Communication scientifique
Session of 4 janvier 2005

Méthodes ablatives dans la fibrillation atriale

MOTS-CLÉS : fibrillation ventriculaire. interventions chirurgie cardiaque. veines pulmonaires.
Catheter ablation for atrial fibrillation
KEY-WORDS : cardiac surgical procedures. pulmonary veins.. ventricular fibrillation

Pierre Jais, Michel Haissaguerre, Mélèze Hocini, Jacques Clementy*

Résumé

La fibrillation atriale (FA) est l’arythmie la plus fréquente. En marge du risque de complications qu’elle fait courir, beaucoup de patients souffrent de symptômes malgré les différents médicaments anti arythmiques. Les seules solutions curatives sont une intervention chirurgicale ou une ablation par cathéter. Depuis 1994, différentes approches ont été développées, fondées sur 2 concepts principaux : la modification du substrat atrial au moyen de lésions linéaires pour prévenir la perpétuation de l’arythmie ; et l’ablation des foyers amorçant la fibrillation atriale. Cette dernière approche, développée par l’école bordelaise, est la plus fréquemment utilisée actuellement. Les foyers initiant les FA sont particulièrement concentrés au niveau des veines pulmonaires. L’isolation électrique des fibres musculaires de ces veines permet donc de traiter ces foyers sans avoir à les identifier un à un. Des travaux récents démontrent en outre que l’isolation des veines pulmonaires participe à la modification du substrat perpétuant la FA. L’existence de foyers atriaux (situés en dehors des veines pulmonaires) et/ou la présence d’un substrat atrial fibrillatoire prédominant limite le taux de guérison à 70 %. L’adjonction d’une lésion linéaire est alors possible augmentant le taux de succès à 82 %. Malgré sa relative complexité, l’ablation de la fibrillation atriale comporte un taux de complications acceptable et semble nettement préférable à l’ablation du faisceau de His chez de jeunes patients souffrant de fibrillation atriale paroxystique gênante malgré les antiarythmiques.

Summary

Atrial fibrillation, the most common cardiac arrhythmia, is frequently disabling and drugresistant, and can be associated with major complications such as thromboembolic events. Non drug approaches, including surgery and catheter-based ablation, are used to treat the most severely symptomatic patients. These new treatment strategies have drastically improved our knowledge of the pathophysiology of this arrhythmia and, importantly, have shown that atrial fibrillation is curable. Since 1994, two main approaches have been used to modify the substrate responsible for AF maintenance, namely the creation of linear lesions, and ablation of triggers located within the pulmonary veins (about 90 % of cases). Most teams worldwide now use approaches centered on PV isolation, which, although imperfect, are sufficiently effective to be offered routinely to selected patients in experienced centers. The importance of PVs in the initiation of AF has been clearly demonstrated, and there is also evidence of a role in AF maintenance. However, the existence of non venous foci or a prominent substrate for AF maintenance limits the success rate to about 70 %. We are now using a combination of PV isolation and a linear lesion delivered to the mitral isthmus, from the mitral annulus to the ostium of the left inferior pulmonary vein. This more complex procedure carries a significantly higher success rate, about 82 % of patients being cured and drug-free. The main problem is to identify patients requiring mitral isthmus ablation in addition to PV isolation. At present, AF ablation is restricted to symptomatic patients in whom at least two antiarrhythmic drugs have failed, but future technical improvements are likely to broaden the indications of ablation therapy for AF.

La fibrillation atriale (FA) est l’arythmie supraventriculaire la plus fréquente [1].

Cette notion est admise par tous même si les dangers de la fibrillation atriale sont controversés [2-4]. Les recherches en matière de traitements non pharmacologiques sont nées du fait que certains patients souffrent encore de symptômes malgré les différents médicaments antiarythmiques essayés. Elles ont mis en évidence le rôle majeur des foyers arythmiques déclencheurs le plus souvent localisés dans les veines pulmonaires avec pour conséquence le développement d’approches curatives spécifiques chirurgicales, ou percutanées (ablation par radio-fréquence). Leur caractère curatif les oppose à l’ablation du faisceau de His et à l’implantation d’un pacemaker, intervention palliative par excellence.

