Rapport
Séance du 8 janvier 2002

La santé en France

MOTS-CLÉS : espérance vie. mortalité. obésité. pollution environnement. qualité soins.. tabagisme
KEY-WORDS : alcoholism. environmental pollution. life expectancy. mortality. obesity. quality of health care.. smoking

M. Tubiana

Résumé

L’espérance de vie en France métropolitaine a augmenté pendant le e XX siècle à un rythme d’environ 4 mois par an, l’espérance de vie sans handicap majeur a connu un accroissement parallèle. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, la période non autonome de la vie en fin d’existence (environ 3 ans en moyenne) n’a pas augmenté. La santé est dans l’ensemble satisfaisante mais la situation est très contrastée. — L’état de santé des femmes est l’un des meilleurs au monde et leur espérance de vie est la plus longue, à égalité avec celle des Japonaises. De même, les Français des deux sexes de plus de 60 ans ont une mortalité plus faible que dans la plupart des autres pays et une espérance de vie exceptionnellement longue. Ces faits soulignent la bonne qualité de l’environnement et de l’alimentation ainsi que les bonnes performances du système de santé (le meilleur au monde selon l’OMS). Depuis 1975, la mortalité évitable grâce au système de soins a été diminuée de moitié et les disparités régionales se sont atténuées. On ne détecte, aujourd’hui, aucune influence de la taille de l’agglomération sur la mortalité et * Ce rapport a été demandé par le représentant du ministre de l’Éducation nationale au Comité de l’Environnement de l’Académie des Sciences le 11 Juin 2001. Il est destiné à l’information des enseignants et des élèves des IUFM. ** Le groupe de travail a été coprésidé par les professeurs Maurice Tubiana et Jean-Didier Vincent. Le comité de rédaction a été composé par M. Tubiana, H. Sancho-Garnier, J.F. Bach, C. Molina, G. Nicolas, A.J. Valleron. Le groupe tient à exprimer sa reconnaissance aux membres de l’Académie des Sciences, de l’Académie nationale de médecine, du Comité de l’Environnement de l’Académie des Sciences qui ont bien voulu, par leurs critiques, remarques et suggestions contribuer à l’élaboration de ce document. Il tient à rappeler tout ce que celui-ci doit aux rapports du Haut Comité de Santé Publique. la fréquence des cancers ou des maladies respiratoires de ses habitants, ce qui est rassurant quant aux effets de la pollution. — L’espérance de vie des hommes est de 7,5 ans inférieure à celle des femmes. Cet écart est l’un des plus grands au monde. L’analyse des causes de décès montre qu’il est lié : • chez les hommes jeunes à une fréquence 3,5 fois plus grande des accidents et des suicides que chez les femmes du même âge ; la comparaison avec les autres pays de l’Union Européenne confirme cette fréquence excessive des comportements à risques et des accidents en France ; • aux âges moyens de la vie à une fréquence particulièrement élevée chez les hommes des maladies causées par le tabac et l’alcool, ce qui est également confirmé par la comparaison avec les autres pays de l’UE. La mortalité prématurée (avant 65 ans) des hommes en France est dans plus de 60 % des cas provoquée par les comportements. Elle est fortement influencée par le niveau socio-économique. Tabac et alcool sont à l’origine de 43 % des décès par cancer chez l’homme contre 5 % chez la femme. Malheureusement, chez celles-ci, en raison de l’accroissement du tabagisme féminin depuis 1970, on constate une augmentation des cancers respiratoires, et des autres maladies liées au tabac. On peut donc craindre une réduction du rythme d’allongement de l’espérance de vie, voire son arrêt. Le surpoids et l’obésité, dont la fréquence croît en France dans les deux sexes, sont dus aux déséquilibres alimentaires et à l’insuffisance d’exercice physique. Ils sont associés à de nombreuses maladies (certains cancers, maladies cardio-vasculaires, diabète). — Les comparaisons entre les taux de mortalité aux différents âges de la vie des Français et ceux des pays de niveau comparable montrent que les progrès les plus considérables nécessitent un changement des comportements. Or la mortalité liée à ceux-ci a légèrement augmenté depuis 1975 malgré les efforts effectués et s’est encore aggravée au cours de ces dernières années tandis que s’accroissait le poids des accidents, et des prises volontaires de risque. Dès l’enfance, on observe chez les Français un surcroît de décès dus aux accidents (imprudence des parents puis des enfants eux-mêmes). Au cours de l’adolescence, les comportements à risques s’accentuent (les imprudences sur les routes et dans les activités sportives, les relations sexuelles non protégées, l’usage des drogues licites et illicites). Ces attitudes ainsi que les taux relativement élevés de suicides chez les jeunes, traduisent un malaise, qu’exprime aussi la violence contre les autres ou contre soi. Ainsi, il faut non seulement lutter contre chacun de ces comportements mais aussi contre leurs racines (le désarroi, la mésestime de soi). Ils sont plus fréquents chez les personnes les moins instruites et socialement les plus défavorisées ce qui illustre le lien entre santé physique, mentale et sociale. — L’éducation (parentale et scolaire) et l’instruction devraient renforcer la confiance des jeunes en eux et les aider à résister aux comportements nocifs. L’éducation à la santé entre 5 et 12 ans devrait donc avoir un rôle bénéfique sur la santé et réduire les inégalités sociales . Les messages sont relativement simples et clairs, mais ils vont souvent à l’encontre des tendances naturelles et des idées reçues, aussi leur transmission pose des problèmes difficiles. — En regard des avancées sanitaires, des progrès importants sont attendus d’un changement des comportements individuels et d’une promotion de la santé, notamment à travers la lutte contre l’alcoolisme, le tabagisme, l’obésité, les accidents. Ceux que l’on peut espérer des mesures contre les facteurs de risques auxquels on est involontairement exposé sont relativement modestes car presque tout ce qui pouvait être fait en ce domaine l’a été ou est en train de l’être. En France aucun effet de la pollution chimique de l’eau et des aliments sur la santé humaine n’a été détecté par l’observation clinique et les méthodes statistiques, vraisemblablement en raison des efforts qui ont été faits pour la sécurité alimentaire, la surveillance de l’eau et des aliments, etc. Les incidences sur la santé de la pollution atmosphérique sont vraisemblablement limitées mais difficiles à quantifier ; les efforts de recherche ainsi que de réduction des rejets polluants doivent être poursuivis. — Les progrès de la qualité et de la sécurité des soins, de l’efficacité des traitements et ceux de l’organisation de la santé publique en France s’appuient désormais sur une approche scientifique rigoureuse d’évaluation qui ne laisse pas place aux préjugés des médecins ou de la population. Les principes de cette évaluation scientifique qui, en particulier, guident les règles de prévention doivent désormais faire partie du savoir de chacun.

INTRODUCTION

La santé n’est pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité ; c’est un état de bien-être physique, mental et social 1.

La santé physique d’une population s’évalue grâce à différents indicateurs :

espérance de vie, espérance de vie sans handicap majeur, années potentielles de vie perdues, taux de mortalité à tous les âges de la vie, incidence et gravité des différentes maladies, séquelles.

La santé mentale est l’absence de maladies affectant le psychisme, y compris la dépression. Mais celles-ci ne constituent que la partie la plus visible des 1. Définition donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

troubles mentaux ; c’est aussi l’équilibre intellectuel, la résilience, c’est-à-dire la capacité de faire face à des stress psychologiques quelle que soit leur origine :

sentimentale, familiale ou sociale, ainsi que le désir et le plaisir de vivre. Elle est beaucoup plus difficile à mesurer que la santé physique, on peut néanmoins utiliser quelques indicateurs : taux de suicide, d’accidents, consommation de médicaments psychotropes ou de somnifères et surtout de drogues. Il faut aussi étudier la santé telle qu’elle est perçue par les sujets eux-mêmes.

La santé sociale correspond aux facteurs collectifs qui pèsent sur la santé physique ou mentale et l’aptitude à vivre en société (respect des autres, refus de la violence). Elle peut s’apprécier en comparant les indicateurs dans différents segments de la population en fonction de la profession, du niveau d’éducation, du lieu d’habitation et du nombre d’habitants, du revenu…

Ces trois aspects de la santé retentissent les uns sur les autres. Ainsi, la santé sociale influe sur la santé mentale : par exemple l’inquiétude provoquée par la violence ou l’insécurité, les frustrations déterminées par l’ostracisme, l’absence de perspective de carrière, le chômage ou les échecs scolaires perturbent l’équilibre psychique et favorisent les imprudences ainsi que la fuite vers l’alcoolisme , le tabac et les drogues illicites qui altèrent la santé physique et perturbent la santé sociale de toute la cellule familiale.

De la naissance, et vraisemblablement de la conception, à l’âge adulte, la croissance est un phénomène continu, même si sa phase initiale est celle qui a le plus d’influence sur la santé et la personnalité. C’est au cours de l’enfance que se développent les mécanismes de défense physique et psychique, c’est au cours de l’enfance que se mettent en place les comportements sociaux (respect des règles, légales ou non), permettant une vie en commun. Les agressions physiques et mentales sont inévitables et l’un des buts de l’éducation doit être de fortifier la capacité de leur faire face (la résilience). De façon générale, les stimulations venues de l’extérieur sont indispensables à la mise en place des mécanismes de défense. Cependant, les agressions violentes, ou trop souvent répétées, usent ou perturbent ces défenses.

Au cours des dernières décennies, la médecine est devenue plus efficace grâce au progrès des connaissances et des techniques, les évaluations des effets des traitements sont plus rigoureuses 2, l’épidémiologie a identifié les 2. Cette révolution est celle de la « médecine factuelle » (médecine dont les décisions se fondent sur ce qui est prouvé scientifiquement). Désormais l’intérêt des traitements et des politiques de santé publique est évalué non pas en fonction d’ a priori, ou d’habitudes ou d’opinions largement répandues dans la population ou parmi les experts médicaux, mais à partir d’une démarche scientifique rigoureuse, dont l’exemple le plus important est celui de l’essai thérapeutique avec groupe témoin (essai contrôlé). Désormais, lorsqu’on déclare qu’un médicament est efficace, ou qu’il est plus efficace qu’un autre, c’est parce qu’une expérience rigoureuse a été menée sur des groupes de malades comparables constitués d’individus volontaires dans le cadre de protocoles de recherche validés par des comités d’éthique. Cette démarche a démontré et chiffré l’efficacité de nombreux traitements. Tous les progrès du
facteurs de risque et les causes de maladies. Le système de santé publique français, à l’image de celui des grands pays industrialisés, a été fortement amélioré grâce à l’utilisation systématique d’une démarche scientifique rigoureuse en médecine et à la création de nouvelles agences, dont l’objet est d’améliorer la sécurité et la santé publique. La mise en place d’observatoires de santé, de registres des cancers, de réseaux de surveillance sanitaire, permet de suivre l’état de la santé dans les différentes régions françaises 2. Après de brefs rappels, nous examinerons les données et les conclusions que l’on peut en tirer sur la façon d’améliorer la santé en France.

