CHRONIQUE HISTORIQUE
Le strasbourgeois Charles Adolphe Wurtz (1817-1884) Doyen de la Faculté de Médecine de Paris, Président de l’Académie des Sciences et Président de l’Académie de Médecine
Louis-François HOLLENDER * et Jean ROETHINGER Parmi les alsaciens qui ont acquis notoriété à Paris, Charles Adolphe Wurtz sort tout particulièrement du lot, puisqu’il fut à la fois Doyen de la Faculté de Médecine de Paris, Président de l’Académie des Sciences, Président de l’Académie de Médecine et Sénateur à vie de la IIIe République.
Né à Strasbourg le 26 novembre 1817, comme fils du Pasteur de l’Église Luthérienne Saint-Pierre-le-Jeune, Wurtz accomplit ses études secondaires au Gymnase Jean Sturm avant de s’inscrire au Séminaire protestant pour suivre la tradition familiale.
Mais la vocation de Charles Adolphe Wurtz qui n’a pas la fibre ecclésiastique, l’appelle à devenir chimiste. Devant les réticences de son père quant au choix d’une « voie qui ne mène à rien », il obtempère et s’inscrit en 1834 en médecine, « une discipline qui au moins nourrit son homme ». Devenu chef de travaux chimiques à la Faculté de Médecine de Strasbourg, Wurtz soutient parallèlement une thèse de licence en sciences avec comme sujet « Sur l’histoire de la bile à l’état sain et à l’état pathologique ». En 1843, il est reçu docteur en médecine, sa thèse s’intitulant « Recherches sur l’albumine et sur la fibrine ». Puis, il se rend à Giessen en Allemagne dans le laboratoire de Justus Liebig, élève de Gay-Lussac. L’année d’après, muni d’une lettre de recommandation de Liebig, Wurtz vient à Paris où J.B. Dumas Professeur de chimie organique et de pharmacie à la Faculté de Médecine, lui confie les fonctions de préparateur en chimie organique et, en 1845, celles d’assistant.
Deux ans plus tard, Wurtz passe l’agrégation de sciences accessoires à la Faculté de Médecine de Paris, son mémoire ayant comme intitulé « De la production de la chaleur des êtres organisés ». En 1850, il crée, avec deux collègues et grâce à l’appui financier de Charles Dollfuss parent des Dollfuss-Mieg de Mulhouse, son propre laboratoire. Mais, assez rapidement, la maison de la rue Garancière où il se situait, est vendue à l’imprimerie Plon ce qui oblige Wurtz à abandonner le laboratoire. Son Maître J.B. Dumas, passé entre temps Ministre de l’agriculture, le fait alors nommer Professeur de chimie au nouvel institut agronomique de Versailles récemment fondé. Pas de chance, l’institut, par manque de crédit, sera supprimé deux ans plus tard. Mais Wurtz n’est pas homme à baisser les bras. De 1852 à 1853, il remplira les fonctions de professeur de pharmacie et de chimie organique en remplacement de J.B. Dumas de plus en plus accaparé par ses obligations ministé- rielles et politiques. Puis, en 1853, à la suite de la démission de Dumas et du décès de Mathieu Orfila, les chaires de pharmacie et de chimie ainsi que celle de chimie et de toxicologie sont fusionnées, ce qui permet à Wurtz d’occuper la chaire de chimie organique à la Faculté de Médecine, et de créer ainsi une grande école de chimie telle que l’avait réalisée Liebig à Giessen et ce dont il rêvait depuis longtemps.
En 1857, Wurtz fonde avec Antoine Balard, Louis Pasteur, Sainte-Claire Deville et Marcelin Berthelot, la Société Chimique de France dont il assumera à trois reprises la présidence. En 1866, le gouvernement impérial nomme Wurtz Doyen de la Faculté de Médecine, en remplacement d’Ambroise Tardieu, un poste qu’il conservera jusqu’en 1875.
