Communication scientifique
Séance du 23 janvier 2001

Présentation

MOTS-CLÉS : hyperlipidémies.. lipoprotéines. troubles héréditaires métabolisme lipidique
KEY-WORDS : hyperlipidemia.. lipid metabolism, inborn errors. lipoproteins

J.L. de Gennes

Dernières avancées majeures de la lipidologie dans le domaine de l’athérosclérose et de sa prévention

Présentation

Jean-Luc de GENNES *

La lipidologie est un domaine de la médecine relativement neuf car il n’a commencé à émerger vraiment et à se structurer que dans les années 1960. Mais c’est son grand mérite d’avoir démontré, dans ces quinze dernières années, son extraordinaire dynamisme dans la rapidité et la qualité de ses acquisitions. Depuis le fractionnement et la caractérisation, par ultracentrifugation analytique, des lipoprotéines (initialement découvertes en France par François Machebœuf sur le cheval) normales et anormales par Gofstein à l’université de Berkeley dès les années 1956, la classification typologique électrophorétique des dyslipoprotéinémies par Donald Fredrickson en 1967, puis leur classification simplifiée, la plus couramment utilisée aujourd’hui, par moi-même en 1971, la recherche lipidologique s’est très vite orientée vers la biologie moléculaire et cellulaire de ces lipoprotéines, le sousfractionnement immunologique et le rôle des apoprotéines sélectivement liées aux différentes familles de lipoprotéines auxquelles F. Alaupovic aux États-Unis, ainsi que Robert Mahley (sur les Apo E), puis Jean-Charles Fruchart (sur les Apo A notamment) ont consacré de très importants travaux.

Une date, parmi les plus marquantes dans le métabolisme des lipoprotéines, fut celle de la découverte du récepteur cellulaire des LDL et des IDL par Joseph Golstein et Mike Brown, récompensés par le prix Nobel de Médecine en 1985, bientôt suivie par la découverte par Endo en 1986 de son gène, situé sur le bras court du chromosome 19. Actuellement, plus de mille mutations de ce gène ont été décrites à l’origine de la forme la plus importante et la plus sévère de toutes les hypercholestérolémies familiales à transmission monogénique dominante, et dont la fréquence approximative est de une sur 500 naissances : donc déjà, la plus fréquente des maladies génétiques humaines actuellement connues, indépendantes du sexe. Mais à côté d’elle, d’autres formes, à hérédité similaire, existent : telles celles dues à la mutation ponctuelle de l’apoprotéine B, en position 3 500 ou, plus rarement 3 553 et dont le risque de mortalité cardiovasculaire, principalement coronaire, est de 7 fois supérieur à la normale, donc déjà appréciable mais pourtant nettement moindre
que celui de la première forme, qui est proprement terrible, de l’ordre de 50 fois supérieur à la normale chez l’homme, de 147 fois chez la femme, d’âge inférieur à 40 ans pour les deux sexes. D’autres sont suspectées et même déjà approchées. D’où l’importance des recherches et des progrès en génétique moléculaire que Pascale Benlian va vous présenter, bien entendu assortis de ses résultats personnels. Par ailleurs, dans un échantillon de 33 familles parisiennes et nantaises, Catherine Boileau a estimé que 50 % seulement de ces familles présentaient un défaut de gène LDL récepteur, et 15 % un défaut du gène de l’Apo-B. Donc 35 % de ces familles étaient porteuses d’une mutation localisée sur un ou plusieurs gènes inconnus. Dans ces familles, ni les explorations cliniques, ni les explorations biologiques ne permettaient de les différencier de celles porteuses d’un défaut des gènes LDL R ou Apo B.

Dans une famille privilégiée (dite HC2), une localisation a été obtenue en 1p34 1p32, semblable à celle trouvée dans trois familles espagnoles, ainsi que dans une grande famille de l’Utah décrite par l’équipe de S. Hunt dans l’année écoulée. Mais un quatrième gène est encore impliqué à l’origine d’une hypercholestérolémie familiale pour l’instant désignée « FH4 ». Enfin les derniers travaux du même groupe, sur une très grande famille (150 membres), impliqueraient l’existence d’un cinquième nouveau gène dans une dernière variante dite FH5. Au total, en ce qui concerne l’hypercholestérolémie familiale à transmission autosomique dominante, l’hétérogénéité et la multiplicité des gènes impliqués autorisent à évaluer dorénavant à la hausse sa fréquence, soit aux environs de une sur 250 naissances. Ainsi il y aurait sur 750 000 naissances par an en France, probablement 3 000 enfants des deux sexes porteurs, à leur insu, d’une grave hypercholestérolémie exprimée biologiquement (même avant de naître) soit 240 000 pour 60 millions de Français, avec des formes particulièrement dangereuses sur le plan cardiovasculaire, dont la précocité des accidents (infarctus myocardique, morts subites souvent inaugurales), dès les âges de 25 à 35-40 ans devient d’autant plus inacceptable que les acquis thérapeutiques permettraient d’en éviter la plus grande part.

