Communication scientifique
Séance du 12 avril 2011

La correction anatomique de la transposition des gros vaisseaux : un modèle de « guérison » en chirurgie cardiaque pédiatrique ?

MOTS-CLÉS : procédures de chirurgie cardiaque. transposition des gros vaisseaux
Anatomic correction of transposition of the great arteries : a model of surgical ‘‘ cure ’’ in pediatric cardiology ?
KEY-WORDS : cardiac surgical procedures. transposition of great vessels

Pascal Vouhé

Résumé

La transposition des gros vaisseaux (TGV) est une malformation congénitale fréquente, caractérisée par une inversion des gros vaisseaux de la base du cœur (aorte et artère pulmonaire). Incompatible avec la vie en l’absence de traitement chirurgical, son pronostic a été transformé par le développement de la chirurgie cardiaque néonatale. La correction dite « anatomique » a été introduite dans les années 1980 ; son but est de reconstruire une anatomie cardiaque proche de la normale ; elle est réalisée en période néonatale, que la TGV soit isolée (dite TGV simple) ou associée à d’autres anomalies (communication interventriculaire, coarctation aortique). Depuis Janvier 1987, 1 020 nouveau-nés ont bénéficié d’une réparation anatomique de TGV dans le service de chirurgie cardiaque pédiatrique du groupe hospitalier Laënnec — Necker-Enfants Malades à Paris. La mortalité globale a été de 4,8 % (49 patients) ; tous les décès sont survenus durant la première année postopératoire. Parmi les 966 survivants qui ont été suivis (suivi moyen de 6,2 ans), 52 enfants (5,4 %) ont été réopérés sans mortalité additionnelle. L’immense majorité des survivants présente une fonction cardiaque et une qualité de vie normales. Au prix d’un taux de mortalité aujourd’hui bas et d’un risque peu élevé de ré-intervention, les résultats à moyen terme de la correction anatomique de la TGV sont excellents, permettant de parler de « guérison » dans la plupart des cas. Les résultats à très long terme restent à évaluer.

Summary

Transposition of the great arteries (TGA) is a common congenital heart malformation, involving inversion of the two great vessels (aorta and pulmonary artery). Without surgical treatment, TGA is not compatible with life. The prognosis of this malformation has been dramatically changed by the development of neonatal cardiac surgery. ‘‘ Anatomic ’’ repair was introduced in the 1980s, with the goal of providing near-normal cardiac anatomy. It is carried out in neonates with isolated TGA (so-called simple TGA), as well as in those with associated anomalies (ventricular septal defect, aortic coarctation). Since January 1987, 1020 neonates have undergone anatomic repair of TGA in the pediatric cardiac surgery department of Groupe Hospitalier Laënnec-Necker-Enfants Malades in Paris. The overall mortality rate was 4.8 % (49 patients), and all deaths occurred within the first postoperative year. Among the 966 survivors who could be monitored (mean follow-up 6.2 years), 52 children (5.4 %) underwent reoperation, with no additional mortality. Nearly all the survivors have normal cardiac function and quality of life. Despite significant mortality (albeit currently low) and a low risk of reoperation, the mid-term results of anatomic repair of TGA are excellent and represent a surgical ‘‘ cure ’’ in most cases. Very-long-term outcome remains to be determined.

INTRODUCTION : LA TRANSPOSITION DES GROS VAISSEAUX

La transposition des gros vaisseaux (TGV) est une malformation cardiaque congé- nitale fréquente (1 cas pour 3 000 naissances), caractérisée par une discordance ventriculo-artérielle : l’aorte nait du ventricule droit et l’artère pulmonaire nait du ventricule gauche ; il s’y associent souvent d’autres anomalies (communication interventriculaire, coarctation aortique). La survie post-natale n’est possible que grâce à l’existence de shunt intracardiaque (communication inter-auriculaire) ou extracardiaque (canal artériel) ; cependant, en l’absence de traitement chirurgical, le pronostic est extrêmement sombre (moins de 5 % des patients atteignent l’âge de 1 an).

