Communication scientifique
Séance du 11 juin 2002

L’insuffisance cardiaque à fonction ventriculaire systolique préservée : aspects cliniques, échocardiographiques et évolutifs. Facteurs du pronostic

MOTS-CLÉS : dysfonction ventriculaire gauche.. insuffisance cardiaque
Heart failure with preserved left ventricular function : clinical, echocardiographic characteristics and outcomes. Factors of prognosis
KEY-WORDS : heart failure, congestive. ventricular dysfunction, left.

J.P. Bounhoure, P. Massabuau, M. Calinier, Ch. Jordan, J.P. Laurent, J. Marco

Résumé

L’insuffisance cardiaque est classiquement associée à une altération de la contractilité, une atteinte de la fonction systolique, avec une réduction significative de la fraction d’éjection et une dilatation cardiaque. Quelques études rapportent que des patients hospitalisés pour une insuffisance cardiaque ont une fonction systolique du ventricule gauche préservée, des anomalies du remplissage et une fraction d’éjection > 45 %. Soixante-quatre patients furent hospitalisés et suivis en consultation pour une insuffisance cardiaque diastolique. Les buts de notre étude furent la description des caractéristiques cliniques et échocardiographiques de ces patients, l’évolution du syndrome et l’étude de facteurs du pronostic. Tous les patients furent soumis à un examen clinique, un ou plusieurs examens radiologiques, plusieurs électrocardiogrammes avec les contrôles biologiques habituels. Tous subirent une analyse par échodoppler du flux transmitral, si nécessaire du flux veineux pulmonaire avec une étude des indices classiques de fonction diastolique, vitesse maxima des ondes E et A, rapport E/A, temps de décélération de l’onde E et temps de relaxation isovolumique. On a évalué les dimensions de l’oreillette gauche, les dimensions télé diastoliques et systoliques, les fractions de raccourcissement et d’éjection du ventricule gauche selon les recommandations de

Summary

Heart failure is clinically associated with inadequate myocardial contraction, a significant reduction of left ventricular systolic function and ejection fraction and a cardiac enlargement. Some studies have reported that patients with symptomatic heart failure may have an impaired left ventricular filling with a normal or preserved left ventricular systolic function and an ejection fraction > 45 %. These patients have a « diastolic heart failure » often neglected or misdiagnosed. The aims of our study is to describe clinical, echocardiographic and hemodynamic characteristics of 64 patients hospitalized for symptomatic heart failure, to determine possible variables with prognosis relevance, and for evaluating the severity of this diastolic left ventricular dysfunction. All patients were assessed by physical and radiographic examination, 12 leads electrocardiogram, and usual laboratory tests. The internal diameter of left atrium and left ventricular end diastolic and tele-systolic diameter were measured following the recommendations of the American Society of Echocardiography,. Ejection fraction was determined following Simpson’s method. Left ventricular filling patterns were evaluated by pulsed Doppler mitral or venous pulmonary flow. The following parameters were assessed : maximum velocity of E and A waves, E/A ratio, E wave deceleration time and isovolumic relaxation time. The patients were studied following Appleton’s classification. 45 patients were submitted to left heart catheterization and coronary angiography. All subjects were routinely followed by cardiologic examinations and the mean follow up is 18 + /— 4, 5 months. 29 women (45, 3 %) and 35 men with a mean age of 72,5 fi 3,2 years were included in this study. Left ventricular ejection fraction was in mean 48,5 fi 4,2 %. 65 % of patients had ischemic cardiomyopathy with severe coronary stenosis > 50 %, often associated with hypertension. 52 % of patients had hypertensive heart disease and 38 % were diabetics. 34 patients were re-hospitalized for recurrent heart failure despite medical treatment with diuretics, ACE inhibitors (90 % of patients), betablockers, (37 %) or nitrates (36 %). 24 patients have been treated by coronary angioplasty. In hospital mortality was 6,2 % and during the follow up at 18 months the mortality reaches 18,7 % .The factors of poor prognosis are age > 75 years, left ventricular restrictive pattern at doppler diastolic trans mitral flow evaluation, (p< 0,001), history of myocardial infarction, and renal insufficiency defined by creatinemia > 150 micromoles (p = 0,002). In conclusion heart failure with preserved left systolic ventricular function is frequent in women with hypertensive heart disease. The prognosis at mean term is better that prognosis of patients with systolic dysfunction but despite medical treatment there is a high morbidity with numerous re hospitalizations. Restrictive left ventricular filling pattern is significantly related to the occurrence of events and mortality.

