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Session of 1 octobre 2001

La crise biologique de la fin du crétacé et la disparition des dinosaures. Validité de l’hypothèse cosmique

MOTS-CLÉS : animaux disparus. limite crétacé tertiaire. météorite.. paléobiologie. reptiles, fossiles
Mass Extinction at the Cretaceous/Tertiary boundary and dinosaur’s death. Validity of the bolide hypothesis
KEY-WORDS : cretaceous, tertiary boundary. extinct animals. meteorite.. paleobiology. reptiles, fossil

J-P. Magnol

Résumé

L’histoire de la vie, apparue il y a plus de 500 Ma, est caractérisée par le renouvellement incessant des faunes et des flores. A cinq reprises le « bruit de fond » des extinctions devient une extinction massive (EM), c’est-à-dire une crise majeure de la biosphère effondrant la courbe ascendante de la biodiversité. L’EM de la fin du Permien est la plus meurtrière mais celle du Crétacé sommital, qui voit l’extinction des dinosaures, est la plus connue. Ces « reptiles » terrestres aux membres parasagittaux meurent en effet jusqu’au dernier, comme les ptérosaures, les mosasaures… et de nombreux invertébrés. Les hypothèses visant à expliquer leur disparition sont nombreuses, trop souvent non vérifiables et/ou extravagantes. La dernière en date, celle d’une collision entre la Terre et un bolide céleste, suscite depuis plus de vingt ans des débats passionnés entre catastrophistes et gradualistes, même si la réalité de l’impact ne fait plus guère de doute (découverte de l’astroblème de Chicxulub, pic d’Iridium, tectites d’impact, quartz choqués, magnétites nickélifères…). C’est maintenant l’ampleur des effets délétères (répercussions régionales ou planétaires ?) qui est discutée. Un constat important, si l’on se réfère aux données obtenues en milieu océanique et accessoirement en milieu continental où les informations sont trop souvent fragmentaires, est celui du caractère sélectif des extinctions, l’événement de la limite C/T ruinant certains taxons tandis que d’autres sont épargnés. Cette observation s’accorde mal avec l’hypothèse d’une catastrophe brutale, de grande intensité et de portée planétaire. Il semble donc raisonnable de faire intervenir également des facteurs terrestres intrinsèques, liés à la dynamique du globe (éruptions volcaniques, recul des mers épicontinentales, rafraîchissement du climat…) dont l’action s’inscrit dans la durée. La collision avec la météorite de Chicxulub interviendrait alors et singulièrement pour le continent Nord-Américain, comme un « coup de grâce » dans un écosystème fragilisé.

Summary

The history of life, which appeared more than 500 million years ago, has been characterized by a constant faunal and floral turnover. On five occasions, the background extinctions has become a mass extinction (ME), i.e. a major biotic crisis collapsing the upward curve of the biodiversity. The mass extinction of the end of the Permian is the most murderous but the end-Cretaceous one, which experiences dinosaur’s death, is the most well-known. In fact, these land-dwelling reptiles with upright limbs, as well as the pterosaurs, the mosasaurs and numerous invertebrates die as far as the last. There exists a lot of hypotheses tending to explain their death but they are often extravagant and/or impossible to be verified. The last one, referring to a collapse between the earth and a heavenly large bolide has given rise, since more than 20 years, to heated debates between catastrophists and gradualists, even if the reality of the impact seems no more doubtful (discovery of Chicxulub impact crater, iridium anomaly, tektite glass, shocked quartz, spinels with high nickel concentrations). It is now the extent of the deleterious effects (regional or worldwide repercussion) which is debating. By referring to the obtained data in oceanic environment and, if necessary, in terrestrial environment where fossil record is too often incomplete, it can be noticed an important fact corresponding to a selective character of extinctions, the event of the C/T boundary killing off some taxa while others are preserved. This remark does not really correspond to the hypothesis of a sudden planetary catastrophe of large magnitude. Consequently, it seems to be reasonable to make arise intrinsic factors associated to the dynamics of the globe (volcanic eruptions, marine regression, fall of temperature) over a long period. The collapse with the Chicxulub asteroid should then come up, especially in Western North-America, as a « coup de grâce » in a weakened ecosystem.

* Correspondant de l’Académie nationale de médecine.

Professeur d’Anatomie Pathologique — ENVL — 1, avenue Bourgelat — 69280 Marcy l’Étoile.

Tirés-à-part : Professeur Jean-Pierre MAGNOL, à l’adresse ci-dessus.

Article reçu le 1er juin 2001, accepté pour publication le 25 juin 2001
INTRODUCTION

Depuis 540 millions d’années (Ma), début des temps fossilifères, l’histoire de la vie a subi un « bruit de fond » d’extinctions. Suivies de renouvellements fauniques elles ont permis, en parallèle avec les événements sédimentaires, d’établir une stratigraphie.

Les paléontologues [1] admettent de surcroît que la biosphère a été ruinée, à cinq reprises au moins, par des crises planétaires d’intensité majeure qualifiées d’extinctions de masse (EM). La dernière en date (-65 Ma), la crise Crétacé/Tertiaire ou C/T 1 , se situe à la charnière du Mésozoïque (ère Secondaire) et du Cénozoïque (ère Tertiaire).

Le grand public ne l’ignore pas qui se réfère à l’exemple emblématique des dinosaures, ces « reptiles » terrestres aux membres érigés, qui régnèrent sur les terres émergées et disparurent au bout d’une dictature de 150 Ma, suscitant une foule 1. Limite K/T des auteurs anglo-saxons (Kreide = Crétacé en allemand). Il serait, en réalité, plus précis de dire crise Maastrichtien (dernier étage du Crétacé) — Paléocène (premier étage du Cénozoïque).

d’hypothèses, des plus sérieuses aux plus extravagantes. Parmi les premières, nous retiendrons les effets délétères, au Crétacé sommital, d’une importante régression marine conséquence d’un refroidissement climatique, d’éruptions volcaniques massives en particulier sur la plaque Indienne en mouvement et, enfin, de la chute d’un bolide céleste, Supernova, comète 2 ou astéroïde. Les deux premiers facteurs, liés à la dynamique du globe, inscrivent leur action, sélective, dans la durée (thèse « gradualiste »), tandis que le dernier, d’origine extra-terrestre, se caractérise par des effets en principe non sélectifs, soudains et brutaux (thèse « catastrophiste 3/impactiste »).