Membre, puis Président du Comité Consultatif d’hygiène, inspecteur général des lycées et collèges de Paris et Versailles, Wurtz sera aussi en 1875 le premier titulaire de la chaire de chimie organique à la Sorbonne. Et, pour compléter ce tableau, il sera élu en juillet 1881, sur une liste du centre gauche par 145 voix sur 199 votants, 116ème « sénateur immortel » de la IIIe République. Décédé à Paris le 12 mai 1884, Wurtz est enterré au cimetière du Père Lachaise.
Après ce condensé biographique, entrons un peu plus en détail dans ce que fut la carrière de Wurtz.
Son décanat d’abord qui n’a de loin pas été de tout repos. Le 18 janvier 1866, Wurtz succède à Ambroise Tardieu, Professeur de médecine légale contraint à la démission après trois journées d’émeutes estudiantines motivées par des sanctions à leur encontre prises par le gouvernement impérial parce qu’ils avaient participé, malgré l’interdiction gouvernementale, aux Congrès de Liège et de Bruxelles. Cette contestation recommencera avec ampleur après le procès de Tours intenté au prince Bonaparte, cousin de Napoléon III, soupçonné d’avoir « révolvérisé » un journaliste lequel fut acquitté grâce à un rapport de complaisance du Doyen Tardieu.
Devant la gravité des manifestations, le Doyen Wurtz est contraint de fermer temporairement la Faculté de médecine le 2 avril 1866. A peine neuf mois après, nouvelles manifestations contre l’emprisonnement d’un dénommé Rochefort pour propos injurieux envers la famille impériale. Tous ces problèmes, et ils furent loin d’être mineurs, n’empêcheront pas Wurtz de fonder durant son décanat, un laboratoire de chimie principalement réservé aux élèves, de créer trois nouvelles chaires, de reconstruire l’école pratique de chimie, de réaménager les bâtiments vétustes de la Faculté, et j’en passe… Très aimé des étudiants, le Doyen Wurtz restera en fonction jusqu’au 4 décembre 1875, et sera remplacé par le physiologiste Alfred Vulpian.
Rappelons encore que durant son décanat, le Doyen Wurtz se prononcera en faveur de l’entrée des femmes en médecine, une décision qui avait déjà été prise dans d’autres Université européennes, en tout premier lieu à Zurich mais à laquelle le conseil de l’instruction publique et les étudiants étaient loin d’être favorables. Or, en 1867 une jeune étudiante américaine Mary Putnam avait demandé l’autorisation de passer son doctorat en médecine à la Faculté de Paris. L’ensemble des professeurs y était opposé, sauf le Doyen Wurtz qui, grâce à l’appui de l’Impératrice Eugénie, obtiendra gain de cause et sera même son président de jury. Puis, ce fut le cas d’une française, Madeleine Brès, veuve et mère de trois enfants qui, elle aussi, sera admise et même suivie par quatre autres étudiantes en médecine malgré une opposition manifeste des professeurs et des arguments à la limite de la décence. L’éminent Charcot n’allait-il pas jusqu’à dire à l’une d’entre elles : Si vous êtes indisposée Mademoiselle que ferez-vous, que deviendra le malade qui compte sur votre dévouement ? Mais Wurtz partisan plus que jamais de l’ouverture des études médicales aux femmes qu’il accueillait d’ailleurs volontiers dans son laboratoire de chimie, obtiendra, là encore, gain de cause.
Pendant le siège de Paris par l’armée prussienne, Wurtz ferme la Faculté de septembre à novembre 1870 et quand suivra la Commune, il continuera, avec l’appui de quelques professeurs, à présider examens et thèses. Après les élections du 28 mars 1871, les « communards » déclenchent la guerre civile. Républicain modéré, Wurtz encourage les étudiants à s’engager dans les bataillons bourgeois de la Garde Nationale quand, sur ordre du Ministre de l’instruction publique, il doit rejoindre Versailles. Ayant d’ailleurs été, entre temps, destitué par la Commune le 1er avril 1871, il ne reprendra son poste de Doyen que le 2 juin 1871, à la fin des émeutes.
