Communication scientifique
Séance du 20 janvier 2009

Prothèse totale du genou assistée par ordinateur : douze ans d’expérience grenobloise

MOTS-CLÉS : chirurgie assistée par ordinateur. prothèse genou
Computer-assisted total knee arthroplasty : 12 years experience in Grenoble
KEY-WORDS : knee prosthesis. surgery, computer assisted

Dominique Saragaglia

Résumé

La mise en place des prothèses totales du genou assistée par ordinateur est née à Grenoble au milieu des années 1990. La première prothèse a été implantée sur l’être vivant le 21 janvier 1997 sans aucun problème particulier. Depuis plus de deux cent mille prothèses ont été implantées dans le monde, avec le système que nous avons développé. Il s’agit d’un système passif, contrairement au robot qui est un système actif, sans aucune imagerie pré et per opératoire correspondant à un modèle cinématique et palpatoire. Le chirurgien est maitre de son geste et de ses décisions et l’ordinateur le guide pour la recherche des axes, l’orientation des coupes osseuses et le contrôle de la balance ligamentaire ce qui n’est pas toujours facile avec les ancillaires traditionnels. L’intérêt de la navigation informatisée de la mise en place des prothèses totales du genou pour atteindre l’objectif fixé en préopératoire est parfaitement démontré. Cependant, il est trop tôt pour affirmer qu’une prothèse « bien posée » aura une durée de vie plus longue. Des études à long terme avec des prothèses modernes sont nécessaires, pour confirmer ce qui pourrait paraître une évidence si l’on se base sur les études historiques.

Summary

Computer-assisted total knee arthroplasty was developed in Grenoble in the mid-1990s. The first human implantation was performed on 21 January 1997, with no particular problems. Since this date more than 200 000 patients have been implanted with our device all over the world. The device is passive (not active like a robot), and requires no pre- or perioperative imaging. It is based on kinematics and palpation, the surgeon remaining in charge at all times. The computer helps to identify the lower leg axis, to accurately fix the bone cutting guides, and to check the ligament balance. These steps are not easy to perform with conventional ancillaries. The effectiveness of computer-assisted total knee replacement is well documented, although it is too early to claim that a ‘‘ well-aligned ’’ prothesis will have a better survival rate. Long-term follow-up studies are needed, with modern prostheses, to confirm the results of historical studies.

INTRODUCTION

La chirurgie assistée par ordinateur a débuté à la fin des années 1980, par la neurochirurgie stéréotaxique [1]. Les objectifs de cette nouvelle technique étaient d’améliorer la précision du geste opératoire, de diminuer l’agressivité chirurgicale et d’améliorer la traçabilité de l’intervention.

L’histoire de la mise en place des prothèses totales du genou assistée par ordinateur a débuté en 1993, date à laquelle nous avons constitué un groupe de travail composé de deux chirurgiens (D. Saragaglia et F. Picard), un médecin informaticien (P.

Cinquin), de deux ingénieurs informaticiens (S. Lavallée et F. Leitner) et d’un partenaire industriel qui était à l’époque la Société I.C.P France (rachetée en 1994 par la Société Aesculap, Tuttlingen, Allemagne). Lors de cette première réunion, et en tant que chirurgien « senior », nous établissions le cahier des charges de ce que devait être pour nous une assistance par ordinateur. Il ne fallait pas qu’il y ait de scanner préopératoire pour guider la navigation chirurgicale et ceci pour plusieurs raisons : tout d’abord parce qu’à l’époque cet examen ne faisait pas partie du bilan préopératoire d’une prothèse de genou, ensuite parce que nous avions l’intuition qu’un tel examen ne pouvait que compliquer la procédure opératoire et qu’enfin cela aurait été à l’origine d’un surcoût et d’une irradiation non négligeable du patient. Il fallait que l’on ait une référence permanente à l’axe mécanique du membre inférieur du début jusqu’à la fin de l’intervention de manière à placer les guides de coupes perpendiculaires à cet axe mécanique aussi bien dans un plan frontal que dans un plan sagittal. Il fallait pouvoir mettre les guides de coupe « à la volée » sans aucune tige centro ni extra-médullaire. Il fallait enfin que l’intervention dure moins de deux heures (temps maximal de garrot que nous nous autorisons) et que la procédure soit accessible à tout chirurgien quelle que soit sa compétence en informatique.