Mais d’autres voies métaboliques, exprimées par d’autres types de désordres lipidiques sanguins, sans doute encore plus fréquents et nombreux que les précédents, s’ajoutent à eux pour accroître, à des échéances parfois à peine plus tardives mais volontiers plus largement étalées dans leur date d’apparition, et partant dans l’âge des complications, leur tribut aux accidents d’athérosclérose à localisations multiples (coronaire, vasculaire cérébrale, aortique, artéritique) relevant de cette origine.

Ceci dans le cadre des hyperlipidémies mixtes où la composante d’hypercholestérolémie est accompagnée, même parfois dominée, par une composante d’hyperglycé- ridémie endogène (à prébétalipoprotéines) très volontiers fluctuante d’un prélè- vement à l’autre. La singularité de ce désordre lipidique est non seulement d’apparaître souvent héréditairement transmise selon un mode autosomique dominant, quoique l’identification du gène demeure toujours inconnue et non véritablement localisée, et d’être plus ou moins visiblement liée à un syndrome de dysrégulation glucidique avec insulinorésistance rentrant dans le cadre du syndrome X, décrit par Reaven en 1974 et également par nous-mêmes, sous le nom de trisyndrome métalo-
bique (1970). Une anomalie propre des lipoprotéines de basse densité (LDL) leur est spécialement attachée, sous la forme de LDL petites et denses, que le docteur John Chapman a personnellement et très extensivement étudiées, dont il décrira ici toutes les caractéristiques et toutes les potentialités d’être plus facilement athérogéniques que les LDL naturelles. Ces études introduisent un très intéressant et nouvel aspect de l’athérogenèse, qui a des prolongements importants dans l’athérogénéicité du diabète, de certaines obésités, voire de certains syndromes endocriniens, tels celui de la dystrophie ovarienne polykystique, ainsi que dans les choix thérapeutiques les plus adaptés à cette anomalie. La fréquence de ces anomalies lipoprotéiniques dans la population est très grande, de l’ordre de 4 %. Elle existe aussi chez les jeunes adolescents avant l’âge de 16 à 18 ans, mais souvent sous le masque d’une simple hypercholestérolémie, avant que l’hyperglycéridémie d’accompagnement ne se révèle à la faveur de l’avancée en âge, ou d’une prise excessive de poids, avec une fréquence similaire capable d’atteindre 4 %.

Enfin l’hypo HDL cholestérolémie mérite d’acquérir droit de cité en tant que facteur indépendant de risque athérogène à la suite de nombreuses tergiversations à ce propos. En effet, elle est quasi constamment le reflet d’une difficulté sur la voie de retour du cholestérol vers le foie, aux fins de son catabolisme hépatique et de son évacuation biliaire. Si l’hypo HDLémie est clairement consécutive à l’hyperglycéridémie lorsque celle-ci existe, et en relation inverse avec elle, elle apparaît bien maintenant pouvoir exister à l’état pur et porter une responsabilité directe dans certains cas d’athérosclérose dont la fréquence n’est pas encore dûment évaluée et établie. Le professeur Alexandre Fredenrich développera ici ce problème important et de très grande actualité, encore rehaussée par les très récentes découvertes d’extrusion cellulaire du cholestérol….. grâce à l’ABCA1 notamment.

Bien évidemment les avancées thérapeutiques se doivent de suivre et de s’adapter à ces progrès. Deux exposés seront consacrés à ce domaine, d’abord celui du professeur Eric Bruckert qui concerne les grands progrès accomplis depuis l’avènement des statines en 1987, l’accumulation de molécules nouvelles dans cette famille et les résultats positifs obtenus en prévention cardiovasculaire secondaire, et aussi primaire, sur les manifestations ainsi que sur les lésions d’athérosclérose, comme sur les indications de leur emploi, et leurs effets pléiotropiques. Enfin, celui du professeur Jean-Charles Fruchart portera sur la très importante contribution de lui-même et de son équipe sur la compréhension, enfin éclaircie, du mode d’action des fibrates et du renouveau ainsi acquis sur leurs indications thérapeutiques spécifiques.

* Membre de l’Académie nationale de médecine.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 1, 17-19, séance du 23 janvier 2001