Communication scientifique
Session of 4 mai 2004

La chirurgie d’exérèse du cancer de la tête du pancréas fondée sur les bases scientifiques

Evidence based surgery of cancer of head of pancreas
KEY-WORDS : pancreatectomy. pancreatic neoplasms. pancreaticoduodenectomy. randomized controlled trials.

Bernard Launois et Michel Huguier

Résumé

Le but de ce travail est de proposer les meilleures modalités du traitement chirurgical du cancer du pancréas exocrine en se fondant sur les meilleurs niveaux de preuve qui ont été publiés. Les niveaux de preuve ont été classés en grades, le meilleur étant le grade A. Les recherches ont été faites en utilisant les bases de données fournies par Medline et par les essais contrôlés de la Cochrane Library, sans limitation de date initiale jusqu’à la fin de l’année 2003. Deux séries (grade B) ont montré la supériorité de la duodénopancréatectomie céphalique (DPC) sur la pancréatectomie totale. Les médianes de survie étaient respectivement de 12,6 mois et 9,6 mois (grade B). L’élargissement de la lymphadénectomie a été bénéfique chez les malades qui avaient des ganglions envahis dans un essai sur deux (grade A). La résection du tronc porte, macroscopiquement envahi, augmente le taux de résécabilité des cancers de la tête du pancréas sans élever la mortalité opératoire (grade C) avec une survie qui se rapproche alors de celles des DPC sans résection portale. La DPC avec préservation du pylore a eu des résultats similaires à ceux des DPC sans conservation pylorique, notamment sur le plan fonctionnel (grade A). Des doses faibles d’érythromycine dans les suites opératoires immédiates favorisent la vidange gastrique à condition de préserver l’artère pylorique (grade A). Après DPC, un essai a suggéré qu’une anastomose pancréaticogastrique diminuait le risque de fistule par rapport à une anastomose pancréatico-jéjunale, mais deux autres essais n’ont pas montré de différence (grade A). Une étude (grade B) a suggéré que le drainage du canal de Wirsung diminuait le risque de fistules pancréatiques et d’abcès intra abdominaux. Après l’administration d’octréotride (grade A), trois essais européens ont montré une diminution du volume et du taux d’amylase du liquide de drainage abdominal. En revanche, deux essais nord américains n’ont pas montré de diminution des fistules tant cliniques que chimiques. L’occlusion des canaux du pancréas gauche par de la fibrine ou une colle biologique (grade A) n’a pas apporté de bénéfice et a augmenté le risque de diabète. Un essai (grade A) a montré que le drainage abdominal après DPC semblait favoriser la survenue de complications intra abdominales. Le traitement chirurgical du cancer du pancréas fondé sur les preuves oriente le choix de la technique d’exérèse et le rétablissement du circuit digestif. Mais le facteur pronostique le plus important reste l’expérience du chirurgien qui influence non seulement les suites opératoires immédiates mais aussi la survie. Il est donc essentiel de veiller à son éducation et à son apprentissage. MOTS-CLÉS : TUMEUR PANCRÉAS. PANCRÉATECTOMIE. DUODENOPANCRÉATECTOMIE. ESSAI CLINIQUE RANDOMISÉ.

Summary

Physicians and surgeons who treat patients with gastrointestinal or hepatic disease must prescribe the most appropriate diagnostic tests, together with an accurate prognosis and effective and safe therapy. This paper examines the best modalities of surgical treatment for cancer of the pancreas, in an evidence-based approach. Evidence was classified as follows : Grade A : evidence from large randomized controlled trials (RCT) or systematic reviews (including meta-analyses) of multiple randomized trials which collectively have at least as much data as one single well-defined trial. Grade B : evidence from at least one high-quality study of non-randomized cohorts or evidence from at least one high-quality case-control study or one high-quality case series. Grade C : opinions from experts without references or access to any of the foregoing. The data were obtained from Medline and from controlled randomized trials listed in the Cochrane Library up to the end of 2003. Two series (grade B) showed the superiority of Whipple over total pancreatectomy, with respective median survival times of 12.6 months and 9.6 months. Extensive lymphadenectomy (grade A) in patients with positive lymph nodes gave significantly better survival than standard resection in one trial, but this was not confirmed in the other trial. Results of pylorus-preserving pancreaticoduodenectomy (PPPD) were not different from those of the Whipple procedure on postoperative mortality, morbidity or survival (grade A). Portal vein resection increased the resectability rate. Post-operative mortality was not increased : survival was not different in four studies and was shorter in another four studies (grade C). Low-dose postoperative erythromycin accelerates gastric emptying if the right gastric artery is preserved (grade A). One trial suggests that pancreaticogastrostomy reduces the risk of pancreatic fistula. The two other trials are controversial and showed no difference. One prospective non randomized study showed that stenting in pancreaticojejunostomy reduces the risk of pancreatic fistulae and intraabdominal abscess. To prevent this risk of pancreatic fistula, six controlled trials involving patients receiving octreotride were performed. Three European trials showed a smaller volume of abdominal drainage fluid and an abnormal amylase concentration ; however, two American trials failed to demonstrate a significant difference. Occlusion of the pancreatic duct with fibrin glue did not reduce the risk of pancreatic fistula, but increased the risk of developing diabetes. Intraabdominal drainage after pancreatic resection significantly increased post-operative complications (grade A). Surgical resection and reconstruction procedures for pancreatic cancer must be based on evidence-based studies. However, the most important prognostic factor is the surgeon’s experience, not only with regard to the post-operative course, but also survival. Specific teaching and training is thus essential.