l’American Society of Echocardiography . Les patients furent classés selon les 3 types de profil de remplissage mitral, décrits par Appleton. Quarante-cinq patients furent soumis à une exploration hémodynamique et coronarographique. Tous les patients furent suivis par des consultations trimestrielles et le suivi moyen fut de 18, 5 fi 5, 6 mois. Vingt-neuf femmes (45,3 %) et 35 hommes d’âge moyen de 72, 5 fi 3,2 ans servent de base à cette étude. La fraction d’éjection ventriculaire fut en moyenne, à l’échocardiographie, de 48, 5 % fi 4 %.


Soixante-cinq pour cent des patients avaient une cardiopathie ischémique, 52 % une cardiopathie hypertensive avec ou sans atteinte coronaire, avec une hypertension connue et traitée depuis plus de 10 ans. La mortalité hospitalière fut de 6,20 % (4 décès rapides) et au terme du suivi de 18,7 %. Trente-quatre patients (53 %) furent à nouveau hospitalisés pour récurrence de l’insuffisance cardiaque malgré le traitement. Quatre-vingt-dix pour cent des patients étaient sous inhibiteurs de l’enzyme de conversion, 37 % sous bêtabloquants, 36 % sous nitrates et tous ont été traités par des diurétiques à la phase aiguë. Vingt-quatre patients, (34,5 %) subirent une ou plusieurs angioplasties. Les facteurs d’un pronostic médiocre sont l’âge, un aspect écho-doppler du remplissage de type restrictif (p< 0,001), des antécédents d’infarctus du myocarde et une insuffisance rénale (créatinine > 150 micromoles p= 0,002). En conclusion l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée est fréquente dans le sexe féminin, a un pronostic à moyen terme moins sévère que celui des dysfonctions systoliques, mais une morbidité élevée avec un taux important de ré-hospitalisations pour récidives malgré le traitement médical. Un aspect restrictif du profil de remplissage transmitral a une valeur pronostique péjorative.

Depuis 10 ans, un intérêt croissant est accordé aux anomalies de la fonction cardiaque diastolique, les progrès survenus dans les techniques d’exploration permettant de mieux détecter et de mieux caractériser les altérations du remplissage, même en l’absence d’atteinte de la fonction systolique du cœur [1-3]. Quoique fonctions systolique et diastolique soient intimement liées et interdépendantes, on individualise des insuffisances cardiaques avec anomalie prédominante ou exclusive de la fonction diastolique, la fraction d’éjection étant préservée ≥ à 45 %. Le diagnostic d’insuffisance cardiaque diastolique primitive demande trois critères obligatoires :

• présence de signes ou symptômes d’insuffisance cardiaque, • présence d’une fonction ventriculaire gauche conservée avec une fraction d’éjection > 45 %, • évidence à l’écho-doppler d’altération de la relaxation, du remplissage et de la compliance ventriculaire. Ces critères ont été définis par le groupe spécialisé de la Société Européenne de Cardiologie [4].

