Communiqué
Séance du 29 mai 2012

La prescription des médicaments chez la personne âgée

MOTS-CLÉS : bon usage du médicament, prescription médicamenteuse, sujet âgé, recommandations
Drug prescription to elderly patients
KEY-WORDS : bontoux déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt avec le contenu de ce rapport ; j. bouvenot, jl. doucet déclare avoir des liens d’intérêt avec les laboratoires novo-nordisk et merck serono (suivi d’une cohorte de patients diabétiques âgés,) les laboratoires bms et astra zeneca ainsi que les laboratoires becton-dickinson (rédaction de documents pédagogiques). drug prescirption in elderly, drug good use, recommandtions p. jp. montastruc et d. queneau, g. sa fille est employée par une entreprise de produits dentaires.. tillement déclare être membre de l’institut servier et bénéficier de contrats de recherche avec l’institut de recherches internationales servier (iris). y juillet déclare avoir été jusqu’en septembre 2011 conseiller du leem, être actuellement conseiller auprès d’une société de relations publiques organisant des réunions internationales où sont présents des membres d’entreprises du médicament (industrie santé)

Gilles Bouvenot *

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en relation avec le contenu de ce communiqué

Gilles BOUVENOT *

* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine ;

e-mail : gilles.bouvenot@ap-hm.fr ** Membres de la Commission II : Daniel BONTOUX — Jean-Paul BOUNHOURE — Gilles BOUVENOT (Secrétaire) — Catherine BUFFET — Patrick COUVREUR — Pierre DELAVEAU — Élisabeth ÉLÉFANT — Régis GONTHIER — Jean-Pierre GOULLÉ — Jean-Louis IMBS — Patrice JAILLON — Pierre JOLY — Yves JUILLET — Michel LHERMITTE — Charles-Joël MENKÈS — Jean-Louis MONTASTRUC — Patrick NETTER — Patrice QUENEAU — Jean SASSARD — Jean-Paul TILLEMENT (Président) — Richard TRÈVES — Claude VIGNERON, Jean DOUCET : Invité permanent.

Personnalités auditionnées : Régis GONTHIER, Jean-Pierre MICHEL Tirés à part : Professeur Gilles BOUVENOT, même adresse

Les prescriptions de médicaments à la personne âgée ont été une préoccupation constante de l’Académie nationale de médecine. Ses principaux rapports et communications dans le domaine sont rappelés en annexe.

Sous le terme de « personnes âgées » sont concernés les sujets de 75 ans et plus, mais aussi ceux de plus de 65 ans en cas de polypathologie, ce qui correspond en France à un effectif populationnel compris entre 11 millions (sujets de plus de 65 ans) et 5 800 000 personnes (sujets de plus de 75 ans) selon les données INSEE au 1er janvier 2011.

Ce groupe, qui constitue une partie importante et croissante de la population occidentale représente dans les faits, selon les données de la médecine et des sciences humaines, un ensemble très hétérogène de personnes tandis que, par ailleurs, les visions de la société et des individus eux-mêmes sur le vieillissement et sur les maladies ne cessent d’évoluer. La prise en charge médicamenteuse des personnes âgées a donc un important retentissement économique lié non seulement aux prescriptions elles-mêmes, mais aussi aux conséquences de la iatropathologie. Si l’âge en tant que tel ne contre-indique généralement pas un traitement médicamenteux, il en modifie en revanche très souvent les objectifs et les modalités. En effet, la prise en charge thérapeutique des malades âgés doit tenir le plus grand compte, d’une part des fréquentes situations de polypathologie (le plus souvent chroniques) nécessitant généralement la prescription concomitante de plusieurs traitements médicamenteux, mais d’autre part aussi (chez ces patients vulnérables) d’une exposition majorée des patients aux effets indésirables des médicaments. Les personnes âgées ont en effet une sensibilité accrue aux accidents médicamenteux qui sont plus fréquents dans cette population, sachant toutefois que près d’un accident médicamenteux sur deux est évitable. On devra veiller, de ce point de vue, à tenir le plus grand compte des principaux paramètres pharmacocinétiques (en particulier leur variation avec l’âge et la fonction rénale) des médicaments que l’on envisage de prescrire : voies d’élimination et demi-vie plasmatique, degré de fixation à l’albumine plasmatique, existence ou non de métabolites actifs et principales interactions. Dans le même ordre d’idées, les mesures de surveillance du traitement doivent être renforcées pour les médicaments à marge thérapeutique étroite et pour les médicaments mis récemment sur le marché.

De plus, la surconsommation médicamenteuse, favorisée notamment par la confusion dans les esprits entre les manifestations du vieillissement normal et celles de certains états pathologiques, participe à l’augmentation de la iatropathologie : il existe, en effet, une relation entre le nombre de médicaments consommés et la survenue d’un effet indésirable médicamenteux.

Il faut noter que près des trois quarts des médicaments prescrits aux personnes âgées sont représentés par les médicaments à visée cardio-vasculaire, les psychotropes et les antalgiques. Et les antalgiques sont, avec les produits diététiques, les vitamines et les laxatifs, les principaux médicaments consommés en dehors de toute prescription médicale, ce qui n’est pas sans possible conséquence délétère. Le concept de « prescription médicamenteuse inappropriée » trouve donc désormais sa place aux côtés des concepts classiques de « médicaments contre-indiqués » ou de « médicaments déconseillés ». D’autre part, les nouveaux médicaments sont encore insuffisamment évalués chez les personnes âgées lors des essais cliniques dont les résultats sont donc, en géné- ral, difficilement extrapolables aux malades rencontrés en pratique gériatrique quotidienne. Enfin, les personnes âgées davantage que les adultes jeunes, du fait de la polypathologie et de la polymédication, sont soumises au risque d’une rupture de la continuité des traitements lors d’une admission en établissements de soins, en particulier dans le cadre de l’urgence. C’est pourquoi la mise en œuvre d’une « conciliation » des traitements médicamenteux est nécessaire dans ce contexte. Pour la sécurité des patients âgés, nul ne doit ignorer l’existence des traitements en cours ni les motifs de leur prescription au moment de l’hospitalisation nul et ne doit ignorer les traitements instaurés avant l’épisode hospitalier, au moment de rédiger l’ordonnance de sortie.

