Communication scientifique
Séance du 4 janvier 2011

La plus commune des dystrophies cornéennes : le kératocône Peut-on éviter la greffe ?

MOTS-CLÉS : collagène. kératocone. kératoplastie transfixiante. maladies de la cornée
Keratoconus, the most common corneal dystrophy. Can keratoplasty be avoided ?
KEY-WORDS : collagen.. keratoconus. keratoplasty, penetrating

Jean-Louis Arne et Pierre Fournié

Résumé

Le kératocône est la plus fréquente des dystrophies cornéennes. Il s’agit d’un processus non inflammatoire d’amincissement progressif qui conduit à une ectasie de la cornée responsable d’une forte myopie et d’un astigmatisme de haut degré. Dans les formes les plus avancées, des opacités du sommet du cône peuvent se former. Le traitement conservateur commence par une correction par lunettes et lentilles de contact. Quand une adaptation satisfaisante par lentilles de contact ne peut pas être obtenue et ne peut pas amener une bonne acuité visuelle, la chirurgie est indiquée. La greffe de cornée a longtemps été le seul traitement chirurgical. Depuis quelques années, de nouvelles options chirurgicales sont apparues. Le cross-linking du collagène est une méthode visant à rigidifier la cornée pour arrêter la progression de la maladie. Les anneaux cornéens intra stromaux peuvent être insérés pour réduire l’astigmatisme et améliorer l’acuité visuelle. Les implants intra-oculaires sont des options intéressantes pour la correction des erreurs réfractives. Actuellement, on peut considérer que les indications des greffes cornéennes se limitent essentiellement aux cas où existe une opacité du centre de la cornée.

Summary

Keratoconus is the most common form of corneal dystrophy. It consists of a non inflammatory progressive thinning process that leads to conical ectasia of the cornea, causing high myopia and astigmatism. In more advanced cases, opacities can be seen at the apex of the cone. Traditional conservative management of keratoconus begins with spectacle correction and contact lenses. Surgery is recommended when a stable contact lens fit fails to provide adequate vision. Keratoplasty was long the only surgical treatment, but recent years have seen the introduction of new surgical options : — Collagen cross-linking stiffens the cornea and can halt disease progression ; — Intrastromal corneal rings can reduce astigmatism and improve visual acuity ; — Intraocular lenses are valuable additional options for the correction of refractive errors. Currently, keratoplasty is mainly restricted to patients with opacities of the central cornea.

Le National Eye Institute indique que le kératocône est la plus fréquente des dystrophies cornéennes [1]. Sa fréquence varie de façon considérable selon les sources de 1 sur 2 000 [2] à 1 sur 500 [3]. Cette incohérence est due aux variations dans les critères du diagnostic.

Le kératocône est une dystrophie stromale primitive de nature encore imparfaitement élucidée ; elle se caractérise par une protrusion conique évolutive de la cornée, responsable d’une baisse visuelle du fait d’un astigmatisme irrégulier et éventuellement de la présence d’opacités au sommet du cône.

S’il est considéré comme une maladie rare sa fréquence est revue très nettement à la hausse depuis que les examens préopératoires réalisés en vue de chirurgie réfractive de myopie et d’astigmatisme notamment ont révélé la fréquence des formes frustes.

Parmi cette population de patients, la fréquence de la maladie peut atteindre jusqu’à 8 % [4].

En outre, cette même chirurgie réfractive cornéenne peut se compliquer d’une ectasie cornéenne progressive acquise , conséquence d’une fragilisation mécanique de la cornée provoquée par l’intervention, mais sans doute souvent favorisée par l’ignorance préopératoire d’un kératocône fruste.

Le traitement chirurgical de ces déformations cornéennes s’est longtemps limité à la greffe transfixiante puis lamellaire de la cornée [5-7]. Dans les dernières années des options thérapeutiques plus conservatrices ont été proposées dont il est important de tenter d’évaluer actuellement l’efficacité.