Le pronostic spontané de la TGV a été transformé par le développement de la chirurgie cardiaque pédiatrique. Dans les années 1960, des interventions, dites réparations à l’étage auriculaire (interventions de Mustard et de Senning) ont été développées ; elles procurent une réparation physiologique, c’est-à-dire qu’une circulation sanguine intracardiaque normale est restaurée, mais que l’anomalie anatomique (discordance ventriculo-artérielle) est laissée intacte. Ces réparations physiologiques donnent des résultats satisfaisants à moyen terme mais sont grevées d’une mortalité et d’une morbidité tardives assez élevées [1].

Dans les années 1980, et grâce au développement de la chirurgie cardiaque néonatale, la réparation dite « anatomique », qui vise à restaurer une anatomie cardiaque proche de la normale, s’est progressivement imposée. Depuis Janvier 1987, 1 020 nouveau-nés porteurs de TGV isolée ou associée à d’autres malformations cardiaques ont bénéficié d’une réparation anatomique dans le service de chirurgie cardiaque pédiatrique du Groupe Hospitalier Laënnec-Necker-Enfants Malades à Paris.

Fig. 1.— Représentation schématique de la réparation anatomique de la transposition des gros vaisseaux.

A. Transposition des gros vaisseaux B. Réparation dite anatomique C. Cœur normal Noter (1) le transfert des artères coronaires de l’orifice antérieur à l’orifice postérieur, (2) la translocation antérieure de la bifurcation pulmonaire, (3) la réparation de la néo-racine pulmonaire à l’aide d’une pièce de péricarde autologue, (4) le fait que la néo-racine aortique est la racine pulmonaire native, (5) le fait que, contrairement au cœur normal, les gros vaisseaux ne s’enroulent pas l’un autour de l’autre.

LA CORRECTION ANATOMIQUE DE TGV : PRINCIPE ET OBSTACLES

Les principes et les problèmes potentiels de la réparation anatomique de TGV ont été clairement exposés par Sir Magdi Yacoub dès 1979 [2].

Le principe de la réparation anatomique est simple : replacer chaque gros vaisseau à la sortie du ventricule qui lui revient (l’artère pulmonaire au-dessus du ventricule droit et l’aorte au-dessus du ventricule gauche). En réalité, la réparation n’est pas vraiment anatomique, puisque les valves artérielles restent en place (valve aortique au-dessus du ventricule droit, donc en position pulmonaire et valve pulmonaire au-dessus du ventricule gauche, donc en position aortique).

 

La technique chirurgicale (figure 1)

Après mise en route d’une circulation extracorporelle et clampage de l’aorte, l’aorte ascendante et l’artère pulmonaire sont sectionnées au-dessus de la jonction sinotubulaire.

Les ostia coronaires sont détachés de la racine aortique, entourés d’une collerette de paroi aortique, mobilisés et réimplantés au niveau de la racine pulmonaire. Après section du canal artériel et mobilisation large des branches de l’artère pulmonaire, la bifurcation pulmonaire est transposée en avant de l’aorte ascendante (manœuvre de Lecompte). La racine pulmonaire native (qui devient la néo-racine aortique sortant du ventricule gauche) est anastomosée à l’aorte ascendante distale. La perte de substance créée par l’excision des ostia coronaires est comblée à l’aide d’une pièce de péricarde autologue. La racine aortique native (qui devient la néo-racine pulmonaire sortant du ventricule droit) est anastomosée à la bifurcation pulmonaire.

Les problèmes chirurgicaux

En pratique, la réalisation de cette réparation se heurte à plusieurs obstacles physiologiques et anatomiques :

— La capacité du ventricule gauche à assurer la circulation systémique.

À la naissance, la masse musculaire des deux ventricules, droit et gauche, est sensiblement identique. Dans un cœur normal, la masse du ventricule gauche (qui doit assurer la circulation systémique à haute pression) augmente rapidement, tandis que celle du ventricule droit (qui assure la circulation pulmonaire à basse pression) augmente peu. Un cœur avec TGV subit une évolution inverse :

augmentation importante de la masse du ventricule droit et augmentation très faible de la masse du ventricule gauche. Après quelques semaines d’évolution post-natale, la masse du ventricule gauche est trop faible pour lui permettre d’assurer la circulation systémique. En conséquence, la réparation anatomique de la TGV doit être réalisée en période néonatale, alors que la masse du ventricule gauche est encore suffisante (en pratique, durant les 3 à 4 premières semaines de vie).