Les chirurgiens et les médecins devant un malade ayant une affection digestive, sont souvent amenés à choisir les examens complémentaires les plus appropriés, à faire un pronostic aussi précis que possible et à choisir la thérapeutique la plus sûre et la plus efficace [1]. Dans les cancers de la tête du pancréas exocrine, une enquête nationale avait montré que les attitudes thérapeutiques étaient très variées d’une équipe à l’autre [2]. Depuis une mise au point datant de moins de cinq ans, la publication de nombreux essais randomisés a fait progresser les connaissances dans ce domaine [3]. Le but de ce travail est de proposer les meilleures modalités du traitement chirurgical du cancer du pancréas exocrine en se fondant sur les preuves trouvées dans la littérature.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Classification de la preuve

Il y a 3 grades de preuves [1].

Le grade A comporte quatre niveaux :

Ia : ce niveau correspond aux grands essais cliniques randomisés (ECR) ou à des revues systématiques d’essais multiples randomisés incluant les méta-analyses.

Ib : ce niveau correspond à une étude de cohorte de haute qualité dont le critère de jugement répond à la loi du « tout ou rien » c’est-à-dire où tous les patients meurent et/où le traitement conventionnel échoue tandis que quelques uns survivent ou répondent à un nouveau traitement (par exemple une nouvelle chimiothérapie).

Ic : ce niveau correspond à un ECR avec une faible puissance des tests statistiques ou à une méta-analyse d’essais qui réunissent seulement un petit nombre de patients.

Id : ce niveau correspond à une preuve fournie par au moins un essai clinique randomisé.

Le grade B comporte trois niveaux de preuve 2, 3, 4.

Le niveau 2 correspond à une preuve fournie par au moins une étude de haute qualité de cohorte de patients qui ont ou n’ont pas reçu une nouvelle thérapie.

Le niveau 3 correspond à une preuve fournie par au moins une étude contrôlée, non randomisée de haute qualité.

Le niveau 4 correspond à au moins une série de cas de haute qualité.

Le grade C correspond au niveau de preuve 5, c’est-à-dire à des opinions d’experts sans référence à aucun des arguments précédents.

Matériel d’étude

Pour définir les meilleures modalités du traitement chirurgical, nous nous sommes fondés sur les articles publiés dans la presse internationale en cherchant de façon préférentielle les résultats des essais randomisés. Nous les avons appelés « essais » pour les différencier des autres études. Les recherches ont été faites en utilisant les bases de données fournies par Medline en croisant les termes « cancer du pancréas » et « essais randomisés » et par les essais contrôlés de la

Cochrane library, sans limitation de date initiale et jusqu’à la fin de l’année 2003.

Cette étude se limite au traitement chirurgical, bien que la radiothérapie et la chimiothérapie aient fait l’objet de nombreux essais et commencent à faire la preuve d’une certaine efficacité dans le cancer du pancréas exocrine.

RÉSULTATS

Les modalités d’exérèse :

Duodénopancréatectomie céphalique (DPC) ou pancréatectomie totale ?

Dans les cancers de la tête du pancréas, la pancréatectomie totale a deux avantages théoriques sur la DPC. En ne conservant pas de pancréas, elle supprime tout risque de fistule pancréatique qui est la principale complication chirurgicale postopératoire mais au prix d’un diabète insulino-dépendant définitif. De plus, elle réduit le risque de laisser une tranche de section pancréatique envahie ou des foyers néoplasiques corporéaux ou caudaux dont la fréquence n’est pas exceptionnelle [4].

