Communication scientifique
Séance du 11 octobre 2005

Ostéosynthèses mini vulnérantes du fémur proximal : quels enjeux pour les fractures du sujet âgé ?

MOTS-CLÉS : chirurgie peu invasive. épidémiologie.. fractures de la hanche. fractures du col fémoral. mortalité. osthéosynthese. sujet agé. vis orthopedique
Mini-invasive fixation of proximal femoral fractures : what benefit for elderly patients ?
KEY-WORDS : aged. bone screws. epidemiology.. femoral neck fractures. fractural fixation, internal. hip fractures. mortality. surgical procedures, minimally invasive

Frantz Langlais, Philippe Burdin, Mickaël Ropars, Whafa Skalli***, Nicolas Belot*, Jean-Christophe Lambotte*

Résumé

Plus des deux tiers des fractures du fémur proximal relèvent de l’ostéosynthèse. La mortalité, chez des patients dont l’âge moyen à l’opération est de 80 ans, est d’environ 25 % à un an. Elle est essentiellement liée au vieillissement, mais aussi au syndrome de glissement (surtout si l’intervention a été retardée ou l’hospitalisation en chirurgie longue), et aux complications locales (démontage, infection, hématome). Deux matériels d’ostéosynthèse (une vis-plaque et un clou trochantérien) ont été spécialement conçus pour une chirurgie mini vulnérante, réalisée sous fluoroscopie par une incision de moins de 50mm : l’objectif était de respecter des parties molles pour réduire les complications locales, de diminuer la douleur et donc de faciliter l’appui précoce, et d’autoriser la sortie vers trois à quatre jours. Après des essais en laboratoire de résistance de l’implant et de l’os à l’appui complet, une série préliminaire de 30 opérés a été réalisée, montrant la faisabilité de ces techniques. La consolidation a été obtenue d’emblée dans 27 cas. Il n’y a pas eu d’infection ni de saignement chez les patients sous anti agrégants. La technique ayant été optimisée, des études pluricentriques sont maintenant en cours pour mieux préciser les bénéfices de cette chirurgie : la consolidation de la fracture et la mobilité de la hanche devraient être au moins équivalentes à celles des techniques ouvertes (90 à 96 % de consolidation, en fait limitées par la précision du positionnement de l’implant et par l’ostéoporose) ; on peut espérer réduire discrètement la mortalité (intervention immédiate, sortie rapide, peu de complications locales) ; s’il existe des filières d’aval, le coût des soins sera très sensiblement diminué grâce à la brièveté de l’hospitalisation. Dans quelques années, les techniques mini vulnérantes pourraient devenir la règle dans la chirurgie des fractures du fémur proximal du sujet âgé.

Summary

Fixation is used to treat more than two-thirds of proximal femur fractures. The mortality rate is about 25 % at one year in these patients, who have an average age of about 80 years. This is mainly due to aging, but also to a gradual deterioration of general health (especially if the operation has been delayed, or after a long stay in the surgical ward) and to local complications (displacement, infection, hematoma). Two fixation devices (a sliding screw plate and a trochanteric nail) have been designed for mini-invasive treatment with fluoroscopic guidance and an incision smaller than 50 mm. The aim is to respect the soft tissues and thereby to avoid local complications, diminish pain, and facilitate early weight-bearing. Hospital discharge is possible after 3 or 4 days. Laboratory experiments have shown the satisfactory resistance of the implant and bone at full weight bearing. A preliminary series of 30 patients showed the feasibility of these techniques. Primary fusion was achieved in 27 cases. There were no infections and no bleeding, despite antiplatelet treatment. The techniques have now been optimized and multicenter studies are held to determine their real benefit. Fracture fusion and hip motion should be at least as good as with open surgery (90 to 96 % fusions, albeit influenced by the precise position of the implants and by osteoporosis). Mortality may be slightly reduced, thanks to immediate operation, early discharge, and fewer local complications. The cost of treatment could also be significantly reduced by the shorter hospital stay. In a few years’ time, mini-invasive treatment may become the standard for elderly patients with proximal femur fractures.