— La nécessité de transférer les artères coronaires.

En même temps que les gros vaisseaux sont repositionnés à la sortie de leur « bon » ventricule, les artères coronaires doivent être transférées. Ce temps chirurgical fait toute la difficulté de la réparation anatomique, d’une part parce que les artères coronaires du nouveau-né sont de très petite taille, d’autre part et surtout parce que l’anatomie des artères coronaires varie beaucoup d’un enfant à un autre. Toute malfaçon dans le transfert coronaire entraine une ischémie myocardique, cause essentielle de mortalité postopératoire.

— La technique de reconstruction du tronc artériel pulmonaire.

La translocation antérieure de l’artère pulmonaire (décrite par Lecompte et communément appelée manœuvre française) permet de reconstruire un tronc pulmonaire sans implantation de conduit prothétique. Cependant, les pertes de substance créées par l’excision des ostia coronaires, doivent être comblées à l’aide de matériel non cardiaque (en pratique, du péricarde autologue). Ce matériel possède un potentiel de croissance variable et expose à un risque de sténose secondaire.

LES RÉSULTATS DE LA CORRECTION ANATOMIQUE DE TGV :

L’EXPÉRIENCE

DU

GROUPE

HOSPITALIER

NECKER-ENFANTS

MALADES (1987-2010).

Le programme de correction anatomique néonatale de la TGV a débuté en Janvier 1987 à l’hôpital Laënnec ; cette expérience s’est poursuivie à partir de 1999 à l’hôpital Necker —Enfants Malades. Depuis 1987, 1020 nouveau-nés ont bénéficié d’une correction anatomique en période néonatale.

Population 697 patients (68 %) été porteurs d’une TGV isolée (dite simple) ; 254 (25 %) avaient une communication inter-ventriculaire (CIV) associée ; 69 patients (6,8 %) avaient en outre une coarctation aortique. Au moment de l’intervention, le poids moyen était de 3,2 (fi 0,5) kg et l’âge moyen de 7 (fi 5) jours. De façon à maintenir une saturation artérielle satisfaisante, 708 patients (69 %) ont bénéficié d’une manœuvre de Rashkind et 718 (70 %) ont eu une perfusion intraveineuse de prostaglandine E1.

618 (61 %) avaient une anatomie coronaire dite normale ; 347 (34 %) présentaient des artères coronaires avec des boucles anormales en avant et/ou en arrière des gros vaisseaux ; 55 patients (5 %) avaient des artères coronaires cheminant entre les gros vaisseaux, le plus souvent associées à un trajet intramural dans la paroi aortique.

Technique chirurgicale

Toutes les interventions ont été réalisées par le même chirurgien jusqu’en 2005 et par deux opérateurs à partir de cette date. La technique de base a peu évoluée au cours du temps [3].

Cependant, des techniques variées de réimplantation des artères coronaires ont été développées pour permettre l’intervention quelque soit le type d’anatomie coronaire et les techniques de circulation extracorporelle et de protection myocardique se sont modifiées et améliorées au fil du temps. Les lésions associées (CIV et/ou coarctation) ont été réparées dans le même temps opératoire. En fin d’intervention, le sternum a été temporairement laissé ouvert dans 17 % des cas. 14 patients (1,4 %) ont nécessité une assistance circulatoire postopératoire par ECMO.

 

Résultats précoces 37 patients (3,6 %) sont décédés durant la période postopératoire. Le taux de mortalité précoce a progressivement diminué (6/293 soit 2,0 % durant les cinq dernières années). La principale cause de décès (20/37 — 54 %) a été la survenue d’ischémie myocardique secondaire à des défauts dans le transfert des artères coronaires ; ces problèmes ont été plus fréquents dans certains types d’anatomie coronaire (en particulier, artères avec un trajet intramural). Les autres facteurs de risque de mortalité précoce ont été le faible poids (inférieur à 2,5 kg) et la présence d’anomalies associées sévères (en particulier, coarctation aortique et hypoplasie du ventricule droit). 14 enfants (1,4 %) ont dus être réopérés précocement (6 pour ischémie myocardique, 5 pour coarctation aortique et 3 pour sténose de la voie pulmonaire).