Ce type physiopathologique d’insuffisance cardiaque d’individualisation relativement récente suscite quelques controverses. Le début même de la diastole prête à discussion : les cliniciens la font débuter à la fermeture des valves sigmoïdes (deuxième bruit aortique), certains physiologistes soulignent que la relaxation ventriculaire fait partie de la systole et ne font débuter la diastole qu’à l’ouverture de la valve mitrale. Nous avons adopté la définition des cliniciens, incluant comme la grande majorité des auteurs la relaxation dans la diastole. De même nous avons retenu comme valeur seuil de la fraction d’éjection 45 % en suivant les critères du groupe spécialisé de la Société Européenne et de la Société Française de Cardiologie [4]. Certains auteurs, comme Zile et Brutsaert, physiologistes rigoureux, n’ont pas la même définition de la diastole que les cliniciens, excluent la relaxation de la diastole, et retiennent une valeur de 50 % [5]. Grossman, dans un autre article récent, retient les mêmes critères que le groupe « diastology » de la Société Européenne [6].

Nous avons étudié de manière rétrospective les dossiers de 64 patients répondant à ces critères. Notre étude reprend la description des caractéristiques cliniques, radiologiques, électrocardiographiques et échographiques de ces patients, l’évolution immédiate et à moyen terme du syndrome, l’étude de différents facteurs du pronostic.

MÉTHODOLOGIE

Au cours de leur hospitalisation tous les patients furent soumis à un examen clinique, à des examens radiographiques, à l’enregistrement de plusieurs électrocardiogrammes 12 dérivations, et à un bilan biologique complet. Tous les patients subirent un ou plusieurs examens échocardiographiques (mode TM et bidimensionnel par des appareils Hewlett Packard Sono 2000 et 2500). Les explorations furent réalisées par deux cardiologues spécialisés dans la pratique de l’échocardiographie et les enregistrements revus et interprétés avec les précautions méthodologiques rigoureuses habituelles avant d’être retenus pour cette étude. Les mesures du diamè- tre de l’oreillette gauche, des diamètres télé-systolique et télé-diastolique ventriculaires ont été effectuées selon les recommandations de la Société Américaine d’Échocardiographie [5], une épaisseur de la paroi postérieure > 12 mm à été requise pour définir une hypertrophie ventriculaire gauche, l’index de masse ventriculaire gauche étant calculé selon la formule de Penn. La fraction d’éjection du ventricule gauche fut évaluée selon la méthode de Simpson. Les différents aspects du remplissage ventriculaire gauche furent déterminés par l’analyse écho-doppler du flux mitral, et les paramètres suivants ont été mesurés : le pic de vitesse des ondes E et A, le rapport E/A, le temps de décélération de l’onde E, et le temps de relaxation isovolumique. Les patients furent classés selon les trois types de remplissage décrits par Appleton [6] :

• Type I : anomalie de la relaxation, caractérisée par l’aspect d’une petite onde E, avec une grande onde A, un rapport E/A < 1, un allongement de temps de relaxation iso-volumétrique > 110 ms, et un temps de décélération de l’onde E > 220 ms ;

• Type III : avec un aspect restrictif du flux transmitral, associant une grande onde E, une petite onde A, et un rapport E/A> 2. On retrouve un raccourcissement du temps de relaxation iso-volumique < 60 ms, et une diminution du temps de décélération de l’onde E < 160 ms ;

• Type II : c’est à dire un aspect pseudo-normal, intermédiaire entre le type I et le type III, qui justifie la prise de dérivés nitrés ou une manœuvre de Valsalva. Pour ces patients, il a été fait un enregistrement du flux veineux pulmonaire avec mesure de l’amplitude des ondes S, D A au niveau de la veine pulmonaire supérieure droite en doppler couleur en incidence apicale 4 cavités. L’enregistrement de la vitesse de propagation du flux de remplissage en mode TM couleur, indépendant de la précharge, a été analysé permettant de détecter l’élévation des pressions de remplissage et de classer ces enregistrements dans le groupe « pseudo normal » (Tableau 2).

Quarante-cinq patients furent soumis à un cathétérisme du cœur gauche, avec mesure de la pression télédiastolique ventriculaire gauche, ventriculographie gauche et coronarographie. On a considéré comme significatives les sténoses supérieures à 50 % de la lumière artérielle (Tableau 3).