INTRODUCTION : RÔLE DE L’ABLATION PAR RADIOFRÉQUENCE DANS LA FA

Initialement, les méthodes ablatives appliquées à la FA consistaient en l’ablation du faisceau du His. La dissociation auriculo-ventriculaire qui en résultait nécessitait l’implantation d’un stimulateur cardiaque afin de conserver une fréquence cardiaque compatible avec une vie normale. Cette intervention simple et peu risquée comporte cependant un certain nombre d’inconvénients : elle laisse persister la FA et donc le risque thromboembolique justifiant la poursuite des anticoagulants et des risques qu’ils comportent. C’est par ailleurs la mutilation d’une structure utile et innocente (le faisceau de His) qui rend le patient dépendant de son pace-maker et modifie l’activation ventriculaire. Les effets délétères de cette activation non physiologique sont toutefois compensés par le contrôle de la fréquence cardiaque et la régularité du rythme. Enfin, il a été rapporté un risque de mort subite d’environ 1 % mais cette notion reste controversée.

Dès 1994, 2 équipes ont tentés de faire l’ablation de la FA plutôt que celle du faisceau de His. Il s’agissait de modifier le substrat responsable de la perpétuation de la FA en créant des obstacles linéaires à la propagation de l’influx [5, 6]. Ces procédures étaient directement inspirées des interventions réalisées par les chirurgiens et notamment par J. Cox avec son intervention dite du « Maze » (labyrinthe) dont l’efficacité validait indiscutablement le concept [7]. La transposition de ce concept à l’ablation par cathéter a soulevé d’immenses difficultés, mais nous a permis de découvrir de manière relativement fortuite que les FA étaient déclenchées par des foyers d’extrasystoles essentiellement localisés dans les veines pulmonaires [8, 9].

Cette constatation a en fait donné le véritable coup d’envoi de l’ablation de la FA.

Cette lecture se propose de détailler cette approche moins mutilante et plus ciblée sur l’arythmie. Avant cela, il est sans doute utile de rappeler que les 4 veines pulmonaires sont chez l’homme colonisées durant la vie embryonnaire par des extensions de myocarde atrial sur quelques millimètres à plusieurs centimètres (fig. 1). Pour des raisons encore partiellement obscures, ces fibres musculaires sont particulièrement arythmogènes déclenchant la majeure partie des FA [10]. Elles sont activées comme les autres structures du myocarde atrial à chaque dépolarisation. Leur activité est enregistrable par cathéter sous la forme de potentiels que nous appellerons potentiels de veine pulmonaire au cours de cet exposé.

LÉSIONS LINÉAIRES ATRIALES

Dans l’oreillette droite

Les lésions linéaires de l’oreillette droite ont été les premières pratiquées pour des raisons évidentes de sécurité [5,11-13]. Leurs résultats se sont révélés décevants puisque, quel que soit le schéma utilisé, le taux de succès sans médicament antiarythmique associé est inférieur à 20 %.

Dans l’oreillette gauche

L’abord transeptal

Les interventions dans l’oreillette gauche peuvent être réalisées par voie transseptale ou par voie rétro aortique. Pour l’ablation de la FA, la voie rétro aortique est peu commode et a très vite été abandonnée au profit de la voie transseptale. En l’absence de foramen ovale perméable, ce qui est le cas chez 80 % des patients, il faut pratiquer une ponction transseptale. Ce geste est un frein au développement de l’ablation de la FA pour certaines équipes. Pourtant, les risques sont très modestes dans des mains entraînées. L’aiguille creuse utilisée pour la ponction permet d’enregistrer la pression de la cavité et d’injecter de l’iode. Il est en effet crucial de s’assurer que la pointe de l’aiguille est bien dans l’oreillette gauche avant d’introduire le dilatateur et la gaine elle-même dont les diamètres sont plus importants. Les risques sont