Ce projet fut confié à F. Picard qui en fit un travail de recherche dans le cadre de son D.E.A de génie biologique et médical, et à F. Leitner ingénieur informaticien en fin de formation. Après deux ans de travail, le système fut validé par la mise en place de dix prothèses du genou sur dix genoux de cadavre et les résultats furent publiés en 1997 [2, 3] dans plusieurs instances nationales et internationales (CAOS, SOFCOT, SOBCOT etc.).

Après accord du comité d’éthique du CHU de Grenoble du 4 décembre1996 la première prothèse assistée par ordinateur fut implantée sur l’être vivant le 21 janvier 1997 (D. Saragaglia, F. Picard, T. Lebredonchel). L’intervention dura deux heures quinze minutes sans problème majeur per-opératoire.

Fig. 1. — la station de navigation OrthopilotTM

Une étude prospective randomisée comparant cette technique à la technique conventionnelle débuta en Janvier 1998 et se termina en Mars 1999. Les résultats furent publiés dans plusieurs instances nationales et internationales et dans un article princeps de la revue de chirurgie orthopédique [4]. En mars 1999, le prototype que nous avions utilisé dans cette étude donna naissance au modèle définitif qui fut appelé OrthopilotTM (B-Braun-Aesculap, Tuttlingen, Allemagne). Depuis cette époque, de nombreux articles ont été publiés dans la littérature [5-15] confirmant le bien fondé de cette technique et plus de deux cent mille prothèses ont été implantées dans le monde avec l’OrthopilotTM. Les logiciels ont évolué (3.0, 3.2, 4.0, 4.2) mais le principe de base est resté le même depuis la création du système. Aujourd’hui nous utilisons ce système de manière routinière et pour la mise en place des prothèses et pour les ostéotomies du genou si bien que nous l’avons utilisé dans près de deux mille cas.

MATÉRIEL

Le matériel est composé d’une station de navigation (fig.1) permettant le repérage spatial en temps réel de marqueurs, ainsi que d’un ancillaire adapté à cette navigation. La station de navigation comporte un ordinateur de type PC, un localisateur infrarouge Polaris (Northern Digital Inc), et une pédale à double commande. Le déroulement du protocole opératoire est défini dans le logiciel et le chirurgien assure son contrôle via la pédale et une interface graphique dédiée.

Cette station de navigation comprend en outre les pièces d’ancillaires que sont les marqueurs et leur système de fixation. Un marqueur, appelé aussi ‘‘ rigid body ’’ est constitué d’un ensemble de diodes infrarouges reliées de façon rigide. Actuellement, ces marqueurs qui étaient au départ des marqueurs actifs (reliés par un fil à la station de navigation et émettant un signal lumineux) sont des marqueurs passifs qui réfléchissent la lumière (fig.2). La position de chacune de ces diodes est connue du localisateur, et par suite l’attitude (position et orientation) du marqueur proprement dit. Ils peuvent être fixés sur tous les objets dont on souhaite suivre le déplacement.

En particulier, il est possible de désigner des points dans l’espace grâce à un palpeur constitué d’une pointe reliée à un marqueur (fig.3), et dont on connaît précisément les coordonnées de l’extrémité. La fixation sur l’os des marqueurs s’effectue au moyen de vis bicorticales spéciales.

L’ancillaire comporte des guides de coupe équipés de marqueurs qui sont solidement fixés à l’os par trois ou quatre broches filetées. Ils permettent de naviguer la coupe tibiale (hauteur de coupe, valgus-varus, pente tibiale) et la coupe fémorale (hauteur de coupe, valgus-varus, flexum-recurvatum). Le guide de coupe des chanfreins permet de faire également les coupes antérieure et postérieure. Un distracteur permet de naviguer la balance ligamentaire en flexion et en extension.

Fig. 2. — marqueurs passifs (rigid-bodies) mis en place en per-cutané et palpation au dessus de la trochlée fémorale.

