurgie cardiaque est pratiquée avec succès à Mandalay sans échocardiographie, ni examens biologiques.

simple, ce n’est pas parce qu’une intervention est réalisable qu’elle est, chez un patient donné, à un moment donné, souhaitable ! Il est de la responsabilité du chirurgien de ne prendre que la décision la plus favorable pour le patient.

La formation spécialisée est bien sûr indispensable. Il est peu acceptable de voir un chirurgien spécialiste méconnaitre ce que son homologue médecin maitrise parfaitement. Ceci est vrai dans la période pré opératoire quand se discute l’indication opératoire mais aussi dans la période post opératoire, dans la gestion des suites de l’intervention. Il est navrant de voir un chirurgien cardiaque totalement dépendant du cardiologue dans la décision opératoire, de l’anesthésiste réanimateur au décours de l’intervention.

La formation clinique doit aussi comprendre l’acquisition des comportements vis-à-vis du malade et la formation à la communication avec celui ci. Il est peu de spécialités médicales où l échange entre le malade et le médecin est plus important qu’en chirurgie, compte tenu des conséquences de l’acte chirurgical. Bien sûr, cette relation n’est plus seulement ce que Portes appelait « la rencontre d’une confiance et d’une conscience » et le jeune chirurgien doit avoir bien compris les changements récents dans l’attente des malades, notamment l’exigence de la guérison. L’évolution vers une médecine de plus en plus technique rend ce dialogue et cette proximité entre le malade et son médecin plus nécessaire et plus… attendue.

Le malade attend empathie, compréhension, mais aussi information. Il attend une disponibilité réelle et une patience sans limite. Le comportement doit être adapté à cette exigence. « La main du chirurgien doit être forte et ferme mais légère à la souffrance » rappelait Gosset [3]. Il faut apprendre au jeune interne l’effet du contact physique de la main du chirurgien et de celle du malade. Les dérives observées dans ce domaine, notamment en milieu hospitalier, doivent être dé- noncées et sanctionnées avec la plus grande fermeté par les responsables des services. Les preuves de ces dysfonctions dans la relation essentielle malade-médecin sont trop nombreuses pour qu’il soit nécessaire de multiplier les exemples. L’analyse des plaintes de malades, qu’elles soient justifiées ou non, révèle que très souvent a existé un déficit majeur dans la communication.

Cette acquisition d’un comportement adapté aux attentes du malade doit comprendre une formation à la communication factuelle : l’annonce du diagnostic, des décisions, du bénéfice attendu, des risques. Ce type d’information est devenu pour le malade un droit inscrit dans la loi. Observons toutefois les limites de ce droit à l’information : il est des situations où retenir l’information est souhaitable, attendu même parfois du malade concerné [4, 19]. Cette observation souligne la difficulté d’encadrer un comportement humaniste par des règlements ou des lois.

Une dimension bien particulière de l’art médical doit être enseignée le plus tôt possible au jeune chirurgien. Il s’agit de la gestion de l’incertitude [19]. La médecine étant un art dont la pratique s’appuie sur une science, elle est une école d’incertitude.

Cette incertitude est le trait fondamental de toute existence humaine. Elle persiste, sinon progresse malgré les progrès de la connaissance : Socrate a bien dit que « notre incertitude s’accroît en fonction de nos connaissances comme le périmètre d’un cercle en fonction de son rayon ». Introduire cette notion dans la formation du jeune chirurgien lui permet de relativiser ses certitudes quant au diagnostic (ai-je tout fait pour approcher la certitude) et au traitement (comment suis-je donc sûr de ce que je dois annoncer au malade ?).

La formation à la bonne conduite pose problème. Le bon comportement vis-à-vis du malade ne s’apprend ni dans les livres, ni dans les recueils de recommandations, ni dans les textes règlementaires. Il résulte d’une certaine culture. Celle-ci peut éventuellement s’acquérir avant la faculté par des études littéraires, la fréquentation des musées, la vie associative, à la faculté au cours de la première année par une formation éthique adaptée. Le plus souvent, cette culture s’apprend dans les services hospitaliers, par la vertu de l’exemple. Mais qui aujourd’hui apprend au jeune interne à frapper à la porte d’une chambre de malade avant d’entrer, à se présenter, à ne pas oublier de refermer derrière soi la porte de la chambre quand la visite est terminée ? La présentation du médecin au malade a une importance que l’on ne peut nier : la perception d’un médecin débraillé n’est pas celle d’un médecin cravaté ! La pratique des jeux de rôle peut être utile à cette formation. De même, la modélisation de situations fréquentes peut être l’occasion de préciser les points les plus importants à respecter dans la présentation au malade et la communication.