Rappel biologique

Un être vivant est en perpétuelle évolution, les molécules nécessaires à la vie sont synthétisées et détruites, la composition du milieu intérieur dans lequel baignent les cellules est contrôlée par des mécanismes puissants qui rétablissent l’équilibre quand celui-ci est perturbé par une agression externe ou interne 4. La constance de la morphologie d’un tissu résulte d’un équilibre, traitement du cancer ou des affections cardio-vasculaires (les affections les plus lourdes en termes de mortalité), plus récemment les progrès spectaculaires concernant le sida ont été accomplis grâce à cette démarche que chaque citoyen doit connaître. Cette démarche permet également d’étudier les politiques de prévention : par exemple, lorsqu’on dit qu’il faut vacciner contre la grippe les personnes âgées de plus de 65 ans où que la prise d’aspirine peut prévenir l’infarctus du myocarde, ou lorsqu’on dit que le dépistage systématique et précoce du cancer du sein est utile, c’est après de tels essais contrôlés que ces affirmations sont faites. Cette démarche de « preuve scientifique » devrait convaincre les citoyens d’effectuer les mesures de prévention dont l’utilité a été démontrée. Hélas, on sait qu’il y a encore beaucoup de femmes qui ne se soumettent pas au dépistage systématique du cancer du sein et beaucoup de personnes âgées qui ne seront pas vaccinées contre la grippe. On sait aussi que ces attitudes nuisibles à leur santé sont plus fréquentes chez les personnes à niveau social et éducatif défavorisé que chez les autres. C’est dire, à cet égard, l’importance de l’éducation à la santé, et plus fondamentalement de l’éducation.

3. Les nouvelles agences qui ont été créées récemment avec beaucoup plus de moyens et, en leur sein, des personnels scientifiques bien formés sont notamment destinées à faire la part entre les « vrais risques » et les risques imaginaires et à proposer des actions pour diminuer les conséquences des vrais risques. Ainsi l’Institut de Veille Sanitaire a surtout pour mission de pratiquer une surveillance épidémiologique efficace dans le domaine des maladies infectieuses, de l’environnement, des risques liés au travail etc. ; l’AFSSA a en particulier en charge la vigilance dans le domaine des aliments (c’est par exemple elle qui s’occupe du dossier de la « vache folle ») ; l’Institut de la transfusion sanguine s’occupe de la sécurité des produits sanguins … D’autres agences ont été créées pour améliorer la qualité des soins, que ce soit à l’hôpital ou en ville, créer des procédures permettant de séparer les structures de soins efficaces de celles qui ne le sont pas, en se fondant sur les principes de la preuve scientifique en médecine : c’est en particulier le rôle de l’ANAES (Agence Nationale pour l’Accréditation et l’Évaluation en Santé).

4. Claude Bernard en 1857 écrit : « Le milieu intérieur, chez l’individu, enveloppe les organes, les tissus et les éléments des tissus et ce milieu intérieur ne change pas. Les variations atmosphériques s’arrêtent à lui. De sorte qu’il est vrai de dire que les conditions physiques du milieu sont constantes pour l’animal supérieur. Il est enveloppé dans un milieu invariable qui lui
régulé avec une extraordinaire précision, entre le nombre des cellules qui meurent et qui naissent ; selon les besoins, la prolifération cellulaire est accélérée (par exemple pour cicatriser une plaie), ralentie ou arrêtée.

La vie, depuis ses origines, est caractérisée par une très grande capacité d’adaptation et de résistance aux agressions grâce à la combinaison entre les modifications constantes du génome et la rigueur des mécanismes de sélection au cours de l’évolution. Depuis 4 milliards d’années, des mécanismes de défense d’une très grande efficacité ont été développés contre les agressions physiques, chimiques ou biologiques (parasites et micro-organismes pathogè- nes). C’est notamment la fonction du système immunologique qui est capable de défendre l’organisme contre les molécules étrangères, même nouvelles et inconnues 5. Certains organes, comme le poumon, où plus de quarante types de cellules différentes sont dénombrées, disposent de multiples lignes de défenses mécaniques, chimiques et biologiques. Toute agression déclenche des ripostes et la mobilisation de systèmes de réparation ; ces mécanismes ne sont débordés que par des agressions très violentes.

De nombreux agents physiques (par exemple les rayons ultraviolets du soleil) ou chimiques (par exemple les radicaux formés au cours du métabolisme de l’oxygène) lèsent les molécules d’ADN qui sont fragiles. Or leur intégrité est indispensable. On estime qu’un quart du génome a pour fonction de la maintenir, notamment au cours des divisions cellulaires. Quand les agressions sont faibles, les systèmes de réparation sont très efficaces, mais des erreurs surviennent quand celles-ci sont trop intenses. Un autre mécanisme intervient aussi : la mort cellulaire programmée (ou apoptose). Celle-ci joue un rôle important pour débarrasser l’organisme des cellules inutiles (notamment au cours de l’embryogenèse) ou après une agression pour éliminer les cellules dont l’ADN n’a pas été convenablement réparé, car il est préférable de se débarrasser des cellules dont l’ADN est lésé, la division des cellules avoisinantes venant remplacer les cellules éliminées.

Les lésions de l’ADN dans une cellule, même causées par des doses relativement faibles d’un agent toxique, induisent des signaux chimiques qui activent dans la cellule et les cellules voisines des systèmes de réparation et qui provoquent si besoin une réaction de l’ensemble de l’organisme : par exemple, chez la souris, l’irradiation d’un membre déclenche, en quelques minutes, la différenciation et la multiplication des cellules hématopoïétiques 6 dans toutes les régions du corps.

fait comme une atmosphère propre, dans le milieu cosmique toujours changeant ». Il ajoute « c’est un organisme qui s’est mis lui-même en serre chaude ».

5. Le système immunologique ne se développe pas par instruction, c’est-à-dire en réagissant aux molécules avec lesquelles il entre en contact, mais en construisant des défenses potentielles contre un nombre gigantesque de structures moléculaires et en apprenant à distinguer le soi du non soi.

6. Cellules qui sont à l’origine des globules blancs et rouges du sang.

La lésion de l’ADN des cellules germinales peut provoquer des mutations transmissibles aux descendants. Chez l’homme ce risque est réduit par la mort, en tout début de gestation, des embryons dont les cellules présentent des anomalies génétiques.

A l’intérieur d’un tissu, les effets des agressions sévères s’additionnent. Par exemple, la flétrissure de la peau avec l’âge (apparition des rides) est accélérée par l’ensemble des expositions au soleil, mais ceci ne signifie pas qu’éviter toutes les agressions, mettre les défenses au repos, soit toujours bénéfique. La surprotection peut être nocive comme nous le verrons ci-dessous (cf. les allergies).

C’est « la dose qui fait le poison », dit un aphorisme ancien qui reste vrai malgré les variations de sensibilité individuelle.

Les progrès dans la connaissance du génome humain permettront à terme de mieux comprendre les interactions entre la constitution génétique et les facteurs de risque. Cependant ces progrès seront lents car peu de maladies sont liées au dysfonctionnement d’un seul gène et la plupart des prédispositions génétiques impliquent plusieurs gènes, donc des phénomènes très complexes.

Aperçu historique : amélioration de la santé depuis le début du XIXe siècle « Les Français se portent bien. De mieux en mieux même. Il faut s’en réjouir », a dit Bernard Kouchner 7.

De l’antiquité jusqu’à la deuxième moitié du e XVIII siècle l’espérance de vie est restée voisine de 25 ans. Certes, près de la moitié des enfants décédaient en bas âge mais, même en excluant cette mortalité, l’espérance de vie ne dépassait pas une trentaine d’années. Au cours du e XIX siècle, le progrès a été spectaculaire en Europe : fin des grandes famines et des épidémies, avancées de l’hygiène grâce à des mesures simples : assèchement des marais et des mares d’eau stagnante, ramassage des ordures…, puis, dans la deuxième moitié du e XIX siècle, le tout à l’égout et l’adduction d’eau potable. Les premières mesures étaient fondées sur des observations pragmatiques ; les découvertes pastoriennes, en leur donnant un soubassement scientifique, déterminèrent un nouvel élan à la fin du e XIX siècle. Après la Deuxième Guerre mondiale, les progrès fulgurants des sciences médicales parachevèrent ce changement de la condition humaine. Le prodigieux allongement de la durée de vie depuis deux siècles, notamment pendant la deuxième moitié du xxe siècle (Fig. 1), est ainsi largement le fruit des progrès de l’hygiène et de la médecine qui ont permis d’éviter ou de guérir de nombreuses maladies. La Figure 2 montre que depuis 7. Préface du rapport du Haut Comité de Santé publique sur la Santé en France entre 1994 et 1998.

FIG. 1. — L’espérance de vie a augmenté au rythme d’environ 3,5 mois par an pendant pratiquement tout le e XX siècle, à l’exception des deux grandes guerres pendant lesquelles elle a chuté brutalement. L’écart entre l’espérance de vie des hommes et des femmes s’est accru, il atteint maintenant 7,5 ans, valeur record dans l’Union Européenne.

Source : Insee.

1935, le taux de mortalité en bas âge et au cours de la vie adulte a considérablement diminué et que, depuis 1950, le processus de vieillissement semble avoir été retardé 8.