FIG. 1. — Schéma des 2 oreillettes avec visualisation en coupe des veines pulmonaires supérieures droites et gauches. Les fibres de myocarde atrial colonisant les veines pulmonaires sont repré- sentées en grisé. Le cathéter d’ablation par radiofréquence est introduit dans l’oreillette gauche à l’aide d’une longue gaine ayant servi à faire la ponction transseptale. L’ablation va concerner la racine proximale des fibres musculaires au niveau de leur connexion avec l’oreillette gauche.

Le cathéter de cartographie Lasso fréquemment utilisé n’est pas représenté ici (voir figure 3). Les étoiles représentent les foyers potentiels des veines pulmonaires.

essentiellement de ponctionner trop postérieur, et d’avoir alors un épanchement péricardique, ou trop antérieur, dans la racine de l’aorte. Les risques sont très faibles : 0.002 % de perforation cardiaque attribuables à la ponction dans une serie de 903 patients ayant eu une dilatation de la valve mitrale [14]. Pourtant, si cette ponction inadéquate est identifiée à temps et que l’aiguille est retirée, son diamètre inférieur au mm n’entraîne pas dans notre expérience (plus de 2000 ponctions) de saignement, même chez un patient anticoagulé.

Les résultats

Plusieurs groupes ont rapporté des résultats honorables. Il est possible de guérir environ 60 % des patients sans médicament antiarythmique [11, 15-18]. Le plus grand mérite de ces lésions linéaires a été dans un premier temps de suffisamment raccourcir la durée des épisodes de FA pour permettre la localisation des zones responsables des redémarrages de l’arythmie au niveau des veines pulmonaires.

Même si la réalisation de lésions linéaires continues et transmurales s’est avérée difficile, y compris en utilisant des cathéters irrigués [17, 19, 20], ces lésions ont montré qu’elles pouvaient efficacement modifier le substrat atrial responsable de la perpétuation de la FA. Malheureusement, elles sont associées à un taux de complications significativement plus élevé que celui observé avec la déconnexion des veines pulmonaires. Pourtant, ce type d’ablation a un avenir certain. Il est en effet hautement probable que le déploiement de lésions linéaires dans l’oreillette gauche en association avec une déconnexion systématique des veines pulmonaires soit nécessaire pour traiter les FA chroniques ou persistantes. Ces lésions peuvent aussi rendre de grands services dans le traitement des foyers non veineux dont la cartographie s’avère difficile ou impossible. Des progrès techniques pourraient remettre cette approche encore difficile à réaliser au goût du jour.

ABLATION LIMITÉE AU FOYER

La fibrillation atriale est déclenchée par un nombre restreint de foyers localisés dans environ 90 % des cas au niveau des veines pulmonaires [8, 9, 21-24]. Leur traitement par radiofréquence faisait donc appel initialement à des lésions punctiformes visant à cautériser le foyer identifié lors de l’exploration électrophysiologique (fig. 2). Cette approche a largement été utilisée par différents groupes. En pratique, elle comporte des limitations qui ont conduit la plupart des équipes à l’abandonner. La première limite réside dans le fait que les fibres du myocarde atrial ayant colonisé les veines pulmonaires en tapissent une surface assez importante, de sorte que plusieurs foyers peuvent coexister au sein de la même veine pulmonaire [25, 26]. L’ablation focale qui vise à repérer la primo-activation veineuse au moment du déclenchement de la fibrillation peut méconnaître ce phénomène et exposer à une récidive provenant de la même veine pulmonaire. Qui plus est, avec cette approche, la lésion de radiofré- quence est réalisée loin dans la veine, là où son diamètre veineux commence à être naturellement plus faible. On expose donc le patient à un risque de sténose de la veine pulmonaire théoriquement plus élevée que si l’ablation est faite à l’ostium.