Les premières années de la vie en milieu hospitalier sont essentielles puisque elles vont permettre au jeune étudiant de découvrir la réalité du métier de chirurgien. Qui a annoncé que la chirurgie est faite de contraintes multiples, de ce que Lyautey appelait lors de son discours au 38e Congrès Français de Chirurgie en 1929, une véritable « tyrannie du devoir ». Parmi ces contraintes, la nécessité d’une disponibilité permanente : les réglementations de plus en plus strictes sur la régulation du temps de travail effectif ne la font pas disparaître. Révéler ces contraintes professionnelles doit aider le futur chirurgien à ajuster sa vie personnelle, familiale et sociale aux exigences du « métier ». « Tu choisiras ton chauffeur avec le plus grand soin : il doit avoir conscience de l’importance de l’homme qu’il transporte » écrivait Forgue à son élève [3].

Cette formation doit aussi aider le futur chirurgien à mettre en place les mécanismes de protection qui lui permettront s’assumer la particularité unique du métier de médecin qui est d’être confronté quotidiennement, de façon permanente, à la vie et à la mort. Pour cette seule raison, le métier du chirurgien est unique. Dans un passé récent, la pratique de la dissection dans le pavillon d’anatomie était pour le jeune médecin une épreuve réelle, véritablement initiatique. L’assistance aux autopsies constituait une seconde épreuve, avec cette confrontation brutale du malade vivant qui avait mobilisé tous les efforts et de son cadavre, preuve évidente de l’échec de ceux-ci. Ces expériences lui permettaient de comprendre que tout acte médical a une réalité et des implications morales et existentielles réelles qui en font bien un acte à part. Les mécanismes d’ajustement à cette situation unique pouvaient progressivement se mettre en place. La vie en salle de garde contribuait à la mise en place des mécanismes de défense permettant d’acquérir une véritable immunité émotionnelle, une certaine distanciation permettant d’éviter la pollution émotionnelle personnelle dans tout comportement, dans toute décision. Tout ceci a tout simplement disparu, ce qui laisse le chirurgien livré à lui-même, et le conduit à…. refuser le contact pour se « protéger ».

La formation du médecin en ces domaines a été au cours des dernières années si négligée qu’une règlementation est apparue, essayant d’apporter autant de gardefous que possible, dans le but de protéger ‘l’usager’ : la check list à l’entrée du malade en salle d’opération est l’une des dernières. Autre garde fou qui n’aurait pas sa raison d’être s’il n’y avait pas un réel problème : la reconnaissance écrite par le malade d’une information satisfaisante et son consentement avant la pratique d’actes à risques. Ce document serait bien inutile si un échange clair, compréhensible, complet sur le bénéfice attendu et les risques de l’intervention était pour chacun une évidence.

Le besoin d’une formation clinique de qualité est enfin évident quand on considère la dimension économique de la pratique médicale. La formation clinique a effectivement un impact réel sur la prescription médicale elle-même, prescription qui, rappelons le, inclut la prescription des examens complémentaires. Trop souvent aujourd’hui, l’insuffisance de la formation clinique et de la compétence, le souci de se « protéger » expliquent une surconsommation d’examens complémentaires. Les conséquences économiques sont souvent considérables.

La formation clinique complète est ainsi une tâche complexe qui aborde les nombreuses facettes du métier de chirurgien. Elle requiert la présence d’un mentor, d’un senior (le chef de clinique), le compagnonnage véritable, et surtout le temps nécessaire pour que le trio indispensable maître, élève, patient soit effectivement disponible. La motivation du « senior » doit être forte. Mais qu’en est-il vraiment aujourd’hui ? La mission universitaire du chef de clinique est en fait actuellement galvaudée, le jeune chef préférant souvent privilégier l’acquisition d’une expérience chirurgicale personnelle à la formation des plus jeunes ou à l’activité de recherche, qui lui serra si utile plus tard, pour sa carrière. Les efforts réels que doit faire le chef de clinique dans ce domaine sont rarement pris en compte et doivent donc être valorisés lors de l’évaluation du cursus et la discussion de promotion au même titre que la compétence purement chirurgicale. Ne serait-il pas utile de préparer le chef de clinique à cette mission d’enseignement en lui donnant une formation de tuteur ou de mentor adaptée. Le compagnonnage bien compris et la vertu de l’exemple ont fait la preuve de leur efficacité et on voit mal par quoi les remplacer dans la transmission des comportements. Autre difficulté : qui dit compagnonnage dit création d’un couple ce qui n’est pas sans problèmes quand les affectations des jeunes internes sont plus souvent opportunistes que véritablement choisies.