Cependant, la disparition des maladies parasitaires et infectieuses qui, depuis des millénaires minaient la santé humaine et l’allongement de la durée de vie qui en a résulté, a favorisé l’apparition de nouvelles entités pathologiques. A l’épuisement de l’organisme par de lourdes tâches physiques et à la sousalimentation ont succédé l’insuffisance d’exercice physique et un excès d’apport alimentaire avec comme conséquence l’obésité et les maladies que 8. En 1750, 21 % des hommes atteignaient 60 ans et ils pouvaient alors espérer vivre 12 ans ;

en 1950, 70 % des hommes atteignaient 60 ans mais leur espérance de vie n’avait que faiblement augmenté (15 ans). En 2000, à 60 ans l’espérance de vie dépasse 20 ans pour les hommes et avoisine 30 ans pour les femmes.

FIG. 2. — Taux de survie en fonction de l’âge en 1935, 1965 et 1995. En 1935 la mortalité en bas âge était très importante et le taux de mortalité était notable à tout âge même chez les adultes jeunes, il s’accélérait à partir de 60 ans. En 1995, chez les femmes, la courbe s’est rectangularisée : « autrement dit, la mortalité est très faible avant 75 ans, pour augmenter abruptement à partir de cet âge. Chez les hommes la mortalité précoce (avant 65 ans) reste notable, le taux de mortalité augmente dès 70 ans.

Source : INSEE.

TABLEAU 1. — Indicateurs de santé en France.

celle-ci favorise (diabète, maladies cardiovasculaires, cancers). Ces conclusions sont compatibles avec les expériences faites chez les souris et les rats :

si on laisse ceux-ci manger sans restriction, leur durée de vie est très raccourcie.

LES INDICATEURS DE SANTÉ

Nous examinerons les indicateurs de santé, les principales affections, les déterminants et les sources des inégalités de santé.

Indicateurs généraux

Espérance de vie 9

Depuis 1900 (sauf pendant les guerres) l’espérance de vie à la naissance pour les deux sexes a progressé, en moyenne de 3,5 mois par an. Pour les femmes l’espérance de vie à la naissance (83 ans) est la plus longue au monde à égalité avec le Japon, ce qui illustre la qualité des soins et de l’environnement (Tableau 1), chez les hommes elle est de 75 ans. L’écart entre les espérances de vie à la naissance des femmes et des hommes, qui n’est dans les autres pays de même niveau de vie que de 2 à 4 ans, est de 7,5 ans ; il est pour l’essentiel dû à trois facteurs : l’alcoolisme essentiellement masculin, le 9. L’espérance de vie, par exemple en 2001, correspond à la durée de la vie moyenne d’un groupe d’individus qui serait exposé, à chaque âge, au taux de mortalité observé en 2001.

TABLEAU 2. — Décès des hommes (1996) en pourcentage.

Source : Rapport HCSP, sauf en ce qui concerne l’évaluation du nombre de décès dus à la pollution qui a été estimé de façon très approximative à partir des rapports sur la pollution atmosphérique et sur l’alimentation.

tabagisme jusqu’en 1970 à forte prédominance masculine, les accidents et les suicides (qui sont, chez les jeunes de 15/24 ans, 3,5 fois plus fréquents chez les garçons que chez les filles).

On aurait pu craindre que la prolongation de la vie entraîne une plus longue période de vie sans autonomie : au contraire l’espérance de vie sans incapacité croît légèrement plus vite que l’espérance de vie, notamment chez les hommes, aussi l’écart entre les hommes et les femmes n’est que de 4,7 ans pour l’espérance de vie sans incapacité.

Mortalité

Les taux de mortalité en France dans les deux sexes après 60 ans, donc durant la période où les organismes sont les plus vulnérables, sont les plus faibles des pays européens (18 pays). Malheureusement, la France se distingue aussi par une mortalité nettement plus forte entre 15 et 40 ans chez les femmes et entre 15 et 60 ans chez les hommes que dans la plupart des autres pays d’Europe.

Cette différence résulte principalement de comportements à risque qui s’instaurent dès l’adolescence (Fig. 3 et 4). Ainsi la prise en charge des soins et leur qualité sont très développées, mais la prévention et l’éducation à la santé restent insuffisantes.

Le Tableau 2 indique les principales causes de décès. Chez les hommes, les cancers représentent la principale cause de décès (30 % des décès) alors que

FIG. 3. — La mortalité sur les routes en France a diminué depuis 1985, comme dans tous les pays de l’Union européenne. La France reste à la fin du e XX siècle le pays de l’U.E. où la mortalité est la plus élevée et il y a toujours presque trois fois plus de morts sur les routes en France qu’au Royaume-Uni ou en Suède.

les maladies cardiovasculaires prédominent chez les femmes ; cependant entre 40 et 65 ans les décès par cancer sont les plus nombreux dans les deux sexes. On y voit le poids des comportements à risques, ce que confirme l’analyse des années potentielles de vie perdues (Tableau 3).

Différences selon le sexe

En France, bien que les proportions de personnes atteintes d’affection (taux de morbidité) soient supérieures chez les femmes à celles des hommes, les taux de mortalité sont inférieurs.

TABLEAU 3. — Années potentielles de vies perdues (hommes) en fonction des comportements.

L’évaluation des années potentielles de vie perdues à cause du tabagisme passif et de la pollution atmosphérique n’avait pas été effectuée par le HCSP. Celle concernant le tabagisme passif est fondée sur le rapport de l’Académie nationale de médecine sur le tabagisme passif (1997) et celle sur la pollution sur le rapport de l’Académie des Sciences — Cadas sur la pollution atmosphérique (1999). Elles sont plus précises et données à titre indicatif.

Source : – Colloque Risque et Société (1999) (M. Tubiana, C. Vrousos, C. Carde, J.P. Pagès).

Nucléon édit. Gif sur Yvette, France. – Haut Comité Santé Publique – La santé en France 1994 – 1998 (1998). La documentation Française (Paris). – Académie des Sciences — Cadas (1999).

Pollution atmosphérique due aux transports et santé publique — Rapport commun no 12 Paris.

La mortalité prématurée est plus basse pour les femmes que pour les hommes, chez qui les morts violentes, tabac, alcool, entraînent environ 40 % des décès tous âges confondus et 55 % des décès entre 25 et 65 ans. Chez les hommes de 25 à 65 ans, si l’on prend en compte les décès dus aux autres comportements (excès de poids, absence d’exercice, suicides, etc.), on constate que plus de 60 % des décès seraient évitables.

Chez les Françaises, les taux spécifiques de mortalité sont tous inférieurs à la moyenne communautaire, sauf le taux de mortalité maternelle qui reste le plus fort d’Europe occidentale (Fig. 6) ; deux tiers de ces décès pourraient être évités par un diagnostic et une prise en charge plus précoces ainsi que par une amélioration du fonctionnement de certaines maternités.

Évolution avec l’âge

Depuis 10 ans, les taux de mortalité avant 1 an ont baissé de 35 % en moyenne dans l’Union européenne et de 25 % en France ; ils sont encore cependant supérieurs à la moyenne. La moitié de ces décès répond à des nouveau-nés de trop petit poids (prématurés), ou à la mort subite du nourrisson, ces deux causes étant actuellement en grande partie la conséquence du tabagisme de la mère.

Les 3 causes principales de décès entre 1 et 14 ans sont les accidents (fréquence plus grande que dans les autres pays) (Fig. 3 et 4), les cancers et les malformations congénitales (fréquences comparables à celles des autres pays).

Dans le groupe des 15-34 ans la surmortalité française s’accentue notamment à cause des morts violentes qui sont en France (suivie de près par l’Espagne et l’Italie) deux fois plus fréquentes qu’en Grande-Bretagne ou en Suède et les plus élevées de l’UE. Entre 35 et 64 ans la mortalité féminine française est l’une des plus basses de l’UE alors que celle des hommes demeure nettement au-dessus de la moyenne communautaire (Fig. 4). Après 60 ans les faibles taux de mortalité, dans les deux sexes, soulignent la qualité de l’environnement et des soins qui apparaissent plutôt meilleurs que dans les autres pays industrialisés (conclusion des analyses de l’OMS).

Ainsi, les possibilités de réduction de mortalité les plus fortes résident dans l’amélioration de la santé physique et mentale des enfants et surtout dans une modification des comportements des jeunes, avec la prévention des accidents, des suicides et des maladies liées à l’alcool et au tabac . La fréquence exceptionnellement élevée en France des accidents mortels et des suicides (Fig. 4) montre l’existence d’un malaise profond, d’une tendance à la prise de risques excessifs, d’autant que c’est à cet âge que se contractent des comportements néfastes (drogues, déséquilibres nutritionnels).

Morbidité

De nombreuses affections ou infirmités ne retentissent pas, ou peu, sur l’espérance de vie mais altèrent la qualité de vie. D’où l’importance de leur détection par des examens systématiques : troubles de l’audition et de la vision chez les enfants et les personnes âgées, affections bucco-dentaires (domaine dans lequel beaucoup de progrès ont été obtenus mais où beaucoup reste à faire), troubles ostéoarticulaires entraînant une perte d’autonomie chez les personnes âgées, lombalgies qui peuvent souvent être corrigées par une activité musculaire appropriée. 67 % des maladies professionnelles reconnues sont des affections péri-articulaires.

Indicateurs spécifiques

Les accidents sont, en France à tout âge, une cause majeure de morbidité et de perte d’années de vie potentielle

Les accidents de la vie courante (domicile, école, loisirs) ont causé 850 000 séjours hospitaliers en 1991 et 18 000 décès en 1996. Ils sont relativement fréquents entre 0 et 1 an, et surtout après 65 ans (augmentation de la fréquence des chutes liées au vieillissement, celles-ci causent un tiers des décès des personnes âgées).

Les accidents de la circulation sont une cause majeure de mortalité et d’infirmités 10.

Le nombre de décès qu’ils causent après avoir diminué, oscille à la hausse depuis 2-3 ans, et reste nettement au-dessus de la moyenne de l’Union européenne, surtout chez les jeunes (Fig. 3) ; ils correspondent à 10 % du total des années de vie perdue. On pourrait les réduire par des mesures collectives (respect des limitations de vitesse, port de la ceinture de sécurité, lutte contre l’alcool et les drogues au volant) et individuelles (éducation civique, stage dans des hôpitaux pour les contrevenants, etc.).

En 1999 sur 16,5 millions de salariés, 700 000 accidents du travail avec arrêt ont été comptabilisés dont 45 000 ont entraîné une incapacité permanente et plus de 700 décès. Le nombre et la gravité de ces accidents décroissent nettement depuis 1992. Ces accidents atteignent au premier chef les ouvriers, particulièrement dans le bâtiment et les travaux publics 11.