INTRODUCTION

Les fractures du fémur proximal représentent dès à présent (et plus encore dans la décennie à venir) un très sévère problème de santé publique en raison de leur mortalité, de la perte d’autonomie qu’elles entraînent, de leur coût pour la collectivité. En effet, en France, l’âge moyen de survenue de ces fractures est de l’ordre de 80 ans, et la mortalité à un an d’environ 25 % [1]. Un patient sur deux voit son autonomie régresser d’un cran : passage de la vie à domicile à la vie en maison de retraite ; de la maison de retraite au centre médicalisé ; du centre médicalisé à l’hospitalisation de long séjour. Le coût d’une telle fracture pour la société (hospitalisation, convalescence, surcoût des nouvelles conditions de vie) a été évalué en Scandinavie à 200 000 euro dans l’année qui suit la fracture [2]. Or, dans notre pays, c’est près de 80 000 fractures du col du fémur qui surviennent par an, et les prévisions épidémiologiques montrent que cette fréquence va s’accroître, au-delà de ce qu’à elle-seule l’évolution démographique de la population peut expliquer.

Peut-on, par de nouvelles techniques chirurgicales — et en particulier par la chirurgie mini effractive (parfois appelée mini invasive) — améliorer le pronostic de ces fractures et réduire leur charge pour la société ?

La présente étude concerne la mise au point de nouveaux implants et techniques mini vulnérantes, et leur étude de faisabilité sur une série préliminaire de patients.

Elle s’efforce de préciser les attentes réalistes que nous pouvons avoir vis-à-vis de ces nouvelles techniques.

Nous n’étudierons ici que les ostéosynthèses des fractures de l’extrémité supérieure du fémur au-delà de 65 ans, l’ostéosynthèse représentant plus des deux tiers [3] des interventions pour fracture du fémur proximal, moins d’un tiers étant représenté par les prothèses. C’est en effet aux prothèses que l’on fait appel dans les fractures intra capsulaires (dites encore cervicales vraies) déplacées (Garden III ou IV) du fémur proximal : leur pronostic fonctionnel s’est nettement amélioré depuis que l’on a abandonné les prothèses de Moore mises par voie postérieure [4] au profit des prothèses intermédiaires (à cupule mobile), à tiges fixées par un ciment aux antibiotiques, mises par voie antérieure trans glutéale. Ainsi ont disparu les complications majeures : la luxation (grâce à la voie antérieure), l’infection (grâce au ciment aux antibiotiques), la migration diaphysaire de la tige prothétique et la malposition rotatoire (grâce à la fixation de la tige par du ciment), la détérioration du cartilage acétabulaire (grâce à l’amortissement permis par la cupule intermédiaire). Cependant, plus des deux tiers des fractures du fémur proximal relèvent de l’ ostéosynthèse .

Ce sont d’une part les fractures stables intra capsulaires (non déplacées ou engrenées en coxa valga) où la fixation se fait in situ par un matériel d’ostéosynthèse permettant la reprise immédiate de l’appui, mais surtout les nombreuses fractures per trochantériennes, stables ou instables, qui consolident toujours après ostéosynthèse (les ostéosynthèses actuelles permettant l’appui complet d’emblée, et n’ayant pas la morbidité des prothèses dans ces indications — complications trochantériennes, luxations, etc.). L’ostéosynthèse « classique » des fractures du fémur proximal est réalisée soit par des vis-plaques, soit par des clous trochantériens. Le clou trochantérien est utilisé depuis une quinzaine d’années [5], et est de type mini vulnérant puisqu’il ne comporte que trois petites incisions (fessière pour l’introduction du clou ; trochantérienne pour l’introduction de la vis céphalique ; fémorale pour le verrouillage distal). Cependant, les modèles initiaux ont été à l’origine de complications liées au principe même de ce matériel : la vis céphalique devant passer à travers le clou trochantérien, il faut choisir entre les associations : vis de gros diamètre à bonne prise céphalique, traversant un clou trochantérien volumineux, avec risques de fractures iatrogènes par le clou ; où à l’inverse clou de petit diamètre de pose aisée, mais ne permettant qu’une petite vis céphalique qui risque à l’appui de cisailler une tête ostéoporotique. Bien qu’il obtienne près de 90 % de bons résultats, ce matériel n’a pas détrôné la vis-plaque [6] qui permet de mettre en place une grosse vis dans la tête fémorale (avec donc un moindre risque de cisaillement [7]), et pratiquement pas de complications diaphysaires. Mais à l’inverse, pour fixer la vis plaque la diaphyse il faut désinsérer sur une dizaine de cms le muscle vaste latéral, et il ne s’agit donc pas d’une chirurgie mini vulnérante.

