Communication scientifique
Séance du 12 juin 2001

Obstacles « culturels » au développement de la chirurgie ambulatoire

MOTS-CLÉS : étude évaluation.. intervention chirurgicale ambulatoire
« Cultural » obstacles in the development of same day surgery
KEY-WORDS : ambulatory surgical procedures. evaluation studies.

L. Hollender

Résumé

Une série d’obstacles de divers types semble s’opposer au développement de la chirurgie ambulatoire : les appréhensions d’un patient mal informé, les mentalités, les réticences de l’administration, des organismes de tutelle, parfois des médecins généralistes mais aussi une certaine retenue du corps médical hospitalier. Ces critères sont exposés et les arguments de leur réfutation discutés.

Summary

Several obstacles of different types seem to be a barrier to the promotion of « same day surgergy » : seizures of misinformed patients, local mentalities, reticence coming from different administrations, from control organizations also from general practitioners, as even a kind of reserve revealed by hospitals doctors. All these arguments are discussed and disproved.

La chirurgie ambulatoire s’est développée tardivement en France où elle n’a débuté qu’aux environs de 1990, soit près de vingt ans après les pays anglo-saxons et scandinaves. Elle marque toujours le pas comme le démontre une étude relativement récente du CREDES qui nous apprend, à titre d’exemple, que pour les cures de * Membre de l’Académie nationale de médecine.

Tirés-à-part : Professeur Louis HOLLENDER, Académie nationale de médecine, 16 rue Bonaparte — 75006 Paris.

Article reçu le 17 avril 2000, accepté le 28 mai 2000.

hernies inguinales et crurales de l’adulte, le taux de chirurgie ambulatoire pourrait être multiplié par dix ! Et pourtant une réglementation stricte et précise concernant les conditions de réalisation de la chirurgie ambulatoire, ainsi que ses critères de mise en œuvre, a été codifiée. Pourquoi dès lors cette modalité de prise en charge reste-t-elle aussi marginale ?

Si les obstacles culturels à la chirurgie ambulatoire sont multiples, divers et variés, sept arguments majeurs semblent expliquer une telle réticence.

De la part du patient

Il persiste toujours une certaine appréhension. « S’il m’arrive quoi que ce soit la nuit, que ferai-je ? » Cette appréhension est compréhensible aussi longtemps que le concept de la chirurgie ambulatoire avec toutes les garanties qui l’entourent, ainsi que son suivi à domicile, n’auront pas été clairement expliqués au patient ou du moins que le concept ne sera pas entré dans les esprits. Pourtant, moins de 5 % des patients opérés en ambulatoire demanderaient à être hospitalisés, si c’était à refaire !

On entend aussi dire que la chirurgie ambulatoire est une chirurgie dangereuse. Or, l’exposé de Laurent Jouffroy a clairement démontré la sécurité et les critères de qualité de la chirurgie ambulatoire. D’ailleurs, à ce jour, il n’existe pas de jurisprudence qui ait reconnu un risque spécifique, lié à la pratique de la chirurgie ambulatoire.

Pour d’autres, la chirurgie est une chirurgie réservée au secteur privé, aux jeunes cadres dynamiques.

Sans oublier la critique que l’on se sentirait plus à l’aise à l’hôpital ou en clinique. Ce qui n’est exact que là où une véritable unité de chirurgie ambulatoire n’a pas été mise en place et où la notion de chirurgie ambulatoire n’est « qu’un passe-droit » ou un accommodement administratif, pour une entrée-sortie dans la même journée.

Il faut enfin relever « l’envie qu’a le patient de « valoriser » ses dépenses d’assurance : « Cela fait des années que je cotise à la caisse maladie et maintenant que je pourrais enfin récupérer un peu quelque chose, vous ne voulez même pas m’hospitaliser..! » Du côté de la société

La chirurgie ambulatoire va à l’encontre des vieilles habitudes, des comportements et des mentalités, toutes réalités qui font partie de nos traditions. Contredisant ce que Jules César avait écrit dans De Bello Gallico : Galli rerum novarum sunt cupidi … ?

« N’est-il pas sage pas de ne jamais sacrifier à la mode, d’être prudent face aux innovations ? » Enfin beaucoup de nos compatriotes ont acquis une mentalité d’assisté, et refusent de se prendre en charge, d’assumer leurs propres responsabilités. La société leur doit,
en cas de maladie, hospitalisation et soins de qualité, entourage et réconfort. Cela fait partie de leurs droits, il n’y a aucune raison qu’ils y renoncent !

Du côté de l’administration des hôpitaux publics

Il n’est pas inutile de rappeler que la chirurgie ambulatoire a vu le jour en même temps que le budget global dont la création ne fut pas simple et dont on se dégage à peine, avec les « dotations sur objectifs ». Or, la chirurgie ambulatoire en diminuant les hospitalisations, réduit les prestations facturées par l’hôpital à la sécurité sociale.

Le retour, le jour même, du patient à domicile ne procure aucune économie à l’hôpital. Si la reprise plus précoce de l’activité professionnelle représente un indiscutable « bénéfice social », les économies qui en résultent ne profitent ni à l’hôpital, ni à la sécurité sociale.

