Communication scientifique
Séance du 8 février 2011

Les cardiopathies congénitales dans les pays pauvres et la prévention de leurs complications

MOTS-CLÉS : cardiopathies congénitales. procédures de chirurgie cardiaque.
Preventing complications of cardiac malformations in poor countries
KEY-WORDS : cardiac surgical procedures. heart catheterization. heart defects, congenital

Daniel Sidi

Résumé

Le tri naturel et le choix de l’efficacité limitent les malformations cardiaques dont il faut s’occuper dans les pays pauvres. La grande majorité des patients étudiés ici ont, soit un shunt gauche-droite par une communication artérielle, atriale et surtout ventriculaire, soit un shunt droite-gauche par obstacle pulmonaire associé à une communication interventriculaire (Tétralogie de Fallot) ou inter-auriculaire (Trilogie de Fallot), soit enfin un obstacle pulmonaire ou aortique. L’exposé insiste sur la nécessité d’une détection précoce des cardiopathies qui ne peut être efficace que par une nouvelle politique de santé publique, organisée autour d’infirmiers ou de techniciens de santé, formés à l’utilisation des appareils récents peu coûteux d’Echographie Doppler couleur portables. Elle précise les modalités simples de surveillance et de traitement médicaux de ces cardiopathies communes et « rentables » et insiste sur la nécessité de pouvoir disposer d’une structure (nationale ou régionale) pour offrir une possibilité de chirurgie (cœur fermé et si possible cœur ouvert) et de KT pour traiter sur place à temps et éviter les détériorations et les transferts par les ONG dans les pays industrialisés.Lefermeturechirurgicaleàcœurouvertd’uneCIVchezlenourrissonétantlebut à atteindre et le test d’efficacité de nos actions de formation de ces équipes locales.

Summary

Natural selection and therapeutic efficiency limit the type of cardiac malformations that/can be treated in poor countries. Most of the patients studied here are those with left-to-right shunts (arterial, atrial and, especially, ventricular), right-to-left shunts associated with a ventricular septal defect (tetralogy of Fallot) or an atrial septal defect (trilogy of Fallot), and stenosis of the pulmonary or aortic valves. Early diagnosis is crucial, but this will require a new health policy involving specially trained nurses or technicians equipped with cheap portable echo-Doppler machines to examine babies’ hearts. We then analyze the follow-up and medical treatment of these common cardiac disorders and the need for ‘‘ national ’’ centers for open- and closed—heart surgery and catheterization. We feel we have achieved our training goal when a center is able to close a VSD in a 6-month—old baby with a low rate of morbidity and mortality.

Pour cet exposé, j’ai décidé de me concentrer sur des aspects particuliers des cardiopathies congénitales dans les pays en voie de développement (en particulier l’Afrique) et non de faire un exposé exhaustif des complications des différentes cardiopathies congénitales et de leur prévention.

À ce titre, je voudrais dans un premier temps souligner quelques caractéristiques tenant à l’épidémiologie, à la démographie et aux possibilités de diagnostic et de traitement des pays en voie de développement, qui vont bien sûr influencer la prévention des complications de ces maladies : nous verrons d’ailleurs que tout n’est pas négatif dans ces particularités.

— Il y a beaucoup de malformations qui ne survivent pas à la période néonatale dans les pays pauvres, faute de diagnostic car l’organisation périnatale de la médecine ne permet pas dans ces structures de faire des diagnostics précis y compris d’organes.

Il s’agit surtout des cardiopathies ducto-dépendantes qui ne sont pas observées dans les centres car elles décèdent très vite après la naissance le plus souvent sans diagnostic y compris rétrospectif. Ce sont les atrésies pulmonaires ou les atrésies aortiques et également les interruptions de la crosse aortique et à un moindre niveau, les syndromes de coarctation et les transpositions des gros vaisseaux.