Résultats tardifs

Seulement 5 patients ont été perdus de vue. Le suivi moyen a été de 6,2 ans (1 mois à 22 ans).

12 patients (1,2 %) sont décédés après leur sortie de l’hôpital ; tous ces décès secondaires sont survenus durant la première année postopératoire. Les complications coronaires ont représenté la principale cause de mortalité secondaire (7/12 — 58 %). Il n’y a pas eu de mortalité au-delà de la première année, donnant un taux de survie à long terme de 95 %. La survie à long terme est essentiellement liée à l’anatomie coronaire : 97 % chez les patients avec anatomie coronaire « normale », 95 % en cas de boucles coronaires antérieure et/ou postérieure, 78 % chez les patients avec coronaires entre les gros vaisseaux et trajet intramural. 52 ré-interventions ont été nécessaires chez 51 patients (5,0 %). La plupart des ré-opérations (25/52 — 48 %) ont été nécessitées par la découverte de lésions coronaires (sténoses ou obstructions). Dans la majeure partie des cas (22/25), une plastie d’élargissement de l’artère coronaire impliquée a été réalisée. Les autres indications de ré-intervention ont été : sténose de la voie pulmonaire (14 cas), coarctation aortique récidivante (7 cas), lésion de la voie d’éjection ventriculaire gauche (3 cas) et causes variées (3 cas).

Des lésions résiduelles (pas assez sévères pour justifier une ré-intervention, mais nécessitant une surveillance régulière) ont été notées chez 173 patients (18 %) :

lésions coronaires sans ischémie myocardique décelable (22 cas), insuffisance aortique modérée (53 patients), sténose modérée de la voie pulmonaire (gradient infé- rieur à 30 mmHg) (98 enfants). Des séquelles sérieuses sont présentes chez seulement 10 patients (1,0 %) : dysfonction ventriculaire gauche (5 cas), hypertension artérielle pulmonaire (2 patients), séquelles neurologiques (3 cas). La quasi-totalité des survivants se développent normalement et ont une qualité de vie normale.

On peut ainsi résumer les résultats à moyen terme de la correction anatomique de TGV : 5 % de mortalité, 5 % de ré-interventions, 1 % de séquelles sévères, 17 % de séquelles cardiaques mineures, 72 % de « guérison ».

 

COMMENTAIRES

La transposition des gros vaisseaux (isolée ou associée à une communication inter-ventriculaire) est une malformation cardiaque congénitale fréquente et très sévère. En effet, l’histoire naturelle montre que l’espérance de survie à l’âge de un an en l’absence de traitement chirurgical, ne dépasse pas 5 %. Ce pronostic spontané catastrophique a été complètement transformé par les progrès de la cardiologie pédiatrique et de la chirurgie cardiaque pédiatrique. Tout enfant porteur de TGV doit bénéficier d’une prise en charge globale médico-chirurgicale précise qui comporte plusieurs étapes.

Le diagnostic prénatal

Le diagnostic anténatal est possible lors des échographies obligatoires réalisées durant la grossesse. Le signe pathognomonique de TGV est la présence, à la base du cœur, de deux gros vaisseaux parallèles ; dans un cœur normal, les deux gros vaisseaux s’enroulent l’un autour de l’autre. Actuellement, le diagnostic prénatal est fait en France dans 80 % des cas.

Lorsque le diagnostic est suspecté par le gynécologue-obstétricien, la mère doit être adressée à un cardiologue pédiatrique spécialisé en cardiologie fœtale pour confirmation du diagnostic et évaluation complète (anomalies associées, qualité des shunts intracardiaques). Dans tous les cas, l’accouchement doit être organisé dans un centre possédant un service de cardiologie pédiatrique pouvant assurer une prise en charge immédiate du nouveau-né [4].