Signalons qu’à long terme les résultats analytiques de ces deux types d’ostéosynthèse restent favorables, avec plus de 90 % de consolidation en position anatomique
et avec une bonne mobilité… Malgré cela, on observe une dégradation de l’autonomie dans la moitié des cas : la dégradation fonctionnelle (perte d’autonomie notamment) est donc beaucoup plus liée au terrain et aux conditions péri opératoires (hospitalisation) qu’à des complications mécaniques.

MATERIEL ET METHODE

La chirurgie mini vulnérante dans les ostéosynthèses se définit par l’utilisation d’une incision cutanée minime (par exemple moins de 50mm), mais surtout par un grand respect des parties molles qui ne sont ni traumatisées ni dévascularisées. Bien entendu, cette ostéosynthèse doit avoir au moins les qualités mécaniques des ostéosynthèses conventionnelles, notamment en ce qui concerne les possibilités d’appui et de rééducation précoces. Les avantages théoriques de la mini vulnérance sont :

— la diminution des complications immédiates : saignement, infection, du fait du caractère atraumatique de la chirurgie ;

— la facilitation de la consolidation du fait du respect des insertions musculaires vascularisant l’os ;

— une moindre douleur post opératoire hâtant la rééducation et l’appui ;

— un raccourcissement du séjour hospitalier du fait de la simplicité des suites locales.

Avec P. Burdin, nous avons mis au point une vis-plaque spécifiquement destinée à être mise en place par voie mini vulnérante, et un clou trochantérien mécaniquement optimisé.

Ils ont tout d’abord été testés en laboratoire [8] sur des extrémité supérieures du fémur conservées au froid, dont la densité osseuse a été mesurée par absorptiomé- trie,et sur lesquelles ont été réalisées des fractures instables, ostéosynthésées par différents implants, conventionnels ou mini invasifs.

Des repères optiques ont été placés sur l’os (dans l’axe de la diaphyse, dans l’axe du col, et sur la tête fémorale), permettant de repérer tous les déplacements dans l’espace (varisation, rotation, etc.) lorsque le fémur ostéosynthésé était placé dans un banc d’essai recréant des contraintes d’appui, cycliques ou progressives. Les mesures de déplacemnt des repères ont été faites par deux stéréocaméras avec analyse informatique.

La résistance à l’appui sur les fémurs ostéosynthésés dépassait 400 déca Newton (environ 400 Kgf), correspondant donc à une charge très au-delà de ce que supporte un fémur à la marche lors de l’appui unipodal. Il n’y a pas eu de déplacement notable en rotation de la tête fémorale. Ces résultats ont autorisé les essais cliniques.

La vis-plaque (fig. 1 et 2) est, comme usuellement, constituée d’une vis céphalique large (14,5mm de diamètre) et d’une plaque vissée sur la diaphyse, solidaire d’un

FIG. 1.

canon dans lequel coulisse la vis céphalique. La caractéristique de ce matériel est que la plaque et le canon sont en deux parties, et peuvent donc être introduits comme la vis par une petite incision trochantérienne, la plaque et le canon se verrouillant en fin d’intervention par un système d’excentrique. La résistance globale de cette vis-plaque est la même que celle de la vis-plaque THS pour chirurgie ouverte classique, très utilisée en France (plus de 100.000 implantations) et de grande fiabilité [9].