L’hypothèse cosmique, la dernière en date [2],développée à la suite de la découverte d’un pic d’Iridium au Crétacé sommital, a connu au fil des ans un succès grandissant, à telle enseigne que bon nombre de paléontologistes — y compris parmi les vertébristes — ont quitté le camp « gradualiste » [3].

Cette présentation a pour objectif d’apprécier l’importance relative des principaux facteurs incriminés dans l’EM de la limite C/T, à la lumière des faits d’observation relevés, pour cette courte période, en milieu continental et aquatique.

LES CRISES DE LA BIOSPHÈRE

Le « bruit de fond » des extinctions

Depuis le début des temps fossilifères ou Phanérozoïque 4 , la diversité des familles vivant dans les océans montre, dans ses grandes lignes, une tendance à l’accroissement (Fig. 1). Elle augmente du Cambrien à l’Ordovicien, atteint un plateau (500 familles environ) dès l’Ordovicien sommital et s’y maintient jusqu’à la fin du Permien où elle chute de moitié. Une croissance assez régulière s’installe alors jusqu’à la fin du Cénozoïque [4, 5]. Depuis les travaux d’Alcide d’Orbigny au milieu du XIXe siècle et ceux, postérieurs, de Georges Cuvier, les naturalistes ont pris la mesure de cette richesse croissante et du remplacement continuel des paysages fauniques par d’autres, amenant un tracé en « dents de scie » de la courbe de la biodiversité examinée dans le détail. Chaque étage 5 géologique est ainsi caractérisé par des modifications significatives de la flore et/ou de la faune, comme l’apparition de taxons « marqueurs ».

2. La chute, en juillet 1994, de la comète Shœmaker-Levy sur Jupiter y a laissé plusieurs cicatrices bien visibles, la plus importante ayant le diamètre de la terre.

3. Le « catastrophisme » a été introduit par Cuvier pour expliquer les vagues successives des renouvellements fauniques. En raison de sa connotation anti-transformiste, il était malséant de l’évoquer jusqu’à la suggestion par Alvarez [2] d’une collision avec une météorite.

4. Le Phanérozoïque débute au Cambrien inférieur (-540 Ma) avec l’élaboration d’un test par les micro-organismes des océans. Ce n’est que très exceptionnellement que des faunes plus anciennes et exclusivement constituées de tissus mous ont été préservées, comme celle, très énigmatique, d’Ediacara (Australie) datée du Précambrien final (-620/-550 Ma).

5. Un étage commence avec une transgression marine et s’achève par une régression. Sa faune est différente de celle des étages qui précèdent et suivent. Les étages (ex : Maastrichtien, dernier étage du Crétacé) sont regroupés en époques (ex : Crétacé supérieur, allant du Cénomanien au Maastrichtien), périodes (ex : Crétacé), ères (ex : Mésozoïque).

FIGURE 1. — La courbe de la biodiversité dans le domaine océanique pendant le Phanérozoïque.

Les extinctions massives

L’examen de la courbe de la biodiversité (Fig. 1) révèle, à intervalles irréguliers, des entailles profondes correspondant à des crises aiguës de la biosphère ou extinctions de masse (EM). Leur nombre est égal à cinq 6 (« Big Five » des auteurs Anglosaxons). Elles marquent, de la plus ancienne à la plus récente, l’Ordovicien final, le Dévonien supérieur, le Permien supérieur (limite Permo-Trias), le Trias supérieur et le Crétacé sommital (limite Crétacé /Tertiaire ou C/T) avec, respectivement, élimination de 20/26 %, 21/22 %, 50/57 %, 22/23 % et 15/16 % des familles [5]. Chacune de ces EM semble résulter d’une combinaison originale de facteurs, ce qui ruine l’hypothèse parfois avancée d’un « Serial Killer » (collisions cycliques avec des bolides terrestres…) au « modus operandi » toujours identique [6-8].

6. Il faudrait rajouter la crise de la fin du Précambrien qui permit l’explosion de la vie au Cambrien inférieur sous des formes très diverses, appartenant déjà à tous les plans d’organisation connus.

Les données obtenues dans le domaine continental, pour l’ensemble des tétrapodes, ne sont pas exactement superposables, les crises de la biosphère ne pouvant être enregistrées qu’à partir de la conquête des terres émergées 7. Par ailleurs, le recueil des données en milieu terrestre où les conditions de fossilisation sont très généralement problématiques est aléatoire, et le message paléontologique tronqué [5, 9, 10].

Il demeure malgré tout possible d’identifier, outre une crise au Permien inférieur (pour les Amphibiens) et à l’Oligocène basal (pour les Mammifères arboricoles, Primates et Dermoptères 8…), les trois dernières EM attestées dans le domaine océanique (Permien supérieur, Trias supérieur, limite C/T). À la charnière du Crétacé et du Tertiaire, les dinosaures qui peuplaient les terres émergées de l’Antarctique à l’Alaska et de l’Australie à l’Amérique du Nord n’étaient pas, loin s’en faut, les seuls vertébrés terrestres. D’autres Reptiles, lézards, serpents, tortues, crocodiles, champsosaures 9, s’aventurèrent sur la terre ferme arborée 10, tout comme les premiers mammifères, multituberculés, marsupiaux ou placentaires, la plupart du temps de très petite taille.

Ptérosaures 11 et oiseaux (énantiornithes) hantaient les falaises côtières, la canopée et les airs. L’EM de la limite C/T, qui épargna nombre de ces groupes d’animaux, est loin de revêtir les allures d’holocauste qui sont celles, en particulier, de la crise de la fin du Paléozoïque [5, 10-12]. Il s’agit pourtant de la crise biologique la mieux connue du grand public et cette attirance semble due — au moins partiellement — au symbolisme qui se dégage de la disparition brutale, inattendue, et sans retour, d’un groupe animal puissant et dominateur : les dinosaures 12.