DÉCONNEXION DES VEINES PULMONAIRES

Les limites de l’approche punctiforme ont conduit tout naturellement au concept de déconnexion de la veine pulmonaire responsable de l’initiation de la fibrillation.

Cette approche a bien sûr l’avantage de traiter tous les foyers potentiels d’une même veine pulmonaire. Elle épargne la cartographie précise de la veine, dont le succès dépend entièrement des « caprices » du foyer [27, 28].

Initialement, seules les veines pulmonaires « prises en flagrant délit d’enclencher la fibrillation » étaient traitées.

Progressivement, les 4 veines pulmonaires ont fait l’objet d’une déconnexion systé- matique en rythme sinusal. Cette approche pragmatique épargne la fastidieuse

FIG. 2. — Un cathéter d’ablation positionné dans une veine pulmonaire documente differents types d’arythmies. Sur le premier complexe (1), une extrasystole de la veine pulmonaire est bloquée (étoile) ne parvenant pas à dépolariser l’oreillette. Sur le second (2), cette extrasystole veineuse est propagée à l’oreillette. Sur le troisième, il n’y a pas d’extrasystole mais sur le quatrième (4), une salve d’extrasystoles veineuses est conduite à l’oreillette et déclenche une FA.

identification des veines arythmogènes et s’avère beaucoup plus efficace. Une fois la période d’apprentissage acquise, il s’agit d’une solution simple, rapide et efficace.

Elle fait cependant courir le risque d’une sténose des veines pulmonaires et elle n’est donc acceptable que si le risque au sein de l’équipe qui la pratique soit très faible. Il faut de plus s’assurer que la veine dont on vient de faire l’ablation n’est pas déjà sténosée avant de procéder à l’ablation de la veine suivante.

Pour guider et affirmer l’ablation des veines pulmonaires, nous avons mis au point un cathéter de cartographie circulaire. Son extrémité distale orientable se termine par un anneau portant 10 à 20 électrodes qui est positionné de manière séquentielle à l’ostium de chaque veine. Cette cartographie perpendiculaire à l’axe de la veine s’est révélée extrêmement utile, et simplifie considérablement la déconnexion des veines. Ce cathéter est utilisé dans la grande majorité des centres européens, américains ou japonais pratiquant l’ablation de la FA.

La déconnexion des veines pulmonaires est démontrée par la disparition ou la dissociation des potentiels veineux qui ont alors un rythme automatique propre en général très lent et totalement indépendant de l’activation du reste des oreillettes. Il est rarement nécessaire de cautériser 100 % de la circonférence de l’ostium veineux pour y parvenir [29, 30]. La durée totale de radiofréquence varie de 1 à 30 min par veine pulmonaire avec une moyenne allant de 5 min pour les veines inférieures à
9 min pour les veines supérieures. Afin d’accroître l’efficacité du geste et de réduire le risque de sténose des veines pulmonaires, un large consensus s’est dessiné pour placer les lésions au niveau atrial plutôt que veineux chaque fois que cela est possible. Cette stratégie est associée à une température cible basse de 50° C qui est rarement atteinte puisque la température moyenne est de 43°C et surtout à une puissance limitée à 25-30 W. Moyennant ces précautions, le risque de sténose est inférieur à 1 % par patient dans notre centre. Chez les 160 derniers patients souffrant de fibrillation paroxystique, aucun accident embolique n’est survenu, probablement du fait des températures très faibles de l’électrode d’ablation et des précautions prises pour assurer une perfusion efficace de la longue gaine (environ 2 ml/min) utilisée pour accéder à l’oreillette gauche.

La conséquence évidente de cette déconnection et le but initial étaient bien sûr d’isoler les foyers des veines pulmonaires afin de prévenir le déclenchement des FA.