L’excès d’accidents dans l’enfance est dû d’abord aux imprudences des parents puis à celles des enfants. Les accidents entraînent chez les garçons de 15-24 ans 40 % des causes de décès. Entre 15 et 19 ans, 25 % des sujets ont été victimes d’un accident au cours des douze derniers mois : traumatismes liés aux activités sportives (31 % des cas), accidents de travail (22,4 %), accidents de la circulation (18 %) et enfin accidents domestiques (17,6 %). La France est, de tous les pays de l’OCDE, celui où la fréquence des traumatismes est la plus élevée chez les enfants et adolescents.

Cancers

Deux cent quarante mille nouveaux cas de cancers sont enregistrés 12 par an, dont 56 % chez les hommes. Chez eux, le taux de mortalité par cancer entre 30 10. En 1997, 125 000 accidents corporels avec 8 450 tués et 170 000 blessés.

11. Les maladies professionnelles sont considérées ci-dessous (cf. le milieu professionnel).

12. Grâce à l’existence d’une douzaine de registres départementaux où tous les cas de cancers sont enregistrés, ce qui permet, éventuellement, de détecter l’augmentation de fréquence de n’importe quel type de cancers. Depuis 50 ans, on a constaté la baisse ou la hausse de la fréquence des divers cancers, c’est ainsi qu’on a observé une augmentation des cancers du testicule, dont la cause est inconnue.

et 64 ans est particulièrement élevé, notamment à cause des cancers du poumon (tabac) et des voies aérodigestives supérieures (tabac + alcool) beaucoup plus fréquents que la moyenne européenne. Tabac plus alcool sont à l’origine de 43 % des décès par cancer chez l’homme et de 5 % chez la femme . Chez les femmes, la mortalité par cancer du poumon et cancers ORL reste relativement faible, mais augmente rapidement. L’incidence des cancers du col de l’utérus diminue de 3 % par an notamment grâce à la surveillance par frottis cervical de plus de 60 % de la population, mais celle-ci pourrait encore être améliorée. L’incidence des cancers du sein (35 000 cas/an) augmente d’environ 3 % par an, notamment à cause des cancers après la ménopause :

il existe une augmentation des cancers invasifs (rôle de l’obésité et des facteurs hormonaux), mais cet accroissement peut être dû, en partie, au diagnostic par mammographie de cancers très lentement évolutifs qui auraient pu être méconnus.

La mortalité est stable grâce aux progrès thérapeutiques 13. Un dépistage systématique bien fait pourrait contribuer à de nouveaux progrès.

L’augmentation du nombre de nouveaux cas de cancers a été de 20 % en 20 ans chez l’homme et de 16 % chez la femme. Elle s’explique en partie par le tabagisme féminin et l’augmentation des cancers de la prostate chez l’homme.

Cette dernière est en partie due aux dosages du PSA qui détectent des cancers occultes dont l’évolution est très lente et qui auraient pu ne jamais être diagnostiqués avant le décès des sujets.

On observe, depuis 50 ans, une baisse massive, dans les deux sexes, de la fréquence des cancers de l’estomac (influence d’une alimentation plus saine grâce aux réfrigérateurs avec moins de conserves salées ou fumées , de charcuterie et plus de fruits et de légumes). L’incidence des cancers du côlon (environ 30 000) a augmenté de 12 % en 5 ans (rôle d’une alimentation riche en graisses d’origine animale (excès de viande rouge), et surtout de l’obésité et de l’insuffisance d’exercice physique, mais la mortalité tend à diminuer, surtout chez les femmes. Le dépistage systématique semble utile.

La mortalité par cancer est stationnaire chez les hommes (compensation entre augmentation de l’incidence et progrès thérapeutiques) et la comparaison avec les autres pays montre qu’elle est parmi les plus élevées (Fig. 5). Elle baisse légèrement chez les femmes et se compare favorablement avec les autres pays de l’Union européenne.

Maladies cardiovasculaires

Les décès par maladies cardiovasculaires (infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux) ont notablement diminué avant 65 ans et surviennent 13. Citons encore les cancers de la prostate (26 000), du poumon (22 000), des voies aérodigestives supérieures (22 000).

FIG. 5. — Comparaison annuelle des taux d’incidences des cancers et des taux de mortalité dans les pays de l’Union européenne (pour 100 000 personnes).

FIG. 6. — Fréquence des décès maternels pour 100 000 naissances. La France est, en 1992, le pays où elle est la plus élevée. La situation n’a guère évolué depuis.

actuellement dans les trois quarts des cas, après 75 ans. Depuis 1991 le taux de décès a diminué de 12 % pour les femmes et de 8 % pour les hommes ; ces taux sont les plus faibles de l’Union européenne (Fig. 4). Il faut néanmoins continuer à lutter contre les facteurs de risque (tabac, alcool, hypertension artérielle, hypercholestérolémie et alimentation trop riche en graisses, notamment en graisses animales). La probabilité de guérison des infarctus du myocarde dépend de la rapidité de la mise en œuvre du traitement ; il faut donc réduire le plus possible le délai de prise en charge en cas de douleurs thoraciques.

Sida, MST et maladies infectieuses

Du début de l’épidémie en 1980 jusqu’en 1997, environ 50 000 cas de sida ont été déclarés en France avec 60 % de décès. Le sida cause aujourd’hui environ 500 décès/an. Depuis 1996 les nouvelles thérapeutiques ont permis une prolongation importante de la vie, mais ce progrès a entraîné un relâchement de la prophylaxie (rapports sexuels non protégés). La contagion au cours d’un rapport sexuel est favorisée par la présence dans les voies sexuelles de cellules sanguines, notamment en raison de l’existence d’autres maladies sexuellement transmissibles (MST) ou de saignements des muqueuses (la muqueuse rectale est particulièrement fragile et saigne facilement au cours des rapports sexuels). La toxicomanie par voie intraveineuse est une autre cause majeure de contamination. La prévalence de la séropositivité au VIH après avoir baissé jusqu’en 1998, tend à augmenter et concerne environ 110 000 personnes dont au moins 30 000 ne sont pas prises en charge. 40 à 60 % des séropositifs sont des homosexuels et bisexuels, 20 à 40 % des hétérosexuels et 8 à 15 % des toxicomanes. La France est l’un des 3 pays européens (avec l’Espagne et l’Italie) où la positivité au VIH est la plus élevée, notamment en Île-de-France et PACA (Fig. 7). Il faut en rapprocher l’augmentation récente et, préoccupante des maladies sexuellement transmissibles (MST), notamment de la syphilis.

L’hygiène et la systématisation des vaccinations ont contribué à une évolution satisfaisante de la plupart des maladies infectieuses. La faible recrudescence de la tuberculose s’observe principalement chez les malades immunodéprimés (sida) et les populations migrantes très défavorisées.

Les allergies

La fréquence des maladies allergiques (asthme, rhume des foins, allergies digestives) a beaucoup augmenté au cours des dernières décennies dans les pays développés. Des arguments convergents, épidémiologiques et expérimentaux, donnent à penser que cette augmentation, en particulier celle de l’asthme et des affections auto-immunes, est due à la diminution des infections

FIG. 7. — Fréquence du sida dans les pays de l’Union Européenne en 1987 et 1994. Après l’Espagne, et à égalité avec l’Italie, la France est le pays le plus touché par le sida. On ne dispose pas encore de statistiques comparatives pour les années ultérieures.

FIG. 8.— Évolution de la fréquence des suicides dans les différentes tranches d’âge de 1955 à 1994. On constate une augmentation nette du taux de suicides chez les jeunes à partir des années 1970. Cette augmentation semble avoir débuté chez les personnes nées pendant l’immédiat après-guerre. On a fait de nombreuses hypothèses sur la cause de cette augmentation (éducation, moindre résilience, plus grande liberté, mode de vie). Elle ne semble pas liée aux conditions économiques.

Source : Nigard A., du Divonne G. — Le suicide en France, Éléments statistiques. Actes du séminaire : journée nationale pour la prévention du suicide (1998), 72-75.

observée dans ces pays, grâce aux progrès de l’hygiène et de la médecine. En effet, il semble exister une compétition antigénique : les réponses immunitaires contre les agents infectieux diminuent l’intensité des réponses immunitaires dirigées contre les allergènes et les autoantigènes et vice-versa.

Santé mentale

Les troubles de la santé mentale touchent en France, à des degrés divers, des millions de personnes.

En psychiatrie adulte, plus de 900 000 personnes ont été prises en charge en 1995.

Les tentatives de suicide sont plus fréquentes chez les femmes (7,5 % expriment des idées suicidaires) mais la proportion de décès par suicide est 3 fois plus élevée chez les hommes. Le suicide est chez les hommes la 2ème cause de mortalité chez les 15-24 ans et entre 25 et 34 ans. La mortalité par suicide a augmenté de 1965 à 1985 (Fig. 8), depuis elle diminue tout en restant élevée (2,2 % de l’ensemble des décès et 3,1 % des décès masculins) par rapport aux autres pays européens ; la baisse a essentiellement concerné les hommes des catégories sociales supérieures. Comme la moitié des décès par suicide surviennent chez des sujets ayant antérieurement fait une ou plusieurs tentatives, le suivi psychiatrique et social des suicidaires et la détection des
sujets à risque devraient permettre de lutter contre ce fléau, notamment chez les jeunes.

Dix-huit et demi pour cent de la population signalent un symptôme mental ou psychologique (anxiété, dépression) et de l’insomnie (6,5 %) 14. La France est avec le Royaume-Uni le pays de l’Union européenne où le plus grand nombre de sujets (17 %) se déclarent atteints de dépression, ceci plus fréquemment chez les femmes, surtout les jeunes filles (15-19 ans). Les femmes sont deux fois plus nombreuses à consommer des antidépresseurs (11 %), des tranquillisants ou des somnifères (18 %) et ces chiffres atteignent 30 % dans la classe d’âge 65-75 ans. Les Français sont les plus gros consommateurs de médicaments psychotropes et de somnifères en Europe ; or ces produits ont de multiples inconvénients et la lutte contre l’excès de leur usage est nécessaire.