Tableau 1. — Données cliniques Tous les patients furent régulièrement suivis au cours de consultations de cardiologie trimestrielles, avec des examens de routine habituels, et le suivi moyen fut de 18,5 fi 6 mois.

Les données cliniques, hémodynamiques et échographiques ont été prises en compte dans l’étude statistique et pour analyser les relations entre les caractéristiques des patients et la survenue d’évènements. Le test de régression de Cox fut utilisé, chaque variable étant étudiée séparément. L’analyse univariée a été réalisée avec le test du chi 2 pour les données qualitatives et une analyse de variance à un facteur pour les données quantitatives. Ces données sont exprimées en pourcentage et en moyenne fi écart type. Le seuil de signification statistique accepté est de p<0, 05.

RÉSULTATS

Vingt-neuf femmes et 35 hommes, d’âge moyen de 72,5 fi 3 ans, servent de base à cette étude (Tableau I). La fraction d’éjection ventriculaire fut en moyenne de 48,5 % fi 4 %. Quarante-cinq patients avaient une cardiopathie ischémique, avec pour 21 d’entre eux des séquelles d’infarctus du myocarde datant de plus d’un an, et, à la coronarographie, 20 patients sur les 45 explorés avaient des lésions significatives de 2 ou 3 vaisseaux (Tableau 3). Cinquante-deux pour cent des patients étaient atteints d’une cardiopathie hypertensive ayant un hypertension artérielle connue et traitée depuis plus de 10 ans, hypertrophie ventriculaire gauche majeure, et une augmentation de l’index de masse ventriculaire gauche (145 fi 7,5 G /M22). Seize patients avaient été hospitalisés pour un œdème pulmonaire, tous les autres présentaient une gêne fonctionnelle majeure à l’effort et avaient été inclus en classe III de la NYHA. À l’examen cardiaque, 25 patients avaient une tachycardie sinusale, un bruit de galop proto-diastolique, et 16 d’entre eux un galop pré-systolique. Chez 12 malades le tracé électrique objectivait une fibrillation auriculaire à l’admission,

Tableau 2.

arythmie qui fut réduite par choc électrique externe ou un traitement par l’Amiodarone restaurant un rythme sinusal stable. L’examen radiologique a toujours montré des images de poumon cardiaque avec une redistribution vasculaire vers les sommets, des signes d’œdème pulmonaire interstitiel ou alvéolaire, avec un épanchement pleural dans 10 observations. Il n’y avait pas de dilatation cardiaque majeure, simplement une hypertrophie ventriculaire gauche radiologique modérée, et le rapport cardio-thoracique était en moyenne de 52 %. Le tracé électrique montrait une hypertrophie auriculaire gauche chez 48 patients, 28 fois un bloc complet de la branche gauche (43 %), 10 fois un bloc complet droit et 15 fois des séquelles électriques typiques d’infarctus du myocarde. Le tracé électrocardiographique des autres patients ayant des séquelles angiographiques d’infarctus montrait un bloc de branche gauche masquant les signes électriques d’une nécrose myocardique ancienne. Cinquante-deux patients avaient des signes patents d’hypertrophie ventriculaire gauche (81,2 %).

L’écho-doppler fut toujours effectué chez des patients en rythme sinusal, ayant une fréquence cardiaque inférieure à 80 battements par minute en l’absence de fuite mitrale significative et chez des patients non stabilisés quant à leur insuffisance cardiaque. Les perfusions de dérivés nitrés et de diurétiques avaient été interrompues pour l’examen. Celui-ci, toujours effectué par un cardiologue spécialisé en échocardiographie ne connaissant pas l’état clinique des malades, a permis de constater pour 16 patients une anomalie de la relaxation de type I d’Appleton, caractérisée par une petite onde E, une grande onde A, et un rapport E/A inférieur à 1. Il y avait un allongement du temps de relaxation isovolumique supérieur à 110 ms, et du temps de décélération de l’onde E (220 ms en moyenne). Le type III considéré comme un aspect restrictif typique, déjà décrit, fut enregistré chez 17 patients. L’aspect pseudo-normal (type II) était associé en général à des élévations des pressions de remplissage. Une manœuvre de Valsalva, l’analyse du flux veineux pulmonaire et de la vitesse de propagation du flux de remplissage ventriculaire, démasquèrent l’altération de la fonction diastolique avec une réduction du rapport S/D, et de la fraction systolique. Tous les enregistrements furent revus par deux cardiologues spécialistes de l’échocardiographie et les observations analysées par un clinicien avant d’être retenues pour cette étude (Tableau 2). Les patients dont le