Fig. 3. — palpation de la malléole médiale.

 

MÉTHODE

La planification préopératoire est exactement la même que pour mettre en place une prothèse par la technique conventionnelle : radiographies standard ou mieux pangonométrie en charge pour évaluer l’axe et la forme du fémur et du tibia. Les radiographies en stress sont inutiles puisque l’ordinateur permet d’évaluer la réductibilité de la déformation par des manœuvres en varus ou valgus forcé.

Acquisition de l’axe mécanique

Mise en place des marqueurs

Pour diminuer la longueur de l’incision, les marqueurs fémoral et tibial sont insérés en percutané (fig.2 et 3) et placés de telle manière qu’ils puissent être vus pendant toute l’intervention sans que l’on soit obligé de bouger le localisateur.

Le « calibrage » du membre inférieur

Le calibrage du membre consiste à rechercher le centre de la tête fémorale (H), le centre du genou (K) et le centre de la cheville (A) par des mouvements appropriés de la hanche, du genou et de la cheville.

Le repérage du centre de la tête fémorale consiste à faire un mouvement circulaire du membre inférieur, de faible diamètre, genou en extension ou en flexion, lentement et progressivement, ce qui permet au localisateur de suivre parfaitement les diodes infrarouges du « rigid body » fémoral et de repérer le centre de la tête fémorale (fig. 4).

Le repérage du centre de la cheville est plus complexe que celui de la hanche puisqu’il ne possède qu’un seul degré de liberté, ce qui n’autorise que la recherche d’un axe de rotation. Pour cela, il faut placer un « rigid body » au niveau de l’extrémité proximale du tibia et un autre au niveau du col du talus par l’intermédiaire d’une plaque métallique et d’une sangle élastique ce qui évite une incision sur le cou-de-pied. Les mouvements de flexion-extension et la palpation des malléoles et du milieu de la tibio-talienne permettent grâce au localisateur et aux diodes infrarouges de repérer le centre de la cheville.

Le repérage du centre du genou est aussi relativement complexe, puisque c’est un centre instantané de rotation et qu’il se déplace au cours de la rotation. Les mouvements de flexion-extension donnent dans un premier temps l’axe de flexionextension ; les mouvements de rotation axiale du tibia, lorsque le genou est fléchi à 90°, donnent un autre axe ; l’intersection de ces deux axes donne le centre de rotation du genou. Pour calculer ce centre le localisateur suivra les déplacements des « rigid bodies » mis en place initialement sur l’extrémité inférieure du fémur et sur l’extrémité supérieure du tibia.

Fig. 4. — acquisition du centre de la hanche par un mouvement lent de rotation (toutes les cases doivent être d’un vert intense pour passer à l’étape suivante).

Étapes de palpation

La palpation du plateau tibial (sain et usé) va déterminer la hauteur de coupe. À l’aide du palpeur sur lequel est fixé le ‘‘ rigid body ’’ mobile on palpe le plateau sain en son milieu, et non pas en avant, pour intégrer une partie de la pente tibiale postérieure.

On palpe également le milieu des épines tibiales et le sommet de l’échancrure fémorale pour améliorer la robustesse de la recherche du centre du genou.

La palpation du fémur (face postérieure du condyle médial, face postérieure du condyle latéral, point le plus distal du condyle médial et latéral et corticale anté- rieure sus-trochléenne) va déterminer la taille de la prothèse, garantir le centre articulaire du fémur et donner le valgus ou le varus fémoral. La palpation des épicondyles donne une idée de la torsion fémorale épiphysaire distale du fémur.

La palpation de la cheville (fig. 3) permet d’intégrer son centre, ce qui conforte les acquisitions obtenues au moment du calibrage cinématique. Il faut palper la pointe de la malléole médiale, la pointe de la malléole latérale et le milieu de l’articulation tibio-talienne.

 

L’axe mécanique du membre inférieur

À ce stade de l’intervention, les points H, K, A ont été trouvés et leurs coordonnées sont connues dans le système de référence des ‘‘ rigid bodies ’’ du tibia et du fémur.