L’intervention a lieu sous amplificateur de brillance : on réduit la fracture sur table orthopédique, effectue une incision trochantérienne, passe sous le vaste latéral à l’aide d’une rugine spéciale qui créé un fourreau sous périosté sans saignement à la face latérale du fémur : on introduit dans ce fourreau une plaque fantôme fendue, de morphologie identique à la plaque définitive, qui sert de guide de visée. On peut ainsi mettre en place à 130° dans l’axe du col fémoral une broche guide, et retirer la plaque

FIG. 2.

fendue. Selon les techniques conventionnelles (tarières puis tarauds), on implante la vis céphalique dont l’extrémité latérale affleure le cortex trochantérien.. On peut alors introduire dans le fourreau sous périosté la plaque définitive dans laquelle on fait glisser le canon qu’on verrouille. La plaque étant au contact même du fémur, un cadre de visée solidaire de la plaque permet de la visser de façon percutanée, par des incisions d’environ 8mm.

Au total : il n’y a aucune incision musculaire. On n’utilise pas de davier. La durée de l’intervention, une fois la technique apprise, est de l’ordre d’une demi-heure peau à peau. Le patient est autorisé à appuyer autant qu’il le souhaite dans les jours qui suivent, en raison de la solidité du montage et de son excellent ancrage osseux, à la condition expresse que la vis soit placée au centre de la tête fémorale.

Les avantages de ce matériel sont : sa grande fiabilité mécanique ; sa technique très faiblement vulnérante ; la facilité de la réalisation technique ; son adaptation à la fois aux fractures trochantériennes (stables ou non) et aux fractures intra capsulaires stables.

Le clou trochantérien (fig. 3 et 4) a été également dessiné pour conserver la mini vulnérance des clous trochantériens, mais en éliminant la cause de leurs complications mécaniques : la dépendance entre diamètre du clou trochantérien et diamètre de la vis [10]. En effet, au lieu d’utiliser une vis céphalique en une pièce, celle-ci est constituée d’une part d’une grosse vis céphalique creuse qui est introduite au centre de la tête fémorale avant la mise en place du clou (et qui n’a donc pas à le traverser), et d’autre part d’une tige de connection de 9mm qui va traverser le clou et le relier à la vis creuse. De ce fait, le clou peut avoir un diamètre extérieur ne dépassant pas 15mm. On associe donc une bonne prise céphalique (limitant le risque de cisaillement des têtes ostéoporotiques) avec un clou fémoral de petit diamètre (évitant les fractures per opératoires).

Ici aussi, l’intervention se réalise sur table orthopédique, sous amplificateur de brillance, après réduction orthopédique de la fracture. Une incision sus trochanté- rienne permet de mettre en place un clou fendu, qui servira de guide pour introduire une broche à 130° au centre du col et de la tête fémorale. Ce clou fantôme est retiré et, après passage des tarières et des tarauds, la vis creuse est implantée au centre de la tête fémorale. Il ne reste plus qu’à faire descendre dans la diaphyse fémorale le clou définitif et de passer à travers lui la tige de connexion qui va venir se solidariser avec la vis creuse par un cône morse. Un verrouillage diaphysaire complémentaire per cutané peut être réalisé.

Les caractéristiques de ce matériel sont sa fiabilité mécanique, son caractère mini vulnérant (une incision fessière, une incision trochantérienne). La technique est plus difficile que celle du clou trochantérien standard mais tout-à-fait réalisable. L’indication de ce matériel est représentée par les fractures trochantériennes, surtout instables, et les fractures sous trochantériennes.

RESULTATS DE LA SERIE PRELIMINAIRE

Cette série préliminaire a été réalisée en 2002-2003 aux CHU de Rennes et Tours, avec un matériel certifié CE.

La vis-plaque mini vulnérante a été utilisée dans douze fractures trochantériennes et cervicales. Les pertes sanguines ont été minimes (moins de 100cm3). La technique mini vulnérante a été particulièrement intéressante chez des patients sous anti agrégants dont la chirurgie, lorsqu’on utilisait les techniques conventionnelles ouvertes, était reportée au 5ème jour. Ici, la chirurgie a été réalisée le jour de l’admission, sans aucun saignement préoccupant.

Les vis étaient centrées de façon satisfaisante. Le télescopage moyen à l’appui a été de 5 mm. Il n’y a eu ni infection, ni démontage (pas de balayage de la vis dans la tête,

FIG. 3.

pas de démontage de la plaque) malgré un appui non limité d’emblée chez tous les patients.

La consolidation est survenue onze fois sur douze . En effet, dans un cas l’opérateur n’a pas verrouillé de façon satisfaisante le canon sur la plaque, et celui a progressivement migré, la patiente ayant été réopérée dans un autre centre.