LA CRISE DE LA LIMITE C/T : BILAN DANS LE DOMAINE CONTINENTAL ET EN MILIEU OCÉANIQUE

L’ensemble des taxons franchirent la limite C/T selon quatre modalités [5, 12] dont certaines s’éloignent radicalement de cette image de nuit de la St Barthélemy 13, si bien ancrée dans l’esprit du grand public :

— taxons moribonds ou même éteints avant la limite C/T : inocérames 14, rudistes 15, bélemnites 16 [11], ammonites 17 [14], ichthyosaures 18 [15] ;

7. La barrière de l’interface eau-atmosphère ne fut franchie qu’au Dévonien (vers -400 Ma), avec les premiers Amphibiens.

8. Mammifères euthériens pourvus d’un patagium.

9. Reptiles proches des crocodiles longirostres.

10. Les prairies de graminées n’apparaîtront qu’ultérieurement.

11. Reptiles adaptés au vol battu grâce à une membrane alaire tendue sur le quatrième doigt très allongé.

12. Des ossements de dinosaures ont pu être retrouvés dans des sédiments plus récents (Cénozoï- que). Leur présence résulte, en réalité, du remaniement de dépôts fossilifères plus anciens. Par ailleurs la disparition sans appel des dinosaures ne concerne évidemment pas la descendance des petits Théropodes agiles de la famille des Dromaeosauridés, c’est-à-dire les Oiseaux.

13. 15/16 % d’extinctions en milieu marin contre 50/57 % au Permo-Trias par exemple.

14. Bivalves marins du Jurassique et Crétacé.

15. Mollusques bivalves bâtisseurs de récifs qui disparurent par « paliers » entre -68 et -65 Ma, après 90 Ma d’existence [13].

— taxons décimés mais franchissant la limite C/T en se réfugiant dans des « sanctuaires » (abysses…). Retrouvés ultérieurement et contre toute attente, ils ont été dénommés taxons « Lazare » ;

— taxons insensibles à l’événement C/T ;

— taxons exterminés par l’événement C/T.

Les deux dernières modalités surtout s’avèrent utiles pour tester la pertinence des scénarios proposés.

Les dinosaures au Crétacé sommital

Est-on aujourd’hui en mesure d’affirmer, pour les dinosaures du Maastrichtien, un déclin progressif en accord avec l’hypothèse « gradualiste » ou, au contraire, l’intervention d’un événement fauchant brutalement un groupe en plein foisonnement, thèse en harmonie avec les prises de position « catastrophistes/impactistes » ? En réalité, les partisans de l’une et de l’autre théorie persistent à défendre âprement leur position.

Nous n’en donnerons que quelques exemples particulièrement démonstratifs. À quelques années d’intervalle parurent, dans la revue Science , les résultats diamétralement opposés de deux enquêtes menées en partie sur des lieux de récolte voisins.

Pour Sloan et al [16], qui font état de leurs découvertes dans le Montana, l’Alberta et le Wyoming, la biodiversité des dinosaures, en compétition avec les mammifères ongulés, diminua pendant les 7 derniers Ma avec une accélération de -300 000 ans à la limite C/T. Sheehan et al [17] interrogent la « Hell Creek formation » du Montana ainsi que des sites du Dakota du Nord et affirment une certaine stabilité pour huit familles 19 (et 14 genres) de dinosaures pendant 2,2 Ma (Tableau 1). Une incertitude pèse toutefois sur les derniers 250 000 ans. Qu’en est-il dans les autres régions du globe où la charnière C/T est susceptible d’être explorée en milieu continental ? Pour l’Europe, Buffetaut et Le Lœuff [18-21] soulignent la diversité des dinosaures du Sud de la France au Crétacé sommital (Tableau 1). Pour ce dernier auteur, ardent prosélyte de la théorie de l’impact [21], les 67 espèces (appartenant à 61 genres) actuellement répertoriées au Crétacé sommital ne représenteraient que la biodiversité apparente. Reprenant la méthode de Russell (utilisée pour les mammifères du 16. Les bélemnites, abondantes au Jurassique et au Crétacé inférieur, disparurent du domaine Téthysien lors de la transgression Cénomanienne et ne persistèrent que dans les eaux boréales et australes.

17. Il semble que la biodiversité des Ammonites déclina progressivement 6 Ma avant la limite C/T [5]. Toutefois plusieurs espèces subsistèrent dans le Crétacé très sommital : une dizaine en baie de Biscaye [14], 16 en Tunisie, 9 au Danemark…

18. Les Ichthyosaures, pourtant merveilleusement adaptés au milieu marin [15], s’éteignirent il y a 90 Ma, pendant la transgression Cénomanienne, après une période d’apparente restriction de leur diversité.

19. Les auteurs ne purent travailler au niveau spécifique en raison des difficultés de diagnose entre éléments crâniens de Triceratops et de Torosaurus .

TABLEAU 1. — Diversité des dinosaures au Crétacé sommital.

Pléistocène supérieur) il extrapole à partir de données établies pour l’Amérique du Nord et propose une biodiversité réelle de 400 genres… En revanche, sur le versant Espagnol des Pyrénées (bassins de Tremp et d’Ager, province de Lérida), Galbrun et al [22] estiment que les Dinosaures disparurent entre 1 Ma et 350 000 ans avant la fin du Crétacé. Ce constat est corroboré par l’étude des pontes. Vianey-Liaud et al [23] montrent, pour le bassin de l’Arc à Aix-en-Provence, une diminution du nombre des ootaxons, de 5 pour le Maastrichtien inférieur à un seul pour la limite C/T. (Fig. 2).

En Chine, dans le bassin de Nanxiong, Zhao [24] note un appauvrissement encore plus sévère des ootaxons, chutant de 12 à un ( Macroolithus yaotunensis ), le seul à atteindre le Crétacé sommital.