Responsables d’un des deux centres nationaux de référence du Kératocône, nous avons pu appliquer ces techniques récentes sur un nombre élevé de patients.

L’affection est presque toujours bilatérale et est souvent reconnue vers la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte. Le plus généralement elle progresse sur vingt à trente ans et se stabilise autour de l’âge de quarante-cinq ans.

La gêne visuelle est liée avant tout à l’astigmatisme 1 irrégulier qui peut être responsable de la perception d’images fantômes (polyopie monoculaire) ; il s’y associe en général une myopie liée à l’allongement de l’axe antéro-postérieur du globe. La baisse visuelle peut être accrue par la possible présence d’opacités au 1 L’astigmatisme cornéen est la résultante d’une inégalité de courbure des méridiens de la cornée, leur procurant un pouvoir de réfraction différent. L’astigmatisme est régulier si les méridiens principaux (le plus et le moins puissant) sont perpendiculaires ; il est irrégulier dans les autres cas.

Fig.1. — Déformation conique de la cornée.

Fig. 2. — Opacités du sommet du kératocône.

sommet du cône causées surtout par l’amincissement et l’étirement cornée, responsables de ruptures tissulaires ou parfois provoquées par un traumatisme lié au port de lentilles de contact.

Le diagnostic peut être clinique à un stade avancé de la maladie, soit que la déformation cornéenne soit visible au biomicroscope (Fig 1), soit qu’existent des opacités du sommet du cône (Fig 2).

Avant ces stades extrêmes, le diagnostic est permis par les techniques cornéotopographiques qui analysent la forme des faces antérieure et postérieure de la cornée et mesurent ponctuellement les rayons de courbure. Le kératocône se traduit typiquement par une augmentation localisée de la courbure de la cornée, située le plus habituellement dans sa moitié inférieure.

Différentes classifications sont utilisées pour caractériser le stade évolutif du kératocône fondées sur l’importance de l’augmentation du rayon de courbure, sur l’amincissement cornéen ainsi que sur la présence d’ éventuelles opacités (classifications d’Amsler [8] et de Krumeich [9].

TRAITEMENTS

Méthodes non chirurgicales — Aux premiers stades de l’affection, les lunettes de vue peuvent suffire pour corriger un astigmatisme modéré.

— Lorsque l’astigmatisme augmente, les lunettes ne peuvent plus assurer une acuité visuelle suffisante. Il faut alors recourir aux lentilles de contact : le liquide lacrymal peut remplir les lacunes entre la surface irrégulière de la cornée et la face postérieure de la lentille (4). De nombreux types de lentilles de contact destinées à l’adaptation du kératocône ont été développées : lentilles rigides, combinaison d’une lentille rigide destinée à corriger l’astigmatisme fort et d’une lentille souple pour faciliter la tolérance, ou encore lentilles customisées. Ces systèmes ne sont pourtant pas efficaces pour chaque patient et sont insuffisants à un stade évolué. La tentative d’adaptation de lentilles sclérales, qui couvrent une large surface de l’œil pour offrir une meilleure stabilité est souvent décevante car l’inconfort est grand pour le patient [10].

En outre, un acharnement à faire porter des lentilles de contact peut amener des érosions et des opacités du sommet du cône.

Le recours à la chirurgie est alors nécessaire.

 

Les greffes de cornée

La greffe de cornée est le traitement le plus habituel soit lorsqu’il existe une opacité du sommet du cône, soit plus fréquemment lorsque l’importance de l’astigmatisme ne permet plus d’obtenir une bonne acuité visuelle malgré l’utilisation de lentilles de contact. Selon les statistiques, on considère que 10 à 25 % des cas de kératocône devraient être greffés [11, 12].

L’intervention la plus couramment réalisée est encore la kératoplastie transfixiante [5] qui remplace toute l’épaisseur de la cornée centrale sur un diamètre de 8 à 9 mm.

