Communication scientifique
Séance du 9 janvier 2001

La médecine périnatale en l’an 2000 vue par un anesthésiste-réanimateur

MOTS-CLÉS : fécondation in vitro. infirmité motrice cérébrale.. prématurité. réanimation
Perinatal medicine on the edge of the XXIe century with respect to resuscitation
KEY-WORDS : cerebral palsy.. fertilization in vitro. infant, premature. resuscitation

G. Barrier

Résumé

Chaque année, environ 40 000 enfants naissent avant terme en France, dont 10 000 sont de grands prématurés nés avant 33 semaines de gestation. Ces derniers ne représentent que 1,2 % des naissances, mais 50 % des enfants mort-nés. Si 7 % des grands prématurés proviennent des naissances multiples obtenues par procréation médicalement assistée (PMA), celle-ci n’est à l’origine que de moins de 1 % des naissances. Si les progrès de la réanimation néonatale ont permis à un grand nombre d’enfants prématurés de petit poids d’évoluer sans séquelles, la rançon en est l’augmentation du nombre d’enfants survivants plus ou moins sévèrement handicapés. Il est donc nécessaire de mettre en place une « vigilance » de la procréation médicalement assistée comme cela a été recommandé par l’Académie nationale de médecine le 13 février 1996, de définir une bonne pratique de la réanimation néonatale et d’améliorer la prise en charge des enfants atteints de troubles du développement ou de l’apprentissage.

Summary

Every year, 40.000 preterm babies are born in France, 10.000 of them being born before 33 weeks of gestation. They represent 1,2 % of birth rate, but 50 % of neonatal mortality. If IVF (in vitro fertilization) is the cause of less than 1 % of all births, it is the cause of 7 % of very preterm babies. Resuscitation of the very premature born infants has improved their survival rate but led to some adverse outcome. So, it is necessary to design a long term follow-up for children born from IVF, to evaluate the neonatal resuscitation and to improve treatment and care of children with developmental abnormalities.

INTRODUCTION

Nous connaissons la mortalité et la morbidité périnatales grâce aux rapports de l’INSERM publiés au cours des vingt dernières années.

Chaque année, en France, naissent environ 750 000 enfants. L’avènement de la procréation médicalement assistée (PMA) a permis à de nombreuses femmes de devenir mères. Grâce aux progrès de l’obstétrique et de la réanimation néonatale, la mortalité néonatale (taux de morts pour 1 000 naissances vivantes) est passée au cours des 40 dernières années de 17 à 2,9 ‰. La mortalité périnatale est de 7 à 8 ‰.

A partir des années 80, la prématurité a cessé de baisser et l’incidence de la grande prématurité a augmenté. Cela est dû à la meilleure déclaration des naissances prématurées, puisque depuis 1993 les enfants nés viables à partir de 22 semaines d’aménorrhée et/ou de 500 grammes sont enregistrés. Cela est dû aussi à la politique obstétricale d’extraction fœtale en cas de maladie maternelle ou fœtale et à l’accroissement des traitements de la stérilité entraînant des grossesses multiples [1].

LA PRÉMATURITÉ

Depuis 1995 on connaît exactement les causes de décès infantiles en France. La mortalité néonatale est de 2,9 ‰ et la mortalité périnatale de 7,4 ‰. Les décès de la première semaine représentent les deux tiers des décès du premier mois, et ceux du 1er mois plus de la moitié du total des décès infantiles [2].

Chaque année, environ 40 000 enfants naissent avant terme, soit 5 % des naissances.

En 1995, 42 % des enfants de moins de 35 semaines et 50 % des enfants de moins de 2 000 grammes à la naissance sont nés après décision d’interruption de grossesse, par césarienne ou déclenchement.

Les principales causes de prématurité sont l’infection, la pathologie maternelle ou fœtale nécessitant une extraction précoce, les grossesses multiples, l’âge maternel et la parité [3].

Les plus récentes données françaises ont été publiées en 1997 : il s’agit de l’enquête sur la grande prématurité publiée par l’INSERM [4]. Elle porte sur les enfants nés après au moins 22 semaines d’aménorrhée et pesant au moins 500 grammes.