L’axe mécanique du membre inférieur est ainsi déterminé et peut être comparé à la pangonométrie préopératoire. La taille de la prothèse est également connue et s’affiche sur l’écran de l’ordinateur.

La navigation

Grâce au valgus ou varus en stress imprimé par l’opérateur, il est possible d’avoir une gonométrie en stress ce qui permet de tester la réductibilité et de savoir à l’avance s’il va falloir s’orienter vers un « release » ou non des parties molles périphériques. Par ailleurs le système permet également d’avoir une gonométrie dynamique qui permet d’évaluer le varus ou le valgus en flexion à 30° (position de la marche) et à 90° ce qui donne une idée de la rotation fémorale globale [13], notion complètement ignorée jusqu’à ce jour, et particulièrement négligée lorsque l’on met de la rotation externe systématique dans l’implant fémoral lors des techniques conventionnelles.

Mise en place des guides de coupe

Le guide de coupe tibiale est monté sur un support qui permet de régler le valgusvarus, la hauteur de coupe et la pente tibiale postérieure. Nous préférons, actuellement, placer ce guide de coupe « à la volée », sans aucun support, ce qui permet de faire des incisions cutanées moins longues. Celui-ci est placé devant le tibia avec son « rigid body » (fig. 5) et il est fixé à l’os par quatre broches filetées dès que les réglages corrects s’affichent sur l’écran, à savoir pour nous un valgus-varus à 0°, une pente tibiale postérieure entre 0° et 2° et une hauteur de coupe à 8 ou 10 mm correspondant à l’épaisseur du plateau tibial de la prothèse. Une fois le guide de coupe fixé, on réalise la coupe à la scie oscillante.

Le guide de coupe fémorale monté de son « rigid body » est ensuite placé contre la face antérieure de l’extrémité distale du fémur genou fléchi à 90°, après avoir réséqué la saillie de la trochlée fémorale. On peut utiliser le support approprié ou bien mettre ce guide de coupe « à la volée » ce qui permet d’utiliser une voie d’abord moins extensive. On règle alors le valgus-varus (0°), la pente postérieure (entre 0° et 2° de flexum pour éviter d’entailler la corticale antérieure) et la hauteur de la résection (résection minimale du côté de la convexité pour diminuer les problèmes de balance ligamentaire).

À ce stade de l’intervention, l’alignement « osseux » du membre inférieur a été réalisé par l’ordinateur et l’implantation de la prothèse se poursuit avec l’ancillaire classique notamment pour réaliser les coupes antérieure, postérieure et les chanfreins.

Fig. 5. — insertion du guide de coupe tibial.

Mise en place de la prothèse

La mise en place de la prothèse d’essai permet de vérifier grâce à l’ordinateur, l’axe du membre inférieur en extension, dans la position de la marche et en flexion à 90° ainsi que la balance ligamentaire par des mesures en stress aussi bien en varus qu’en valgus et d’avoir une mesure en degré du bâillement médial ou latéral.

L’axe du membre inférieur peut également être vérifié au moment de l’implantation définitive de la prothèse ce qui permet parfois de déceler un excès de ciment médial ou latéral susceptible de modifier l’axe de 1° ou 2° (1mm de ciment = 1°).

 

La rotation de l’implant fémoral

Nous ne mettons jamais, de manière systématique, de la rotation externe de l’implant fémoral tout au moins dans le genu varum. Nous mettons de la rotation uniquement en fonction du valgus ou du varus fémoral. Si dans un genu varum, le fémur est en valgus de 3° ou plus, nous pensons qu’il est logique de mettre de la rotation externe car il faudra réséquer plus de condyle médial distal et par consé- quent plus de condyle postérieur si l’on veut que la balance ligamentaire soit équilibrée en flexion [14]. Cette rotation n’a pas besoin d’être naviguée puisque l’ancillaire permet de donner cette rotation avec facilité. Si le fémur est en varus, et dans la mesure ou le genu varum est hyper réductible, il est également logique de mettre de la rotation interne car on réséquera moins de condyle médial distal donc moins de condyle médial postérieur [14]. En cas de genu valgum, la rotation externe est fréquente mais non obligatoire car le valgus fémoral est presque constant mais l’hypoplasie fémorale postérieure du condyle latéral est loin d’être la règle. Nous mettons en général 1° de rotation pour 1° de valgus fémoral en ne dépassant pas 5 à 6° de rotation pour ne pas avoir une entaille trop importante de la corticale antéro-latérale du fémur.