La prise en charge néonatale

Le nouveau-né avec TGV va en général bien immédiatement après la naissance, mais devient cyanosé peu de temps après. L’intensité et la rapidité d’installation de la cyanose dépendent de la qualité des shunts intracardiaques et/ou inter-artériels qui permettent le mélange des sangs des deux circulations. En pratique, la cyanose est modérée dans les formes avec communication inter-ventriculaire large, intense mais acceptable dans les TGV simples avec large communication inter-auriculaire (CIA) et/ou large canal artériel, extrêmement intense et menaçante dans les formes simples avec CIA restrictive et/ou canal artériel fermé.

Lorsque le diagnostic a été fait en période prénatale, l’accouchement doit se faire dans un centre spécialisé et la prise en charge cardiologique est immédiate, parfois dès la salle de naissance. Si la CIA est restrictive, elle est élargie par une septostomie au ballon (manœuvre de Rashkind). Si la cyanose demeure importante malgré la manœuvre de Rashkind, une perfusion intraveineuse de prostaglandine E1 est instaurée pour ré-ouvrir et maintenir ouvert le canal artériel. La réparation chirurgicale est programmée dans la première semaine de vie.

 

Même si cette situation est de plus en plus rare, le diagnostic peut ne pas avoir été fait avant la naissance. Tout nouveau-né présentant une cyanose sans détresse respiratoire, doit à priori être considéré comme porteur d’une TGV et transféré dans un centre où une échocardiographie peut être réalisée. Dans l’attente de ce transfert, une perfusion de prostaglandine E1 doit être débutée pour maintenir la perméabilité du canal artériel. Une fois le diagnostic établi, le protocole rejoint le cas précédent :

manœuvre de Rashkind si nécessaire, réparation chirurgicale avant la fin du premier mois de vie.

La réparation chirurgicale

Nos résultats, ainsi que ceux de la plupart des équipes spécialisées, montrent que le taux de mortalité après correction anatomique de TGV est aujourd’hui faible :

globalement autour de 2 à 3 %, moins de 2 % dans les formes simples les plus fréquentes, moins de 10 % dans les formes les plus complexes (anomalies coronaires compliquant le transfert coronaire, coarctation aortique associée).

Ces résultats globalement satisfaisants ont été rendu possibles par des améliorations diverses :raffinement des techniques chirurgicales permettant le transfert coronaire quelle que soit l’anatomie coronaire, amélioration des techniques de circulation extracorporelle et de protection per-opératoire du myocarde, meilleure efficacité des techniques de réanimation postopératoire (incluant la possibilité d’assistance circulatoire temporaire par ECMO).

Les résultats à moyen terme

Les résultats à moyen terme (entre 10 et 20 ans) sont les suivants :

— il n’y a pas de mortalité au-delà de la première année postopératoire, assurant un taux de survie très élevé, entre 90 % et 95 %, — environ 5 % des patients doivent subir une ré-intervention pour corriger une anomalie résiduelle importante (sténose coronaire, sténose de la voie pulmonaire, coarctation aortique) ; le risque de ces ré-opérations est très faible [5], — un pourcentage significatif d’enfants (entre 15 % et 20 %) présentent des anomalies résiduelles mineures (sténose modérée de la voie pulmonaire, insuffisance modérée de la néo-valve aortique) mais qui doivent être surveillées car elles peuvent évoluer, — la grande majorité des enfants opérés mène une vie absolument normale sans contrainte ou restriction ; la plupart des survivants (au moins 75 %) peuvent être considérés comme « guéris ».

Les incertitudes du très long terme

Les résultats brillants à moyen terme ne doivent pas faire oublier les potentielles incertitudes quant au très long terme.

 

Les lésions coronaires observées à court et moyen terme sont sans doute en grande partie liées au traumatisme chirurgical induit par le transfert coronaire peropératoire. Cependant, plusieurs observations (très rares pour le moment) ont identifié des patients qui ont présenté des lésions tardives, alors qu’un premier examen précoce des artères coronaires était normal. L’incidence de ces lésions coronaires tardives reste à déterminer.