Enfin, il faut reconnaître que l’obligation de réduire les durées d’hospitalisation, le développement des techniques ambulatoires, la contrainte économique au sens large ne facilitent pas des espaces temps propices à la formation clinique des jeunes chirurgiens. S’agit-il là de la vraie raison des difficultés que connait aujourd’hui l’organisation de la formation clinique ou d’un prétexte bien confortable pour justifier un défaut d’implication de seniors ?

La formation à la recherche

Une médecine proche du malade n’exclue pas une formation scientifique. Apprendre à maîtriser les outils de la recherche permet d’acquérir la rigueur scientifique, de mieux juger des performances de telle ou telle technique d’évaluation ou de tel ou tel traitement, dévaluer précisément sa propre activité opératoire. Ceci ne peut être sans impact sur la démarche clinique et la prescription.

Un véritable débat s’est ouvert sur l’intérêt de cette formation spécifique à la recherche dans la communauté chirurgicale. Nombreux sont les chirurgiens responsables de la formation des jeunes qui affirment préférer un jeune collègue « qui sait opérer » à un jeune collègue « savant ». De tels comportements tiennent plus de la caricature que d’une compréhension réelle de ce que peut apporter ce type de formation. Nous voudrions montrer qu’une tête bien faite facilite le mouvement intelligent de la main.

Se former à la rigueur méthodologique, comprendre les règles de l’évaluation scientifique sont devenus indispensables, à un moment où il n’est plus question que de l’évaluation de la qualité des soins.

Etre impliqué dans un programme de recherche permet de développer le sens critique, d’apprendre que rien ne peut être admis pour vrai sans disposer de preuves

Fig. 5. — L’amerrissage sur l’Hudson, en plein New York, d’un Airbus A320, le 15 janvier 2009 n’a causé aucune victime : un bel exemple de la gestion et de la maitrise du risque par l’ensemble de l’équipe dirigée par un pilote spécialiste de la formation à la gestion du risque, CB Sullenberg.

solides, vérifiables. Ceci est encore plus vrai à une époque où l’accès à l’information est facilité par l’existence de bases de données considérables. Apprendre à utiliser ces bases de données, à faire le tri dans ce qui est disponible est devenu important. La lecture scientifique ne s’apprend pas au lit du malade mais au laboratoire de recherche.

Identifier un problème dans la pratique clinique, réfléchir aux diverses modalités possibles pour cerner le problème, aboutir à un protocole de recherche, qu’il s’agisse de recherche clinique sur les malades ou d’un programme de recherche expérimentale sur des modèles ou sur l’animal, conduire ce protocole, rassembler les informations et les analyser avec des outils statistiques pertinents, utiliser les outils informatiques à tous les stades du développement de la recherche…. et aboutir à la rédaction d’un travail scientifique sont les différents stades de la démarche.

Cette formation est au mieux assurée dans les laboratoires de recherche labellisés ou à l’école Inserm. Elle ne fait pas double emploi avec la formation standard de l’étudiant en médecine. La formation à la recherche est poursuivie avec intérêt au cours du Master 2. Il est souhaitable que lors de cette année d’activité de recherche à temps plein le jeune chirurgien soit à l’origine de son travail expérimental, qu’il en assume tous les stades, sous le contrôle et avec l’aide d’un chercheur confirmé. Il faut dénoncer l’intérêt de certains programmes de Master 2 dans lesquels le rôle du jeune chirurgien se limite à l’exécution de tel ou tel examen ultra spécialisé et dans lesquels l’acquisition d’une vraie démarche scientifique est laissée de côté. L’idéal est que le programme de recherche fasse appel à la fois à la maîtrise de concepts et à une maîtrise technique et ce dans le champ de connaissance correspondant à la future spécialité. Ainsi, le chirurgien cardiaque doit devenir familier de problèmes très divers qui vont de la biologie cellulaire aux biomatériaux en passant par l’immunologie, la génétique, la biologie de la coagulation. La masse d’information à acquérir est aujourd’hui considérable et en évolution permanente : il convient donc que le futur chirurgien acquière les techniques et les méthodes qui permettent d’entrer dans un nouveau champ de compétence et/ou de communiquer avec les divers spécialistes.