Tableau 3.

remplissage avait un aspect restrictif avaient un âge moyen de 72 ans, une fraction d’éjection de 49,5 % fi 3,5 %, 4 d’entre eux décédèrent au cours de la première semaine et 8 autres au cours du suivi, lors de rechutes de l’insuffisance cardiaque.

Tous les patients hospitalisés avec un œdème pulmonaire furent traités par dérivés nitrés injectables du Furosémide par voie veineuse (interrompus lors de l’exploration par écho-doppler) et des inhibiteurs de l’enzyme de conversion. La fibrillation auriculaire fut réduite chaque fois qu’elle fut constatée. Le traitement de fond a été basé sur un régime désodé, la prescription intermittente de diurétiques de l’anse de Henlé, et la prescription à posologie progressivement croissante d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion (Enalapril, Captopril, Perindopril) ; 20 patients (37 %) furent traités par Carvedilol ou Bisoprolol, suivant une augmentation très progressive des doses selon les paliers fixés par l’AMM ; 24 patients subirent après stabilisation une angioplastie de 2 vaisseaux, artère interventriculaire antérieure et coronaire droite ou circonflexe, avec implantation d’endoprothèse chez 22 d’entre eux.

La mortalité hospitalière a atteint 6,20 %, (4 patients décédèrent au cours de la première semaine) et au cours du suivi, 14 autres patients décédèrent (18,7 %).

Trente-quatre patients (53 %) furent ré-hospitalisés pour récurrence d’insuffisance cardiaque, malgré le traitement, et 16 d’entre eux plusieurs fois au cours du suivi. La mortalité a relevé de causes cardiovasculaires, accident cérébral, accident coronarien ou insuffisance cardiaque pour 10 patients. À l’analyse univariée, le flux transmitral de type restrictif était bien corrélé au décès (p = 0,001), il en est de même pour les antécédents d’infarctus du myocarde (p = 0,005) et une créatinine supé- rieure à 180 Mm/l (p = 0,008) (Tableau 4).

DISCUSSION

Au fil des ans, l’intérêt s’est accru pour les anomalies de la fonction diastolique et l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée est devenue une véritable entité physiopathologique.

Tableau 4.

Ce type d’insuffisance cardiaque peut se définir comme une altération de la compliance et de la relaxation ventriculaire avec augmentation de la résistance au remplissage et déplacement vers le haut de la portion diastolique de la courbe pression /volume.