Le kératocône constitue une des deux causes les plus fréquentes de kératoplastie transfixiante (13). Le pronostic des greffes transfixiantes pour kératocônes est en règle générale favorable sur le plan de la survie immédiate du greffon.

En effet, dans cette pathologie, il n’y a pas de néovascularisation cornéenne susceptible de faire perdre son privilège immunologique à la greffe de cornée. Toutefois, cette technique se heurte à un certain nombre d’écueils :

— la récupération visuelle est lente du fait de la nécessité de laisser les sutures en place plusieurs mois, — le taux de rejets de greffe ne semble pas négligeable dans certaines études portant sur de grandes séries [14], — la perte progressive des cellules de l’endothélium greffé est souvent considérable au bout d’un certain temps nombre d’années [14], susceptible de compromettre la fonction de la pompe à sodium endothéliale et d’induire la survenue d’un œdème cornéen chronique et la faillite du greffon, — enfin, la transplantation ne concerne que la partie centrale de la cornée et la pathologie ectasique peut continuer à évoluer sur la périphérie et faire penser à la possible récidive du kératocône sur la cornée greffée.

Pour essayer de palier ces inconvénients, il a été proposé dans les dernières années d’utiliser une technique de greffe lamellaire antérieure profonde (DALK) destinée à remplacer la totalité du stroma pathologique mais en laissant en place l’endothé- lium du receveur qui est sain dans cette affection [7, 15, 16].

Le but est d’éviter le risque de rejet de greffe et la perte cellulaire endothéliale progressive. De plus, il s’agit d’une technique à globe fermé.

 

Cette méthode chirurgicale a donné des résultats très satisfaisants sur le plan de l’astigmatisme et de la récupération de l’acuité visuelle [7,16].

Néanmoins, on se heurte à un inconvénient majeur qui est celui de sa difficulté technique de réalisation par rapport à une greffe transfixiante, exposant notamment soit à des perforations accidentelles de la couche endothélio-descemétique lors de la dissection soit à la réalisation d’un clivage insuffisamment profond, laissant en place des fibres stromales qui réduiront la transparence et l’acuité visuelle.

Les lasers Femtoseconde 2 peuvent être utilisés pour la réalisation d’une greffe transfixiante mais leur précision est très insuffisante pour permettre la réalisation d’une greffe lamellaire antérieure profonde.

Peut-on arrêter l’évolution de la déformation cornéenne des kératocônes ?

C’est le but d’un traitement encore très récent mais qui mérite indéniablement d’être évalué : la réticulation du collagène cornéen dans la technique du cross-linking .

La résistance mécanique du collagène est physiologiquement favorisée par l’existence de liaisons unissant les molécules, les fibrilles et les lamelles de collagène. Ce cross-linking du collagène humain est augmenté dans certaines circonstances pathologiques telles que le diabète, et les jeunes diabétiques n’ont pas de kératocône [17].

Il s’accroît aussi avec l’âge et le kératocône continue tout à fait exceptionnellement à évoluer au-delà de quarante-cinq à cinquante ans [18].

Plusieurs travaux ont montré que les cornées porteuses d’un kératocône avaient une résistance biomécanique très nettement inférieure à celle d’une cornée normale [19, 20]. Théo Seiler [21] a proposé de tenter d’accroître la résistance mécanique du stroma cornéen dans le kératocône par l’augmentation de la réticulation du collagène.

Pour cela, après instillation de Riboflavine, la cornée sera soumise à une irradiation par les UVA pendant 30 à 60 minutes .La Riboflavine ou vitamine B2, lorsqu’elle est irradiée par des UVA, provoque la formation de radicaux libres oxygénés ; ceux-ci créent des liens entre les chaînes de collagène, Ce processus est destiné à créer des radicaux libres oxygénés qui vont former des liens entre les chaînes de collagène, augmentant ainsi sa rigidité. L’intervention est réalisée sous anesthésie topique après simple desépithélialisation de la cornée (Fig 3).