Le choix du moment optimal où doit être réalisée cette formation est critique. Une formation initiale à la recherche est souhaitable le plus tôt possible dans le cursus médical : elle « ouvre l’esprit à la dimension intellectuelle de l’activité chirurgicale ».

Le Master 2 ne doit intervenir ni trop tôt, chez un trop jeune interne sans expérience clinique, ni trop tard, quand sont prises les mauvaises habitudes et quand l’envie de passer à la vraie vie chirurgicale est trop pressante. Le mode de réalisation du Master 2 est également critique : il est souhaitable qu’il soit réalisé à temps plein, et ne soit pas perturbé par les exigences de la pratique clinique. Le fait d’être temps plein donne en outre au jeune interne, qui a déjà vu le fonctionnement des services et goûté à la vie de chirurgien, une occasion unique de réfléchir à tous les aspects de sa vie future et de faire les bons choix : vie en milieu universitaire avec des missions d’enseignement et de recherche en plus des activités cliniques ou vie dans la structure exclusivement dédiée aux soins.

Le problème de la Thèse de Sciences doit être abordé. Les détracteurs de la formation scientifique des jeunes chirurgiens n’hésitent pas à dire que le temps consacré à la préparation d’un travail de thèse est un temps perdu pour la formation chirurgicale. En réalité l’expérience montre bien que le jeune, motivé et capable dans cette démarche de recherche, est souvent un interne qui maîtrise mieux qu’un autre la pratique clinique. L’observation du déroulement du travail d’un candidat à une thèse (un temps de préparation, la réalisation du protocole expérimental, un temps de travail d’exploitation des résultats, de réflexion et de préparation des publications) montre que si ce projet est bien organisé, il peut être réalisé dans les meilleures conditions sans altérer le moins du monde la disponibilité nécessaire à l’acquisition de l’expérience clinique. Aller au fond d’un problème quel qu’il soit ne peut en réalité que faciliter l’approche et la maîtrise de tout problème clinique.

La vie en équipe et la formation au leadership

La chirurgie n’est plus un « one man show ». Elle n’est plus cette vie à deux, avec son anesthésiste ! Elle est devenue un système complexe comme l’aéronautique et d’autres activités qui requièrent de multiples compétences.

— Le bon fonctionnement de tout système impose l’adhésion de chacun à l’objectif ultime qui est à la fois la satisfaction de l’usager et le contrôle du risque. La dysfonction à chacun des stades conduisant à l’objectif doit être évitée non seulement par l’investissement individuel mais aussi, sinon surtout, par le respect des procédures. L’analyse du fonctionnement du système est, selon Reason [21] plus importante lors de la survenue d’une complication que la recherche d’une responsabilité individuelle.

Les études sur la gestion du risque en chirurgie ont ainsi montré qu’il est deux catégories d’évènements à l’origine d’une complication : les évènements dits mineurs, et les évènements dits majeurs. Les premiers ont paradoxalement l’impact le plus sévère sur le résultat final dont le marqueur le plus évident est la mortalité. De Leval [22] a montré, lors d’études faites en chirurgie cardio-pédiatrique, que le résultat final était lié au mode de fonctionnement du service, à la survenue d’évènements mineurs ou d’évènements majeurs. Les premiers passent en effet volontiers inaperçus, car ils sont considérés comme anodins (le retard du patient à l’arrivée en salle d’opération, le retard d’arrivée d’un membre de l’équipe, un horaire atypique comme lors d’une urgence, un défaut dans la préparation de la salle d’opération, une présence inutile dans la salle d’opération, un dossier pré opératoire non transmis en salle d’opération, une incompatibilité d’humeur entre le chirurgien et l’anesthésiste …..). Cependant, ces évènements mineurs sont lourds de conséquences car ils apparaissent si anodins qu’ils passent volontiers inaperçus ou sont négligés. Ils n’entraînent aucune mesure correctrice. Les évènements majeurs au contraire ne peuvent passer inaperçus (une rupture dans le circuit de CEC, la rupture de l’aorte lors des canulations…) : ils sont immédiatement détectés ; leur gravité potentielle impose une mesure correctrice immédiate ; leur impact sur le résultat final est par voie de conséquence minime.