Les travaux consacrés à ce syndrome ont déjà souligné sa fréquence dans le sexe féminin, particulièrement au cours de la cardiopathie hypertensive [7-8]. Dans notre étude ce pourcentage s’élève à 45,3 % mais nous avons exclu des observations où l’insuffisance cardiaque était associée à une fibrillation auriculaire irréductible ne permettant pas une analyse précise du flux transmitral et du remplissage. Ce pourcentage de 45 % de femmes dans une étude de l’insuffisance cardiaque dépasse le pourcentage trouvé dans les études épidémiologiques de l’insuffisance cardiaque congestive où la population féminine représente en général 30 à 35 % des cas. Le vieillissement, la fibrose et l’hypertrophie du myocarde, chez les hypertendus âgés et les patients atteints d’athérosclérose coronaire, altèrent le remplissage et la compliance du ventricule en augmentant la rigidité myocardique. Les cardiomyopathies restrictives par infiltration du myocarde, amylose, hémochromatose, fibrose endomyocardique sont le prototype des cardiomyopathies par altération du remplissage mais nous n’en avons pas rencontré dans notre étude. Apporter la preuve d’une insuffisance cardiaque diastolique est difficile, car l’usage en routine des mesures hémodynamiques qui sont les techniques de référence n’est pas fréquent, ces examens sanglants n’étant pas effectués en l’absence d’un syndrome coronarien aigu, compte tenu de l’âge des patients. Aucun signe clinique n’est vraiment spécifique, et c’est le contexte clinique d’atteinte ventriculaire gauche (hypertension ancienne, passé coronarien), la détection d’une hypertrophie myocardique en
l’absence de dilatation cardiaque majeure qui doit faire évoquer ce diagnostic. Les éléments qui éveillent l’attention sont la présence d’une gêne respiratoire majeure en l’absence de pneumopathie, les signes de poumon cardiaque sans cardiomégalie à l’examen radiologique. La détection d’un bruit de galop, la présence d’une hypertrophie ventriculaire gauche, d’un bloc de branche gauche et de séquelles d’infarctus du myocarde à l’électrocardiogramme sont des éléments d’orientation importants.

Les patients sont souvent hospitalisés lors d’une fibrillation auriculaire, la perte de la systole auriculaire altérant le remplissage, élevant les pressions veineuses pulmonaires favorisant une hypertension pulmonaire rétrograde. La réduction de l’arythmie améliore en quelques jours l’état clinique et hémodynamique. L’échographie doppler est bien la clé du diagnostic, et elle apporte des informations pronostiques aujourd’hui bien établies. Mais l’évaluation du flux transmitral et du remplissage implique une technique très rigoureuse, la prise en compte des conditions de charge, beaucoup de prudence et d’esprit critique dans l’interprétation des résultats. Toutefois l’analyse du flux veineux pulmonaire et la prise en compte de nouveaux indices tels la vitesse de propagation du flux de remplissage ventriculaire donnent une plus grande fiabilité à l’examen. De nouveaux appareils permettant en particulier l’évaluation de la vitesse de déplacement de l’anneau mitral au doppler tissulaire ou d’autres index en cours de validation seront probablement des éléments utiles et fiables pour le diagnostic et l’évaluation du pronostic. L’aspect restrictif du flux transmitral est connu comme un facteur de mauvais pronostic dans les cardiomyopathies dilatées, et les dysfonctions systoliques [6-7]. Dans notre groupe de patients ce type restrictif, surtout lorsqu’il persiste, possède une valeur péjorative.

La mortalité au cours de l’insuffisance cardiaque diastolique a suscité des controverses, les pourcentages annuels variant de manière surprenante de 1,3 à 22 % par an. La mortalité est 4 fois supérieure à celle d’adultes d’âge équivalent, et indemnes d’insuffisance cardiaque, mais elle est plus faible que celle des patients atteints de dysfonction systolique [8-9]. La mortalité au terme d’un suivi de 18, 5 mois dépasse 18 % dans notre série comme dans les études de Dauterman et de Dias (10 — 12), mais l’âge moyen de nos patients était plus élevé. Les séries décrites dans la littérature comportent des cohortes de patients hospitalisés, donc les plus gravement atteints, ce qui représente un biais de sélection. Il faut souligner que l’âge des patients inclus dans les diverses séries étudiées est très variable en fonction de l’orientation des services, soit vers la cardiologie soit vers la gériatrie. Pour Aronow, qui a étudié une population de patients de 80 ans, la mortalité à 1 et 4 ans est de 25 et 56 % [10]. Il est évident que les disparités d’une étude à l’autre, résultent de l’âge des populations incluses, du pourcentage de cardiopathies ischémiques et de la présence ou non d’arythmies ventriculaires. Le traitement de ce type d’insuffisance cardiaque demeure empirique. En l’absence d’une drogue électivement lusitrope, nous n’avons pas de traitement spécifique. Les objectifs du traitement seront donc la réduction des pressions de remplissage, le ralentissement de la fréquence cardiaque, et si possible la correction de l’ischémie et de l’hypertrophie myocardique. Chez les patients atteints d’athérosclérose coronaire, après stabilisation de leur état, la revas-
cularisation par angioplastie et mise en place d’endoprothèse réduit l’ischémie du myocarde, améliore l’état fonctionnel, mais ne paraît pas influencer, à moyen terme, l’évolution de l’insuffisance cardiaque. Il est probable que cette thérapeutique fut trop tardive mais notre effectif est trop réduit et le suivi trop court pour autoriser son évaluation. Le traitement de fond est aléatoire, empirique, car nous ne pouvons utiliser les résultats d’aucun essai contrôlé. Il est frappant de signaler, dans notre série de patients comme dans d’autres séries publiées, le pourcentage très élevé de ré-hospitalisations pour récidive de l’insuffisance cardiaque [9-10]. Cette constatation doit nous inciter à une meilleure prise en charge du patient après l’hospitalisation, à son éducation et celle de son entourage pour une meilleure observance thérapeutique, à un suivi plus rigoureux pour la détection précoce des récidives.