Alors que l’épaisseur cornéenne normale est supérieure à 500 μ, elle est diminuée en cas de Kératocône .Par sécurité, afin d’éviter une possible lésion de la couche endothéliale de la cornée, il est convenu de ne traiter que des cornées dont l’épaisseur n’est pas inférieure à 400 μ.

Le but de ce type de traitement est de tenter de bloquer l’évolution de la maladie par le renforcement de la résistance mécanique de la cornée.

2 Lasers fonctionnant dans l’infrarouge destinés à réaliser des découpes de la cornée

Désepithélialisation Instillation de riboflavine Exposition aux UV Fig. 3. — Technique du cross linking Expérience personnelle

Nous avons traité 53 yeux de 53 patients avec un suivi post opératoire atteignant deux ans. Nous avons surveillé l’état anatomique de la cornée, l’aspect cornéotopographique, l’acuité visuelle et l’épaisseur cornéenne, le nombre de cellules endothéliales susceptibles d’avoir été altérées par le processus, l’astigmatisme par la mesure du cylindre et de la puissance du méridien le plus bombé.

La kératométrie maximale moyenne était de 53,42fi 4.50 dioptries (43,49 à 66,1) en préopératoire ; elle était de 47,60 fi 3.75 dioptries à deux ans (43,36 à 59,1), (Fig 4).

Un an après l’intervention , 61,1 % des yeux étaient stabilisés. On notait une régression du bombement d’au moins une dioptrie dans 30,5 % des cas, tandis qu’il continuait à progresser dans 6,25 % des cas.

La meilleure acuité visuelle corrigée moyenne était de 5/10 en préopératoire — elle était légèrement supérieure à 6/10 à vingt-quatre mois.

 

Fig. 4. — Cross-linking : modification de la courbure maximale cornéenne Trait sombre : œil traité — Trait clair : œil opposé non traité — À un an, l’acuité visuelle était restée stable dans 34 % des cas, améliorée dans 41 % des cas et diminuée de une à trois lignes dans 25 % des cas du fait de la poursuite évolutive du kératocône (Fig 5 et 6).

Les cylindres moyens nécessaires pour corriger l’astigmatisme étaient de 5,28 dioptries en préopératoire, de 5,12 dioptries à vingt-quatre mois.

La pachymétrie moyenne était pratiquement inchangée entre un et vingt-quatre mois, de même que le comptage endothélial En terme de complication s, nous avons observé la présence d’un voile cicatriciel précoce (haze) dans tous les cas, mais il était constamment résolutif en moins de trois mois.

Dans deux cas, nous avons vu survenir des infiltrats aseptiques qui ont constamment guéri après instillation de corticoïdes locaux.

Dans l’ensemble donc, si les études expérimentales ex-vivo [22] ont montré une augmentation significative de la rigidité cornéenne [21, 22], l’évaluation in vivo de l’effet du cross-linking sur la biomécanique de la cornée porteuse d’un kératocône est difficile à évaluer et semble inconstant [22]. Néanmoins, nos résultats à deux ans semblent montrer une nette tendance en faveur d’une stabilisation dans la majorité des cas et une régression du bombement cornéen dans certain cas

La surveillance à long terme des yeux opérés éclairera sur la persistance de l’effet et l’éventuelle efficacité d’un retraitement si une poussée évolutive survenait.

Peut-on corriger la déformation cornéenne sans pratiquer de greffe de cornée ?