Or, un autre mécanisme de l’efficacité du geste a récemment été mis à jour. L’isolation des veines pulmonaires s’accompagne au cours de la procédure d’un ralentissement de la cadence de la FA, proportionnel au nombre de veines déconnectées, allant jusqu’à l’interruption de la FA dans 75 % des cas de FA paroxystique. Il s’agit là d’une constatation fondamentale suggérant que les veines pulmonaires et leur jonction avec l’oreillette gauche jouent un rôle majeur dans la perpétuation de l’arythmie (fig. 3).

Une autre approche, dite anatomique a été proposée par Pappone [16]. Elle consiste en utilisant le système de localisation 3 dimensions Carto (Biosense Webster) à encercler les veines pulmonaires sans en vérifier l’isolation électrique. Le seul avantage de cette technique est à nos yeux un gain de temps, sans doute obtenu au détriment de la qualité du travail réalisé et certainement au détriment de notre capacité à interpréter les résultats en fonction de la qualité des lésions obtenues. En l’absence de vérification des lésions, cette procédure ne comporte pas de critère clair permettant de dire quand arrêter la procédure. Nous touchons sans doute ici aux raisons de la très faible reproductibilité des résultats rapportés par Pappone. Pour ce qui nous concerne, en utilisant cette approche, nous avons observés 65 % de succès alors que la procédure était complétée pour des raison éthiques afin d’obtenir une déconnexion complète des veines pulmonaires. L’équipe de Claus Schmitt à Munich a présenté au dernier Naspe une étude comparant les 2 procédures. Les auteurs rapportent 40 % de succès avec la méthode anatomique (Pappone) contre 70 % lorsque les lésions sont complètes telles que définies par des critères électrophysiologiques. Il eut été surprenant et même contraire au bons sens électrophysiologique que des lésions complètes produisent un résultat clinique moins satisfaisant que des lésions incomplètes. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’intérêt évident du système de localisation en 3 dimensions qui peut être utilisé comme un complément utile à la procédure mais plutôt de dire l’importance qu’il y a à vérifier que les lésions soient complètes. Ce point est en fait la seule différence entre ces deux procédures finalement très similaires.

INDICATIONS

FA « focales »

Il s’agit de patients jeunes, sans cardiopathie sous-jacente, présentant des accès incessants d’arythmie atriale complexe [8]. On observe en effet des tachycardies atriales très irrégulières mais monomorphes, se transformant en authentiques fibrillation pour les cadences les plus élevées (fig. 4). On peut considérer cette forme de FA comme le modèle parfait de FA d’origine focale car ici, il n’y a pas de substrat favorisant la persistance de l’arythmie. En conséquence, lorsque la décharge focale s’interrompt, l’arythmie cesse. Il s’agit d’une excellente indication d’ablation par radiofréquence car la cartographie est rendue simple par la densité de l’arythmie et son caractère non soutenu. Le taux de guérison est supérieur à 90 %. Malheureusement, ces formes sont rares. Il est important de les identifier car l’ablation punctiforme d’un ou plusieurs foyers est radicale. Mais les indications d’ablation des FA paroxystiques sont beaucoup plus larges.

Les FA paroxystiques tout venant

Cette situation représente probablement une évolution ou une forme impure de FA focale. Les foyers sont bien là pour déclencher les FA qui sont ensuite perpétuées par d’autres mécanismes qui ne sont pas encore parfaitement connus. Pourtant, ces patients peuvent bénéficier d’une ablation par radiofréquence curative. Nous ne pratiquons pas de sélection particulière des patients. Il faut tout de même que les patients soient symptomatiques (palpitations, dyspnées, fatigue…) et qu’au moins deux antiarythmiques aient échoué. Enfin, nous considérons qu’il faut une densité minimale de FA pour justifier l’ablation, soit d’au moins un épisode de FA tous les 10 jours. Toutefois, sur la base de notre expérience, il est probable que le traitement des FA brèves soit plus facile que celui des FA très prolongées. Les 4 veines pulmonaires sont systématiquement déconnectées et la procédure est plus simple en rythme sinusal.