Deux études (grade B) ont montré que la mortalité post-opératoire était moins élevée après DPC qu’après pancréatectomie totale [4-5] mais la mortalité après cette dernière diminue avec l’expérience [4, 6]. Les taux actuariels de survie ont été plus élevés après DPC qu’après pancréatectomie totale avec, dans une étude multicentrique française, des durées moyennes de survie respectivement de 24,0 mois et de 15,2 mois (p < 0,005) [5].

Les lymphadénectomies élargies aux tissus rétropancréatiques sont-elles utiles ?

Dans les deux essais publiés (grade A), la mortalité post-opératoire a été similaire dans les lymphadénectomies élargies et les lymphadénectomies « standard » [7, 8].

Un de ces essais a montré que les complications post-opératoires étaient plus fréquentes après lymphadénectomies élargies [8]. Dans les deux essais la survie des patients qui n’avaient pas d’envahissement ganglionnaire n’a pas été affectée par l’étendue de la lymphadénectomie mais dans un essai, les taux actuariels de survie des malades qui avaient des ganglions envahis étaient plus élevés après lymphadé- nectomie élargie qu’après lymphadénectomie « standard » (p < 0.05) [7].

La DPC avec préservation du pylore amèliore-t-elle les résultats par rapport à la DPC comportant une antrectomie (opération de Whipple) ?

Dans les DPC, la conservation pylorique a été proposée pour améliorer les résultats fonctionnels. Trois essais (grade A) comparant ces deux interventions ont été réalisés [9-11]. Il n’y avait pas de différence significative entre les deux interventions en ce qui concernait la mortalité post opératoire ainsi que la survie qui a été estimée dans un essai avec un recul médian de 1,1 an [10]. Dans un essai il a été observé une stase gastrique post-opératoire plus prolongée après conservation pylorique (p = 0,08) [9]. Dans un autre, les complications post-opératoires ont été plus fréquentes après opération de Whipple (p < 0,05). Enfin, le troisième essai a montré qu’après conservation pylorique, les tranches de section de la pièce d’exérèse étaient plus souvent envahies qu’après opération de Whipple, mais la différence n’était pas statistiquement significative (p = 0,09) [11].

Un envahissement apparent de la veine porte contre indique-t-il les exérèses ?

L’envahissement par un cancer de la tête du pancréas de la terminaison de la veine mésentérique supérieure ou de la veine porte a longtemps été considéré comme un obstacle technique à la DPC. En fait, la résection en bloc du pancréas et de ces veines est possible, la continuité vasculaire étant rétablie soit par anastomose termino-terminale directe soit par l’intermédiaire d’une prothèse ou d’une autogreffe veineuse [12] ou d’une homogreffe [13]. Des études (grade C) ont montré que la résection du tronc porte élevait le taux de résécabilité sans augmenter la mortalité opératoire [13, 14]. Les examens anatomo-pathologiques de pièces de DPC réalisées pour un envahissement veineux apparent ont montré un envahissement histologique dans seulement 55 % [14] à près de 80 % [13] des cas. Lorsqu’il existe un envahissement macroscopique apparent de la veine porte le pronostic des DPC semble similaire à celui des DPC sans envahissement de la veine porte [13, 16-18].

Les moyens de prévenir certaines complications :

La prescription d’erythromycine dans les suites opératoires immédiates est-elle utile ?

Une des complications post-opératoires après DPC, notamment avec conservation antro-pylorique, est la stase gastrique. L’érythromycine à faibles doses a une action gastro-kinétique qui est donc susceptible de diminuer ce risque. Deux essais (grade A) ont porté sur des malades qui ont eu une DPC, la plupart avec conservation pylorique [19, 20]. Ils ont montré que l’érythromycine favorisait la vidange gastrique et permettait une ablation plus précoce de la sonde d’aspiration naso-gastrique qui est habituellement posée après DPC (p < 0,05).

Quelle conduite tenir après DPC vis à vis du pancréas gauche ?

Est-il préférable d’anastomoser le pancréas corporéo-caudal au jejunum ou à l’estomac ?

Après DPC, la complication chirurgicale la plus fréquente est la fistule de l’anastomose entre le pancréas restant et le tube digestif. Ce type d’anastomose était habituellement réalisé par une pancréatico-jéjunostomie. Une étude avait suggéré qu’une anastomose entre le pancréas et l’estomac diminuait le risque de fistule [21].

