Communication scientifique
Séance du 9 février 2010

La kératoplastie transifxiante à ciel fermé, technique de sécurité dans certaines greffes de cornée, en particulier chez l’enfant

MOTS-CLÉS : kératoplastie pénétrante
Under cover penetrating keratoplasty : a safer technique, especially for children
KEY-WORDS : keratoplasty

Jean-Louis Dufier

Résumé

La greffe de cornée de pleine épaisseur ou kératoplastie transfixiante constitue le recours thérapeutique habituel lorsque la cornée est totalement opacifiée. Quel que soit le mode de trépanation, le moment dangereux de l’intervention se situe lorsque l’œil est à ciel ouvert, en raison du risque d’issue de vitré, voire d’hémorragie expulsive. La kératoplastie transfixiante à ciel fermé qui ne laisse jamais le contenu oculaire à découvert, constitue une technique de sécurité tout particulièrement chez les enfants mais aussi chez les aphaques et dans toutes les trépanations de grand diamètre.

Summary

Penetrating keratoplasty is usually performed when the cornea has lost all transparency. Irrespective of the instruments used, the most awkward step occurs when the cornea is removed. In aphakic and infant eyes there is a high risk of lens expulsion, vitreous loss, or choroidal effusion. Under-cover penetrating keratoplasty never leaves the anterior segment exposed, and is therefore safer for infant and aphakic eyes and when large-diameter trepanation is necessary.

INTRODUCTION

L’opacification totale de la cornée est l’indication majeure de la greffe de pleine épaisseur ou kératoplastie transfixiante. Celle-ci est indiquée dans les graves séquelles cornéennes d’infection virale, bactérienne ou mycosique, de traumatismes, d’envahissement tumoral, et de malformation congénitale par dysgénésie du segment antérieur [1].

Le moment dangereux de l’intervention se situe lorsque, après trépanation, le globe oculaire se retrouve à ciel ouvert avant le positionnement et la suture du greffon cornéen. [2] Il expose au risque per-opératoire d’issue du contenu oculaire sur des yeux prédisposés ou lors de trépanations de très grand diamètre.

Ce risque est particulièrement élevé chez les enfants et les patients jeunes dont la choroïde est richement vascularisée et le cristallin souple et déformable, exposant à l’éventualité d’une hernie du cristallin, d’une issue de vitré voire à l’extrême d’une hémorragie expulsive avec issue totale des structures internes de l’œil sous la poussée irrésistible d’un hématome choroïdien.

Les patients dépourvus de cristallin (aphaques, pseudo-phaques) sont également exposés au risque d’issue de vitré et les aniridiques privés de rideau irien à celui de la hernie du cristallin.

La technique de la kératoplastie à ciel fermé vise à prévenir ces redoutables complications per-opératoires.

TECHNIQUE (Fig 1-4)

Le greffon cornéen de banque de donneurs est préparé sur table avec un diamètre supérieur de 0,25 mm à celui de la trépanation de la cornée du receveur pour accroître son étanchéité et son rayon de courbure.

La trépanation de la cornée réceptrice est effectuée sous microscope opératoire et sur un patient sous anesthésie générale.

Cette trépanation peut être purement manuelle entre pouce et index avec les trépans de Cardona, de Francheschetti, de Baron ou mécanisée avec le trépan de Hanna.

Certains utilisent un anneau de contention de Flieringa préalablement suturé parallèlement au limbe cornéen afin d’en augmenter la rigidité.

Quel que soit l’instrument utilisé, dans cette technique de sécurité, la trépanation initiale reste non perforante et la perforation complète est limitée à un quadrant et effectuée au couteau puis agrandie aux ciseaux courbes selon le trait de trépanation.

Fig. 1. — Glaucome congénital de l’œil gauche par anomalie de von Hippel Fig. 2. — Insertion du greffon cornéen sous l’anomalie de von Hippel Le greffon est alors présenté sur la cornée pathologique et suturé par des points de mono-filament 10/0 au niveau du quadrant incisé.

L’incision est complétée de proche en proche aux ciseaux courbes de Vannas et le greffon suturé au fur à et mesure de son avancée.

Lorsqu’une hémi-circonférence a été ainsi parcourue, la partie libre du greffon est alors glissée sous la cornée malade dont on poursuit l’incision et la suture concomitante, de sorte qu’à aucun moment le contenu oculaire n’aura été à ciel ouvert.

Fig. 3. — L’anomalie de von Hippel ne tient plus que par une charnière et le segment antérieur de l’œil est à ciel fermé Fig. 4. — Greffon totalement serti laissant voir une ébauche de cristallin malformé L’intervention se termine par la reconstitution de la chambre antérieure de l’œil et le contrôle de son étanchéité par injection de sérum physiologique isotonique de préférence aux produits visco-élastiques qui exposent aux poussées d’hypertonie post-opératoire.

Les nœuds des points de suture sont enfouis pour ne laisser aucune aspérité de surface.