La principale incertitude concerne la néo-racine aortique. Il est fréquent de noter une dilatation progressive de la racine aortique. Toutefois, le développement d’un véritable anévrysme et l’apparition d’une insuffisance valvulaire aortique significative sont, à moyen terme, rares [6]. Il convient de rappeler à ce sujet que la néo-racine aortique est la racine pulmonaire native et que la capacité d’une valve pulmonaire à supporter une pression systémique pour une longue durée reste inconnue.

Enfin, si le développement intellectuel et psychomoteur des enfants opérés apparaît globalement satisfaisant, des études fines suggèrent que ce développement est, en fait, en moyenne, légèrement inférieur à la normale [7]. Les causes potentielles sont des lésions préopératoires dues à la sévérité de l’hypoxémie et/ou des conséquences de la chirurgie sous circulation extracorporelle et de la réanimation postopératoire parfois prolongée. La prise en charge très précoce (grâce au diagnostic anténatal) et les progrès constants de la chirurgie cardiaque néonatale devrait améliorer ces résultats.

CONCLUSIONS

La transposition des gros vaisseaux, malformation cardiaque congénitale pratiquement constamment létale dans la très petite enfance avant le développement de la chirurgie cardiaque néonatale, est devenue une malformation présentant un excellent pronostic à moyen terme. Ce résultat spectaculaire a été rendu possible par une prise en charge précoce multidisciplinaire, soulignant ainsi la nécessité de développer des centres médico-chirurgicaux hautement spécialisés.

BIBLIOGRAPHIE [1] Turina M., Siebenmann R., Nussbaumer P., Senning A. — Long-term outlook after correction of transposition of great arteries. J. Thorac. Cardiovasc. Surg., 1988, 95, 828-835.

[2] Yacoub M.H. — The case for anatomic correction of transposition of the great arteries.

J.

 

Thorac. Cardiovasc. Surg., 1979, 78, 3-6.

[3] Prêtre R., Tamisier D., Bonhoeffer P., Mauriat P., Pouard P., Sidi D., Vouhé P. — Results of the arterial switch operation in neonates with transposed great arteries. Lancet 2001, 357, 1826-1830.

[4] Bonnet D., Coltri A., Butera G., Fermont L., Le Bidois J., Kachaner J., Sidi D. — Detection of transposition of the great arteries in fetuses reduces neonatal morbidity and mortality. Circulation, 1999, 99, 916-918.

[5] Angeli E., Raisky O., Bonnet D., Sidi D., Vouhé P.R. — Late reoperations after neonatal arterial switch operation for transposition of the great arteries. Eur. J. Cardio-Thorac. Surg., 2008, 34, 32-36.

[6] Losay J., Touchot A., Capderou A., Piot J-D., Belli E., Planché C., Serraf A. — Aortic valve regurgitation after arterial switch operation for transposition of the great arteries. J. Am.

Coll. Cardiol., 2006, 47, 2057-2062.

[7] Freed D.H., Robertson C.M., Sauve R.S., Joffe A.R., Rebeyka I.M., Ross D.B., Dyck J.D.

— Intermediate-term outcomes of the arterial switch operation for transposition of the great arteries in neonates: alive but well ? J. Thorac. Cardiovasc. Surg., 2006, 132, 845-852.

 

DISCUSSION

M. Bernard SALLE

Le diagnostic de TGV étant fait à 80 % avant la naissance, l’accueil de l’enfant en salle de naissance peut-il conduire, dans une majorité des cas, à mettre en place une perfusion de prostine et le chirurgien discutera d’une manœuvre de Rashkind ?

C’est le schéma habituel. Cependant, dans quelques rares cas avec restriction sévère du foramen ovale, une manœuvre de Rashkind peut être nécessaire immédiatement après la naissance, parfois en salle d’accouchement. C’est un des intérêts du diagnostic anténatal de détecter ces cas à risque.

M. Jacques BATTIN

Tenez-vous compte de la polyglobulie liée à la cardiopathie cyanogène dans la précocité de l’intervention réparatrice complète ?

La réparation chirurgicale étant entreprise dès les premiers jours de vie, une polyglobulie sévère secondaire à la cyanose, n’a habituellement pas le temps de se constituer. Ce n’est donc pas un problème dans ce contexte. Au contraire, les polyglobulies liées à une cyanose chronique, observées chez des enfants plus grands porteurs d’autres cardiopathies cyanogènes, posent parfois des problèmes, en particulier dans la conduite de la circulation extra-corporelle.