Les résultats des trois essais (grade A) sont contradictoires. L’un a confirmé qu’il y avait moins de fistules après anastomose pancréatico-gastrique mais plus de décès post-opératoires (p = 0,05) [22]. Les deux autres n’ont pas montré de différence entre les deux interventions avec une bonne puissance des tests statistiques [23, 24].

Un drainage transcanalaire du canal de Wirsung diminue-t-il le risque de fistule ?

Une étude (grade B) a suggéré que le drainage temporaire, trans-anastomotique du canal de Wirsung diminuait le risque de fistule pancréatique (p = 0,007) et d’abcès intra-abdominaux [25].

Comment réaliser l’anastomose pancréatico-jéjunale ?

Un essai (grade A) a montré que l’anastomose entre la tranche de section pancréatique et le jéjunum donnait les même taux de fistules qu’en y associant une suture entre les muqueuses du canal de Wirsung et du jéjunum [26].

L’administration d’octréotride diminue-t-elle le risque de fistule pancréatique ?

Six essais (grade A) ont inclu des malades dont la plupart avaient un cancer du pancréas (un septième essai a inclus des malades qui avaient une pancréatite chronique). Trois essais européens ont montré que l’administration d’octréotride diminuait le volume du drainage abdominal et son taux d’amylase ce qui a été interprété comme une diminution du taux de fistules pancréatiques [27-29]. Un quatrième essai, français, a montré une diminution du taux de fistules cliniques (p <0,05) [30]. Par contre, deux essais nord-américains n’ont pas montré de diminution du taux de fistules aussi bien chimiques que cliniques [31, 32].

L’occlusion des canaux du pancréas gauche par de la fibrine ou une colle biologique est-elle utile ?

L’injection de fibrine ou de colle biologique pour occlure les canaux du pancréas corporéo-caudal après DPC pouvait faire espérer une diminution du pourcentage des fistules. Deux essais (grade A) ont été réalisés (un troisième a porté sur des malades qui avaient surtout eu des résections pancréatiques associées à des gastrectomies élargies pour cancer de l’estomac). Un essai utilisant de la fibrine n’a pas montré de bénéfice de son utilisation [33]. L’autre essai a comparé l’obstruction des canaux pancréatiques utilisant une colle biologique et une pancréatico-jéjunostomie. Il a montré que les fistules étaient plus nombreuses avec l’utilisation de la colle (p=0,01) et que cette technique favorisait l’apparition de diabète (p=0,001) [34].

Faut-il drainer l’abdomen après résection pancréatique ?

Après chirurgie d’exérèse pancréatique, il est habituel de drainer l’abdomen afin d’éviter en cas de fistules ou d’hémorragie le développement de collections intra abdominales et leur surinfection éventuelle. Un essai (grade A) a comparé le drainage aspiratif et l’absence de drainage [35]. Il a montré que le drainage semblait favoriser la survenue de complications intra-abdominales (p<0,02), ce qui va à l’encontre de son objectif théorique.

DISCUSSION

Si les essais randomisés sont l’outil de base pour évaluer une thérapeutique chirurgicale, ils peuvent comporter des malfaçons. La principale d’entre elles est l’inclusion d’un nombre insuffisant de malades qui expose au risque de conclure à tort qu’il n’y a pas de différences entre deux traitements (risque appelé de deuxième espèce).

De même, il est nécessaire de vérifier qu’il n’y a pas eu d’introduction dans les séries d’observations incomplètes, discutables ou arbitraires ou au contraire d’exclusion délibérée.

Un autre point important est la pertinence des critères de jugement. L’exemple des fistules pancréatiques jugées sur les critères volumétriques et biologiques, (augmentation de l’amylase) du liquide de drainage abdominal dans des essais sur l’octréotride en est un exemple. Pour ces raisons, il n’est pas inutile que certains essais soient répétés et que des méta-analyses soient effectuées.

Dans les cancers de la tête du pancréas, la DPC reste l’opération standard. La pancréatectomie totale doit être réservée à des cas, rares en pratique, notamment à des tumeurs macroscopiquement multifocales ou lorsque après DPC, l’examen anatomo-pathologique per-opératoire montre que la tranche de section est envahie.

Si la lymphadénectomie étendue est inutile quand les ganglions lymphatiques ne sont pas envahis, elle pourrait être utile dans les autres cas [7]. Ceci justifierait d’âtre confirmé par de nouveaux essais.