Élu à l’Académie de Médecine à l’âge de 39 ans le 1er avril 1856, au fauteuil de François Magendie, Wurtz devenu président de l’Académie en 1871, aura à trancher l’épineuse question de la radiation des membres associés et correspondants allemands. Il rejettera cette exclusion qui épargnera son Maître Liebig et le célèbre Virchow dont les démêlés qu’il avait eus avec Bismarck, plaidèrent également en sa faveur.
Refusant de siéger à l’Académie à partir du 21 mars 1871 et tant que le drapeau rouge flottera sur l’Académie, Wurtz ne reprendra sa présidence que le 6 juin 1871.
Vous voudrez aussi me permettre de rappeler que Wurtz fut co-fondateur de l’École Alsacienne de Paris avec le chimiste Charles Friedel et une dizaine d’Alsaciens réfugiés à Paris après l’annexion de l’Alsace-Lorraine. Il voulut que cette institution soit l’expression de la fidélité de l’Alsace à la France et aussi un peu la transplantation à Paris du gymnase protestant de Strasbourg auquel il était resté fidèle dans son cœur.
Les travaux de Wurtz tous originaux, sont basés sur les principes d’une vraie démarche scientifique : réflexion et hypothèse, l’observation et l’expérience venant ensuite affirmer ou infirmer la théorie échafaudée. C’est ainsi qu’il découvre l’oxychlorure de phosphore utilisé pour les réactions de phosphorilation dans l’industrie pharmaceutique, qu’il réussit la synthèse de la triméthylamine, celle des hydrocarbures grâce à l’action du sodium sur les halogénures d’alkyle. Dans un mémoire sur les glycols présenté à l’Académie des Sciences le 3 janvier 1859, Wurtz définit tout un ensemble de composés intermédiaires entre les alcools proprement dits et la glycé- rine. Puis, il obtiendra grâce à un processus de déshydratation, l’oxyde d’éthylène qu’il combinera à la triméthylamine. Dans le domaine plus spécifiquement médical, il réalise des analyses du chyle et de la lymphe, ainsi que des études sur la transformation des corps gras, lors de leur passage à travers les villosités intestinales.
Je n’insisterai pas sur les très nombreux honneurs dont Charles Adolphe Wurtz — Grand Officier de la Légion d’Honneur — fut comblé et qui vont de la Société Royale de Londres aux Académies royales de Belgique, d’Uppsala, de SaintPetersbourg, d’Edimbourg, des Lincei, de Rome, de Bologne, de Berlin, de Zurich, ni sur les multiples Sociétés scientifiques qui l’élirent membre.
Et, je ne puis résister au rappel que Wurtz est le seul alsacien figurant parmi les 72 célébrités ayant honoré la France et dont le nom est gravé sur un emplacement spécial, au niveau de la périphérie du premier étage, de la balustrade de la Tour Eiffel.
En guise de conclusion, un dernier mot sur le monument en bronze que les enfants de Wurtz décidèrent de lui consacrer à Strasbourg en 1919 après le retour de l’Alsace-Lorraine à la France et qui porte à son socle, « la chimie est une science française », ce qui suscita, on s’en doute, de vives polémiques de la part des chimistes allemands. Mais c’est surtout l’orthographe du patronyme de Wurtz qui illustre la tragi-comédie de l’Alsace. Le nom original de Wurtz s’orthographie sans trémas sur le « u ». Or, en 1940, les nazis ont germanisé le nom en gravant les trémas sur le « u ».. Puis, en 1945, les trémas furent à nouveau supprimés, malheureusement en abîmant le grès … !
Article in extenso :
Annuaire de la Société des Amis du Vieux Strasbourg XXXIV 209 p. 111-123