On distingue la prématurité moyenne (de 32 à 36 semaines d’aménorrhée), la grande prématurité (de 28 à 32 semaines + 6 jours) et la très grande prématurité (moins de 28 semaines d’aménorrhée + 6 jours) :

— 1,2 % des enfants sont nés à un âge gestationnel inférieur à 33 semaines, ce qui représente 0,9 % des naissances vivantes et 50 % des enfants mort-nés ;

— 15 % de ces enfants nés sont issus de grossesses multiples et 45 % sont nés après une décision d’extraction succédant à une pathologie obstétricale.

La prématurité cause 80 % des décès en période périnatale. La mortalité des grands prématurés est estimée selon les études à 5 à 15 %, celle des très grands prématurés est comprise entre 15 et 30 %. Les chiffres publiés par l’Institut de Puériculture de Paris montrent que le nombre d’enfants « prématurissimes » hospitalisés a plus que doublé au cours des années 90 [5]. L’enquête récente de l’Inspection régionale de la santé en Ile-de-France [6] a montré que 33 % des enfants nés entre 22 et 32 semaines d’aménorrhée étaient issus de grossesses multiples [6]. Or, le taux de survie n’est que de 50 % pour les nouveau-nés de 24 semaines et de 64 % pour ceux de 27 semaines [5].

La mortalité néonatale a diminué au cours des 30 dernières années. Le taux de prématurité a diminué dans la décennie 70 et s’est stabilisé au début des années 80 (5,9 % du total des naissances) avec une logique augmentation parallèle du poids de naissance. Mais il semble que la proportion des grands prématurés augmente, passant de 0,9 à 1,4 % des naissances dans les dernières années et que le nombre d’enfants survivant sévèrement handicapés stagne ou augmente [7].

Si les grossesses multiples ne représentent que 2 % des naissances, elles sont responsables de 17 % des naissances prématurées. Sur les 9 000 grands prématurés qui naissent chaque année, environ 1 700 sont issus d’une grossesse multiple. Leur nombre a augmenté ces dernières années, les grossesses gémellaires passant de 8,9 à 13 % et les triplés de 0,9 à 4,2 %.

Sept pour cent des très grands prématurés proviennent des naissances multiples obtenues après PMA, alors que celle-ci est à l’origine de moins de 1 % des naissances en France [8].

Les conséquences de la prématurité

Elles varient selon l’âge gestationnel.

Nous reprendrons la classification de Claudine Amiel-Tison [9] :

— chez les nouveau-nés de moins de 26 semaines (500 à 800 grammes), l’immaturité pulmonaire, cérébrale et viscérale est telle que la mortalité périnatale est élevée et le plus souvent précoce, dès les premiers jours. « Les séquelles cérébrales sont souvent associées à des troubles de la croissance, à des séquelles respiratoires, à des séquelles visuelles liées à l’oxygène. La qualité de vie des survivants peut-être excellente, mais elle est le plus souvent médiocre. Moins de la moitié des survivants peut être considérée comme fonctionnant normalement à l’âge scolaire » ;

— entre 27 et 32 semaines (800 à 1 500 grammes), c’est l’âge qui a le plus bénéficié de l’amélioration des soins, avec une diminution du pourcentage et de la gravité des séquelles neurologiques chez les survivants. Le pourcentage de séquelles sévères (atrophie cérébrale et hydrocéphalie) reste voisin de 5 % chez les survivants et les séquelles modérées ou mineures sont de l’ordre de 20 % ;

— entre 33 et 36 semaines ces nouveau-nés sont considérés comme « à bas risque » cependant, le risque n’est pas nul, et le seuil de méfiance vis-à-vis de la pathologie neurologique n’est pas assez élevé dans ce groupe. Cela explique que la découverte de la maladie chez ces enfants soit souvent tardive devant une infirmité motrice d’origine cérébrale (IMOC) évidente.

La grossesse gémellaire ou triple est associée à un risque de 10 à 50 fois plus élevé de naissance avant 33 semaines d’aménorrhée. Or 50 % des enfants ayant un handicap moteur d’origine périnatale sont issus de grossesses multiples, alors que les nouveau-nés jumeaux ou triplés ne représentent que 2,4 % de toutes les naissances [2].

Les troubles de l’apprentissage sont plus fréquents chez les anciens prématurés, et à l’âge scolaire les troubles du comportement et de l’attention sont deux à trois fois plus fréquents chez les anciens prématurés que chez les enfants nés à terme [10].

Ces désordres du développement peuvent avoir plusieurs causes : souffrance fœtale, anomalies de l’accouchement, mais aussi conséquences des nouvelles techniques de procréation médicalement assistée.