La présence de foyers non veineux ou la prééminence du substrat perpétuant l’arythmie peut nécessiter la réalisation de lésions linéaires de l’oreillette gauche, joignant dans le cas présent l’anneau mitral à la veine pulmonaire inférieure gauche.

Mis en œuvre chez 159 patients, ce schéma a permis d’augmenter le taux de guérison à 82 % sans traitement antiarythmique. Nous qualifions cette procédure d’ablation de l’isthme mitral car les conséquences électrophysiologiques sont absolument comparables à celles observées pour l’ablation de l’isthme cavotricuspide dans l’oreillette droite et qui permet la guérison des flutters communs. L’ablation de l’isthme gauche est donc naturellement employée dans le traitement des flutters gauches par notre équipe lorsque le circuit se fait autour de l’anneau mitral ou des veines pulmonaires gauches [31]. Outre son efficacité, cette ablation a l’immense avantage de respecter l’activation de l’oreillette gauche en rythme sinusal puisque la lésion est située sur la partie de l’oreillette gauche activée en dernier au cours du rythme sinusal.

FIG. 3. — En A, le cathéter de cartographie circulaire placé dans une veine pulmonaire enregistre une activité de veine pulmonaire parfois rapide et presque continue (PV 1-2 ; 9-10). L’isolation de la veine pulmonaire est terminée en B comme démontré par la disparition de toute activité électrique dans la veine. La FA se poursuit mais le cycle moyen mesuré dans le sinus coronaire (CS 3-4) est passé de 164 ms avant l’isolation (A) à 208 ms après (B). L’activité dans le sinus coronaire est également plus organisée, « simplifiée » par la déconnection de la veine pulmonaire.

FIG. 4. — Aspect typique de FA focale. Les extrasystoles isolées ou en salves sont très nombreuses.

Lors de phénomènes répétitifs, les cycles sont très irréguliers mais la morphologie de l’onde P reste constante (B). Pour les cycles les plus rapides cependant, l’aspect habituel de FA est observé (C). Sur le panneau du bas (D), l’arythmie est incessante mais les épisodes sont brefs, entrecoupés de battements sinusaux marqués d’une étoile. Ce comportement est absolument typique d’une FA donc l’origine est focale. Ce type d’arythmie est à la fois déclenché et perpétué par une source focale qui se prête particulièrement bien à une ablation dont les chances de succès sont ici très élevées.

Les FA chroniques

Il s’agit sans aucun doute de l’ablation par radiofréquence la plus difficile qui soit à l’heure actuelle. Nous associons la déconnection des 4 veines pulmonaires à l’ablation de l’isthme gauche et dans 60 % des cas une deuxième lésion linéaire du toit de
l’oreillette gauche joignant la veine supérieure droite à la veine supérieure gauche.

Le taux de succès sans sélection préalable des patients ne dépasse pas 75 % sans médicament antiarythmique. Un traitement adjuvant comportant en général un antiarythmique de classe 1C souvent associée à un β-bloquant permet d’obtenir un taux de maintien en rythme sinusal de 85 % avec plus d’un an de recul. De plus, les paramètres échographiques s’améliorent avec notamment une diminution du diamètre de l’OG et une récupération de l’onde A témoignant d’une efficacité mécanique dans plus de 80 % des cas.

Le taux de complication est significativement plus élevé que celui des procédures faites pour FA paroxystique. Le taux d’épanchement péricardique nécessitant un drainage est de 2 % tandis que le taux des sténoses des veines pulmonaires est identique. Sur une série de 100 patients traités par cathéter irrigué, et donc, avec des températures d’électrode n’excédant pas 50° C, nous avons observé un accident embolique. Plusieurs procédures ont été nécessaires chez la plupart des patients afin de traiter notamment des flutters gauches dûs au caractère incomplet d’au moins une ligne. D’autres ont toutefois rapporté un taux de succès plus élevé [23-26, 28].