— Qui dit système dit donc travail en équipe. Et c’est tout le problème de la constitution d’une équipe et de son animation. Le leader de l’équipe est celui qui indique la direction et le but à atteindre [23]. Il doit donc avoir une vision très précise de ce qu’il souhaite réaliser, être prêt à mettre en œuvre, avec enthousiasme, les moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs les plus ambitieux, et développer une culture de l’effort et de la recherche de la performance. Pour Jack Welch [24], qui a transformé avec succès le fonctionnement de General Electric, le secret de la réussite repose sur la différentiation et le leadership transformationnel.

La différentiation consiste à choisir les meilleurs éléments pour un poste donné, à promouvoir le meilleur et à éliminer le plus mauvais. Ceci n’a rien de bien nouveau :

« Bien s’entourer, chasser quand il le faut les menteurs, les imposteurs, les paresseux, les dangereux et, à l’inverse accueillir toutes les bonnes volontés » avait écrit Couvelaire [25], bien avant Welch ! La constitution d’une équipe sur de telles bases n’est cependant pas évidente à une époque où l’autorité est contestée de principe, où les panseuses de salle d’opération sont affectées par un responsable des soins infirmiers et souvent partagées entre diverses spécialités, où les syndicats veillent !

Le leadership transformationnel consiste à permettre de tirer de chaque membre de l’équipe le meilleur de lui même. Ceci n’est obtenu qu’en créant un climat d’excellence, climat qui permet à chacun de se sentir confortable, de donner le meilleur de lui-même, de se dépasser. Ceci, à terme, permet une plus grande productivité et une plus grande sécurité.

 

Ce travail en équipe permet enfin la gestion des conflits et la gestion du risque dans les meilleures conditions [26, 27]. Là encore, le chirurgien serait bien inspiré de connaître les techniques utilisées dans d’autres systèmes complexes. Une technique devient populaire : l’analyse par un tiers indépendant du fonctionnement du système et le retour d’expérience (le débriefing) où chacun va pouvoir par lui-même évaluer le fonctionnement de l’équipe. Chacun peut tirer lui-même les conséquences de cette analyse avec à la clé plus d’efficacité et plus de sécurité dans l’ensemble du groupe. L’utilisation des enregistrements vidéo de la vie dans une salle d’opération est très utile pour détecter tout dysfonctionnement tant dans les pratiques de chaque membre de l’équipe que dans les interactions entre les membres : présences inutiles dans la salle d’opération, allers et venues non justifiés….facteur de distraction et d’augmentation du risque nosocomial.

En conclusion, la formation du chirurgien est bien un processus complexe, lent, faisant appel à de multiples techniques, avec pour objectif l’émergence de personnalités alliant performance technique, intelligence, rigueur morale, disponibilité et empathie, charisme et sens du leadership. Formation scientifique et technique et formation morale sont indissociables. Ces réflexions peuvent éventuellement conduire à remettre en cause, comme cela a été fait dans de nombreux pays, les maquettes de formation actuellement en vigueur en France. Il est en effet de la responsabilité des seniors d’optimiser au mieux dans un monde qui a changé la formation des jeunes chirurgiens, avec à terme une amélioration de la performance.

Comme le disait Léonard de Vinci, « la plus grande satisfaction du Maître n’est-elle pas de se voir dépassé par son Elève » ?

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[27] Vayre P. — La gestion des risques en pratique chirurgicale : la sérénité retrouvée.

Ann. Chir. , 2000, 125, 925-928.

 

DISCUSSION

M. Jacques-Louis BINET

En combien de temps un interne peut-il atteindre le « Yeau » ? Comment le contrôler ?

D’une façon générale, l’art est parfois une idée et toujours le résultat de beaucoup de travail. L’acquisition d’une gestuelle parfaite impose aussi beaucoup de travail. Les chirurgiens ont l’habitude de dire que la perfection résulte de 20 % de dextérité (l’inné) et de 80 % de travail (l’acquis). Chacun des stades de l’acquisition de la gestuelle est important : la compréhension et il est des chirurgiens qui n’ont jamais compris le geste, l’intégration qui requiert beaucoup de travail et prend du temps ! L’âge intervient beaucoup dans la rapidité de l’acquisition de toute gestuelle, du fait de la grande neuro-plasticité chez le jeune adulte.

 

M. Bernard LECHEVALIER

Il serait possible de faire une analyse neuropsychologique du geste chirurgical à partir des travaux remarquables de Marc Jeannerod de Lyon sur l’analyse du geste volontaire, qui résulte de l’élaboration d’un programme moteur, de sa planification, du contrôle de son exécution par le cortex frontal, programme mémorisable en mémoire procédurale (ou implicite) dévolue au cervelet et aux noyaux gris centraux, comprenant une part d’activités automatiques (qu’il me semble difficile de qualifier d’ inconscientes). Un tel programme est modifiable brusquement en cours d‘intervention si besoin est, sans passer par le langage.