La balance ligamentaire

On peut procéder de deux manières différentes : soit en se basant sur les tests de réductibilité de la déformation (stress en valgus et en varus près de l’extension) soit en suivant le logiciel de gestion de la balance ligamentaire. Nous préférons utiliser la première méthode qui permet au chirurgien de réfléchir et de rester maître de ses choix.

Nous procédons de la manière suivante : lorsque l‘axe du membre inférieur apparaît sur l’écran de l’ordinateur, avant toute ablation des ostéophytes, nous appliquons une force manuelle en varus et en valgus, le genou étant à 5 ou 10° de flexion, pour apprécier la réductibilité de la déformation et le bâillement dans la convexité. Si la déformation est parfaitement réductible voire hyper réductible, nous sommes certains que la balance en extension sera équilibrée et qu’il ne sera pas nécessaire de faire de libération des parties molles dans la concavité. Il en est de même si la réductibilité donne une hypo correction de 3 à 5°. Si l’hypo correction est plus importante, il faudra prévoir une libération progressive des parties molles de la concavité avec les implants d’essai, après ablation des ostéophytes. Cependant, il faut savoir qu’une balance parfaitement équilibrée ne veut pas dire, obligatoirement, qu’il existe un bâillement symétrique entre le côté médial et latéral car on sait que dans un genou normal le compartiment latéral est plus laxe que le compartiment médial. Ainsi nous acceptons volontiers, dans le genu varum, un bâillement supérieur de 3 à 4° au niveau du compartiment latéral du genou.

En ce qui concerne la gestion des espaces entre l’extension et la flexion, nous n’avons jamais de déséquilibre car, d’une part nous utilisons dans la plupart des cas une prothèse avec conservation du ligament croisé postérieur et celui-ci est un bon gardien des espaces, et d’autre part nous réséquons une épaisseur d’os identique à l’épaisseur des implants. Ainsi, cet équilibre qui était bon avant la mise en place de la prothèse n’a aucune raison de changer après la mise en place de la prothèse.

Enfin l’équilibre médio latéral en flexion peut être contrôlé sans aucun distracteur car nous pensons qu’il s’agit d’un procédé artificiel qui ne garantit pas un bon équilibre tant la mise en tension de chacun des côtés est subjective et peu reproductible. Pour vérifier cet équilibre, il suffit, une fois le guide de coupe des chanfreins mis en place au niveau du fémur distal, de soulever la cuisse par l’intermédiaire de ce point d’appui, de tirer manuellement dans l’axe de la jambe genou fléchi à 90°, et de vérifier le parallélisme du guide de coupe avec la coupe du plateau tibial. Dans le genu varum, le parallélisme est parfait dans la plupart des cas et il n’est pas nécessaire de faire de libération des parties molles. Dans le cas contraire et surtout dans le genu valgum, il faut faire une libération progressive du plan capsulo ligamentaire médial ou latéral.

RÉSULTATS

Les résultats de l’étude prospective randomisée que nous avions réalisée avec le prototype ont été publiés en 2001 dans la revue de chirurgie orthopédique [4].

Ceux-ci avaient montré qu’il s’agissait d’un système tout à fait performant, fiable et reproductible. S’il n’avait pas démontré sa supériorité de manière statistiquement significative par rapport à la technique conventionnelle (84 % d’angles HKA à 180° fi 3° contre 75 %), il assurait une meilleure distribution des axes autour de 180° et une meilleure implantation des pièces condyliennes et tibiales autour de 90° aussi bien dans le plan frontal que dans le plan sagittal. Il faut souligner qu’il s’agissait d’une étude réalisée avec un prototype et que quelques incidents techniques (défaut de fixation stable des « rigid bodies », imprécision de palpation de la cheville notamment) ont probablement joué sur la précision de certaines données.