LES ENFANTS NÉS À TERME

Certaines études récentes remettent en question la relation étroite que l’on établissait entre le déroulement de l’accouchement et l’IMOC.

Dans 75 % des cas d’encéphalopathie néonatale, on ne retrouve aucun signe d’hypoxie fœtale. La grande majorité des cas est associée à la prématurité, au retard de croissance intra-utérin, à l’infection puerpérale, aux troubles de coagulation, aux grossesses multiples, aux troubles métaboliques, aux anomalies chromosomiques et aux malformations fœtales plutôt qu’à des dystocies ou à des insuffisances de surveillance pendant le travail de l’accouchement [11].

Par ailleurs, l’évaluation à long terme d’enfants à terme ayant souffert d’asphyxie périnatale, et chez lesquels aucune anomalie neurologique, mineure ou fugace, n’avait été notée au cours des premières semaines de la vie, a révélé la survenue de difficultés d’apprentissage à l’âge scolaire [12].

Malheureusement, nous ne disposons d’aucune étude française sur le devenir des enfants nés à terme, dont l’état a nécessité des soins intensifs à la naissance.

DISCUSSION

L’Assistance Médicale à la Procréation

Fécondation in vitro classique (FIV) : l’évaluation de ces techniques de traitement de la stérilité féminine permet, avec un recul de plus de 20 ans, d’être rassuré sur le
devenir des enfants nés ainsi, si l’on réduit le nombre de grossesses multiples . Si le guide des bonnes pratiques médicales édicté en 1999 est respecté, la limitation à deux du nombre d’embryons à transférer devrait permettre de diminuer non seulement le risque fœtal mais aussi le risque maternel.

Mais il serait maintenant nécessaire d’évaluer et de contrôler ces pratiques afin de les rendre conformes aux prescriptions.

Très différent est le cas de l’ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection) qui permet d’apporter une solution à la plupart des cas de stérilité masculine.

En moins de 10 ans, l’ICSI, dont les indications se sont multipliées, représente 40 % des tentatives de procréation médicalement assistée réalisées en France [8].

L’injection directe d’un spermatozoïde, ou plus récemment d’un spermatide voire d’un spermatocyte mûri in vitro dans le cytoplasme ovocytaire, pose des questions redoutables qui vont du risque d’introduction d’un matériel étranger dans l’ovocyte à la transmission d’affections chromosomiques et géniques. On a enfin réussi à rendre la stérilité masculine héréditaire, comme le craignait Alphonse Allais, mais en même temps on a pris le risque de transmettre les anomalies génétiques qui entraînent la stérilité.

L’expérience de ces techniques est encore limitée, et le nombre d’enfants ainsi nés est faible, mais le risque de transmission d’anomalies chromosomiques est d’autant plus grand que la stérilité est plus sévère : 5 % pour les hommes oligospermes, 10 % pour les azoospermes alors que le risque pour la population générale est de 0,6 à 1 %. La fréquence des microdélétions du chromosome Y chez les hommes infertiles varie, selon les publications, entre 3 et 19 %.

Cette technique pose donc un problème de santé publique majeur et justifie une évaluation à long terme des enfants ainsi procréés.

Lors de la séance de l’Académie nationale de médecine du 28 novembre 1995, Michel Arthuis s’était justement interrogé sur le devenir des enfants nés après AMP.

Des réserves avaient alors été émises par certains sur le poids que ferait peser sur la famille de ces enfants une étude prospective à long terme. Ces réserves ne sont plus de mise devant les discordances relevées dans les plus récentes publications. Il est d’autant plus indispensable de surveiller et d’évaluer le développement des enfants ainsi nés qu’on ne peut disposer d’aucune expérimentation animale de ces techniques et que les résultats publiés ne portent encore que sur un petit nombre d’enfants, sur une durée d’évaluation courte et sur des séries limitées. Ils sont contradictoires.

Certains ne trouvent aucune différence entre les chiffres de malformations et d’anomalies chromosomiques chez les enfants ainsi nés (rapport 1998 European Society of Human Reproduction and Endocrinology) : c’est ainsi que Bonduelle [13] a évalué entre mai 1995 et avril 1998, 201 enfants nés par ICSI, comparés à 131 enfants nés par FIV. Le développement neurosensoriel des deux séries était comparable aux valeurs considérées comme normales pour le test utilisé.