Nous ne nous attarderons donc pas sur ces malformations si ce n’est pour pointer que la prévention de la mort de ces patients passerait par le diagnostic précoce prénatal ou postnatal immédiat qui serait le témoin d’une médecine très avancée. A l’inverse, en dehors des coarctations et des transpositions des gros vaisseaux, il faut bien reconnaitre que le décès néonatal n’est pas toujours la pire solution pour des cardiopathies qui ne peuvent être traitées que par des palliatives ou qui s’associent à d’autres anomalies extracardiaques (en particulier le syndrome de di George ou micro délétion du chromosome 22 très fréquent dans les interruptions de crosse aortique et atrésie pulmonaires) et qui aboutissent dans la plus part des cas, à des drames familiaux.

— Il y a les malformations cardiaques qui survivent mais qu’il n’est pas légitime de prendre en charge dans les pays pauvres car le pronostic à moyen et long terme est très défavorable et seules des palliatives sont possibles et ne font souvent que prolonger une vie de qualité très médiocre. Je pense en particulier aux atrésies pulmonaires avec communication inter ventriculaire qui n’ont pas de belles branches pulmonaires (APSO type III) et qui survivent à la période néonatale en général grâce à une circulation collatérale aortique. Je pense aussi à toutes les formes de ventricule unique (et elles sont nombreuses) qui n’ont pas d’atrésie aortique ou pulmonaire et qui survivent parfois longtemps avec le double risque de l’artériolite pulmonaire s’il n’y a pas de protection pulmonaire ou de forte hypoxémie et hypoxie lorsque la sténose pulmonaire est ou devient sévère. Il faut également inclure les cardiopathies que l’on ne peut pas réparer sans remplacement valvulaire ou tube chez le jeune enfant dans la mesure où les ré interventions obligatoires ne peuvent en général être assurées, et de ce fait le pronostic à moyen terme reste très défavorable et souvent moins bon que l’évolution naturelle (tronc artériel commun).

— Il y a enfin les malformations « bénignes » que l’on opère en Occident pour éviter les complications de l’âge adulte voir du troisième âge (CIA, CAV partiel sans fuite mitrale significative, ou CIV sans HTAP mais à débit non négligeable) ou pour éviter, par principe de précaution, des complications exceptionnelles (endocardite du petit canal artériel). Ces indications doivent être revues à la baisse dans les pays où l’espérance de vie est relativement faible (< à 40 ans dans de nombreux pays africains). Il faut bien sûr être pragmatique et faire une médecine individuelle, mais à quoi bon prévenir des complications qui surviendront après la mort (fermeture d’une CIA chez un africain HIV +).

Que reste t-il en pratique de « rentable » dans les cardiopathies congénitales des pays pauvres ?

La réponse est simple : ce sont les cardiopathies que l’on peut guérir et qui ont une mauvaise évolution naturelle en terme de mortalité et surtout de morbidité.

Et il y en a trois principales :

— Les shunts Gauche-Droite avec HTAP et en particulier la large CIV sans protection pulmonaire.

— Les shunts Droite Gauche avec possibilité de tunneliser le VG vers l’Aorte et d’assurer une voie pulmonaire libre sans tube (au prix éventuel d’une dévalvulation pulmonaire) telle que la Tétralogie de Fallot ou les transposition ou malposition des gros vaisseaux avec CIV cono-ventriculaire et sténose pulmonaire.

— Les obstacles valvulaires aortiques ou pulmonaires qui imposent des pressions très élevées dans la circulation d’amont.

Ce sont ces trois types de malformations que nous allons étudier ici aujourd’hui.

Les shunts Gauche Droite et en particulier les larges CIV (auxquels on peut associer les larges shunts artériels avec HTAP, comme les très rares larges canaux artériels ou la fenêtre aorto- pulmonaire. Ces shunts sont souvent bien tolérés les premières semaines de vie mais dès le deuxième mois apparaissent des symptômes respiratoires et une difficulté à l’alimentation (y compris au sein par difficulté à téter) entraînant une cassure de la courbe de poids et une dénutrition aggravée par une anémie qui aggrave le shunt ventriculaire (baisse de la viscosité du sang et diminution du transport en O2).

Il faut à tout prix éviter trois complications. La dénutrition en s’assurant d’une bonne prise des biberons et éventuellement un gavage (pré-opératoire).