Une solution récemment proposée consiste en la mise en place de segments d’anneau en polyméthyl métacrylate insérés dans les couches du stroma cornéen, au niveau du

Fig. 5. — Cross-linking : meilleure AV corrigée Trait sombre : œil traité — Trait clair : œil opposé non traité Fig. 6. — Cross-linking : modification de l’AV après 6 mois secteur le plus bombé de façon à aplatir le sommet du cône et à tenter de régulariser la forme de la cornée. Ces anneaux avaient été conçus initialement pour le traitement des myopies faibles mais ils peuvent trouver là une indication majeure Leur utilisation repose sur un principe énoncé par Barraquer selon lequel l’addition d’un tissu en périphérie de la cornée entraîne un aplatissement central proportionnel à l’épaisseur du matériau implanté [23].

En 2000, Colin [24] propose l’utilisation d’anneaux dans le traitement du kératocône. Les segments d’anneaux sont implantés dans un tunnel intracornéen dont la localisation est guidée par l’examen cornéo-topographique. Il peut être réalisé soit par un clivage manuel à l’aide d’un dissecteur, soit grâce à un laser Femtoseconde.

Une incision de 80 % de l’épaisseur de la cornée permet l’introduction de l’anneau de PMMA qui est guidé à l’intérieur du tunnel. Cette implantation d’un ou deux segments d’anneaux en fonction du type de déformation est réalisée sous anesthésie topique, en ambulatoire (Fig 7).

Repérage de l’axe d’astigmatisme Incision cornéenne radiaire non perforante Clivage du tunnel intrastromal par une sonde mousse Fig. 7. — Trépanation de la cornée pour la mise en place d’anneaux intracornéens.

 

Expérience personnelle

Nous avons pratiqué cette technique sur 26 yeux de 26 patients porteurs d’un kératocône et présentant un astigmatisme irrégulier impossible à corriger par des lentilles de contact. L’indication n’était retenue là encore que lorsque l’épaisseur de la cornée était au moins égale à 450 μ au site de l’incision et 350 μ au niveau du point le plus fin. Etaient exclus les yeux porteurs d’opacité centrale.

Nous avons utilisé des anneaux de Ferrara à section triangulaire et extrémités arrondies, d’épaisseur variant entre 150 et 350 μ (25). Le lieu d’implantation était choisi grâce à un logiciel tenant compte de plusieurs paramètres : valeur kératomé- trique, réfraction, position du cône par rapport à l’axe le plus cambré.

L’implantation était suivie de la mise en place d’une lentille thérapeutique pendant 48 heures dans un but antalgique.

Les patients ont été examinés à une semaine, un mois, trois mois, six mois et un an en évaluant l’aspect anatomique, la meilleure acuité visuelle corrigée, la réfraction et la topographie cornéenne.

En post opératoire immédiat, la plupart des patients se sont plaints de phénomènes douloureux pendant environ 48 heures mais nous n’avons noté aucune complication anatomique, ni infectieuse ni inflammatoire.

L’acuité visuelle moyenne sans correction préopératoire était de 0,1 (0,04 à 0,25) ;

elle était de 2,5 à six mois (1,4 à 4) L’acuité visuelle moyenne corrigée pré opératoire était à 0,4 ; elle atteignait 0,63 (0,4 à 1,0) à six mois Dans 77 % des yeux, il y avait un gain d’acuité visuelle sans correction allant de une à plus de cinq lignes. Cette acuité visuelle était stable dans 4,5 % des yeux et diminuée dans 18 % des yeux (Fig 8).

La meilleure acuité visuelle corrigée était augmentée de une à cinq lignes dans 72,7 % des yeux, stable dans 13,6 % et diminuée dans 13,6 % des yeux (Fig 9).

Il y avait dans l’ensemble une très nette amélioration des résultats réfractifs portant avant tout sur l’astigmatisme. La puissance du méridien le plus bombé, était en moyenne de 51,4 dioptries en préopératoire et de 48,7 dioptries à six mois.