D’autres, et nous citerons le remarquable travail prospectif australien de Bowen et Gibson [14] étudiant le développement de 89 enfants ainsi conçus, trouvent une augmentation légère mais significative des retards de développement dans ce groupe comparé à un groupe de 84 enfants nés après FIV et un groupe de 80 enfants nés de grossesses naturelles. Comme cette étude ne porte que sur des enfants de 1 an, il est nécessaire d’entreprendre une évaluation prospective de plus longue durée pour apprécier quelles seront les conséquences sur l’apprentissage et les difficultés à l’âge scolaire.

L’étude récente publiée par Bergh et Ericson [15] est un travail rétrospectif très intéressant car il s’agit d’un registre exhaustif de tous les enfants nés en Suède par PMA entre 1982 et 1995, ce qui signifie 5 856 enfants comparés aux 1 500 000 enfants nés pendant la même période.

Dans le groupe PMA, les grossesses multiples ont représenté 27 % des grossesses vs 1 % dans le groupe contrôle, les prématurés nés avant 37 semaines de gestation 30 % vs 6 %, les enfants de petit poids 27 % vs 4 %. La mortalité périnatale fut de 8,2 pour 1 000 naissances vivantes dans le groupe PMA vs 6,6 dans la population générale.

Le taux de malformations fut de 5,4 % vs 3,9 prévu.

Le pourcentage de césariennes fut de 34 % pour les grossesses uniques, 53,4 % pour les jumeaux, et 88 % au-dessus.

Les deux faits majeurs, à retenir aujourd’hui, sont l’augmentation du taux de prématurité (multiplié par 5 par rapport à la population témoin), et l’augmentation des malformations.

La réanimation néonatale

Autant que la santé de la mère, l’état de santé du nouveau-né dépend de l’état du fœtus mais aussi du lieu de sa naissance : les enfants qui naissent dans un lieu où ils peuvent être pris en charge immédiatement par une équipe pluridisciplinaire ont des chances de survie sans séquelles très supérieures à ceux qui doivent être transportés vers un service de réanimation néonatale.

Les accouchements très prématurés peuvent être spontanés et dus à de multiples causes, dont certaines auraient dû inciter à transférer la mère dans un centre doté d’un service de réanimation néonatale : c’est le cas des antécédents d’accouchement prématuré, de malformation utérine. C’est aussi le cas des grossesses multiples.

Malheureusement, l’accouchement prématuré peut aussi survenir inopinément.

Mais l’accouchement prématuré programmé, médicalement induit, est en progression : la question qui se pose alors est de mettre en balance le risque de mort ou de constitution de lésions irréversibles in utero et le risque d’encéphalopathie néonatale. Avant 28 semaines, les complications de la prématurité peuvent être très lourdes. Dans les cas extrêmes, l’abstention thérapeutique doit être proposée aux parents [16].

Le lieu de naissance joue un rôle important dans la mortalité et la morbidité des nouveau-nés en état de détresse.

L’enquête faite par les SMUR pédiatriques d’Ile-de-France entre 1996 et 1999 sur la prise en charge des enfants nés avant 26 semaines de gestation et transportés dans les services de réanimation pédiatrique a montré que 56 % de ces enfants sont décédés dans la première semaine de vie.

Il est donc extrêmement important que la restructuration des maternités se poursuive, et que les femmes porteuses d’une grossesse pathologique accouchent dans des centres de niveau 3 où l’unité de lieu est propice à l’administration simultanée des meilleurs soins, tant à la mère qu’à l’enfant.

La question qui se pose à nouveau est celle que se posait déjà Budin en 1900 à propos des nouveau-nés qui sortaient du premier service de prématurés qu’il avait créé à la Maternité : que deviennent les survivants à la sortie des services d’obstétrique ou de réanimation ?

On estime que dans le groupe des enfants pesant entre 500 et 1 500 grammes à la naissance, 10 % seront atteints d’infirmités motrices cérébrales (IMOC) et 20 % de séquelles plus modérées, sensori-motrices, sensorielles, intellectuelles ou de comportement.

Nous aurons un début de réponse précise avec les résultats à un an de l’enquête « EPIPAGE » (épidémiologie des petits âges gestationnels). Mais il est indispensable que cette étude soit prolongée au moins jusqu’à l’âge scolaire, afin de pouvoir évaluer et prendre en charge les enfants atteints d’un handicap. Plus précoce sera le diagnostic des « petits handicaps », plus efficace sera leur traitement.