Cette série préliminaire a donc confirmé la simplicité de la technique opératoire, la faible agressivité de la technique mini invasive (notamment en ce qui concerne le saignement), avec des résultats mécaniques équivalents à ceux des techniques ouvertes. Elle nous a permis d’améliorer notre technique, en modifiant le matériel ancillaire pour réduire l’incision cutanée, et en fiabilisant le verrouillage du canon sur la plaque. La seconde génération de vis-plaques mini vulnérantes est en cours d’expé- rimentation multicentrique.

FIG. 4.

Le clou trochantérien mini vulnérant a été utilisé dans 18 fractures, dont 16 trochantériennes le plus souvent instables, et 2 fractures sous trochantériennes. La faisabilité de la technique a été confirmée, à condition expresse que la fracture soit bien réduite (angle cervico-diaphysaire respecté, pas de chicane). Le centrage de la vis était moins satisfaisant qu’avec les techniques conventionnelles où les très bons centrages dépassent habituellement 90 % : ils étaient ici de 70 %, montrant l’existence d’une courbe d’apprentissage. Le télescopage post opératoire à l’appui était en moyenne de 5mm (allant jusqu’à 10). Il n’y a pas eu d’infection ni de saignement per opératoire. Un hématome n’ayant pas nécessité d’incision a été occasionné par un traitement anticoagulant pour phlébite au 5ème jour.

La consolidation est survenue 16 fois sur 18 vers le 2ème mois. Un démontage et une pseudarthrose correspondent à des insuffisances techniques.

Cette série nous a montré la faisabilité de cette technique, et nous a permis d’optimiser l’ancillaire, l’intervention se réalisant notamment actuellement à l’intérieur de chemises, comme les opérations arthroscopiques. Un modèle plus résistant pour les fractures sous trochantériennes a été développé.

DISCUSSION

Quelles sont les espérances réalistes que peut susciter cette chirurgie mini vulné- rante, et ces attentes ont-elles été satisfaites ?

Nous discuterons particulièrement trois points :

— Le traitement de la fracture : les techniques mini vulnérantes permettent-elles de faire mieux que les techniques conventionnelles ouvertes ? Nous verrons qu’elles permettent de faire au moins aussi bien, mais que les limites de l’ostéosynthèse restent essentiellement la qualité du geste chirurgical (perfection du centrage de la vis céphalique [11]) et, à un moindre degré, l’importance de l’ostéoporose [12].

— Peut-on améliorer le pronostic vital ? Une amélioration minime peut être espérée.

— Peut-on réduire le coût du traitement ? La mini vulnérance aura vraisemblablement à ce niveau des incidences favorables.

Le traitement de la fracture

Il est considéré comme favorable lorsque l’on obtient une consolidation en bonne position, apportant une hanche stable et indolore, et avec très peu de complications locales.

Le résultat du traitement conventionnel par des équipes entraînées est très encourageant : par exemple, sur une série de 307 fractures trochantériennes (dont 70 % de fractures instables) traitées au CHU de Strasbourg par vis-plaque THS [13], un taux de consolidation de 96 % a été obtenu, tandis que 65 % des patients réalisaient d’emblée l’appui complet. Il n’y a eu que 4 % de balayage de la vis céphalique, nécessitant réopération, et 2 % de mobilisation de la plaque diaphysaire, ne nécessitant pas réintervention. 1 % d’infection a été guéri par nettoyage et antibiotiques.

Rappelons que malgré ces succès sur la consolidation, 50 % des patients ont perdu un degré d’autonomie, cette perte d’autonomie étant de façon quasi habituelle non liée à l’évolution du foyer de fracture, mais à l’état général et au traumatisme péri opératoire.

Notre série préliminaire mini vulnérante donne donc des résultats légèrement inférieurs aux techniques classiques, mais elle correspond à l’incontournable apprentissage des nouvelles techniques et à l’optimisation du matériel. On peut espérer dans l’avenir faire aussi bien qu’avec la chirurgie conventionnelle sur le plan de la consolidation, mais vraisemblablement pas beaucoup mieux.