Le vieillissement de la population entraîne une augmentation de la fréquence des démences séniles, notamment de la maladie d’Alzheimer.

Handicaps et dépendance

La prévalence des maladies de longue durée, des incapacités et des handicaps est un indicateur important pour juger de la qualité de vie d’une population 15.

Environ 10 % de la population souffre d’incapacités, chiffre légèrement inférieur à la moyenne des pays européens, mais qui ne tient pas compte des personnes vivant en maison de retraite.

Cette proportion augmente, bien entendu, avec l’âge, elle est de 2,6 % chez les moins de 20 ans et s’accroît à partir de 60 ans. Ainsi le pourcentage de personnes marchant avec difficulté passe de 16,5 % entre 60 et 64 ans à 38 % de 75 à 79 ans et 56 % à 80 ans. Or la marche constitue la principale activité physique ; elle est indispensable pour préserver l’autonomie. L’indépendance physique est conservée chez 95 % des personnes de 60-64 ans, 87 % de 75-79 ans et 72 % à 80 ans.

LES PRINCIPAUX DÉTERMINANTS DE LA SANTÉ

Les comportements

Le tabac

Il entraîne chaque année plus de 60 000 décès en France dont environ 55 000 chez les hommes et plus de 5 000 chez les femmes. Entre 1994 et 1998 14. Selon l’enquête santé 1991-92 (SESI 1994), Européenne DEPRES (ref p 123).

15. L’enquête décennale sur la santé des Français de 1991-1992.

les cancers liés à la consommation de tabac (35 000 cas) ont légèrement diminué chez les hommes et progressé chez les femmes : + 20 % pour les cancers du poumon (+ 43 % entre 25 et 44 ans) et + 8 % pour ceux du domaine ORL. Le tabac est en France, comme dans tous les pays, la cause la plus importante de maladies et de décès évitables. L’association tabac et pilule contraceptive augmente considérablement le risque vasculaire. Parmi les femmes enceintes de 25 à 35 ans, on compte 29 % de fumeuses 16 malgré les terribles risques encourus par le nourrisson . L’alcool ou le tabac de la mère prédisposent le futur enfant à l’usage de ces drogues.

Le risque tabagique est influencé par la quantité de tabac consommée et surtout par la durée du tabagisme, donc par l’âge de début. Le type de tabac (blond ou brun, avec ou sans filtre, normal ou léger) module aussi le risque (d’un facteur 2), mais tous les produits dérivés du tabac ont des effets néfastes pour la santé et c’est à juste titre que les mentions light ou ultra light , qui rassuraient indûment les consommateurs, ont été interdites dans l’Union européenne.

Après la loi Evin (de 1991 à 1997), la consommation de tabac a diminué de plus de 12 % mais elle s’est stabilisée depuis 1998. La proportion de fumeurs réguliers a diminué chez les hommes mais a augmenté chez les femmes ; chez les jeunes, elle semble stable avec une tendance à l’augmentation chez les filles de 14-15 ans. De 18 ans à 24 ans, les Français des deux sexes sont ceux qui fument le plus de l’Union européenne 17 (Fig. 9). Pour l’ensemble des sujets de plus de 15 ans, la France se situe en deuxième position (derrière la Grèce qui est le pays où la proportion est la plus élevée) et devant l’Espagne.

Le tabagisme passif

Une des conséquences graves les moins visibles du tabagisme est l’intoxication des non-fumeurs par la fumée des autres. Sont particulièrement exposés au tabagisme passif les bébés des mères fumeuses (avant et après la naissance), les conjoints de fumeurs et les personnes travaillant avec des fumeurs dans des milieux clos. Les conséquences sur la santé sont nombreuses. Citons pour les nourrissons et les jeunes enfants : petit poids (prématurité), syndrome de mort subite du nourrisson, asthme, bronchiolite, rhinopharyngite, otite… Ces affections causent quelques centaines de décès et peuvent, de plus, entraîner un retard scolaire. Pour les adultes, les insuffisances respiratoires et maladies cardiovasculaires attribuables au tabagisme passif entraî- nent environ 2 500 à 3 000 décès annuels, ainsi que plus d’une centaine de décès par cancer du poumon.

16. Ce pourcentage était de 10 % en 1970.

17. Plus de 50 % des personnes de 18-19 ans fument en France, contre 18 % en Finlande.

FIG. 9. — Proportion de fumeurs (réguliers et occasionnels) en fonction de l’âge en France en 1998.

Source : CFES.

TABLEAU 4.

Alcool

L’alcoolisme est le deuxième « toxique » après le tabac avec 23 500 décès par cirrhose du foie, cancers de la sphère ORL (en association avec le tabac) et psychoses, et 20 000 décès indirects par accidents de la route et du travail, suicide, hypertension artérielle et accidents vasculaires cérébraux. Alors qu’on constate une petite diminution de la mortalité cardiovasculaire pour des doses inférieures à 20 g/jour, on observe une augmentation de la fréquence de plusieurs affections à partir de 30 g/jour chez l’homme et 20 g/jour chez la femme. L’accroissement de la mortalité est net à partir de 50 g/jour chez l’homme et 30 g/jour chez la femme 18. La conjonction de l’alcool et du tabac accroît considérablement la fréquence de nombreux cancers.

L’alcool est plus nocif chez les femmes en raison d’un taux d’alcool dans le sang plus élevé que chez les hommes pour une même quantité ingérée. Les doses supérieures à 20 g/jour favorisent le cancer du sein. Pendant la grossesse, des effets sur le fœtus s’observent à partir de 20 g/jour.

La levée des inhibitions et les modifications du comportement (violence) s’observent à partir d’une alcoolémie de 0,5 g/l, ce qui correspond à l’ingestion d’environ 30 g d’alcool mais avec des variations individuelles considérables.

L’alcool suscite aussi de nombreux problèmes sociaux : perte d’emploi, violences familiales, déchéance.

L’alcoolisme est en augmentation chez les jeunes chez qui il a pris le caractère d’une toxicomanie. La quantité d’alcool vendue par habitant a fortement diminué mais reste parmi la plus élevée au monde. Environ deux tiers des Français consomment de l’alcool ; parmi ceux-ci il y a environ 5 millions de surconsommateurs, avec les dommages biologiques, psychologiques, sociaux et économiques qui en résultent, et 2 millions d’alcooliques dépendants. Nous reviendrons sur les recommandations (cf. alcool).

Drogues

L’usage des drogues illicites est particulièrement fréquent chez les adolescents français des deux sexes qui sont, dans l’Union européenne, parmi les plus gros consommateurs de cannabis (environ la moitié des fumeurs de tabac de moins de 30 ans en fument occasionnellement ou régulièrement) et d’autres drogues (ecstasy, amphétamines), avec cependant de grandes variations en fonction de la région, du quartier, du milieu socio-économique et familial et du niveau de réussite scolaire. Cependant, nul groupe n’est épargné. Les associations entre drogues licites (tabac, alcool) et illicites sont devenues la règle.

18. Alcool. Effets sur la santé. Expertise Collective Inserm 2001.

Les drogues licites et illicites (nicotine, héroïne, morphine, cannabinol) agissent sur un même système de neurotransmetteurs qui provoquent plaisir et aversion et, de ce fait, induisent une dépendance de plus en plus forte.

Il faut avertir les adolescents des méfaits des drogues, mais surtout rechercher les racines de ce besoin de fuite qui leur fait sacrifier leur avenir et leur santé à une satisfaction éphémère. Les drogues sont souvent associées à une fréquence élevée de troubles psychosomatiques, à la violence contre les autres ou contre soi (tentatives de suicide), à la prise de tranquillisants et de somnifères (la plus élevée au monde chez les jeunes Français), tous phénomènes qui traduisent un manque de confiance en soi, en les autres et en l’avenir.

L’alimentation, la sédentarité et le surpoids

La qualité de l’alimentation est bonne en France et la sécurité alimentaire a fait énormément de progrès pendant ces dernières décennies, comme en témoigne la baisse du nombre de toxi-infections alimentaires (salmonelloses, listérioses, etc.) notamment grâce à une hygiène plus rigoureuse et à un meilleur respect de la chaîne du froid. Le développement d’une agriculture industrielle et d’une industrie alimentaire provoque des inquiétudes, bien qu’il ait permis une amélioration de la sécurité alimentaire, mais il nécessite une surveillance systématique des produits dans le cadre d’une réglementation précise. Des progrès pourraient encore être faits, par exemple : meilleur étiquetage des produits alimentaires (indiquant notamment l’équivalant en calories), meilleur usage des réfrigérateurs chez les particuliers (température, dates de péremption). Les enfants en bas âge, les personnes immunodéprimées ou âgées et les femmes enceintes sont plus fragiles et devraient limiter la consommation d’aliments susceptibles de contenir des germes pathogènes (fromages au lait cru par exemple). A ces minimes réserves près, et grâce aux contrôles exercés, l’alimentation en France est saine, les quantités de pesticides, d’engrais, produits chimiques, etc. contenus dans les aliments n’entraî- nent, sauf fraude ou accident, aucun risque sanitaire. Néanmoins, la population reste préoccupée comme en témoignent les alarmes à propos de la dioxine ou les cas, heureusement très rares, d’encéphalites spongiformes transmissibles (EST) 19 ; aussi l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) renforce-t-elle les dispositifs de sécurité.

Les déséquilibres nutritionnels suscitent peu de réactions bien qu’ils engendrent des risques beaucoup plus graves pour la santé. Les Français mangent trop : leur ration calorique moyenne a notablement augmenté au cours de ces dernières décennies ; elle est trop élevée, surtout compte tenu de la régression 19. Depuis 1990, cinq cas avérés d’EST en France et une centaine au Royaume-Uni ; aucune intoxication clinique attribuable à la dioxine.

TABLEAU 5. — Indice de Quetelet et obésité suivant le sexe et l’année d’enquête.

des exercices physiques. Pendant le dernier demi-siècle, le déséquilibre entre les dépenses physiques, qui ont diminué (moins de travaux manuels, moins de marche), et l’accroissement de la ration calorique ont entraîné une augmentation de la masse corporelle (surpoids) dans une proportion croissante de la population, notamment chez les jeunes, une véritable obésité (Tableau 5).