Il est regrettable que la surveillance des enfants à terme ayant eu une naissance difficile ne soit pas plus systématique pendant les premiers mois de la vie, car on trouvera dans ce groupe des séquelles considérées comme mineures, mais qui handicaperont l’enfant à l’âge scolaire Il est aussi indispensable d’évaluer le développement de tous les enfants dont l’état a nécessité des soins intensifs à la naissance, quels que soient leur terme et leur poids de naissance. Cela suppose une formation de tous les pédiatres à cette évaluation et la constitution de réseaux de surveillance pédiatrique autour des CAMPS (centres d’adaptation médico-sociale précoce).

Ces centres ont été mis en place en 1976 et ont été créés pour « le dépistage et la prise en charge précoce et ambulatoire des enfants à risque de handicap ». Tous les départements ne disposent pas encore de ces structures, dont la plupart ne remplissent qu’une partie de la mission définie par les textes : soit le dépistage, soit la prise en charge des enfants. La plupart ne disposent pas du personnel nécessaire, et en particulier tous manquent de psychomotriciens.

Une actualisation des CAMPS est donc indispensable ainsi qu’une redéfinition de leurs missions et une mise à disposition des moyens nécessaires à la prise en charge des enfants qui en ont besoin.

CONCLUSION

Les publications les plus récentes incitent à se poser trois questions :

— doit-on continuer à rechercher des exploits dans le domaine de la procréation sans avoir prévu au préalable l’évaluation des résultats d’une technologie qui ne permet pas l’expérimentation animale préalable ? Pourquoi est-on dans ce domaine de la procréation, donc de la sexualité, à la recherche de performances que l’on a abandonnées ailleurs ?

— quelles sont les limites de la réanimation néonatale ?

Doit-on réanimer systématiquement tous les nouveau-nés quels que soient leur âge, leur poids et leur état à la naissance ?

L’acharnement thérapeutique n’est-il pas aussi condamnable en médecine périnatale que dans les autres domaines de la médecine ?

On doit envisager les conditions éthiques de l’arrêt des soins des nouveau-nés sévèrement handicapés soit immédiatement, soit après une réanimation d’attente. L’information et l’accompagnement alors donnés aux parents doit leur permettre d’assumer ce deuil.

— La surveillance et les soins apportés aux anciens nouveau-nés réanimés sont-ils optimaux ?

Ne doit-on pas mettre en place un registre d’AMP vigilance, déjà proposé dans cette enceinte en 1996 ?

Ne doit-on pas organiser convenablement la prise en charge médicale et sociale des enfants handicapés, quelle que soit la gravité de leur handicap ? Il s’agit d’un réel sujet de solidarité nationale, dont la prise en compte par l’Académie nationale de médecine favoriserait certainement l’organisation par les pouvoirs publics.

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[4] Grande prématurité : dépistage et prévention du risque. INSERM, 1997.

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[16] LEVY R. — Le prématurissime : prise en charge, critères d’extraction, mode d’accouchement.

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[18] GERMAIN J.F. — La réanimation néonatale : Éthique aux limites de la vie. PUF edit, 1999, 1 vol.

DISCUSSION

M. Roger HENRION

A la suite de l’arrêt de la cour de cassation du 17 novembre 2000, concernant Nicolas Perruche, renvoyant à une jurisprudence d’après laquelle, je cite Madame Gobert, professeur de droit : « Si l’inexécution d’un contrat porte en même temps préjudice à un tiers intéressé par le contrat, celui-ci pourra obtenir réparation », ne peut-on pas imaginer, même s’il n’y a pas faute caractérisée du réanimateur, qu’un très grand prématuré atteint de graves séquelles demande et obtienne réparation ? Ne conviendrait-il pas de tempérer l’enthousiasme des néonatologistes réanimant des nouveau-nés de moins de 28 semaines, voire de 26 semaines ?

L’enquête faite par les SMUR d’Ile-de-France dont je vous ai exposé les résultats (56 % de mortalité dans la première semaine dans ce groupe) plaide en ce sens.