Il y a très peu d’autres techniques mini effractives publiées . Des fixateurs externes [14] ont été utilisés, mais avec des résultats souvent décevants liés à un télescopage des fragments (atteignant 18mm dans un tiers des cas), et des complications infectieuses [15, 16] sur les broches percutanées (20 à 40 % ?) peut être diminuées par l’utilisation de vis recouvertes d’hydroxyapathite [17]. La vis-plaque mini vulnérante à double
canon de Gotfried [18] bénéficie d’une expérience de plusieurs centaines de cas avec des résultats cliniques satisfaisants [19], mais c’est une technique complexe (en raison du double canon cervical), pas parfaitement mini vulnérante (elle nécessite une incision complémentaire pour mise en place d’un davier qui maintient la plaque) et avec un matériel onéreux.

Au total, les méthodes que nous avons développées peuvent faire aussi bien que les techniques conventionnelles, mais leurs bénéfices locaux restent relativement limités : elles limitent le saignement et le risque infectieux (mais celui-ci n’était pas très élevé) ; elles peuvent diminuer la douleur et donc faciliter l’appui précoce ; la petite cicatrice a des suites rapides qui permettent le retour précoce au domicile antérieur ;

le clou trochantérien est mécaniquement optimisé.

Le pronostic vital

Les causes de la mortalité élevée des fractures du col sont au moins de trois ordres :

— la principale (et malheureusement celle sur laquelle nous avons le moins d’impact) tient au vieillissement du patient, chez lequel la fracture n’est qu’un symptôme. Toutes les statistiques montrent que le pronostic vital des fractures du fémur proximal est directement lié à l’âge des patients. Vers 80 ans, âge moyen actuel des blessés souffrant d’une fracture du col du fémur, la mortalité lors de l’hospitalisation est de moins de 10 %, mais la mortalité à un an d’environ 25 %, la fracture marquant l’entrée dans un enchaînement de décompensations.

— le syndrome du glissement survient à l’occasion de l’hospitalisation : décompensation psychique, anorexie, infections urinaire ou bronchique, escarres. On peut en diminuer l’incidence en raccourcissant le délai opératoire, en permettant l’appui complet précoce, en raccourcissant le séjour hospitalier. Le délai opératoire est un élément essentiel. On sait qu’il est souhaitable d’opérer dans les 24 heures chez un malade brièvement réanimé, avant qu’il ne se décompense. Une série récente de 2 660 fractures du col traitées à Birmingham [20] montre qu’à états général et orthopédique identique, la mortalité augmente nettement si le patient est opéré au-delà du 4ème jour. Les raisons du délai peuvent être liées au dysfonctionnement hospitalier ou à la présence de certains médicaments, et notamment les anti agrégants qui faisaient reculer l’intervention par peur de saignement per opératoire. La chirurgie mini invasive permet d’opérer les patients dès leur arrivée, et sans craindre de saignement important. La possibilité d’un appui précoce complet est essentiel pour permettre de lever rapidement le patient sans risque, de le faire marcher, d’autoriser son départ dans une structure moins médicalisée. L’appui en soi ne change rien à la mortalité, mais facilite les soins et abrège le séjour en chirurgie. Cet appui est permis si l’ostéosynthèse est stable (d’où l’intérêt d’un matériel optimisé et d’une technique parfaite) et la région opératoire peu douloureuse (ce que permet le respect des parties molles grâce à la chirurgie mini invasive). Enfin, le raccourcissement du séjour hospitalier est aussi facilité par la cicatrisation aisée de la voie d’abord
mini vulnérante (quelques cms, pas de drainage). Ainsi, la chirurgie mini vulné- rante peut sans doute réduire l’incidence des syndromes de glissement en raccourcissant le séjour hospitalier.

— les complications chirurgicales sont un facteur de morbidité accrue important.

La survenue d’une infection ou d’une luxation sur prothèse [4], d’un démontage nécessitant réintervention sur ostéosynthèse, doublent la mortalité. La chirurgie mini vulnérante doit permettre de diminuer encore les hématomes et les infections, tandis que l’optimisation mécanique du matériel réduit les risques de démontage.