Les examens cornéo-topographiques montrent dans plus de 72 % des cas une régularisation de la forme de la cornée et une réduction moyenne du bombement cornéen central de 3,6 dioptries. Dans l’ensemble de cette série, nous avons pu noter que les résultats étaient meilleurs lorsque la kératométrie maximale préopératoire était inférieure à 53 DP, lorsque le kératocône était plutôt inféro-temporal qu’infé- rieur et meilleurs encore si le cône était asymétrique plutôt que symétrique, enfin, si la myopie préopératoire était inférieure à 4,5 DP.

Ces résultats sont en accord avec les quelques études publiées dans la littérature [26-29].

 

Fig. 8. — Acuité visuelle sans correction après implantation des anneaux intracornéens Fig. 9. — Meilleure acuité visuelle corrigée après implantation des anneaux intracornéens

Cette technique d’implantation de segments intracornéens apparaît indiscutablement séduisante par son caractère peu agressif, sa réversibilité, et par la possibilité d’amélioration de l’acuité visuelle. Toutefois, l’effet réfractif sur l’astigmatisme apparaît limité à moins de quatre dioptries. Il sera intéressant de suivre sur le long terme l’évolution cornéo-topographique et kératométrique.

Les intérêts supplémentaires de cette technique sont d’abord sa réversibilité, et en outre la possibilité de réaliser secondairement une greffe cornéenne en cas d’insuffisance du résultat ou d’évolution de l’affection [30].

Peut-on compenser les anomalies réfractives induites par le kératocône (myopie et surtout astigmatisme) sans intervenir sur la cornée ?

La question se posera en particulier lorsque l’épaisseur de cornée n’autorise pas la mise en place d’anneaux intracornéens.

La mise au point récente d’implants intraoculaires toriques dans le but de corriger l’astigmatisme a permis d’envisager leur utilisation dans le cas de kératocônes à cornée claire responsables d’une myopie et d’un astigmatisme fort qui relevaient classiquement d’une greffe de cornée.

— Si le cristallin du patient est déjà opacifié, son extraction sera suivie de la mise en place d’un implant torique dans le sac cristallinien [31, 32].

— En l’absence de cataracte, on choisira la mise en place d’un implant phake torique introduit dans l’œil conservant son cristallin. Il pourra soit être fixé à l’iris, soit être glissé entre iris et cristallin. Cette technique sera réservée aux patients âgés d’au moins trente ans en raison du risque d’évolution du kératocône chez le sujet plus jeune.

Dans les deux techniques, l’axe de correction de l’implant torique sera placé en fonction du diamètre le plus convergent.

Ces méthodes ont donné lieu à très peu d’études et qui ne portent que sur des nombres très limités de cas [33-36].

Expérience personnelle — Nous avons pratiqué chez 7 patients porteurs d’un kératocône et présentant une opacité cristallinienne une phakoexérèse du cristallin avec mise en place dans le sac cristallinien d’un implant torique en acrylique hydrophobe.

L’astigmatisme moyen préopératoire était de 3,13 dioptries. En postopératoire, il était de 0,75 dioptries. Il y avait un gain moyen de quatre lignes de meilleure acuité visuelle corrigée.

— 69 yeux de 39 patients porteurs d’un kératocône responsable d’un astigmatisme impossible à corriger par méthodes optiques, ont ainsi bénéficié de la mise en place d’un implant torique phake fixé à l’iris, destiné à corriger myopie et astigmatisme. La myopie préopératoire moyenne était de — 7,06 fi 4,51 dioptries. Elle était de — 0,17 fi0,60 dioptries à six mois. La prédictibilité du résultat réfractif obtenu par rapport au résultat recherché était satisfaisante (Fig 10).

L’astigmatisme pré opératoire moyen était de 3,46 fi1,51 dioptries, de 0,88 fi 0,68 dioptries à six mois. Dans 64,18, % des yeux, il y avait un gain d’acuité visuelle ; une perte d’une ligne de meilleure acuité visuelle corrigée était notée dans 8,95 % des cas (Fig 11).

La récupération visuelle était très précoce.