Les troubles de ventilation pulmonaires favorisés par la compression bronchique par les grosses

AP hypertendues en évitant les surinfections et en assurant une kinésithérapie et surtout en indiquant vite une chirurgie en cas d’atélectasie persistante ou d’emphysème. Enfin l’ anémie en supplémentant en fer ces patients ou en assurant une transfusion de culot globulaire (en même temps que le gavage, le temps de les retaper avant la chirurgie).

Cette chirurgie qui est le seul traitement peut être un Cerclage de l’AP si l’enfant est trop petit ou trop mal ou mieux une fermeture de CIV. La fermeture de CIV du nourrisson de trois mois et de 4 kg est pour moi l’objectif d’un centre de chirurgie pédiatrique dans un pays pauvre. Elle nécessite la formation de toute une équipe (aidée par des missions au début) à la CEC et aux SPO des nourrissons. Elle n’a pas besoin de drogues sophistiquées ou coûteuses et peut être réalisée sans NO.

Les shunts Droite-Gauche , comme la Tétralogie de Fallot, exposent à des complications éventuellement irréversibles (complications neurologiques dans les tétralogies de Fallot) ou condition très défavorable pour la chirurgie (polyglobulie extrême, altération de la fonction myocardique et une circulation collatérale intense dans les tétralogies de Fallot vieillies). La supplémentation du régime avec du Fer , qui évite les polyglobulies hypochromes , est essentielle ainsi que le traitement rapide et efficace (ou mieux la prévention) des malaises qui peuvent laisser des séquelles voir tuer ces enfants. Là aussi la seule solution est la chirurgie.

Lorsque l’enfant est trop petit ou trop fragile, ou les branches pulmonaires trop petites, on peut améliorer la situation par les bêtabloquants et éventuellement un stent infundibulaire . Lorsque les branches sont belles on peut recourir à une anastomose sytémico-pulmonaire de type Blalock (BT) avec un tube de Goretex, pour atteindre le poids et la taille de cœur pour la cure complète (6 à 8 Kg). C’est le deuxième objectif de la chirurgie cardiaque.

Lorsque l’enfant est vu plus tard très polyglobulique avec une grosse circulation collatérale et souvent deux ventricules hypertrophiques parfois fibreux avec souvent petit VG mal rempli, un BT-shunt ou mieux un stent dans l’infundibulum peut permettre de passer un cap et de faire une cure complète à cœur ouvert quelques semaines ou mois plus tard dans de bonnes conditions.

Les sténoses valvulaires pulmonaires peuvent bénéficier d’une dilatation au ballon et les sténoses aortiques d’une dilatation ou d’une chirurgie en fonction de l’anatomie et de l’hypertrophie du VG (qui complique la CEC).

 

Ainsi les deux clés de la prise en charge sont le diagnostic précoce et précis et la possibilité de KT et de chirurgie du centre.

La prévention des complications passe bien sûr par une détection la plus précoce possible des cardiopathies congénitales, ce qui suppose la mise en place d’un programme de détection de ces malformations qui passe par l’éducation des médecins ou des techniciens de santé et la généralisation de l’échocardiographie de « débrouillage ». Il n’est pas nécessaire de rentrer dans le détail cardiologique et on demande seulement que les médecins ou les infirmiers des zones rurales suspectant la cardiopathie, réfèrent le patient à un centre régional où l’on pourra faire un diagnostic plus précis, même s’il reste incomplet, avant d’arriver au centre de référence national (ces pays n’ont en général qu’un centre de référence national, lorsqu’ils ont en un) où l’expertise pré-opératoire sera réalisée par un cardiopédiatre local formé ou en attendant par un expatrié au cours d’une mission.

Une cyanose sans détresse respiratoire est une maladie cardiaque.

Un essoufflement à la prise des biberons associé à un souffle et à une anomalie des pouls est aussi toujours le témoin d’une malformation cardiaque.

La découverte radiologique d’une cardiomégalie ou d’une silhouette cardiaque très anormale (cœur en sabot, aorte à droite, vaisseaux pulmonaires absents ou dilatés dans le hile) doit aussi inciter à pratiquer une échographie de débrouillage.