INDICATIONS

Cette technique de sécurité est particulièrement utile sur les yeux dépourvus de cristallin (aphaques ou pseudo-phaques) exposés à l’issue de vitré et pour toute kératoplastie transfixiante de grand diamètre.

 

Elle est la technique de choix dans la greffe de cornée chez le nouveau-né et le nourrisson atteints de glaucome congénital qui combine tous les facteurs de risque :

hypertonie oculaire, souplesse du cristallin, choroïde richement vascularisée et à fortiori dans l’aniridie puisque l’absence du rideau irien expose tout particulièrement à la hernie du cristallin.

RÉSULTATS

Cette technique a été utilisée par le même opérateur depuis dix ans au cours de 98 greffes transfixiantes réparties comme suit :

— 57 greffes de cornée chez l’enfant âgé de 3 mois à 6 ans (glaucomes congénitaux, dysgénésies du segment antérieur de Peters, de von Hippel, de Rieger, aniridie congénitale, kératocône) — 41 greffes de cornée chez des adultes aphaques ou pseudo-phaques âgés de 65 à 82 ans ayant dévoloppé une dystrophie endo-épithéliale de Fuchs.

Au cours de ces 98 greffes transfixiantes, nous n’avons jamais eu à déplorer d’incident cristallinien ou vitréen per-opératoire.

CONCLUSION

La kératoplastie transfixiante à ciel fermé est une technique inédite modifiant peu le déroulement de l’intervention tout en apportant une réelle sécurité dans les greffes de cornée chez l’enfant, l’aphaque et pour toutes les greffes cornéennes de grand diamètre.

BIBLIOGRAPHIE [1] Offret G., Pouliquen Y. — Les homogreffes de la cornée.

Paris, Masson, 1973, VI-165 .

[2] Guillaumat L., Paufique L., Charleux J. — Traitement chirurgical des affections oculaires.

Paris, Doin, 1974, T2, 496 .

 

DISCUSSION

M. Henri HAMARD

Quelle est dans votre statistique, la proportion de dysgénésies du segment antérieur ? Quelle est la place de cette technique face à la greffe d’endothelium proposée actuellement ?

Les dysgénésies du segment antérieur de l’œil constituent l’immense majorité des indications de greffe de cornée chez l’enfant. Les causes infectieuses, traumatiques, etc. ne représentent guère que 10 % des interventions. Dans ces dysgénésies, les structures endothéliales mais aussi stromales sont le plus souvent altérées justifiant une greffe de pleine épaisseur. On peut d’ailleurs rester dubitatif quant au caractère pérenne de la greffe endothéliale eu égard à l’espérance de vie de ces jeunes opérés et c’est la raison pour laquelle nous n’avons pas souhaité la pratiquer.

M. André VACHERON

Comment expliquez-vous la récupération souvent longue de la vision chez l’adulte après votre kératoplastie transfixiante à ciel fermé, dont vous avez démontré parfaitement l’intérêt ?

Chez l’adulte, la cicatrice de l’anneau limitant la greffe cornéenne transfixiante demande environ six mois pour permettre l’ablation des sutures, et près d’une année pour recouvrer des conditions optiques du dioptre cornéen antérieur compatibles avec une bonne acuité visuelle chiffrable. Le délai de récupération peut se trouver un peu allongé dans les interventions combinées kératoplastie et intervention de la cataracte.

M. Yves CHAPUIS

Quelle est la provenance des cornées utilisées pour la kératoplastie ? Avez-vous à déplorer des difficultés d’approvisionnement ? La précision et la délicatesse du geste que révèle les images projetées peuvent-elle trouver un équivalent voire une progrès dans le recours à un robot auquel il est si souvent fait allusion dans différents domaines de la chirurgie ?

Les cornées utilisées pour la kératoplastie proviennent de la Banque Française des Yeux qui assure les prélèvements, la mise en culture, la conservation et les différents tests de viabilité ainsi que les prélèvements bactériologiques et les sérologies obligatoires pour toute transplantation interhumaine. Malgré toutes les avancées technologiques en matière de robotisation de certains gestes, la réactivité de l’opérateur devant toute situation chirurgicale inattendue, imprévisible, inhabituelle restera irremplaçable.

M. François DUBOIS

Que faites-vous s’il y a une malformation associée du cristallin ?

Lorsque la dysgénésie du segment antérieur de l’œil s’accompagne d’une altération du cristallin, dans sa transparence, dans sa forme ou dans sa position, une chirurgie du cristallin avec mise en place d’un implant est indispensable dans le même temps opératoire ou dans un second temps, selon les conditions anatomiques.

 

<p>* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine Service d’Ophtalmologie, Hôpital Necker Enfants-Malades, 151, rue de Sèvres, 75015 Paris, e-mail : jean-louis.dufier@nck.ap-hop-paris.fr Tirés à part : Professeur Jean-Louis Dufier, même adresse Article reçu le 17 juin 2009, accepté le 12 octobre 2009</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 2, 409-414, séance du 9 février 2010