Dans le domaine de l’apprentissage du virtuose, il repose autant sur la pertinence d’une analyse minutieuse des difficultés à vaincre et le moyen d’y réussir que sur le nombre élevé des répétitions.

Vous avez parfaitement raison : la maîtrise du geste commence par la compréhension du geste à réaliser, c’est-à-dire l’analyse du geste optimal mais aussi des difficultés de sa réalisation : il y a bien dans ce processus une appropriation du geste par l’élève. En aval, l’acquisition des automatismes impose l’entraînement intensif avec le souci d’une amé- lioration constante.

M. François DUBOIS

La dextérité n’est pas la qualité essentielle du chirurgien. En Chine, il y a trente ans, la microchirurgie était pratiquée par des techniciens et non par des chirurgiens.

La microchirurgie est avant tout un modèle idéal pour la formation à la gestuelle chirurgicale. La dextérité n’est effectivement pas la qualité première d’un chirurgien : la rigueur, la patience, le souci de la perfection, l’amour du travail bien fait comptent plus que la dextérité.

M. Yves CHAPUIS

L’analyse que nous venons d’entendre rappelle de façon remarquable les multiples éléments qui entrent dans la formation et la pratique chirurgicale, rappel qui s’impose à l’heure où cette discipline doit s’adapter sans cesse aux évolutions aussi bien techniques que sociétales.

J’ai deux remarques. L’une concerne Paul Valéry qui le 17 octobre 1938 s’adressant aux chirurgiens magnifiait leur art avec, dans son éloge ces mots, « Un artiste est en vous à l’état nécessaire ». Ce que vient de nous dire Daniel Loisance contredit en partie ce discours montrant que le chirurgien est d’abord un artisan. La seconde remarque a trait aux limites de l’apprentissage par les moyens du laboratoire ou de l’École lorsque la chirurgie est celle de l’exérèse difficile de volumineuses tumeurs. C’est là que le compagnonnage est essentiel à condition que le Maître soit parfait dans l’exécution.

Le chirurgien est à la fois un artisan et un artiste : un artisan car il doit s’approprier une gestuelle bien précise, appliquer un protocole rigoureux ; mais aussi un artiste quand il oriente son intervention vers quelque chose de nouveau, de non prévisible : il devient créateur et rejoint le groupe des artistes. Le sens du beau est chez le chirurgien important.

Ce que j’ai dit de l’acquisition de la gestuelle chirurgicale n’exclut pas l’importance du compagnonnage : c’est, depuis Halstedt qui l’a bien codifié, un moyen efficace de transfert du savoir et des comportements. Le maître peut aider l’élève à comprendre ce qu’il doit faire et finalement s’approprier une gestuelle ou un comportement.

 

M. Michel MALAFOSSE

Vous avez insisté sur l’état de « Yeau » : la libération de la conscience permettant de parvenir à l’automaticité du geste. Pouvez-vous nous préciser votre pensée ? Car, personnellement je pense que c’est surtout justement l’attention extrême et sans relâchement aucun de l’opérateur qui peut permettre d’aboutir à la perfection « permanente » de la pratique chirurgicale

Ce que Tchouang Tseu nous apprend est essentiel : le geste libéré de la conscience laisse celle-ci libre, c’est-à-dire capable d’être vigilant aux conséquences du geste, de donner une orientation au déroulement de l’intervention, à l’état de l’opéré, aux risques potentiels à un moment donné et éventuellement, surtout dans certaines spécialités où la sanction est immédiate, à veiller au bon déroulement de l’ensemble de l’intervention. Si le chirurgien doit réfléchir lors de la confection d’un nœud à la bonne façon de tenir les fils, son esprit n’est plus libre pour appréhender les conditions dans lesquelles le nœud doit être fait de façon optimale : le degré de tension sur les fils, de serrage du nœud lui-même qui varient selon les caractéristiques du tissu, solide ou fragile.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, email : daniel.loisance@wanadoo.fr Chirurgie cardiaque, Institut de Cardiologie, CHU Pitié-Salpêtrière — Paris Honorary Professor Beijing People University — Chine Tirés à part : Professeur Daniel Loisance|, même adresse Article reçu le 15 octobre 2010, accepté le 25 octobre 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 1, 131-149, séance du 11 janvier 2011