Ainsi, la chirurgie mini vulnérante ne modifera vraisemblablement pas de façon majeure le pronostic vital lié à l’état général du patient. Cependant, une amélioration modeste doit pouvoir être attendue du fait du caractère rapide et atraumatique des soins, de la durée d’hospitalisation raccourcie, de la rareté des complications locales. Seules des études comparatives portant sur de grand nombres de patients permettront de l’affirmer [21].

Le coût des soins

Le surcoût lié au matériel mini vulnérant reste très modéré (moins d’un demi prix de journée), tandis que ces techniques diminuent les complications, et peuvent raccourcir la durée d’hospitalisation vers trois à quatre jours s’il existe des possibilités d’accueil d’aval, ceci diminuant par 2 ou 3 le coût actuel des hospitalisations. De plus, s’il existe une diminution même modeste de la mortalité et de la perte d’autonomie liée au syndrome de glissement, le considérable coût des soins dans l’année suivant l’accident devrait être nettement diminué.

CONCLUSIONS

Nous avons pu montrer, par une étude de laboratoire puis clinique, la faisabilité de la chirurgie mini vulnérante du fémur proximal du sujet âgé. Il faut maintenant en objectiver clairement les bénéfices. Cette chirurgie doit rester simple, car ces fractures très répandues ne sont pas toujours opérées par les chirurgiens les plus chevronnés et dans les hôpitaux les mieux équipés ; le matériel doit avoir des caractéristiques mécaniques au moins équivalentes à celles du matériel de chirurgie conventionnelle.

Ces implants, sans surcoût majeur, doivent permettre de faire face aux différentes variantes fracturaires. On peut en attendre des résultats mécaniques (consolidation de la fracture, appui immédiat complet) au moins équivalents à ceux des techniques de chirurgie ouverte, mais aussi une facilitation des soins : intervention sans délai, appui précoce lié à l’indolence, réduction du saignement et des infections. Cette réhabilitation précoce permet de réduire le séjour hospitalier à trois ou quatre jours, limitant le risque de syndrome de glissement. On ne peut cependant espérer de réduction majeure du risque vital, si ce n’est pas le biais de moins de décompensa-
tions, et d’une réduction des complications locales, de très mauvais pronostic vital chez le sujet âgé. La brièveté du séjour hospitalier, l’absence de surcoût de la technique représenteront dans l’avenir une source de nette réduction du coût des soins, particulièrement appréciable pour des fractures qui atteignent près de 80 000 Français par an.

Ces techniques peuvent représenter un pas en avant, comme l’a été optimisation des prothèses pour fractures [22], puis la réalisation d’ostéosynthèses permettant l’appui précoce, et il est vraisemblable que dans quelques années la chirurgie du fémur proximal du sujet âgé sera en règle mini vulnérante.

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[21] MERLE V., MORET L., JOSSET V., PIDHORZ L., PIETU G., GOUIN F., RIOU F., CHASSAGNE P., PETIT J., LOMBRAIL P., CZERNICHOW P., DUJARDIN F. — Facteurs de prise en charge des sujets âgés opérés d’une fracture de l’extrémité supérieure du fémur. Revue de la littérature. Rev. Chir.

Orthop ., 2004, 90 , 504-516.

[22] KANEKO K., MOGAMI A., OHBAYASHI O., OKAHARA H., IWASE H., KUROSAWA H. — Minimally invasive hermiarthroplasty in femoral neck fractures. Randomized comparison between a mini-incision and an ordinary incision : preliminary results. Eur. J. Orthop. Surg. Traumatol. , 2005, 15 , 19-22.

DISCUSSION

M. Maurice TUBIANA

Vous nous avez dit qu’il fallait faire vite et bien. Beaucoup de mes amis, d’un âge proche du mien, se sont cassé le col du fémur au cours de ces dernières années, parfois un vendredi soir ou un samedi. Malgré mes efforts, aucun d’entre eux n’a pu être opéré avant le lundi ou le mardi suivant —et pas toujours par les équipes entraînées. Ne faudrait-il pas envisager des services d’urgence et des accréditations à la traumatologie chez des personnes âgées ?