Une réponse définitive aurait, en réalité, été apportée depuis longtemps, si la référence au temps était plus précise, le recueil des fossiles en milieu continental moins aléatoire et leur identification possible au niveau spécifique.

— La référence au temps est obligatoire de façon à saisir l’acuité d’une extinction qui est proportionnelle au rapport Nombre de taxons anéantis sur temps écoulé.

Or la datation absolue par radiochronologie 20 souffre, aux alentours de la limite 20. La radiochronologie est basée sur le temps de désintégration d’isotopes radioactifs naturels (rapport isotopique Potassium/Argon). Selon Odin, cité par Lethiers [5], l’incertitude relative de fi 0,3 Ma à déplorer pour l’Oligocène moyen, atteint fi 3 Ma pour le Carbonifère.

FIGURE 2. — Distribution des ootaxons dans le Maastrichtien (=Rognacien) du bassin d’Aix.

Simplifié d’après Vianey-Liaud [23].

FIGURE 3. — Effet SIGNOR-LIPPS.

C/T, d’une marge d’incertitude de 0,5 Ma. L’épaisseur de la couche de sédiment entre le fossile découvert et la couche à pic d’Iridium pourrait être prise en considération, mais le taux de sédimentation peut varier dans de telles proportions qu’il expose à des évaluations faussées 21.

En pratique, il est le plus souvent impossible de dater entre -69 et -65 Ma, un fossile de dinosaure extrait des dépôts du Maastrichtien supérieur [21].

— Un deuxième écueil est représenté par le caractère lacunaire de l’enregistrement fossile.

En milieu lacustre ou marin les conditions de fossilisation sont généralement bonnes. Pour les Reptiles marins par exemple, Mazin [15] signale 500 espèces réparties en 225 genres et 50 familles. La collecte des vertébrés terrestres fossiles, en revanche, est en règle générale 22 fort aléatoire : les cadavres exposés à l’air libre, disloqués et dispersés par les charognards, sont peu à peu délités sous l’action des agressions physico-chimiques [5, 21]… Suivre l’évolution des faunes de vertébrés du Crétacé sommital, de façon à saisir le caractère graduel ou brutal de leur décimation, demeure par conséquent une entreprise hasardeuse, la soudaineté d’une extinction pouvant se trouver masquée par le caractère discontinu du recueil des fossiles ou effet SIGNOR-LIPPS (Fig. 3). Le rapport espèces/genres très faible (67/61, voir plus haut) et l’étroitesse des aires de répartition 23 enfin, dénoncent à l’évidence l’insuffisance des données.

— Une troisième difficulté réside dans le choix du niveau taxonomique .

Le recensement le plus fiable reposerait sur l’espèce mais, en pratique, le Paléontologiste se heurte à plusieurs difficultés. En premier lieu de nombreux fossiles fragmentaires (pour les vertébrés) ne peuvent être déterminés avec ce degré de précision (voir note 19), de telle sorte que si l’on persiste à vouloir atteindre le niveau spécifique, force est d’abandonner une partie de l’échantillon récolté.

L’espèce, d’autre part, adaptée à une niche écologique étroite, reconnaît souvent une aire de répartition restreinte, ce qui gêne les évaluations à l’échelon plané- taire. On comprend, dès lors, que la famille puisse rallier bien des suffrages en raison de ses qualités inverses : diagnose possible à partir de matériel fragmentaire et large répartition latitudinale. Son usage n’est cependant pas exempt d’inconvénients [11]. Taxon artificiel, sans réalité biologique, la famille peut se 21. La chute du taux de sédimentation tasse les événements. Par ailleurs un taux de sédimentation effondré concentre l’Iridium micro-météoritique (dû au saupoudrage annuel de la Terre par 15 000 tonnes de matériaux extra-terrestres) aboutissant à une anomalie en pic qu’il faudra distinguer de celle accompagnant la chute d’une météorite.

22. Ce n’est que très exceptionnellement que des individus isolés, des hardes monospécifiques ou des populations entières dans leur diversité, se trouvent piégés par des accidents de terrain (Iguanodons de Bernissart) ou rapidement engloutis par des crues catastrophiques ( Cœlophysis de Ghost

Ranch) ou des tempêtes de sable (dinosaures du Gobi…).

23. Les affleurements fossilifères témoins sans lacune de sédimentation du passage C/T ne sont, pour l’ensemble de la planète, qu’au nombre d’une vingtaine, et situés pour la plupart au nord du continent américain.

révéler monophylétique, mais aussi paraphylétique ou même polyphylétique, brouillant les pistes lorsqu’il s’agit d’analyser sa réponse à un stimulus. L’usage des taxons de haut rang (familial, ordinal …) nivelle de surcroît les variations qui apparaissent ainsi plus graduelles. On comprend, dans ces conditions, la prudence avec laquelle doivent être considérées les estimations quantitatives obtenues en milieu continental. C’est, en réalité, l’étude des bouleversements subis par les faunes aquatiques, déterminées au niveau spécifique, enregistrées sans lacune, datées de façon précise par les microfossiles planctoniques, qui pourrait, par extrapolation, éclairer les causes, soudaines ou graduelles, de la disparition des dinosaures.