Cette ablation difficile est donc réservée aux patients les plus symptomatiques. Nous regardons avec une attention particulière les patients porteurs d’une myocardiopathie dilatée primitive ou ayant une origine structurelle. En effet, dans cette situation, l’ablation de la FA s’accompagne d’une amélioration le plus souvent spectaculaire de la fraction d’éjection, des dimensions échocardiographiques, des symptômes, et enfin de la capacité d’efforts. L’association FA et insuffisance cardiaque représente une difficulté supplémentaire, mais à l’évidence, il s’agit du groupe de patients chez lesquels le bénéfice est le plus significatif.

LIMITES

Ces indications sont celles que nous retenons au jour d’aujourd’hui mais sont bien sûr susceptibles d’évoluer. Elles ne sont pas reconnues par tous. Afin de les valider notamment dans la FA paroxystique tout venant, nous avons mis sur pieds une étude multicentrique randomisée comparant l’effet des antiarythmiques à celui de l’ablation chez des patients symptomatiques chez lesquels un antiarythmique au moins s’était révélé inefficace. Les résultats seront disponibles dans un an.

De plus, les ablations de FA pêchent encore par un nombre trop important de récidives qui surviennent dans leur immense majorité au cours des premiers mois et plus particulièrement au cours du premier mois. Il ne faut d’ailleurs pas précipiter la répétition du geste car 45 % de ces récidives précoces sont sans lendemain. Malgré cela, 30 % des patients souffrant de FA paroxystique et 55 % des patients en FA chronique auront besoin de plus d’une procédure.

CONCLUSION

La possibilité de guérir les patients souffrant de FA paroxystique au moyen d’un traitement par radiofréquence est un bouleversement considérable dans la prise en charge de cette arythmie. La procédure actuelle de déconnexion des veines pulmonaires est efficace et sûre bien qu’il y ait un effet d’apprentissage de l’opérateur.

L’existence de foyers extra veineux ou l’importance du substrat fibrillatoire atrial limite malheureusement le taux de guérison sans médicament antiarythmique adjuvant à 70 % justifiant chez certains patients l’ablation de l’isthme gauche. Cette approche peut maintenant remplacer de manière séduisante l’ablation du faisceau de His et l’implantation d’un pacemaker, surtout chez les gens jeunes. Il faut sans doute souhaiter que cette procédure qui économise les deniers publics dès la sixième année se développe, même si la prudence reste de mise puisque le recul maximal actuel n’est que de six ans. Enfin, les FA chroniques demeurent un défi que des progrès techniques vulgariseront peut-être prochainement.

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[28] JAIS P., SHAH D.C., HOCINI M., et al . — Radiofrequency catheter ablation for atrial fibrillation.

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Circulation 2000, 101 , 2928-34.

DISCUSSION

M. Michel BOUREL

Pourquoi dire « isolation » et non isolement ? L’accessibilité à ces procédures en fonction de la durée évolutive de la fibrillation atriale ? Quelle explication pour ce rôle des orifices des veines pulmonaires : embryologique ou acquis ?

Entendu pour isolement. Des épisodes longs laissent augurer des procédures difficiles, incluant souvent des lésions linéaires en plus de l’isolement des veines pulmonaires, mais nous avons pu traiter avec succès des patients souffrant de FA chronique depuis 10 ans.

M. Yves GROSGOGEAT

Quelle est la préparation du patient, en particulier traitement héparinique, échographie trans-oesophagienne ?

La préparation est similaire à celle des chocs électriques externes pour la réduction des FA. Les patients sont anticoagulés par AVK efficaces au moins un mois avant l’intervention. Le relais par calciparine ou héparine intraveineuse est pris avant, pendant et après la procédure. L’échographie transoesophagienne est systématique pour s’assurer de l’absence de thrombus dans l’oreillette gauche.