En conclusion, cette étude suggère que les patients atteints d’insuffisance cardiaque avec fonction ventriculaire gauche systolique préservée, considérés comme atteints d’une insuffisance cardiaque diastolique, sont des sujets de plus de 70 ans, de sexe féminin dans 40 % des cas, atteints d’hypertrophie et de fibrose du ventricule gauche altérant le remplissage. Une cardiopathie hypertensive, fréquemment associée à des lésions ischémiques et à des troubles de la conduction, est souvent en cause.

L’échocardiographie doppler est l’examen fondamental pour le diagnostic mais sa technique doit être rigoureuse et son interprétation conduite dans un esprit critique pour évaluer le type exact de l’altération du remplissage et évaluer le pronostic.

Celui-ci paraît défavorablement influencé par un aspect restrictif du flux transmitral, la présence d’antécédents d’infarctus du myocarde et de signes d’altération de la fonction rénale, témoins de la diffusion de l’atteinte vasculaire.

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DISCUSSION

M. Claude JAFFIOL

L’hyperthyroïdie est une cause classique d’insuffisance cardiaque. Les thyrotoxicoses sont précocement dépistées, traitées et cette étiologie est devenue rare. En revanche, certaines études ont souligné le retentissement cardiaque du traitement frénateur prolongé. Les anomalies échocardiographiques décrites ressemblent à celles que vous avez rapportées.

Quelle expérience avez-vous de cette cause ?

L’administration prolongée de thyroxine à doses importantes peut provoquer des anomalies de la relaxation ventriculaire et du remplissage, avec une réduction en clinique de l’aptitude à l’effort. Ces faits sont actuellement le sujet d’études mais peu de travaux ont été publiés, sauf ceux de Biondi et Shapiro ( J. Clin. Endocrino. Metab ., 1997, 82, 2592-96).

M. Alain LARCAN

J’ai observé en réanimation des œdèmes pulmonaires graves, qui ont des fractions d’éjection normales ou peu modifiées. Quelle est la prévalence de ce syndrome ? L’évolution se fait-elle dans un deuxième temps vers l’altération de la fonction systolique ? N’y a t-il pas des causes rares et de ce fait méconnues (amylose, hémochromatose) et des associations à un diabète ?

Enfin l’endofibrose myocardique ne serait-elle pas un modèle de ces altérations de la compliance et de la relaxation ?