La DPC avec conservation pylorique n’a pas fait clairement la preuve de ses avantages, notamment en terme de confort digestif. Dans un essai [19] elle a favorisé, dans les suites opératoires immédiates, un retard à la vidange gastrique ce qui n’a pas été observé dans les deux autres essais. Néanmoins, l’érythromycine à faibles doses réduit ce retard à condition que l’artère gastrique droite soit conservée [20].

La résection du tronc porte macroscopiquement envahi n’a pas fait l’objet d’essai.

Elle augmente le taux de résécabilité [14, 15]. Dans l’expérience de l’un d’entre nous (BL) il n’y a eu aucun décès post-opératoire chez les 14 derniers malades opérés [14].

Les patients qui ont le plus de chance de bénéficier d’une résection de la veine porte sont ceux qui ont de petites tumeurs juxta-portales avec des adhérences qui s’avèrent souvent être inflammatoires sur la pièce de résection [14-17]. Les patients avec des tumeurs plus volumineuses ou des cancers multicentriques ont plus de chances de
bénéficier d’une meilleure palliation que l’intervention peut offrir dans un centre expert [14] .

Le principal choix après DPC est celui de la conduite à tenir vis-à-vis du pancréas corporéo-caudal restant à cause du risque de fistule pancréatique. L’anastomose pancréatico-gastrique a diminué ce risque par rapport à l’anastomose pancréaticojéjunale dans un essai [22] mais pas dans les deux autres essais [23, 24]. La qualité de l’anastomose pancréatico-digestive semble plus importante que le fait d’anastomoser le pancréas à l’estomac ou au jéjunum. Lorsque le pancréas est très friable, rendant une anastomose pancréatique aléatoire, une étude a suggéré l’utilité d’un drainage canalaire transanastomotique [25]. L’utilisation d’octréotride a montré qu’elle diminuait les fistules pancréatiques dont la définition était discutable dans trois des quatre essais. Mais deux études unicentriques d’équipes spécialisées n’ont montré aucune différence par rapport à un groupe contrôle [31, 32]. L’obstruction des canaux du pancréas restant par de la fibrine ou une colle biologique n’a pas fait la preuve de son intérêt [33, 34).

Le drainage abdominal augmente significativement le risque de fistule pancréatique et de complications intra-abdominales [35]. Il serait ainsi préférable de ne pas drainer l’abdomen après DPC.

En conclusion, le traitement chirurgical des cancers de la tête du pancréas, fondé sur les preuves oriente le choix de la technique d’exérèse et les modalité de rétablissement du circuit digestif mais la diminution du risque opératoire et les chances de survie dépendent étroitement de l’expérience du chirurgien [36-38]. Ainsi, dans une étude multicentrique, les taux de survie à trois ans était de 25 % dans les centres dont l’expérience était limitée et de 37 % dans les centres qui avaient plus d’expérience (p<0,0001) [36]. Dans ce type de chirurgie un peu complexe, il est donc essentiel de veiller à l’éducation et à l’apprentissage des jeunes chirurgiens.

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[36] BIRKMEYER J.D., WARSHAW A.L., FINLAYSON R.G., GROVE M.R., TOSTESON A.N.A. — Relationship between hospital volume and late survival after pancreaticoduodenectomy. Surgery, 1999, 126, 178-183.

[37] HUTTER M.M., GLASGOW R.E., MULVIHILL S.J. — Does the participation of a surgical trainee adversely impact patient outcomes ? A study of major pancreatic resections in California.

Surgery, 2000, 128, 286-292.

[38] BACHMANN M.O., ALDERSON D., PETERS T.J., BEDFORD C., EDWARDS D., WOTTON S. et al.

Influence of specialization on, the management and outcome of patients with pancreatic cancer.

Br. J. Surg., 2003, 90, 171-177.