Paris, par exemple, est en Europe avec Rome une des villes où la proportion d’enfants obèses est la plus forte (elle y dépasse 10 %) : c’est le résultat d’un manque d’exercice physique (télévision, ordinateurs…) et du grignotage devant l’écran qui tend à remplacer les repas 20.

De plus, de nombreux Français mangent trop de viande et de produits animaux (beurre, fromage) riches en graisses ; la volaille et les poissons sont moins riches en graisses potentiellement nocives. Ils mangent aussi trop de sucreries, pas assez de fruits, de légumes et de céréales. On estime, généralement, que la ration alimentaire calorique devrait provenir pour environ un tiers des graisses, pour 20 % des protéines végétales ou animales, pour 7 à 8 % de fruits et de légumes et pour le reste de glucides lents (céréales, pâtes, riz). En fait, 20. La mesure la plus communément acceptée du surpoids est donnée par l’indice de poids corporel (IPC), que l’on obtient en divisant le poids corporel (en kg) par le carré de la taille (m2).

Ainsi, un adulte pesant 100 kg et mesurant 2 m à un IPC de 25. L’OMS estime qu’un IPC inférieur à 18,5 est un indicateur d’insuffisance pondérale et qu’un IPC supérieur à 25 montre un surpoids ; un IPC supérieur à 30 est synonyme d’obésité. Un IPC normal, en tout cas souhaitable, se situe entre 18, 5 et 25. Pour un adulte mesurant 1,75 m ce poids souhaitable se situe donc entre 57 et 77 kg ; entre 77 et 90 Kg on est en surpoids et obèse au-delà. En France, 30 % de la population adulte est aujourd’hui en surpoids et 10 % obèse.

actuellement les graisses apportent plus de 45 % des calories.

Les déséquilibres alimentaires, l’excès de nourriture, l’obésité sont à l’origine de nombreuses affections (maladies cardiovasculaires, diabète, cancers, etc.) et il est remarquable que les mêmes recommandations soient valables pour la prévention de toutes ces maladies, y compris les cancers . On a estimé que 15 à 30 % de ceux-ci pourraient être évités par un changement des habitudes alimentaires. En particulier l’obésité et l’insuffisance d’exercice physique jouent un rôle important pour les cancers du sein, du côlon, du rein et du col de l’utérus ainsi que, dans une moindre mesure, pour les cancers de la prostate. Inversement, un régime riche en fruits (aux trois repas) et en légumes (aux deux principaux repas) peut faire diminuer la fréquence des épithéliomas.

Il est essentiel d’habituer les enfants, dès le plus jeune âge, à manger des fruits et des légumes et à faire suffisamment d’exercice physique.

Le sommeil

Le sommeil est essentiel pour l’équilibre psychique et la santé. Il semblerait que les Français soient, dans l’Union européenne, ceux dont le sommeil est le moins bon, si l’on en juge par la consommation record de somnifères. Aucune étude ne permet d’identifier l’origine de ce comportement. Il faut éviter de prendre l’habitude des somnifères, ce qui crée une accoutumance dont il sera difficile de se défaire (il vaut mieux rechercher les causes de l’insomnie ou mal dormir quelques nuits que de devenir dépendant de somnifères). C’est le somnifère qui fait l’insomniaque.

Il faut en rapprocher l’abus de médicaments, qui est une des particularités de la santé en France.

L’environnement

Nous ne reviendrons pas ici sur le tabagisme passif bien que ce soit l’un des facteurs de risque environnemental les plus graves.

Le soleil

Le rayonnement solaire, par ses rayons ultraviolets, est capable de tuer les micro-organismes (le soleil est un bon agent antiseptique), mais aussi les cellules. Cependant, à petites doses, il n’est pas nocif mais bénéfique (effets stimulants sur la sécrétion de diverses hormones, synthèse de vitamine D, etc.) . Quand l’exposition solaire est trop intense, la peau se défend par de multiples mécanismes : la fabrication de mélanine (bronzage) qui diffracte les ultraviolets, l’épaississement des couches de cellules superficielles qui protè- gent la couche basale de l’épiderme où les cellules se divisent. Une exposition
solaire trop forte entraîne un coup de soleil : réaction inflammatoire douloureuse provoquée par des lésions cellulaires, qui signale que la dose tolérable a été largement dépassée. A l’intérieur des cellules, les rayons UV du soleil lèsent les molécules d’ADN.

Les dommages s’observent sur la peau (brûlure, allergie, vieillissement, cancers) et aux yeux (kératite, cataracte). Une exposition excessive occasionnant des coups de soleil répétés est dangereuse, particulièrement au cours de l’enfance. Elle induit divers types de cancers de la peau, dont le mélanome malin. En France, 20 000 à 30 000 nouveaux cas de carcinomes (forme la plus fréquente) et 3 à 4 000 nouveaux cas de mélanomes (forme la plus grave) sont diagnostiqués chaque année. Les vacances au bord de la mer, la mode des bains de soleil et du bronzage sont, en partie, responsables du doublement du nombre de cancers cutanés constaté depuis 20 ans. Les crèmes anti-solaires retardent l’apparition des coups de soleil ; elles sont bénéfiques si elles sont utilisées pour se protéger pendant une exposition normale, elles sont nocives si elles favorisent les bains de soleil et un allongement de la durée d’exposition.

La pollution

Les pollutions de l’air, de l’eau et des aliments peuvent avoir une action sur la santé. Ces expositions sont souvent de longue durée ; le nombre de personnes exposées peut être considérable (les populations urbaines par exemple), certains segments de la population étant à la fois plus sensibles (enfants, femmes enceintes, personnes âgées) et plus exposés (certains quartiers ou régions). En revanche, les niveaux d’exposition sont généralement faibles, sauf en milieu professionnel ; aussi les effets toxiques sont-ils difficiles à mettre en évidence. Ainsi, aucun effet toxique de la pollution chimique de l’eau et des aliments (nitrates, pesticides, engrais) n’a pu être détecté par l’observation clinique ou les méthodes statistiques, ce qui peut être dû soit à l’absence d’effet, soit à un effet trop faible pour être mis en évidence. Le principal danger reste celui de la contamination microbiologique (bactéries, moisissures).

L’impact de la pollution atmosphérique sur la santé (à son niveau actuel qui est inférieur à celui qui existait il y a quelques décennies) est difficile à évaluer car les effets sont relativement faibles et les délais d’apparition peuvent être longs.

On a estimé à l’aide de méthodes statistiques un accroissement de la mortalité totale de 1 à 3 % pour une augmentation de 50 g/m3 des niveaux journaliers de pollution. Mais la perte d’années potentielles de vie est difficile à évaluer car il s’agit souvent de personnes ayant déjà des troubles respiratoires ou cardiovasculaires prononcés. On n’a pas détecté d’augmentation de la fréquence des cancers respiratoires, sauf chez des travailleurs exposés à une pollution intense (augmentation forte chez les travailleurs exposés aux poussières de pierre, cuir, bois et moindre chez les mécaniciens de garage, les conducteurs de poids lourds…). Les effets sur l’asthme, l’insuffisance respiratoire etc.

concernent surtout les sujets présentant déjà des troubles respiratoires ou cardiaques ou les personnes âgées. Le rôle respectif de la pollution de l’air intérieur et de l’air extérieur, du tabagisme actif et passif, doit être mieux distingué, ce qui nécessite la poursuite des recherches. Les dernières évaluations montrent que l’impact est réel mais qu’il n’est pas majeur et très loin d’être aussi grave que celui du tabagisme. L’effort pour réduire les polluants susceptibles d’avoir un effet sanitaire doit continuer 21.

Cependant, la variété des contaminants augmente parallèlement au nombre des molécules chimiques utilisées ; il faut maintenir une vigilance au moment de l’introduction de nouvelles molécules dans le milieu. La recherche toxicologique doit donc être maintenue à un niveau élevé, notamment pour aider à l’estimation des risques des faibles doses qui ne peut être effectuée que par extrapolation. Il faut aussi soutenir les réseaux d’observatoires de santé capables de suivre l’évolution des différentes affections.

L’intoxication par le plomb, pour les enfants vivant dans un milieu contaminé par ce métal (notamment les peintures dans les immeubles vétustes), doit être mentionnée.

Les rayonnements ionisants

Leur effet carcinogène à doses supérieures à 100 mSv 22 en irradiation aiguë ou 500 mSv en irradiation continue, a été démontré. Le rayonnement naturel délivre environ 2,5 mSv/an en France avec une variation selon les régions comprise entre 1,5 et 6 mSv, notamment en raison de la teneur de l’air en radon. L’irradiation médicale (examens radiologiques) délivre 1 mSv/an en moyenne en France, les travailleurs exposés professionnellement reçoivent 2 mSv/an en moyenne (la dose limite réglementaire est de 20 mSv/an), la population reçoit, à cause de la production d’électricité par énergie nucléaire 0,01 mSv/an (dose limite réglementaire 1 mSv/an).

L’irradiation naturelle ne peut être supprimée, mais dans les régions à forte teneur en radon, elle peut être réduite par la ventilation des habitations ; celle liée aux examens radiologiques pourrait être diminuée par un perfectionnement des techniques et des appareillages, la réduction des examens inutiles et enfin l’irradiation accidentelle évitée par une étroite surveillance des sources.

21. L’effort de réduction de la nocivité des gaz d’échappement des voitures (30 millions de véhicules) doit être poursuivi car la pollution photo-oxydante peut atteindre des pics très élevés dans certaines conditions météorologiques.

22. Le Sievert est l’unité utilisée en radioprotection : elle se calcule à partir de la quantité d’énergie délivrée aux tissus multipliée par un facteur tenant compte de la nature du rayonnement (rayons X, neutron ou particules). 1 mSv = 0,001 Sv. Au cours d’une radiothé- rapie, on délivre une dose d’environ 60 Sv, au cours d’un examen radiologique de 0,1 à 20 mSv.

Le milieu professionnel

Les expositions professionnelles mettent en évidence les dangers d’agents qui sont présents dans le milieu à trop faible concentration pour avoir un effet détectable. Bon nombre de maladies professionnelles sont méconnues et, parmi celles qui sont connues, beaucoup ne sont pas reconnues. En 1998, 12 600 maladies professionnelles ont été indemnisées et on déplorait 93 décès.