La prévalence des œdèmes pulmonaires aigus sans altération de la fonction systolique s’élève avec l’âge. Rares en l’absence de cardiomyopathie hypertrophique ou restrictive avant la soixantaine, ces formes typiques d’atteinte de la fonction diastolique deviennent plus fréquentes chez le sujet âgé et très âgé. La prévalence de ce type d’insuffisance cardiaque atteint 60 % après 75 ans. On peut penser que 25-30 % des œdèmes pulmonaires surviennent chez le sujet à l’occasion d’un passage en arythmie ou d’un accès hypertensif. L’évolution des insuffisances cardiaques diastoliques se fait progressivement, au fil des mois et des ans, vers une altération de la fonction systolique, une dilatation cardiaque et une insuffisance cardiaque globale. Enfin toutes les cardiomyopathies restrictives, amyloses, hémochromatose, fibroses endomyocardiques, sont le type physiopathologique caricatural des insuffisances cardiaques diastoliques.

M. Louis DOUSTE-BLAZY

Vous avez noté une augmentation de la créatinine plasmatique, avez-vous observé des variations d’autres marqueurs enzymatiques, de la créatine kinase en particulier ?

L’élévation de la créatinine est le témoignage d’une néphroangiosclérose, ou d’une réduction néphronique latente qui se décompense brutalement lors de la poussée d’insuffisance cardiaque. Un assaut diurétique trop brutal peut aussi favoriser cette anomalie par hypovolémie. Les autres altérations biologiques constatées sont des élévations des CPK, de la C réactive Proteine, au cours des dysfonctions diastoliques favorisées par un syndrome coronarien. Le marqueur biologique à doser actuellement comme critère diagnostique et pronostique est le Brain Natruretic Factor , qui s’élève brutalement lors de l’insuffisance cardiaque aiguë.

M. Pierre GODEAU

En cas de fibrillation auriculaire survenant lors d’une pneumopathie infectieuse on peut observer une insuffisance cardiaque transitoire avec récupération complète. La distinction de ces cas avec une insuffisance cardiaque diastolique débutante ne m’a pas semblé facile malgré l’écho-Doppler avec évaluation du rapport E/A, du moins dans l’immédiat. Y-a-t’il un critère diagnostic et pronostic fiable ?

La fibrillation auriculaire avec la disparition du rôle majeur de la systole auriculaire dans le remplissage avec la tachycardie qui l’accompagne diminue le débit cardiaque, élève les pressions veineuses pulmonaires et entraîne une poussée d’insuffisance cardiaque touchant les deux fonctions systoliques et diastoliques étroitement interdépendantes.

L’insuffisance cardiaque est transitoire et disparaît avec des diurétiques en quelques jours. La fibrillation auriculaire ne permet pas une étude soigneuse de la fonction diastolique avec les paramètres actuels. Mais de nouveaux critères diagnostiques, issus de l’exploration par Doppler tissulaire, doivent permettre une détection plus précise des dysfonctions diastoliques que le simple rapport E/A. De même le dosage du Brain Natruretic peptide peut faciliter le dépistage des dysfonctions diastoliques.

M. Pierre MAURICE

Cette nouvelle forme d’insuffisance cardiaque ne comporte que peu ou pas de signes d’hypertension cave, à l’opposé du syndrome de Pick dont les manifestations sont rapidement l’hépatomégalie et les œdèmes périphériques.

L’altération du remplissage initialement ne concerne que les cavités gauches où prédominent l’hypertrophie et la fibrose myocardique. Le substrat anatomique commun des dysfonctions diastoliques sont les importantes hypertrophies du ventricule gauche avec fibrose, secondaires ou primitives, et sans dilatation cavitaire. Au cours de l’évolution, l’élévation des pressions veineuses pulmonaires entraîne une hypertension pulmonaire rétrograde et une dilatation des cavités droites et les œdèmes apparaissent.


* Clinique Pasteur, Université Paul Sabatier — Faculté de Médecine Toulouse-Rangueuil — 31403 Toulouse cedex 4. ** Service de cardiologie — CHU de Rangueil — Toulouse. Tiré-à-part : Professeur Jean-Paul Bounhoure, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 18 mars 2002, accepté le 8 avril 2002.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 6, 1003-1014, séance du 11 juin 2002