L’événement C/T dans les océans et les eaux douces

Dans les océans (Tableau 2), l’événement C/T [5, 10] détruisit 50 % des espèces de foraminifères (protozoaires à test calcaire), 80 à 90 % des espèces de coccolithophoridés (algues à test calcaire), de nombreux microphages suspensivores, les dernières espèces d’ammonites et les grands reptiles marins qui succédèrent aux ichthyosaures, soit les plésiosaures, pliosaures et mosasaures 24. Furent en revanche épargnés, le phytoplancton à test siliceux ou chitineux (diatomées, dinoflagellés…), les mollusques gastéropodes et bivalves détritivores benthiques et, parmi les Céphalopodes, les nautiles [14]. Dans les eaux douces (lacs et cours d’eau…), où la chaîne trophique n’est pas planctonique mais détritique et humique (donc dépendante de l’activité bactérienne et fongique), poissons, tortues et prédateurs piscivores (crocodiles…) franchirent, sans handicap majeur, ce cap difficile [5, 21]. Au cours du passage Maastrichtien-Paléocène, le caractère sélectif des extinctions apparaît ainsi clairement (Fig. 4). Fougères, batraciens, champsosaures, mammifères placentaires furent épargnés selon Archibald [26], tandis que gymnospermes, tortues, crocodiles, poissons osseux, mammifères multituberculés ne subirent que superficiellement la crise (entre 50 et 90 % d’espèces survivantes). Les lacertiliens furent frappés plus sévèrement (30 % d’espèces survivantes), les angiospermes (pour l’Amérique du Nord) et les mammifères marsupiaux décimés (10 %), les ptérosaures et dinosaures exterminés jusqu’au dernier (voir note 12).

Parmi les hypothèses avancées pour expliquer les bouleversements de la Biosphère au Crétacé final, la plus séduisante sera celle qui expliquera tout aussi bien les raisons de l’extermination des uns que les motifs de la survie des autres.

24. Ces trois taxons possédaient de grandes palettes natatoires. Les plésiosaures étaient nantis d’une petite tête terminant un long cou serpentiforme, particulièrement étiré chez les élasmosaures. Les pliosaures avaient un cou court, mais leur tête était longue et robuste. Les mosasaures, grands reptiles marins varanoïdes, avec 70 espèces et une distribution mondiale, étaient en pleine radiation évolutive à la fin du Crétacé [15]. Ils se nourrissaient de congénères, de poissons, de reptiles, d’ammonites dont plusieurs exemplaires retrouvés montrent des traces de morsure [25].

En l’absence de prédateurs identifiés, leur disparition brutale est de type catastrophique.

TABLEAU 2. — L’événement C/T dans les océans.

FIGURE 4. — Sélectivité des extinctions pour les Vertébrés aquatiques, aériens et terrestres, d’après les données d’Archibald, Lethiers [5].

LES FACTEURS INCRIMINÉS DANS LA CRISE C/T

Ils sont classiquement distingués en facteurs terrestres liés à la dynamique du globe et facteurs cosmiques : collision avec une comète [27] ou un astéroïde.

Les facteurs terrestres font appel à une régression marine et à une recrudescence de l’activité volcanique.

Refroidissement global et régression marine

Un refroidissement global de la planète, affectant les terres émergées et les océans, ne fait guère de doute, même si l’accord n’est fait ni sur ses causes, ni sur les modalités de son installation, probablement graduelle. Au Danien, premier étage du Cénozoï- que marin, la migration dans le domaine téthysien privé de ses espèces sténothermes, de faunes boréales (gastéropodes, globigérines…), accompagna peut-être un flux d’eaux douces et froides en provenance de l’océan arctique, signant une chute conséquente de la température (10° ?). Sur les terres émergées, le développement des arbres à feuilles dentelées par rapport à ceux à feuilles lisses va dans le même sens [11]. Ce refroidissement global n’est pas sans affecter l’eustatisme qui désigne les oscillations du niveau des Océans, susceptibles d’augmenter (transgression) ou de réduire (régression par contraction du volume des eaux océaniques) la superficie des mers épicontinentales (pelliculaires). Dans le domaine marin, les régressions de la fin du Mésozoïque provoquent une hécatombe dans la faune benthique, la vie se concentrant habituellement dans la tranche d’eau de moins de 200 m de profondeur (biomasse de 1 000 g/m2, contre 0,1 à 5 g/m2 pour la biomasse abyssale).

Dans le domaine continental, l’augmentation de la superficie des terres émergées peut, paradoxalement, entraîner une diminution du nombre des espèces, en particulier chez les tétrapodes de plus de 10 kg (on évoquera en particulier la destruction des habitats des basses plaines côtières, la mise en contact de faunes jusque-là séparées). Les vertébrés dulcicoles sont, en revanche, peu affectés grâce à l’augmentation de la longueur des cours d’eau et de la surface des biotopes d’eaux douces et saumâtres [21].

La régression marine par thermo-eustatisme contemporaine du Crétacé sommital (elle débuta il y a 70 Ma), fut de grande ampleur puisqu’elle exonda quelque 29 millions de km2, soit une superficie correspondant sensiblement à celle du Continent Africain [26]. On estime qu’elle réduisit la chaîne trophique océane, qu’elle accusa le caractère tranché des saisons et la continentalisation des vastes étendues émergées (désertification d’une partie de la Chine [24]) et qu’elle mit en rapport des continents jusque-là séparés, autorisant de dangereux échanges fauniques (compétition alimentaire, propagation d’épizooties foudroyantes 25…).

25. La baisse du niveau des mers mit en communication l’Amérique du Nord et l’Asie par le détroit de Béring exondé et, dans l’hémisphère austral, l’Amérique du Sud et l’Australie via l’Antarctique, l’ensemble formant le domaine néogondwanien [20]. Le brassage des populations intro-

Bien que perturbant l’ensemble des écosystèmes, la régression marine ne semble pas capable, à elle seule, d’expliquer les changements observés. C’est ainsi que dans les océans, les formes pélagiques mobiles (plancton, necton… pourtant susceptibles d’accompagner le reflux) furent décimées et les formes benthiques relativement épargnées.

Le volcanisme de « point chaud »

La dynamique du globe et, en particulier, l’instabilité des courants de convection à la limite noyau-manteau, génèrent des émissions pulsatiles de panaches mantéliques ascensionnels qui « digèrent » la lithosphère et s’épandent sous forme de coulées basaltiques, les traps (escaliers en Néerlandais). Les traps basaltiques [28-30] recouvrent actuellement de vastes surfaces en plusieurs points du globe, en particulier en Sibérie (2 500 000 km2 pour 3,7 km d’épaisseur) et en Inde, dans le Deccan 26 (510 000 km2 pour une puissance de 2,4 km).