C’est pourquoi, considérant — que l’âge ne contre-indique généralement pas un traitement médicamenteux mais impose d’en adapter les objectifs et les modalités, car il faut prendre en compte d’une part les situations de polypathologie qui nécessitent la prescription de plusieurs médicaments et d’autre part le risque accru de iatrogénèse. Dans ce contexte, le concept de prescription médicamenteuse potentiellement inappropriée trouve sa place à côté de ceux de médicaments contre-indiqués ou de médicaments déconseillés ;

— que, du fait de la polymédication, les personnes âgées sont exposées au risque d’une rupture dans la continuité de leur traitement, en particulier à l’occasion d’une hospitalisation ;

— et que les médicaments les plus récents ont souvent été insuffisamment évalués chez les personnes âgées avant leur mise sur le marché.

L’Académie nationale de médecine recommande aux pouvoirs publics et aux institutions concernées — que les référentiels de bon usage des médicaments chez la personne âgée soient enseignés à tous les étudiants au plus tard lors des troisièmes cycles de Médecine et de Pharmacie, quelle que soit leur future spécialité d’exercice, ainsi qu’aux étudiants infirmiers ;

— que la spécificité de la prescription médicamenteuse chez la personne âgée donne lieu à des démarches d’amélioration des pratiques professionnelles dans le cadre du Développement Professionnel Continu de toutes les professions de santé ;

— qu’une liste de médicaments potentiellement inadaptés aux personnes âgées soit établie, validée et régulièrement actualisée ;

— que le champ des recommandations de bonnes pratiques de prescription chez la personne âgée soit étendu et que les recommandations disponibles soient régulièrement mises à jour et accessibles aux médecins et aux pharmaciens ;

— que l’aide informatique à la prescription prenne en considération la situation spécifique de la personne âgée, en particulier dans le cadre des logiciels d’aide à la prescription ;

— que les essais thérapeutiques médicamenteux visant à l’octroi d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) incluent, autant que possible, un effectif significatif de personnes âgées et que les études de pharmacovigilance et de pharmaco-épidémiologie réalisées en vie réelle après l’obtention de l’AMM comportent des personnes de classes d’âge représentatives de la population des personnes âgées ;

— que les notices des médicaments soient rédigées de manière plus claire, plus concrète mais aussi plus informative, en tout cas mieux adaptées aux différentes situations des personnes âgés ;

— que soit encouragée la mise au point de formes galéniques adaptées aux besoins de certaines personnes âgées ;

— que la réglementation régissant la prescription des génériques impose que la substitution soit plus claire et non ambigüe, aussi bien du fait de l’aspect et de la présentation des produits, que des interventions des prescripteurs et des dispensateurs.

L’Académie nationale de médecine fait, par ailleurs, les recommandations suivantes aux différents prescripteurs — Avant de rédiger toute ordonnance, outre la nécessaire connaissance des propriétés pharmacocinétiques des médicaments que l’on envisage de prescrire, s’informer de manière exhaustive :

— des différentes pathologies présentes et de leurs gravités relatives pour hiérarchiser leur prise en charge et dépister des facteurs supplémentaires de risque iatrogène ;

— de l’état somatique (poids, nutrition, fonction rénale…) pour adapter les posologies ;

— de l’état cognitif et de l’environnement familial et social pour favoriser une observance optimale des traitements ;

— de la liste complète de tous les médicaments réellement consommés, y compris en automédication ;

— lors de la rédaction de l’ordonnance, prendre toutes les mesures en faveur du bon usage du médicament, en particulier : limiter les prescriptions aux médicaments indispensables ; choisir les molécules présentant le meilleur rapport bénéfice/ risque ; les prescrire pour la seule durée de temps appropriée et programmer une surveillance précise des effets du traitement ; mais aussi commenter les prescriptions de façon concrète et détaillée, de façon à éviter le plus possible les erreurs de posologie.

— avant toute reconduction d’ordonnance, réévaluer préalablement l’utilité de chaque médicament et éventuellement déprescrire ceux qui seraient sans bénéfice réel pour le patient ;

— en matière d’objectifs thérapeutiques à court et moyen termes, (à savoir améliorer la morbidité la mortalité et la qualité de vie), tenir compte des attentes du malade ; partager ces objectifs avec le pharmacien (en s’aidant du dossier pharmaceutique) ainsi que l’ensemble des soignants et aidants familiaux ; si les objectifs attendus n’ont pas été atteints, s’interroger sur l’observance, laquelle peut à elle seule expliquer une inefficacité thérapeutique ;

— en cas de constatation d’un ou de nouveaux symptômes, évoquer systé- matiquement un effet indésirable médicamenteux, au moins autant que la survenue d’une affection intercurrente : avoir le « réflexe iatrogène » ;

— enfin, pour une plus grande sécurité de la prescription, veiller à la mise en œuvre effective d’une communication et d’un partage d’information sur les médicaments lors des points dits de transition, c’est-à-dire à l’admission en établissement de soins, lors des transferts entre services hospitaliers ou lors de la sortie vers le domicile ou vers un autre mode de prise en charge.

*

* *

L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 29 mai 2012, a adopté le texte de ce communiqué moins trois abstentions.

Ce communiqué dans son intégralité peut être consulté sur le site www.academie-medecine.fr