M. Claude SUREAU

Ces grossesses multiples sont-elles issues de fécondations in vitro suivies de transfert ou de « simples » stimulations ovariennes ? En ce qui concerne celles-ci, il serait très vraisemblablement opportun qu’un certain degré de surveillance, ou de « vigilance » soit instauré, par exemple dans le cadre de l’activité de cet « office », dont la création est annoncée. En ce qui concerne les fécondations in vitro , il est légitime de tendre vers la réduction du nombre des embryons transférés, mais celle-ci suppose très certainement une amélioration des connaissances sur la fécondation et la santé embryonnaire.

Vous avez raison, une proportion notable de ces grossesses multiples provient de stimulations ovariennes et une « vigilance » devra être exercée non seulement sur les techniques mais aussi sur l’évolution des enfants ainsi nés.

M. Georges DAVID

On doit rappeler, comme vous l’avez fait, que notre compagnie s’était déjà souciée des risques à long terme des enfants conçus par Assistance Médicale à la Procréation. Un rapport de 1996 élaboré par un groupe de travail présidé pas le professeur Laplane et dont les conclusions avaient été approuvées par l’Académie, avait réclamé la mise en place d’un dispositif d’AMP vigilance. Cette recommandation est restée lettre morte, mais il serait peut être opportun que nous insistions sur cette nécessité auprès des pouvoirs publics. Par ailleurs, il ne faudrait pas négliger que le développement de l’AMP n’est pas seulement le résultat d’un « activisme procréatique » des praticiens. Il y a également un autre facteur, social celui-là, c’est l’augmentation de l’âge maternel à la maternité qui augmente le pourcentage des hypofertilités, entraînant en conséquence une reprise médicale.

Vous oubliez le traitement, récent, des stérilités masculines. Le devenir des enfants ainsi nés par ICSI doit être très bien étudié.

M. Maurice TUBIANA

La communication de Madame Barrier et l’intervention de Georges David, faisant suite à celle d’Henrion et de Sureau, doivent nous conduire à agir en ce domaine. Ne pensez-vous pas qu’il est temps de réactualiser le rapport Laplane, de placer les autorités sanitaires et la société devant leurs responsabilités et de proposer des actions précises. L’Académie, me semble-t-il, ne peut pas rester silencieuse devant ces graves problèmes.

Je serais heureuse que l’Académie se saisisse à nouveau de cette question.

M. Roger NORDMANN

Vous avez évoqué l’absence d’étude sur le devenir des enfants nés à terme avec souffrance lors de l’accouchement. Ne pensez-vous pas que beaucoup de ces souffrances qui conduisent à des handicaps « légers » pourraient être évitées par une meilleure surveillance médicale des parturientes supposées sans problème particulier ? J’ai personnellement connaissance de plusieurs cas de souffrances fœtales au cours d’accouchements réalisés en milieu hospitalier
sans intervention d’un médecin obstétricien et qui ont conduit à des retards d’apprentissage et à l’intervention coûteuse de personnels para-médicaux (orthophonistes, etc…). Même si la plupart de ces handicaps ne sont pas dus à de telles souffrances, le pourcentage qui leur est lié ne justifie-t-il pas une meilleure surveillance médicale systématique au cours de l’accouchement, surveillance qui nous paraîtrait beaucoup moins onéreuse pour la société que le coût de la prise en charge de handicaps, même « légers » ?

Il ne faut pas oublier qu’une majorité de ces souffrances fœtales est due à des causes multiples maternelles et fœtales et non pas au travail de l’accouchement. On ne peut que souhaiter, avec vous, la meilleure surveillance possible de tous les accouchements.

M. Michel ARTHUIS

A l’appui de ce que vous venez de dire, je dois confesser que j’ai écrit sous la direction de mon patron Stéphane Thieffry en 1952, un article intitulé « l’hémiplégie cérébrale infantile du traumatisme obstétrical » alors que l’on sait que les hémiplégies cérébrales infantiles sont d’origine prénatale. Quant aux prématurés dits « spontanés », ceux qui ont des séquelles cérébrales posent des problèmes considérables sur le plan de la rééducation et de l’éducation.

C’est vrai, et c’est la raison pour laquelle le diagnostic de souffrance cérébrale doit être fait le plus tôt possible afin que la prise en charge de ces enfants soit précoce et efficace.

* Professeur d’Anesthésie-Réanimation — Hôpital Necker-Enfants-Malades, 149 rue de Sèvres — 75015 Paris. Tirés-à-part : Professeur Geneviève BARRIER, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 6 juin 2000, accepté le 2 octobre 2000.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 1, 91-101, séance du 9 janvier 2001