On constate aussi une certaine réticence, une rigidité des comportements intellectuels, et le refus de déroger à la routine qu’entraîne toute nouveauté.

On peut simplement supposer que certains directeurs d’hôpitaux craignent à tort ou à raison que la chirurgie ambulatoire, avec sa diminution du nombre de lits, finisse par entraîner des répercussions sur leurs émoluments.

Reconnaissons toutefois que si un déséquilibre public/privé existe en terme d’offre, c’est-à-dire en nombre de places autorisées, il se retrouve moins en terme d’activité effective, puisqu’il apparaît désormais que la balance est de 30-40 % d’activité ambulatoire dans le secteur public pour 60-70 % dans le secteur privé.

Les organismes de tutelle

Ils sont de leur côté un frein au développement de la chirurgie ambulatoire. Le « troc » qui consiste à imposer l’échange de lits d’hospitalisation contre des places de chirurgie ambulatoire n’est pas stimulant.

Bien que les études réalisées démontrent, chiffres à l’appui, les économies engendrées par la chirurgie ambulatoire, la « tutelle » n’est toujours pas convaincue de cette réalité.

Du côté des médecins généralistes

Appelés à prendre en charge les patients, ils manifestent une nette retenue à invoquer la raison que dans le cursus actuel des études médicales, les suites opératoires, leurs complications et les moyens d’y pallier ou d’y faire face ne sont ni suffisamment enseignées, ni précisées. Le médecin généraliste n’ayant pas été formé à cette pratique, dont il n’a qu’incomplètement appris le suivi postopératoire, au cours des stages, ne se sent pas vraiment concerné. Quant à la rétribution, le médecin généraliste a toujours été tenu à l’écart des discussions de la nomenclature laquelle inclus pendant 21 jours, toutes les suites et formes de surveillance de l’acte chirurgical lui-même. L’obstacle administratif qui en résulte est la non-tarification tant de la
part du médecin généraliste, que de l’infirmière libérale, une situation qui appelle modification, en utilisant la possibilité nouvelle offerte par la notion « réseaux de soins ».

Il faut en outre mentionner la contrainte d’interrompre éventuellement sa consultation pour se rendre au chevet d’un opéré ambulatoire, qui appelle.

La « judicialisation » de la médecine

On ne saurait pas non plus méconnaître que l’évolution récente vers une « judicialisation » de la médecine risque d’ajouter un frein supplémentaire au développement de la chirurgie ambulatoire, si les précisions nécessaires ne sont pas apportées aux responsabilités partagées des différents membres d’un réseau de soins.

Du côté du corps médical hospitalier

Il faut reconnaître que les chirurgiens et spécialistes des hôpitaux publics traînent les pieds face à la chirurgie ambulatoire. On retrouve à nouveau le poids des traditions qui veut que c’est au malade de s’adapter à l’organisation hospitalière, alors qu’en chirurgie ambulatoire c’est à l’opérateur de s’adapter au malade, avec les contraintes que cela comporte, ne serait-ce que celle du respect des horaires.

Enfin la règle administrative, de réduction des lits pour autoriser l’ouverture de postes de chirurgie de jour, crée du côté médical le risque de pénaliser les services actifs dont la dotation est, trop souvent, basée sur le nombre de lits.

On observera enfin que la chirurgie ambulatoire est une chirurgie de « senior » et que de fait elle s’accommode mal des charges d’enseignement et de délégation aux plus jeunes d’interventions estimées moins prestigieuses. Ce facteur explique en partie la différence en faveur du secteur libéral ou le chirurgien « senior » s’implique personnellement dans l’exécution de tous les types d’actes.

Nous voudrions signaler qu’au niveau européen, il existe des organismes de caisse qui ont pris la décision de régler le problème d’une manière autoritaire. Bien entendu, le patient conserve le libre choix, mais à partir du moment où opérateur, anesthésiste, infirmière, assistante sociale, ont donné le feu vert en faveur de l’exé- cution en ambulatoire de l’acte chirurgical auquel il est appelé à se soumettre et que tous les critères ont été respectés, ces organismes « ne voient pas en vertu de quels arguments, ils seraient contraints de payer des journées d’hospitalisation ! Alors libre au malade de choisir, mais la caisse elle ne rembourse que l’ambulatoire… ».

Il est certain que la préférence individuelle doit emporter la décision. Mais rien n’oblige la société à prendre en charge cette préférence. Aussi, plutôt que de recourir à des solutions coercitives, nous estimons qu’il appartient au corps médical d’expliquer, de persuader, de rassurer. Pour faire entrer une démarche thérapeutique qui a fourni ses preuves, dans une acceptation raisonnée et librement consentie, nous disposons de suffisamment d’arguments. La chirurgie ambulatoire place le patient et
lui seul au centre d’un système qui réunit tous les moyens, pour assurer à l’opéré un maximum de garanties. Ajoutons que la morbidité de la chirurgie ambulatoire est en constante diminution et qu’elle a toujours été nettement inférieure à celle relevée lors d’une hospitalisation. Avec de surcroît un argument péremptoire et irréfutable le risque de complications thrombo-emboliques et de maladies nosocomiales est nettement inférieur en ambulatoire qu’en hospitalisation.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 6, 1063-1067, séance du 12 juin 2001