Les travailleurs sont aussi confrontés à des sollicitations physiques et psychiques qui peuvent porter atteinte à la santé. Une enquête 23 auprès de 48 000 salariés souligne l’importance des troubles péri-articulaires en nette augmentation (67 % des maladies professionnelles en 1998) et liés, semble-t-il, à des gestes répétitifs et aux cadences soutenues.

Depuis la fin de la silicose, l’amiante est le toxique présent dans le milieu professionnel (extraction et transformation, textile, fibro-ciment) dont les consé- quences sont les plus dramatiques. On redoute environ 2 000 cas par an de cancers (1 200 cancers du poumon, 750 mésothéliomes). En 1998, 817 cas de cancers professionnels ont été reconnus, dont 717 dus à l’amiante ; il est vraisemblable que le nombre de cancers est encore sous-estimé. Environ 20 % des travailleurs âgés de plus de 60 ans auraient été exposés professionnellement à l’amiante. Les niveaux de concentration dans les milieux de travail sont de l’ordre d’une fibre par ml d’air, alors que dans l’environnement dit « pollué » par de l’amiante cette concentration n’atteint pas une fibre par litre. De fait, si effectivement les maladies dues à l’amiante, (asbestose et cancer) sont bien établies pour les travailleurs exposés et leurs proches, il n’y a aucune évidence d’un risque éventuel pour les expositions environnementales non professionnelles (sources naturelles, industrielles ou liées à l’usage de l’amiante dans les bâtiments) 24. La législation interdisant l’utilisation de l’amiante permettra à terme de faire disparaître ces maladies.

Le bruit

Le bruit excessif est facteur d’insomnie, de stress et de troubles du comportement. De plus, la nuisance sonore lèse le système auditif. Des niveaux sonores trop élevés et prolongés (écoute musicale dans les discothèques, baladeurs, certaines professions) provoquent la surdité. Des sons moins violents mais fréquents suffisent à provoquer des lésions de l’appareil auditif et des perturbations psychiques.

En conclusion , la comparaison de la longévité entre la France et les pays voisins, notamment en ce qui concerne les femmes et les sujets âgés de plus 23. Sumer 94 (réf).

24. Encore que des contrôles de la concentration en fibres d’amiante puissent être utiles dans certaines circonstances, notamment au voisinage des carrières d’amiante.

de 60 ans, qui sont les plus vulnérables, indique qu’en France, la situation est plutôt meilleure que dans les autres pays industrialisés. Ceci est vraisemblablement dû aux mesures prises et ne doit pas ralentir l’effort effectué pour surveiller et améliorer la situation, notamment en luttant contre les comportements nocifs qui représentent la cause majeure de morbidité et de mortalité prématurées.

LES INÉGALITÉS DE SANTÉ

Les inégalités de santé liées à la catégorie sociale et à la région d’habitation demeurent fortes.

La santé dans les régions

La mortalité générale diminue dans la plupart des régions françaises mais il persiste de fortes disparités entre les régions 25. Il existe deux types de mortalité évitable :

— celle liée au système de soins qui a fortement diminué entre 1975 et 1990 (de 98 p. 100 000 à 55 p. 100 000) avec atténuation des disparités régionales mais persistance d’une différence liée au sexe (121 p. 100 000 chez les hommes contre 75 chez les femmes) ;

— celle liée aux comportements individuels qui a augmenté légèrement de 85,8 p. 100 000 en 1975 à 88,3 en 1990 avec de fortes différences selon le sexe (4 à 5 fois plus élevée chez l’homme que chez la femme). Les disparités régionales restent notables mais celles qui sont fonction de la taille de l’agglomération se sont atténuées 25.

Les indicateurs de santé sont meilleurs dans la moitié sud que dans la moitié nord (alors qu’il y a un siècle, la situation était inverse). La région Nord-Pasde-Calais arrive en tête pour un grand nombre de maladies. D’autres régions ont une fréquence particulièrement élevée pour certaines affections : la Bretagne et la Normandie pour les suicides et les cancers alcoolo-dépendants, la Corse pour les cancers du poumon, les accidents vasculaires et les accidents de la circulation, l’Île de France et PACA pour le sida…. Ces variations géographiques traduisent des différences dans les déterminants de la santé : surtout comportements (facteurs sociaux et culturels), environnement, niveau économique et social, prise en charge.

25. Source Atlas de la Santé en France.

L’influence de la taille de l’agglomération sur la mortalité, autrefois très nette, a disparu, en particulier la fréquence des cancers et des maladies respiratoires n’est pas plus élevée dans les grandes agglomérations que dans les petites, malgré la pollution atmosphérique 24.

Mais alors que la taille de l’agglomération urbaine n’a plus de lien avec la santé physique, on observe, au contraire, une forte influence du quartier sur la santé mentale et sociale. Il existe, dans ou autour des grandes villes, des quartiers défavorisés où les différentes causes de malaise se cumulent : mauvaise insertion sociale, insécurité, chômage, drogues, violences avec un grand nombre d’adolescents marginalisés ou même délinquants. Dans ces quartiers, la conjonction des malaises individuels induit un malaise social avec apparition de bandes et dysfonctionnement des établissements scolaires. On passe alors des souffrances individuelles aux violences collectives, ce qui illustre l’étroitesse des liens entre facteurs psychiques et sociaux et la nécessité de considérer simultanément les trois aspects de la santé : physique, mental et social.

Le niveau économique et social

Les chances de survie d’un nouveau-né varient en fonction de la classe sociale de ses parents . La fréquence des maladies, des incapacités et des décès prématurés est d’autant plus forte que les milieux sociaux sont plus défavorisés. En 1986 l’espérance de vie d’un enseignant ayant déjà atteint 35 ans (catégorie ayant à cet âge l’espérance de vie la plus longue) était de 78,2 ans et celle d’un manœuvre de 69,3 ans. Seulement 7 % des enseignants mouraient entre 35 et 60 ans contre 25 % des manœuvres ; chez leurs épouses ces proportions étaient respectivement de 5 % et 13 %. Au cours de la dernière décennie, ces différences se sont encore légèrement accentuées. Elles sont la conséquence de comportements à risque plus marqués, en particulier en ce qui concerne le tabac et l’alcool (moindre efficacité des campagnes d’information sanitaire) ainsi que d’expositions professionnelles, de malnutrition (obésité) et de prises en charge plus tardives et moins rapidement performantes. On observe dans tous les pays des différences, plus ou moins marquées, de longévité en fonction du niveau socio-économique et de l’éducation.

Le rôle de l’instruction dans la lutte pour la santé peut être illustré par le tabagisme. En Grande-Bretagne ou aux États-Unis, 65 % des hommes adultes fumaient en 1957, quand le rôle cancérogène du tabac a été démontré. Trente ans plus tard ce pourcentage était tombé à 15 % chez ceux ayant fait des études supérieures mais restait de 50 à 55 % chez les manœuvres. En Île-de-France parmi les garçons de 18 à 24 ans, il y a 66 % de fumeurs chez ceux ayant quitté l’école sans diplôme et 19 % chez ceux ayant poursuivi leurs études au-delà du bac ; chez les filles les pourcentages respectifs sont de 50 %
et 28 %. Les adolescents ou les adultes peu instruits, bien que connaissant les méfaits sanitaires du tabac, n’ont pas toujours les ressources internes suffisantes pour faire l’effort de renoncer à lui. Des observations analogues ont été faites pour d’autres comportements à risque (vitesse, imprudences, comportements sexuels, obésité, etc.).

L’influence de l’activité professionnelle sur la mortalité est observée pour quelques métiers (fonderie et travaux des métaux, maçons, tailleurs de pierre) mais, à l’échelle nationale, les écarts s’expliquent surtout par les conditions de vie associées à l’exercice de la profession : ainsi les services « marchands », la restauration, sont des secteurs où la mortalité est particulièrement élevée sans doute en raison de l’alcoolisme.

La mortalité est, dans toutes les tranches d’âge et dans les deux sexes, plus élevée chez les inactifs (en particulier les chômeurs) que chez les actifs sans doute parce que l’inactivité favorise l’usage des drogues licites ou illicites.

Une des origines des différences d’espérance de vie en fonction du sexe et du niveau d’éducation est le meilleur recours au système de soins. Les femmes, ainsi que les hommes les plus instruits, surveillent mieux leur santé ; ils n’hésitent pas à aller consulter s’ils décèlent un trouble et observent mieux les prescriptions.

Situation matrimoniale

Les personnes mariées ont une mortalité nettement plus faible que les célibataires, veufs ou divorcés, sans doute parce que la vie de famille conduit à une vie plus régulière et crée un tissu de solidarités. Chez les femmes, le tabagisme, l’alcoolisme et l’usage de psychotropes sont plus répandus parmi les femmes vivant seules, notamment les divorcées.

LA PRISE EN CHARGE DES PROBLÈMES DE SANTÉ

Comment améliorer la santé ?

Quatre actions permettent d’améliorer la santé physique d’une population.

— Éviter de la détériorer et avoir des habitudes de vie contribuant au maintien en bonne santé : exercices physiques réguliers (l’équivalent de 3 à 4 heures de marche par semaine jusqu’à un âge très avancé), une alimentation bien équilibrée, riche en fruits et légumes, éviter le surpoids et l’obésité, le tabac, l’excès d’alcool, les drogues, les imprudences.

— Mesures actives d’hygiène (soins corporels, lavage des mains), vaccination, éviter la contagion.

— Détecter tôt les anomalies : dépistage et diagnostic précoce.

— Prise en charge rapide des affections et suivi régulier.

La connaissance des facteurs de risque favorisant l’apparition de maladies est indispensable à la mise en place d’une prévention primaire. Ces facteurs appartiennent à trois catégories :

— ceux modifiables par un changement individuel du comportement, qui actuellement sont les plus importants ;

— ceux pour lesquels une intervention collective de type législatif ou réglementaire est nécessaire, ou complète les efforts individuels (vaccination, réglementation et surveillance de l’air, de l’eau, des aliments). Beaucoup a été fait dans ce domaine, il faut certes agir mais les gains escomptables sont limités ;

— enfin ceux sur lesquels nous ne savons pas encore intervenir (facteurs génétiques, certains virus, maladies dont l’origine est inconnue…).