M. Pierre GODEAU

En cas de retour veineux pulmonaire anormal, observe-t-on la même particularité arythmique ? La dilatation de l’oreillette gauche est-elle un élément prédictif de l’échec éventuel ou de la récidive : autrement dit, est-elle une éventuelle contre-indication ?

Oui mais notre expérience se résume à un seul patient. Non, ce paramètre n’est pas prédictif d’ échecs mais plutôt de procédures plus complexes et plus étendues.

M. Jean-Paul BOUNHOURE

Le succès de l’ablation avec restauration du rythme sinusal peut n’être que transitoire et, dans la littérature comme dans votre expérience, le succès n’est définitif que dans 75 % des cas. Quelle est votre attitude à l’égard du traitement anticoagulant au long cours ? Après la restauration du rythme sinusal pendant combien de temps poursuivez-vous les antivitamines K ? Chez quels patients à risque les poursuivez-vous ? Peut-on définir des patients
à risque ? Quelle est votre attitude à l’égard des sténoses des veines pulmonaires secondaires qui surviennent dans 2-3 % des cas ?

En l’absence d’indication autre que la FA, nous l’arrêtons. Un mois chez des patients jeunes à cœur sain pour lesquels l’indication initiale au long cours est en fait discutable.

Trois mois pour les formes chroniques de fibrillation. Dans tous les cas nous réalisons 2 à 3 holters pour réduire le risque d’épisode asymptomatique. Dès lors qu’il existe une indication autre que la FA. ? Les patients les plus à risque sont ceux qui ont des FA chroniques car la récidive est plus probable, avec une cardiopathie et de l’insuffisance cardiaque. Le risque étant encore majoré en présence d’un antécédent d’accident embolique . Nous réalisons systématiquement un scanner ou IRM thoracique pour les dépister un an après la procédure. Leur taux n’excède pas 1 % en fait. Les lésions visant à isoler les veines pulmonaires sont en effet placées dans l’oreillette afin d’épargner les veines pulmonaires.

M. Louis GUIZE

Avez-vous testé les cathéters-ballons que l’on place à l’abouchement des veines pulmonaires ? Car ces nouveaux cathéters semblent intéressants pour réduire le temps de procédure de l’ablation ?

Oui. Le concept est bien sur séduisant et il est vrai qu’aucun cathéter spécifique aux veines pulmonaires n’existe encore sur le marché. Les ballons posent le problème non encore résolu d’une adaptation à toutes les anatomies.

M. Jacques BATTIN

Dans votre grande série, avez-vous des familles informatives pour le lodscore et coopérezvous avec Hervé Le Marec de Nantes ? Qu’en est-il du rapport coût/efficacité de la méthode ablative/traitement médical et ses contraintes (surveillance de la crase sanguine) car il y a là un problème d’économie de la santé et de développement d’équipes expertes, trop peu nombreuses aujourd’hui, si l’ablation par radiofréquence est plus efficace et moins oné- reuse ?

Oui, mais sans résultat à ce jour . C’est un point fondamental et l’évaluation médicoéconomique va débuter sous la houlette d’Antoine Leenhardt en 2005. Notre évaluation montre que des économies de santé sont réalisées dès la cinquième année suivant la procédure. Il faudra que le nombre d’équipes capables de proposer ce traitement augmente considérablement car cette arythmie est la plus répandue et les besoins sont donc importants.


* Service de Rythmologie, Hôpital Cardiologique du Haut-Lévêque, Avenue de Magellan, 33604 Pessac Cedex. Tirés-à-part : Docteur Pierre JAIS, même adresse. Article reçu le 6 avril 2004, accepté le 14 juin 2004.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 1, 17-30, séance du 4 janvier 2005