La qualité et la précocité du geste chirurgical sont en effet essentielles. En ce qui concerne le retard à l’intervention, il pouvait être excusé dans quelques cas par des
facteurs médicaux tels que la prise d’anti agrégants, rendant hémorragique une intervention dans les quatre à cinq jours. Grâce aux techniques mini invasives, nous avons pu opérer de tels patients dans les 24 heures suivant leur fracture sans saignement notable. Mais la cause principale du retard à l’intervention est l’inadaptation de beaucoup de services hospitaliers ou de cliniques, qui font passer les fractures du col après la chirurgie programmée. Le remède principal est d’avoir une ou des salles de traumatologie strictement réservées à cette orientation, avec une équipe d’orthopédistes — traumatologues autonome. Cette organisation existe depuis deux décennies à Rennes et a quasiment fait disparaître les reports. Nous ne sommes pas en faveur de secteurs de traumatologie exclusivement dévolus à la chirurgie gérontologique car il nous semble qu’il n’y a pas d’esprit différent entre la traumatologie usuelle et celle du sujet âgé : au contraire l’objectif de l’opération chez le sujet âgé est de le renvoyer rapidement à ses conditions de vie antérieure, évitant tout ghetto d’hospitalisation spécifique. Cependant, avoir des salles d’opé- ration réservées à la traumatologie ne suffit pas à résoudre le problème de la démographie chirurgicale, conséquence de la dégradation des conditions d’exercice du chirurgien, bien étudiée à l’Académie. Le statut fait aux chirurgiens en France n’attirera pas non plus les meilleurs de nos collègues étrangers, et il ne faut donc compter que sur nos propres forces. On ne peut espérer que les fractures seront à moyen terme traitées vite et bien si on ne revalorise pas dans notre Pays le statut de chirurgien.

M. Philippe VICHARD

Vous nous avez rappelé la distinction entre les fractures du col fémoral qui font minoritairement l’objet d’ostéosynthèse et les fractures du massif trochanterin qui consolident toujours. Or toutes ces fractures ne permettaient pas jusqu’ici une mise en charge complète et immédiate (notamment les fractures du col traitées par visplaque). Il ne me semble donc pas qu’en miniaturisant ou fragmentant le matériel, on soit en mesure d’obtenir une solidité plus grande. Etes-vous en mesure de confirmer que vous réalisez, sans inconvénient, une mise en charge complète dans tous les cas ?

La question de l’appui après fracture du fémur proximal du sujet âgé est effectivement très importante, mais il me semble qu’elle doit être envisagée plus sous l’aspect de l’autonomie des patients que sous celui de la mécanique osseuse stricte. Les limites de l’appui post opératoire sont avant tout l’état général du patient et la qualité du geste chirurgical. Si l’on compare le pourcentage de patients âgés ayant un appui complet au bout d’une dizaine de jours après soit une prothèse (permettant en principe un appui complet), soit une ostéosynthèse bien réalisée, on constate que ce taux est identique. Quel que soit le traitement, il y aura 15 à 20 % des patients en mauvais état général et qui ne réussiront pas à marcher : ceux-ci ont un mauvais pronostic vital. En cas d’ostéosynthèse, les matériels actuels ont une résistance très largement supérieure aux efforts qu’ils ont à supporter, et le point faible est donc l’os, en particulier si le matériel n’a pas été parfaitement positionné au centre de la
tête fémorale (seule région qui reste dense en cas d’ostéoporose). La limite de l’appui est donc principalement l’état général du patient, puis la qualité de l’ostéosynthèse et — dans de rares cas — la sévérité de la fracture (sous trochantérienne par exemple). Un matériel qui permet un appui non limité d’emblée est nécessaire car si le montage est solide les patients pourront être mobilisés très précocement sans craindre une complication mécanique, et rentrer rapidement dans leur lieu de séjour antérieur, réduisant la fréquence des syndromes de glissement.


* Fédération d’Orthopédie Traumatologie (F.O.R.T.). CHU de Rennes ** Département de Chirurgie de l’Appareil Moteur. CHU de Tours *** Laboratoire de Biomecanique. ENSAM - Paris Tirés à part : Professeur Frantz LANGLAIS, à l’adresse ci-dessus Article reçu et accepté le 10 octobre 2005

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 7, 1399-1414, séance du 11 octobre 2005