Les traps du Deccan qui, selon Officer et Drake [28] puis Courtillot [30], devaient au Crétacé final recouvrir plus de 2 000 000 de km2, pour un volume total de lave excédant 2 000 000 de km3, sont datés de la fin du Crétacé et se révèlent donc particulièrement intéressants dans la perspective qui est la nôtre.

Diverses approches (datations isotopiques, inversions du champ magnétique…) conduisent, en effet, à estimer la période d’activité volcanique à 500 000 ans répartis de part et d’autre de la limite C/T [30]. L’épandage débuta pendant le dernier intervalle magnétique normal du Crétacé (30 N), atteignit son paroxysme au cours de l’intervalle inversé suivant (29 R, intervalle qui contient la limite C/T) et s’acheva lors du premier intervalle normal du Cénozoïque (29 N).

Une activité volcanique intense, en enrichissant l’atmosphère en fines poussières, se traduit par des effets immédiats assez proches de ceux occasionnés par l’impact d’une météorite (diminution de la luminosité et de la température 27…), mais plus étalés dans le temps. Il est donc possible que la collision avec le bolide vint ajouter ses effets aigus à ceux, plus chroniques, du volcanisme de point chaud.

duisit des agents pathogènes nouveaux probablement à l’origine d’épizooties. Rappelons ici l’épisode de la peste bovine. D’origine asiatique, elle fut introduite en Afrique noire par les bovins indiens tractant le long du Nil les canons de Lord Kitchener en route pour Fachoda et elle décima, de façon extrêmement sévère, la faune des ongulés de Khartoum au Cap.

26. L’épandage eut lieu alors que la plaque Indienne était encore en mouvement (avant sa collision avec la plaque Eurasienne) à l’emplacement actuel de l’île de la Réunion. Le piton de la Fournaise y représente le « cordon ombilical » reliant les couches profondes du manteau à la croûte terrestre, témoin datant de la fin du Crétacé [5].

27. En 1816, l’éruption d’un volcan, le mont Tambora sur l’île de Sumbawa en Indonésie, projeta dans l’atmosphère de grandes quantités de fines poussières. En Nouvelle-Angleterre il neigea en juin et gela à pierre fendre pendant toute la durée du mois d’août, compromettant les récoltes et provoquant une famine.

L’impact météoritique

L’anomalie de l’Iridium

Dans la mince couche (1 cm) d’argile sombre qui signale en plusieurs points du globe le passage du Maastrichtien au Paléocène, Alvarez [2] découvre une concentration en Iridium, métal rare de la famille du platine, cent fois supérieure à celle attendue.

Le pic d’Iridium, détecté pour la première fois en Ombrie (Gubbio), se retrouve au Danemark (Stevens Klint), en Espagne, en Nouvelle-Zélande [5, 7, 30]… le phénomène est planétaire ! L’hypothèse d’une rencontre avec une Supernova n’est pas retenue puisque le Plutonium 244 manque et que le rapport isotopique I 191/I 193 est bien celui du système solaire [31, 32]. Le bolide céleste serait un fragment d’astéroïde, une météorite [33]. Sachant sa concentration moyenne en Iridium et la quantité dispersée à la surface du globe, on peut estimer sa masse à 2 500 milliards de tonnes, son diamètre à 10/12 km, ce qui permet d’évaluer le cratère d’impact (astroblème) aux environs de 200 km. L’hypothèse de l’impact météoritique est successivement renforcée par la découverte, aux côtés de l’Iridium, de tectites d’impact 28, de quartz choqués 29 [8, 31, 32, 34] et de spinelles d’ablation 30 ou magnétites nickélifères [8, 31, 32, 35].

Quête d’un astroblème

Le cratère sous-marin de Chicxulub [36], situé au large de la péninsule du Yucatán, de taille et d’âge (64,98 fi 0,05 Ma selon Swisher) compatibles, est inculpé. En forme de fer à cheval, il s’ouvre vers le Nord-Ouest, peut-être en raison de l’incidence rasante de la météorite.

Conséquences possibles de l’impact : un enchaînement de catastrophes [5, 8] cinq milliards de fois Hiroshima : l’énergie libérée par l’impact est égale à la moitié de la masse multipliée par la vitesse (20 km/s) au carré (1/2mv2), soit 5 milliards de fois celle de la bombe d’Hiroshima. Sur ces bases, les théoriciens qui modélisent les phénomènes d’impact ont listé et quantifié les conséquences immédiates et différées ;

— les effets immédiats résultent de la traversée de l’atmosphère et de l’impact sur la tranche d’eau et le socle de gypse. Le déplacement de l’air crée un ouragan dont 28. Les tectites sont des roches vitreuses ayant pour origine la croûte terrestre fondue sous l’effet d’un impact et d’un bond balistique dans l’atmosphère.

29. La couche d’Iridium contient des cristaux de quartz striés de très fines lamelles entrecroisées de silice amorphe. Une telle anomalie est connue depuis les essais nucléaires et témoigne de surpressions de l’ordre de 100 giga pascals.

30. Les spinelles d’ablation, présentes dans la couche à Iridium, se forment lorsqu’un bolide pénètre l’atmosphère terrestre par fusion de sa surface et recristallisation. Il s’agit alors, selon Robin [35], de magnétites nickélifères (Mg, Ni) qui diffèrent des spinelles terrestres d’origine magmatique (Fer, Chrome, Titane).