Cette échographie de débrouillage doit être faite dans le même esprit que l’on demande aux obstétriciens dans le diagnostic prénatal : coupe des quatre cavités qui montre l’harmonie ou la dysharmonie du cœur entre les deux oreillettes, les deux valves auriculo-ventriculaires et les ventricules cloisonnés ou avec un large trou ;

aorte et artères pulmonaires de taille comparable qui se croisent, au Doppler couleur du rouge et du bleu mais pas de vert ou de jaune.

Une fois suspecté, l’enfant est transféré dans un centre régional ou dans le centre national en fonction des possibilités locales.

En attendant des grands principes tout simples (au moins en théorie).

— Utiliser du fer (la principale drogue du cardiopédiatre) qui évite l’anémie qui aggrave considérablement les shunts gauche droite et la polyglobulie hypochrome des cardiopathies cyanogènes et en particulier des Tétralogies de Fallot.

— Ne pas laisser un enfant se dénutrir de façon excessive par surveillance de la courbe de poids et une fois le diagnostic fait, une stratégie diététique qui peut inclure le gavage.

— Lutter contre les infections pulmonaires en évitant la promiscuité et le traitement antibiotique des complications pulmonaires dues à des troubles de ventilation par compression des bronches par les artères pulmonaires dilatées.

— Faire la prophylaxie de l’endocardite bactérienne par l’hygiène bucco dentaire et le traitement des infections cutanées tellement fréquentes dans ces pays.

 

En dehors de ces mesures médicales simples, quelques gestes spécifiques comme le respect voire l’utilisation du « squatting » pour prévenir ou traiter un malaise de tétralogie de Fallot ou la transfusion de sang pour améliorer une CIV très anémique.

Enfin, l’utilisation lorsque c’est possible, du cathétérisme cardiaque ou de la chirurgie cardiaque à cœur fermé ou à cœur ouvert.

Grâce à l’échographie, le cathétérisme cardiaque n’est plus utile pour faire un diagnostic précis même dans une indication opératoire sauf quelques cas exceptionnels et encore. En pratique, le cathétérisme est intéressant pour quelques détails anatomiques ou hémodynamiques tels que par exemple la circulation collatérale dans les atrésies pulmonaires (si on en est là, le malade ne doit pas être opéré), une circulation coronaire anormale dans une tétralogie de Fallot avec un petit anneau (en général visible à l’échographie et certainement au moment de la chirurgie avec possibilité de remplacer la cure complète par un Blalock) ou encore le calcul des résistances pulmonaires en cas de CIV à shunt très modéré et dans ce cas, il vaut mieux s’abstenir d’opérer.

Le cathétérisme interventionnel peut être utile mais essentiellement pour dilater une valve pulmonaire sténosée. Il peut y avoir quelques cas comme le stenting d’un infundibulum dans une tétralogie de Fallot, la fermeture percutanée d’un canal artériel ou la dilatation percutanée d’une sténose aortique valvulaire. Ce sont des situations rares et l’alternative chirurgicale est en général possible.

La chirurgie à cœur fermé doit être considérée en particulier le Blalock dans une tétralogie de Fallot ou le cerclage de l’artère pulmonaire dans une CIV lorsque dans ces deux cas les enfants sont trop petits pour une circulation extra corporelle.

En pratique, le but à atteindre dans un centre de chirurgie cardiaque installé dans un pays en voie de développement doit se concentrer sur ces deux maladies pour permettrent de les opérer tôt.

C’est l’objectif que l’on doit se donner lorsque l’on forme une équipe et que l’on créé ou aide un centre de chirurgie cardiaque dans ces pays, le reste n’est que littérature.

LEXIQUE

KT : cathétérisme cardiaque.

CIA : communication inter auriculaire CIV : communication inter ventriculaire CAV : canal atrio ventriculaire HTAP : hypertension artérielle pulmonaire CEC : circulation extra corporelle SPO : suites post opératoires NO : monoxyte d’azote VG : ventricule gauche

<p>* Centre de référence des malformations cardiaques congénitales complexes — M3C, Hôpital Necker-Enfants malades — 149, rue de Sèvres 75743 Paris cedex 15, e-mail : daniel.sidi@nck.aphp.fr Tirés à part : Professeur Daniel Sidi, même adresse Article reçu le 13 janvier 2011, accepté le 7 février 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 2, 309-314, séance du 8 février 2011