DISCUSSION

M. Louis HOLLENDER

L’intéressante communication de Bernard Launois et de Michel Huguier m’incite à formuler quelques remarques basées sur mon expérience personnelle et à demander aux auteurs s’ils rejoignent mes conclusions, compte tenu de leurs propres constatations ? En présence d’un cancer de la tête du pancréas, la duodénopancréatectomie céphalique est à la fois indiquée et licite, mais sous réserve expresse d’absence de métastase à distance et d’infiltration du tronc coeliaque, ou de l’artère mésentérique supérieure. Lors d’une infiltration de la veine porte, il convient tout d’abord de préciser que ce n’est, le plus souvent, qu’après transection du pancréas, qu’il devient possible de poser avec certitude le diagnostic différentiel entre infiltration et adhérences inflammatoires. Si, en cas d’infiltration, une résection partielle de la veine porte n’augmente pratiquement pas la mortalité opératoire, rien ne prouve par contre qu’une telle résection complémentaire améliore effectivement le pronostic ? Avez-vous également réalisé qu’en cas d’infiltration macroscopique de la veine porte, ce n’est que dans 50 % des cas que celle-ci a pu être confirmée à l’examen histologique ? Quant aux curages ganglionnaires très étendus, comme les préconise l’école japonaise, améliorentils vraiment les survies, même s’il est reconnu qu’ils n’aggravent ni la mortalité, ni la morbidité post-opératoires ? Je pense que tout le monde est d’accord pour reconnaître que les indications de la pancréatectomie totale doivent être très exceptionnelles, sachant la gravité des états diabétiques qu’elle entraîne. Quelle est l’expérience des présentateurs quant aux thérapeutiques néo-adjuvantes ? Dernière remarque, les auteurs ont dû noter, comme moi, que 90 % des cancers de la tête du pancréas ont dépassé la limitation à la glande elle-même au moment de leur diagnostic.

Je partage tout-à-fait l’opinion de Louis Hollender. En ce qui concerne les traitements néo-adjuvants, la radiothérapie est inutile mais la chimiothérapie pourrait avoir un intérêt notamment chez les cancers irrésécables.

M. Jean DUBOUSSET

Que penses-tu de la randomisation en chirurgie qui me paraît très difficile à réaliser car je n’ai jamais rencontré deux fois un malade strictement identique. Donc pour moi, l’étude, par un centre, d’une technique précise contrôlée éventuellement par une équipe compétente indépendante a autant, sinon plus de valeur qu’une étude randomisée, je précise bien, pour un acte chirurgical en rapport avec une chirurgie et une pathologie majeure ?

Quand les hollandais ont voulu faire un essai multicentrique sur le cancer de l’estomac, un chirurgien japonais est venu apprendre la technique à tous les centres. En dépit de cette formation, la mortalité et la morbidité hospitalière étaient plus élevées. Je crois davantage aux essais monocentriques.

M. Daniel COUTURIER

Vous avez indiqué, à la fin de la présentation, que les résultats du traitement chirurgical dépendaient fondamentalement du nombre de cas opérés. Ne pensez-vous pas que ce facteur « nombre de cas » soit lié au facteur « application rigoureuse des résultats de l’EBM » ?

Il est connu que l’utilisation d’essais randomisés améliore les résultats.

M. Yves CHAPUIS

Le terme de « preuve » est-il approprié ? Le fait que ces études aient une origine très disparate, qu’elle soit géographique ou de compétence, même si leur expression est « scientifique », n’en altère-t-il pas la portée, même si des repères sont nécessaires au moment des choix thérapeutiques, des tactiques, des techniques ? A cet égard, peut-on avoir une idée du nombre de travaux français utilisés pour un tel travail ? La formation, l’apprentissage jouent, pour la qualité du résultat mais aussi le bon choix, une place essentielle. Comment aujourd’hui faire la part, dans les difficultés que nous connaissons, entre la place respective de la connaissance scientifique et l’acquisition de la connaissance sur le terrain, au lit du malade et en salle d’opération ?

Le terme de preuve n’est pas approprié. Il ne s’applique qu’aux « évidences de grade » A.

Le fait que ces études soient disparates justifie les essais multicentriques qui « gomment » les différences. En ce qui concerne les auteurs français, il y a huit de nos propres publications, une d’Arnaud, une de Bachelier, une de Gouillat et une de Suc. Dans ce type de chirurgie, si l’on veut éviter les inégalités en matière de connaissances scientifiques, de connaissance sur le terrain, au lit du malade et en salle d’opération, il faut « régionaliser » la chirurgie pancréatique.


* Membre de l’Académie nationale de médecine. Département de chirurgie de l’Université de Rennes et Département de Chirurgie de l’Université d’Adelaïde (Australie). ** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine Service de Chirurgie Digestive de l’Hôpital Tenon. Tirés-à-part : Professeur Bernard LAUNOIS, à l’adresse ci-dessus. E-mail : bernard.launois@univ-rennes1.fr Article reçu le 13 janvier 2004, accepté le 23 février 2004.

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 5, 743-754, séance du 4 mai 2004