la vitesse, égale à 20 km/s au point zéro, avoisine encore 500 km/h à 1 000 km de l’épicentre. Une fois l’expansion achevée, l’appel centripète de l’air génère un phénomène de retour [8]. L’échauffement de l’air permet la combinaison de l’azote et de l’oxygène à l’origine d’acide nitrique. L’impact sur une mer peu profonde (100 m) libère une grande quantité de vapeur d’eau et provoque un raz-de-marée (« tsunami »), vague de 100 m de haut se propageant de façon circulaire à partir de l’épicentre. L’écrasement du bolide sur le socle de gypse riche en soufre libère de l’acide sulfurique et déclenche un séisme de très grande ampleur (magnitude 13 sur l’échelle de Richter), provoquant des ondulations de la croûte terrestre de 20 m d’amplitude. À partir du point d’impact enfin, 200 000 km3 de roche-cible fondue et fracassée, mêlée à de la matière météoritique vaporisée, sont projetés à grande vitesse sous forme d’ejecta grossiers et micrométriques ; les ejecta grossiers traversant à deux reprises l’atmosphère (projection et retombée) s’échauffent et sont à l’origine d’un « effet rôtissoire » précoce 31. Sous la mitraille de fragments incandescents, de vastes superficies de forêts s’embrasent, libérant des quantités de suie [37]. Ajoutées aux fines poussières stratosphériques répandues à la surface du globe par le jeu des vents et aux aérosols sulfuriques, elles font écran au rayonnement solaire et sont à l’origine de la nuit et de l’hiver (la température au sol chute de 5 à 10°) d’impact. La photosynthèse planctonique, base de la chaîne trophique océane, se trouve ainsi entravée ou abolie.

Cet effet est peu discuté, Paul et Mitchell [38] ayant montré un effondrement de 99 % du zooplancton lors de diminution de la luminosité pour des durées allant de 9 à 104 jours.

— les conséquences différées font appel aux pluies acides et à l’effet de serre. Les pluies acides résultent de l’hydratation de So et de No , puis de la précipitation 2 2 des acides sulfurique et nitrique. L’importance écologique de ce facteur est discutée pour l’événement C/T, d’Hondt ayant montré que les foraminifères planctoniques et les coccolithophoridés peuvent survivre lors de chute du pH et, à la limite, sans test calcaire… En milieu aquatique dulcicole, leur effet désastreux potentiel sur la faune 32 (poissons…) aurait été localement entravé par l’effet tampon de soubassements calcaires. Après précipitation des poussières, de la 31. Melosh, cité par Frankel [8], estime l’augmentation de température au sol à plus de 400° C pendant une heure. Ce modèle draconien doit être… tempéré. Il n’est envisageable, en l’absence de couverture nuageuse protectrice, que pour quelques milliers de km autour de l’épicentre.

32. Les pluies acides polluent actuellement l’Europe occidentale et l’est des États-Unis, pays industrialisés de longue date, utilisant massivement les combustibles fossiles (charbon). Les précipitations (pluies, neige…) ont vu leur pH s’abaisser, parfois dans des proportions considé- rables. La glace formée au Groenland il y a 180 ans a un pH compris entre 6 et 7,6 alors que le pH mesuré en 1974 en Écosse, lors d’une tempête de pluie, était de 2,4. Lors de précipitations acides continues (pH<4,3) les écosystèmes dulcicoles souffrent, en particulier les poissons, la chute du pH détruisant les populations bactériennes et fongiques à l’origine de la décomposition de la matière organique. Les plus sensibles sont ceux à soubassement rocheux siliceux (granites, gneiss, quartzites, grès quartzeux…), au faible pouvoir tampon.

suie et des aérosols sulfuriques, l’atmosphère retrouve sa transparence. Les rayons infrarouges terrestres, piégés par la vapeur d’eau et le Co produits par 2 l’impact et les incendies de forêt, sont enfin responsables d’un effet de serre. Les conséquences que nous venons de lister, largement admises dans leurs grandes lignes, sont cependant critiquées dans le détail.

UN SCÉNARIO PLAUSIBLE

Au terme de cette tentative qui vise à sélectionner, parmi les hypothèses disponibles, celles permettant d’expliquer le plus grand nombre de faits attestés, nous ne retiendrons ni les propositions non vérifiables sur le terrain (contamination d’espèces endémiques par des immigrants porteurs d’agents pathogènes très virulents…), ni celles focalisées sur les dinosaures et impuissantes à prendre en compte l’ensemble des modifications de la biosphère (destruction des œufs par des mammifères oophages, coquilles anormales compromettant l’éclosabilité, perturbation du sex-ratio pour des espèces dont le sexe est probablement thermo-dépendant…).

Il est, en revanche, en partie démontrable que l’action progressive des facteurs terrestres liés à la dynamique du globe modifia les écosystèmes, précarisant les conditions de vie au Mésozoïque finissant [5]. Le recul des mers épicontinentales, conséquence d’un rafraîchissement du climat et d’une contraction de la masse aqueuse, eut des conséquences variables, bénéfiques ou néfastes, expliquant le caractère sélectif des extinctions. Le cours des rivières et des fleuves s’en trouva allongé, les lacs se multiplièrent, ce qui augmenta le nombre des niches écologiques et la biomasse des animaux dulcicoles (poissons…) et des prédateurs qui s’en nourrissent (crocodiles…) [21]. En revanche, la faune marine benthique qui occupait les vastes surfaces mises à nu (comparables à celle de l’Afrique actuelle), fut peu à peu réduite et le retrait des mers pelliculaires amputa d’autant le territoire de chasse des mosasaures et des ptérosaures, ces derniers disparaissant progressivement, surtout les petites espèces, pour ne conserver, avant la limite C/T, que l’immense Quetzalcoaltus , de 11 mètres d’envergure. Sur la terre ferme, les hautes plaines inondables s’asséchèrent, les habitats côtiers se fragmentèrent, les mangroves disparurent, bouleversant les habitats et les aires de ponte et de nidification. Malheureusement pour les dinosaures, les vastes et plates étendues exondées se révélèrent peu propices à la spéciation. Selon Archibald [26], les dinosaures se trouvèrent « confinés dans des zones toujours plus étroites, un peu comme les grands Mammifères d’Afrique » de nos jours. Par ailleurs, en d’autres points du globe, les conditions de vie se détériorèrent, comme dans le bassin de Nansiong en Chine du Sud, frappé par la désertification et l’assèchement des réserves d’eau 33. Des auteurs comme Zhao [24] relient les anomalies structurales notées dans les coquilles d’œufs de dinosaures, 33. L’épuisement des réserves d’eau est suggéré par l’augmentation du rapport isotopique 18 /16 .