Une autre étude [9] réalisée avec la dernière génération de l’OrthopilotTM avait montré une différence statistiquement significative en faveur de la technique assistée par ordinateur (94 % d’implantations idéales versus 78 %). D’autres études ont également confirmé l’intérêt de la navigation pour la mise en place des prothèses de genou et les performances de l’OrthopilotTM [5-8,11,12,15]. Pour notre part, nous avons réalisé une autre étude avec l’OrthopilotTM dans le but d’évaluer la rotation fémorale grâce à la navigation. Cette étude basée sur 50 cas, a montré que 100 % des axes mécaniques étaient compris entre 177° et 183° [13].

DISCUSSION

L’utilisation de la navigation informatisée sans guidage par scanner préopératoire peut être considérée aujourd’hui comme une technique fiable qui permet dans plus de 95 % des cas d’obtenir un axe mécanique compris entre 177° et 183° pour ce qui est du plan frontal et une position optimale des implants fémoraux et tibiaux sur le profil.

Notre technique correspond à un système de navigation qui permet d’assister le chirurgien au cours de la mise en place de la prothèse. Ce système d’assistance par ordinateur ayant pour référence l’axe mécanique du membre inférieur est différent de la mise en place des prothèses du genou assistée par l’image ou par fluoroscopie.

L’inconvénient majeur de l’assistance par l’image est l’utilisation d’un scanner pour reconstruire en 3D le membre inférieur (nécessité de cent coupes espacées de 1mm pour reconstruire l’articulation du genou —Delp [16]). L’irradiation du patient, le coût, le caractère long et fastidieux de la planification préopératoire sont autant d’arguments qui peuvent limiter l’utilisation d’un tel système. Par ailleurs trois études récentes [18-20] ont montré qu’il n’y avait aucun avantage à utiliser un tel système. Quant à l’assistance par fluoroscopie [21], du fait de l’irradiation supplé- mentaire du chirurgien et de son environnement et de l’introduction dans le bloc opératoire de deux machines supplémentaires (l’amplificateur de brillance et son écran !), elle ne nous paraît pas adaptée à la chirurgie prothétique du genou.

Le modèle cinématique est particulièrement bien adapté à la chirurgie mini invasive car il n’est pas nécessaire de faire un abord large pour palper les points de référence intra-articulaires. Ce n’est pas le cas de certains systèmes basés sur le « bone morphing ».

Pour un chirurgien entraîné, la durée de l’intervention dépasse à peine de cinq minutes la durée d’une intervention conventionnelle, surtout si l’on utilise une version allégée du logiciel 4,0 ou 4,2 et que l’on met les guides de coupe « à la volée » avec une incision réduite.

On pourrait reprocher au modèle cinématique des difficultés pour obtenir un ‘‘ centre ’’ du genou, lorsqu’il existe une gonarthrose majeure avec rupture du ligament croisé antérieur, laxité périphérique, cupule postéro latérale ou postéro médiale. L’expérimentation sur cadavre a en fait démontré que la section du ligament croisé antérieur et/ou du ligament croisé postérieur n’entraînait que peu de répercussions sur le centre de rotation du genou (détermination d’un centroïde de rotation en cherchant le point du fémur le plus équidistant, au sens des moindres carrés, d’un point situé sur le tibia). Par ailleurs, la palpation de points remarquables intra-articulaires améliore considérablement la robustesse du système.

CONCLUSION

L’OrthopilotTM est le modèle cinématique de référence pour la mise en place des prothèses totales du genou assistées par ordinateur. Depuis plus de dix ans, les logiciels ont été régulièrement améliorés pour atteindre une fiabilité tout à fait remarquable entre toutes les mains. Il est particulièrement bien adapté à la chirurgie mini invasive puisque qu’il n’est pas utile d’ouvrir largement le genou pour repérer de manière fiable et reproductible le centre du genou et les points anatomiques remarquables qui vont guider les coupes osseuses et le choix de la taille de la prothèse.

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DISCUSSION

M. Jean DUBOUSSET

Comment extrapoler la ponction couchée dans laquelle se passe l’opération et la position debout fonctionnelle qu’utilisera le sujet lorsqu’il sera en post opératoire ?