Le recul de la mortalité prématurée dépend essentiellement de modifications du mode de vie et des comportements de la population. On devrait, par la prévention, grâce à l’éducation à la santé (parentale et scolaire), réduire considérablement le nombre de nouveaux cas de maladies (moitié des cancers par exemple). Les 7,5 ans de différence d’espérance de vie entre les Français et les Françaises soulignent la nécessité d’un effort particulier chez les hommes.

La santé mentale est surtout fonction de l’environnement et de l’éducation ; les troubles psychiques doivent être détectés précocement et exigent des soins et un suivi. L’amélioration de la santé sociale nécessite une stratégie englobant l’éducation parentale, l’éducation scolaire et des actions médico-sociales. Dans les villes ou les quartiers défavorisés, la politique doit être globale pour améliorer à la fois santé mentale et sociale.

Comment prévenir les menaces futures ?

La prévention des grandes maladies : les grands messages et les obstacles

La prévention était simple et relativement bien acceptée quand il suffisait de prendre des mesures collectives (adduction d’eau potable, égouts) ou d’introduire des habitudes nouvelles mais pas trop contraignantes (hygiène corporelle). La situation au e XXI siècle est très différente car il faut demander
l’abandon d’habitudes plaisantes et addictives (tabac, alcool, bonne chère), voire remettre en cause la façon de vivre. Les messages sont alors beaucoup plus difficiles à faire passer. Il faut, hélas, constater que la prévention est plus efficace dans certains pays (Finlande, Norvège, Suède, Grande-Bretagne) que dans d’autres (France, Espagne, Italie, Grèce). Il y a là des obstacles culturels et sociaux qu’il faudrait analyser mieux afin de trouver les moyens de vaincre ces réticences.

Les enquêtes internationales montrent que c’est pendant l’enfance et le début de l’adolescence qu’il faut agir préférentiellement car c’est le moment où les esprits sont les plus réceptifs. Mais pour les enfants l’exemple a beaucoup plus de poids que la parole. C’est en faisant vivre l’enfant dans un milieu sans tabac qu’on aura le plus de chances d’en faire un non-fumeur. De même, la violence est contagieuse et les enfants de parents violents le seront à leur tour. La promotion de la santé nécessite un effort collectif et global : l’introduction de la dimension santé dans la vie quotidienne. Le rôle de l’école est essentiel.

Par ailleurs, même s’il existe actuellement une anxiété excessive à ce sujet, il faut rester vigilant quant aux conséquences sanitaires possibles de la diffusion d’un nombre sans cesse croissant de substances chimiques, et aux effets possibles de processus biologiques nouveaux mis en œuvre dans l’agriculture et l’industrie. La mobilité croissante des individus et des produits entraîne des dangers contre lesquels il faut se prémunir. La population s’inquiète aussi de ce qu’elle perçoit comme une baisse de la qualité des aliments produits par une agriculture industrielle et par les circuits industriels de traitement (additifs chimiques,…) et de distribution qui pourtant apportent une sécurité alimentaire inconnue autrefois. De façon générale, la population demande une sécurité sanitaire accrue et la création d’agences spécialisées répond à cette exigence.

La prévention inclut des mesures dont les effets ne se font sentir qu’à très long terme : amélioration et adaptation de l’habitat, mesures d’urbanisme incitant à la marche et permettant de réduire la nécessité des transports urbains et périurbains individuels, augmentation de l’efficacité de la combustion dans les moteurs, ce qui préserve les ressources et réduit l’effet de serre, développement de bonnes pratiques agricoles. Les espaces verts, l’amélioration de l’environnement peuvent avoir un effet favorable sur la santé mentale et sociale.

La précaution

La précaution porte sur des risques collectifs que l’on connaît encore mal mais dont on craint que l’effet global, intervenant sur de grands effectifs et sur de longues durées, puisse être notable. Son principe est de ne pas attendre une connaissance scientifique complète pour agir, si on peut le faire avec des coûts économiques proportionnés au danger que l’on veut éviter. C’est donc une
attitude raisonnée d’intervention, qui doit s’accompagner de recherches afin de réduire les incertitudes, vérifier et préciser les effets nocifs, en particulier recouper les évaluations fondées sur des modèles toxicologiques par des constats épidémiologiques. Le principe de précaution condamne aussi bien l’inaction dès qu’on a des indices sérieux (connaissances émergentes) que le rejet de toute innovation à cause de soupçons vagues ; il a le mérite d’obliger à justifier ces innovations, à analyser leurs conséquences, à comparer les solutions alternatives et à intégrer l’incertitude dans le raisonnement. Il impose l’évaluation des risques et des avantages de toute innovation 26 ayant des répercussions sanitaires . On doit éviter d’accroître l’anxiété de la population en l’alertant à propos de risques sur lesquels on n’a pas de sérieuses présomptions de réelle gravité. On doit éviter des mesures dont les effets pourraient être néfastes (par exemple le bannissement du DDT dans les pays en développement a provoqué un accroissement de la fréquence du paludisme).

Concernant les expositions aux faibles doses26, la précaution conduit à fixer des valeurs limites réglementaires en introduisant des coefficients de sécurité, parfois considérables, sans véritable justification scientifique. On risque par là de mal équilibrer les efforts de réduction des risques. La précaution implique donc beaucoup de discernement et une confrontation périodique avec les progrès des connaissances, de façon à réviser en hausse ou en baisse les normes. Elle ne doit pas conduire à se priver d’une action utile (la vaccination contre l’hépatite B) par crainte d’un risque incertain (sclérose en plaques) qui serait, au pire, cent fois plus petit. La suppression d’un produit utile (ou un moratoire) impose de trouver de nouveaux produits aussi efficaces et moins dangereux. Ce n’est pas toujours possible ni aisé. Le principe de précaution est ainsi associé à une double obligation de recherche : prouver et estimer la nocivité du produit incriminé aux doses considérées et chercher des produits de substitution.

RÉCAPITULATION DES MESSAGES

L’alimentation et l’exercice physique

Il faut, en jouant sur ces deux facteurs, éviter l’obésité de l’enfant et de l’adolescent en raison des conséquences sur la santé à l’âge adulte. Dès l’enfance, il faut conseiller une nourriture variée contenant suffisamment de fruits et de légumes. Mais il faut, à tous les âges, surveiller le poids et lutter contre la tendance à l’embonpoint.

26. Par prudence on évalue généralement le risque des faibles doses en effectuant une extrapolation linéaire à partir des effets des fortes doses. Cette méthode peut notablement surestimer le risque et contribuer à l’anxiété du public. Il ne faut pas confondre le risque putatif estimé ainsi avec un risque réel dont l’existence a été prouvée.

Le Tabac

Les efforts doivent viser à une élimination du tabagisme car le risque existe même pour une faible consommation. Il faut lutter contre l’initiation chez les jeunes et aider les fumeurs à arrêter. Ce but ne peut être atteint qu’en associant les moyens collectifs (législation, taxes) aux moyens individuels (incitation et aide à l’arrêt). L’éducation et l’information jouent un rôle fondamental car les jeunes fumeurs sous-estiment notablement les risques auxquels ils s’exposent.

L’Alcool

En France, il est difficile de détecter précocement l’abus d’alcool qui est pourtant la phase où les risques familiaux et sociaux sont majeurs et où une intervention a le plus de chance d’être efficace. Il existe peu d’instances compétentes pour prendre en charge les alcooliques. Il existe un déni général de la gravité du problème, ce qui nuit à la mise en place de mesures de prévention collectives et individuelles.

Comme nous l’avons vu précédemment, il est, chez un homme, souhaitable de ne pas dépasser la consommation journalière moyenne de 30 g/jour et de se donner comme objectif moyen 20 g/jour soit 2 verres de vin ( ou 2 demis de bière ou 2 apéritifs ou 2 digestifs) 3.

Pour une femme, ces doses doivent être diminuées de moitié.

Chez les jeunes, il faudrait éviter l’ingestion de plus de 40 g en une seule occasion. Il faut lutter contre l’utilisation de l’alcool comme une drogue et contre les ivresses répétées.

Drogues illicites

Il faut développer une stratégie globale comprenant une politique de réduction des risques (produits de substitution, échange de seringues, etc.), une détection précoce des adolescents à risque et des toxicomanes afin de les réinsérer et de les protéger. Il faut informer mieux les jeunes qui sous-estiment souvent les méfaits sanitaires des drogues, en particulier du cannabis.

Il faut aussi analyser ce qui les conduit à la drogue malgré les dangers. Pour contrebalancer la tentative de fuite que représentent les drogues, la prévention devrait inculquer le respect de son propre organisme, lutter contre la mésestime de soi et donner un sens à la vie.

27. 1 verre standard de vin à 12°, soit 100 ml, contient environ 10 g d’alcool. Il en est de même pour un verre standard de bière à 5° (250 ml) ou de spiritueux à 40° (30 ml).

Le soleil

Le soleil est indispensable pour maintenir le corps en bonne santé. Le coup de soleil est un indicateur d’excès d’exposition, il faut donc limiter l’exposition avant l’apparition de rougeurs. Certaines activités, comme les sports aquatiques et sur la neige représentent des situations à haut risque car l’exposition solaire est augmentée par la réflexion sur l’eau ou sur la neige.

Les dangers d’une exposition excessive au soleil sont plus importants pour :

— les bébés et les enfants dont la peau est fine et donc facilement pénétrée par les ultraviolets. Même sous un parasol à la plage environ 50 % du rayonnement est réfléchi par le sable ;

— les personnes à la peau sensible. Plus la peau rougit rapidement et ne bronze pas, ou peu, lorsqu’elle est exposée au soleil, plus une exposition excessive doit être évitée ;

— les personnes ayant beaucoup de grains de beauté.

L’usage des lampes à ultraviolets et des tables à bronzer doit être déconseillé.

Les maladies infectieuses et vaccinations

Les maladies infectieuses ont fortement régressé mais constituent toujours une menace, à cause de la rapidité des transports et de la fréquence des voyages ainsi que des résistances aux antibiotiques. Elles sont particulièrement dangereuses dans les groupes de population à risque : immunodéprimés, vieillards, toxicomanes, immigrés, SDF. Les vaccinations ont joué un rôle important dans l’amélioration de la santé et doivent impérativement être mises en œuvre selon le calendrier prévu. Elles ne dispensent pas du respect des normes d’hygiène, d’autant qu’il existe des maladies virales pour lesquelles l’efficacité du traitement reste insuffisante.

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