O O L’eau « lourde », dont l’atome d’oxygène compte 18 neutrons, constitue les couches profondes des points d’eau et n’est consommée (donc stockée dans le CaCo3 des coquilles) que lors d’assèchement des réserves.

à l’enrichissement en éléments-trace (Strontium, Cobalt, Nickel, Zinc…) qui en résulte.

C’est donc dans un écosystème pour le moins ébranlé que s’installèrent les éruptions volcaniques du Deccan [28-30] et que survint la chute de la météorite de Chicxulub [36], aux effets assez comparables mais beaucoup plus brutaux. Les conséquences régionales de l’impact furent certainement catastrophiques. Les habitats côtiers qui longeaient la mer divisant en deux (Laramie à l’est, Appalachia à l’ouest), dans le sens sud-ouest /nord-est, le continent Nord-Américain, furent instantanément dévastés par l’action conjuguée du souffle de l’ouragan, du séisme, du coup de bélier du raz-de-marée et de l’embrasement des forêts de conifères et de feuillus. Dans ces contrées les tétrapodes terrestres, quelle que soit leur masse, furent projetés, écrasés, ensevelis, noyés et calcinés. Il faut cependant se garder — comme le font pourtant, si naturellement, la plupart des auteurs d’Outre-Atlantique — d’étendre au reste du globe ces effets régionaux, raisonnablement acceptables pour l’Amérique. À cet égard, la situation originale de la Chine du Sud [24], sous réserve de confirmation, le démontre clairement. Il en résulte que la globalisation de l’événement, dans ses conséquences néfastes à l’échelon planétaire, doit susciter davantage d’interrogations. On peut imaginer que, par le jeu des vents, un épais nuage opaque d’ejecta micrométriques , mêlés à des aérosols sulfuriques et à de la suie [37], se répandit dans la stratosphère. La lumière solaire fut réfléchie, la température chuta et la photosynthèse du plancton et des plantes terrestres fut abolie pendant plusieurs semaines à plusieurs mois, portant un coup sévère à la source même des principales chaînes trophiques. Dans les océans le coup fut peut-être majoré par les pluies acides, qui contrarièrent l’élaboration des tests calcaires pour les foraminifères (Fig. 5) et les coccolithophoridés. L’effondrement de la chaîne trophique planctonique frappa de plein fouet les microphages suspensivores, y compris les embryons d’ammonites dépourvus de réserves 34. Au sommet de la pyramide des prédateurs marins, les mosasaures souffrirent de la disparition des derniers céphalopodes [15]. Diatomées et dinoflagellés, à tests siliceux ou chitineux, furent en revanche épargnés de même que les animaux benthiques détritivores, comme les gastéropodes et certains bivalves qui bénéficièrent d’une véritable « soupe nutritive » sédimentant sur les fonds marins. Dans le domaine continental [39, 40] l’hiver d’impact (aggravé par le volcanisme) décima les angiospermes, plantes à fleurs et à fruits, à un moindre degré les gymnospermes (Ginkgoales, coniférales, cycadales), nourriture de base des dinosaures herbivores fini-Crétacés, condamnant à la famine Hadrosaures et Cératopsiens en Amérique du Nord, Titanosaures, Hadrosaures et Iguanodontidés en Europe [18, 19, 21]. Un sort identique attendait, au sommet de la pyramide des prédateurs, Tyrannosauridés et petits théropodes carnivores comme les Dromaeosauridés [41].

34. À leur éclosion les Ammonites mesuraient moins de 1 mm et il est probable qu’elles passaient les premières semaines de leur vie dans le plancton. À l’inverse, les petits nautiles, dont la taille à l’éclosion oscille entre 9 et 25 mm, recherchent immédiatement leur nourriture en eau profonde, sur les fonds [14].

FIGURE 5. — Biozonation des foraminifères planctoniques à la limite C/T.

Simplifié d’après Lethiers [5].

L’écosystème des eaux douces, en pleine expansion nous l’avons vu, fut en revanche respecté puisque la chaîne trophique y est indépendante de la photosynthèse et repose exclusivement sur les apports détritiques de végétaux d’origine terrestre, en l’occurrence pléthoriques. Les pluies acides ont pu, cependant, fragiliser ces sanctuaires, excepté dans les régions à soubassement rocheux calcaire (effet tampon).

Les insectes, peu affectés [42], assurèrent le couvert des oiseaux et des mammifères placentaires insectivores, omnivores ou charognards opportunistes… Pour ces derniers, un certain nombre de caractéristiques éthologiques constituèrent, de surcroît, des atouts non négligeables : adaptation à la vie nocturne, endothermie, habitat souterrain…

Les effets conjugués de l’impact et de la dynamique du globe finirent par s’estomper au bout de quelques dizaines de milliers d’années, laissant la Biosphère à la recherche d’un nouvel équilibre. Celui-ci se révéla favorable aux fougères 35 pour l’ouest des États-Unis, aux mammifères, aux Primates et à l’Homme, la première espèce dans l’Histoire de la vie à prendre en mains sa destinée. Notre autonomie croissante par rapport aux contraintes du milieu ne nous protège nullement de la collision avec des géo-croiseurs (NEA pour « Near Earth Asteroids »), d’où la mise en place souhaitable de programmes de détection précoce, voire de tirs balistiques thermo35. Les fougères, dont les spores constituent pour ces régions jusqu’à 99 % du matériel recueilli, constituent par excellence le « couvert végétal pionnier » qui succède aux catastrophes.

nucléaires [8]. L’espèce humaine, fort jeune encore à l’échelle géologique, sera forcément confrontée à ce problème 36 comme le prouve la récente découverte de Toutatis, un astéroïde de 6,5 km de diamètre, qui, tous les quatre ans environ, passe à proximité de la Terre. L’humanité ne regrettera probablement pas, le moment venu, de s’être penchée, par pure curiosité intellectuelle mêlée d’un brin de tendresse amusée, sur les causes de la disparition des grands « reptiles » du Mésozoïque.

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