Il y a une différence entre les axes en position couchée et les axes en position debout. Nous avons pris l’habitude, pour minimiser au maximum cette différence, de pousser sous le pied le plus fort possible lors de la vérification de l’axe obtenu par la navigation. La plupart du temps, cet axe concorde avec la gonométrie radiologique préopératoire qui malheureusement n’est pas d’une fiabilité absolue. Mais pour l’instant, c’est le seul examen que l’on peut obtenir avec une certaine facilité.

M. Jean-Daniel SRAER

Les complications infectieuses ou autres diffèrent-elles suivant le type de chirurgie ? La rééducation post opératoire est-elle différente suivant la technique ?

Il n’y a pas plus de complications avec la chirurgie assistée par ordinateur (CAO) qu’avec la chirurgie conventionnelle. Nous l’avions démontré lors de notre première étude prospective randomisée et d’autres études l’ont montré également. Un des avantages de la CAO est de ne plus mettre de tige guide centromédullaire ce qui diminue le saignement postopératoire (surtout au niveau du fémur) et aussi le risque théorique d’embolie graisseuse (complication exceptionnelle). On a décrit par ailleurs des fractures du fémur sur les fiches de fixation des marqueurs. Cette complication est très rare et se voit surtout avec des systèmes qui utilisent deux ou trois fiches de fixateur externe pour fixer ces marqueurs. Il vaut mieux utiliser, comme nous le faisons depuis le début de notre expérience, une seule vis de 4,5 mm de diamètre parfaitement bloquée contre l’os car ce marqueur ne doit absolument pas bouger pendant toute la durée de l’intervention. Quant à la rééducation postopératoire, aucune étude ne montre de différence entre CAO et chirurgie conventionnelle. Bien que nous n’ayons jamais fait d’étude à ce sujet, notre impression subjective va dans ce sens. En tout cas, notre protocole de rééducation est exactement le même.

M. Christian NEZELOF

Pourquoi conserver la rotule ?

Le resurfaçage de la rotule (c’est-à-dire mettre un bouton en polyéthylène derrière la rotule native) est un problème largement débattu au sein de la communauté orthopédique et je ne trancherai pas aujourd’hui ! Quoi qu’il en soit, les méta analyses de la littérature semblent montrer un avantage au resurfaçage (étude de R. Nizard de Lariboisière) et dans ma pratique, je resurface la rotule dans plus de 90 % des cas.

M. Jean NATALI

Le coût de l’intervention ?

Aujourd’hui cette pratique n’est pas facturée. L’appareil de navigation coûte entre cinquante et cent vingt-mille k. Certaines structures ont acheté l’appareil, d’autres le louent et d’autres peuvent en bénéficier gracieusement grâce à des PHRC ou la bonne volonté des fabricants de prothèse. Quoi qu’il en soit, il faut acheter des consommables (billes des marqueurs qui réfléchissent la lumière) et il faut compter cent à centcinquante k de plus par intervention.

M. Charles-Joël MENKES

Cette chirurgie assistée peut-elle s’appliquer aux prothèses mono compartimentales ?

Tout à fait ! C’est d’ailleurs une des meilleures indications car le succès de la prothèse partielle dépend certes de l’indication mais aussi et surtout de la qualité de l’implantation. Si on hyper corrige on risque de dégrader le côté opposé, si on hypo corrige trop, on risque soit l’enfoncement de la prothèse dans l’os, soit une usure précoce du polyéthylène.

Une prothèse totale qui est « mal posée » durera plus longtemps qu’une prothèse partielle mal posée. C’est une des raisons pour lesquelles beaucoup de chirurgiens évitent de poser des prothèses partielles car elles ne pardonnent peu l’erreur ! La navigation informatisée devrait contribuer à un nouvel essor de la prothèse partielle du genou.

 

<p>* Clinique Universitaire de Chirurgie Orthopédique et de Traumatologie du Sport. CHU de Grenoble, Hôpital Sud — 38130 Echirolles. Tirés à part : Professeur Dominique Saragaglia, même adresse</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 1, 91-105, séance du 20 janvier 2009