Cette technique peut donc s’appliquer aux kératocônes présentant de fortes amé- tropies sphériques et cylindriques avec cornée claire.

Que reste-t-il aujourd’hui des indications de greffes de cornée dans le kératocône ?

La kératoplastie s’imposera dès lors qu’il existera une opacité du sommet du cône :

la régularisation de la forme de la cornée ne peut permettre d’espérer une récupé- ration de l’acuité visuelle. Par ailleurs, elle peut s’imposer si la cornée est particuliè- rement amincie, rendant dangereuse la pratique de techniques tel que le crosslinking ou la mise en place d’anneaux.

Devant un astigmatisme fort , impossible à corriger par des lentilles de contact et réduisant considérablement l’acuité visuelle du patient, il faudra avant tout juger du caractère évolutif de l’astigmatisme. On considère généralement qu’un astigmatisme est évolutif lorsque la puissance kératométrique du méridien le plus bombé à augmenté d’au moins une dioptrie dans un intervalle d’une année. Dans ce cas, et si les conditions d’épaisseur de cornée l’autorisent, la réalisation d’un cross-linking est légitime. On peut en obtenir un arrêt de l’évolution du kératocône.

Dans le cas d’un astigmatisme impossible à corriger , par des lentilles de contact et si la cornée est transparente et son épaisseur suffisante, la mise en place d’un anneau intra-cornéen est l’attitude actuellement admise. Certains auteurs [37] ont récemment proposé de réaliser une photoablation au laser excimer destinée à régulariser la surface cornéenne, suivie immédiatement par un cross-linking. Cette méthode réalisée sur douze yeux a donné des résultats satisfaisants à un an mais on ne peut qu’être réservé car la photoablation induit un amincissement cornéen susceptible d’être délétère à long terme sur une cornée déjà fine.

Cross-linking et mise en place de segments d’ anneaux intra-cornéens peuvent être proposés de façon combinée pour tenter à la fois d’arrêter l’évolution de la maladie et de réduire un astigmatisme de haut degré. Toutefois, cette association est encore en évaluation et la meilleure séquence à choisir pour la réalisation des deux méthodes n’est pas encore établie.

Si l’épaisseur de cornée est insuffisante, ou si l’astigmatisme ou la myopie sont très élevés, la mise en place d’un implant , sera indiquée. Il est possible d’associer sur un même œil la mise en place d’un implant intraoculaire et d’anneaux intrastromaux.

 

Fig. 10. — Prédictibilité réfractive de la mise en place d’implants toriques.

Fig. 11. — Modification de l’acuité visuelle après mise en place d’implants toriques

EN CONCLUSION… PROVISOIRE

Le kératocône est encore un des deux premiers motifs de réalisation de greffes de cornée. Quels éléments peuvent-ils justifier son indication?

— Rarement, il s’agira de l’existence d’une opacité du sommet du cône ou d’un amincissement cornéen important, jugé menaçant.

— L’indication la plus habituelle de greffe sur kératocône est représentée par les cas où l’amétropie forte, en particulier l’astigmatisme, ne peut-être corrigée par méthodes optiques, ou encore lorsque l’affection apparait évolutive. Les méthodes récentes doivent pouvoir réduire considérablement ces indications tout en ne compromettant pas la réalisation d’une greffe si elle apparaissait ultérieurement nécessaire.

La gestion du kératocône, dystrophie cornéenne la plus fréquente, est en train d’être considérablement modifiée. L’introduction de nouvelles méthodes, qui pourront éventuellement être combinées constitue un progrès considérable dont l’évaluation n’est pas encore terminée.

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<p>* Ophtalmologie, Hôpital de Purpan — 31059 Toulouse, e-mail : arne.jl@chu-toulouse.fr Tirés à part : Professeur Jean-Louis Arne, même adresse Article reçu le 29 juin 2010, accepté le 11 octobre 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 1, 113-129, séance du 4 janvier 2011