M. Jacques-Louis BINET

A-t-on des notions sur l’étiologie ? Existe-t-il des formes familiales ?

Il existe quelques rares formes familiales. Les mécanismes génétiques sous-jacents restent, pour l’instant, inconnus.

M. Jacques MILLIEZ

Quelle est la proportion des cardiopathies diagnostiquées en anté-natal ? Quelle est la durée de CEC supportable pour le cerveau d’un enfant de moins de un an ? Peut-on faire un Blalock avant l’intervention du Mustard ?

 

En France, environ 80 % des cas sont diagnostiqués avant la naissance. Ce n’est pas le cas dans tous les pays. La France bénéficie d’un excellent réseau de diagnostic prénatal. Une CEC de plusieurs heures (quatre à cinq heures) peut être réalisée sans dommage cérébral évident. Cependant, il est certain qu’il vaut mieux réduire au minimum la durée de CEC.

Dans la transposition des gros vaisseaux, la cyanose est due à un mauvais mélange intracardiaque du sang, et non pas à une réduction du débit sanguin pulmonaire (qui, au contraire, est augmenté). Une anastomose de Blalock est donc, non seulement inutile, mais néfaste.

M. Christian NEZELOF

Existe-t-il un œdème pulmonaire ? Quelle action ? Existe-t-il des risques d’endocardite ?

Le débit sanguin pulmonaire est augmenté et, si le foramen ovale est restrictif, il peut y avoir œdème pulmonaire. La solution consiste à élargir la communication interauriculaire par une manœuvre de Rashkind, éventuellement en extrême urgence. Après réparation anatomique, il persiste des anomalies anatomiques résiduelles qui induisent un risque faible mais certain d’endocardite. Ce risque justifie une prophylaxie stricte.

M. Yves LOGEAIS

Je veux vous féliciter pour la qualité de votre présentation qui associe la clarté de l’exposition à l’excellence de l’iconographie. Votre série est d’importance mondiale, avec plus de mille corrections anatomiques de la transposition des grosses artères. La mortalité opératoire est faible, les résultats éloignés très bons. Ma question porte sur les réinterventions, je pense en particulier aux coronaires, qui doivent poser de difficiles problèmes de technique chirurgicale et sur les possibilités de l’ECMO sur d’aussi petits gabarits. Merci de nous avoir fait pénétrer dans un domaine d’excellence de la chirurgie cardiaque.

Environ 5 % des patients présentent des lésions coronaires secondaires. Nous n’avons, pour l’instant, réopéré que les lésions qui étaient responsables d’une ischémie myocardique franche. La réintervention consiste, en général, à élargir la lésion sténosante à l’aide d’une pièce de péricarde autologue ou de veine saphène interne. Comme toutes les lésions intéressent l’origine ou le segment initial des artères coronaires, le geste chirurgical porte sur des vaisseaux d’assez gros calibre (2 à 3 mm), même chez le petit enfant. Ces ré- interventions ont pu être réalisées sans mortalité et avec, dans tous les cas, la disparition des stigmates d’ischémie myocardique. Quant à l’ECMO, elle est, fort heureusement, rarement nécessaire pour pallier une défaillance ventriculaire gauche postopératoire transitoire. Quand elle est utilisée, le matériel actuellement disponible permet de les conduire avec efficacité et sécurité, même chez le nouveau-né.

M. Daniel LOISANCE

A long terme quelle est l’évolution du culot aortique ex culot pulmonaire soumis à un régime de pression systémique ? Comment expliquer la fréquence faible des dilatations du culot aortique ?

Le néo-culot aortique se dilate incontestablement. Cependant, tout au moins à moyen terme, cette dilatation est lente et l’incidence d’insuffisance aortique et de véritable anévrysme aortique est faible. Le risque à très long terme reste inconnu. Il a été postulé que la mise sous un régime de pression élevée dès les premiers jours de vie, pouvait induire des modifications structurelles du culot pulmonaire, futur culot aortique.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 1057-1067, séance du 12 avril 2011