Communiqué
Session of 20 février 2001

Internet et information du public sur le médicament

MOTS-CLÉS : internet. utilisation médicament.
KEY-WORDS : drug utilization.. internet

P. Lechat

Communiquéinternet, utilisation médicament.drug utilization., internetP. Lechat

 

 

COMMUNIQUÉ au nom de la Commission II (Thérapeutique — Pharmacologie — Toxicologie)

Internet et information du public sur le médicament

Paul LECHAT Exposé introductif

Sur l’initiative de l’un de ses membres, le professeur Jean-Louis Imbs, correspondant national, la Commission II s’est penchée sur l’information relative aux médicaments diffusée sur le réseau internet.

Ce rapport résume les débats qui ont eu lieu au cours de quatre réunions.

L’une des recommandations émises par l’Académie au terme de la réunion « Médecine et société » en novembre 1999 [1] fut de « renforcer l’information du public, facteur essentiel du succès de certaines politiques de prévention ».

A l’évidence, Internet ouvre des possibilités jusqu’à présent inconnues à la diffusion des informations. Certains y voient la promesse d’une « civilisation du savoir ». Quel savoir ?

Dès à présent, le réseau Internet modifie profondément l’accès du public à l’information médicale, notamment aux données concernant le maniement des médicaments.

• Dans le journal Le Monde du 8 avril 2000 [2], le président d’un très grand groupe pharmaceutique déclarait :

« Internet est à la fois une chance pour l’industrie pharmaceutique et pour les patients du monde entier. En tant que fabricants de médicaments, nous n’avions que la publicité, une communication unidirectionnelle et courte dans le temps pour établir une sorte de contact avec le patient. Nous ne nous connaissions qu’un seul type de clients : les prescripteurs de nos produits….

Internet donne de nouvelles opportunités dans la relation patient-médecinfabricant de médicaments. Pour nous, il s’agit de l’intégration du patient dans le système de délivrance des soins ».

• De leur côté, des médecins de l’Institut Mario Negri, à Milan, ont établi une grille pour juger la qualité des conseils de santé diffusés sur le réseau Internet à l’intention des parents, pour la prise en charge par la famille d’une fièvre ou d’une toux chez un enfant [3, 4]. Leur conclusion est claire : « actuellement, les informations les plus fiables à destination des patients sont celles qui sont délivrées par les médecins et par les documents dont les médecins contrôlent le contenu ».

Le nombre croissant de « sites médicaux » et d’informations sur le médicament a conduit la commission II de l’Académie à consulter plusieurs experts sur la façon de mettre à profit, dans l’intérêt des malades, les nouvelles possibilités qu’offre Internet.

— M. Yves Juillet, médecin, directeur des Affaires publiques des laboratoires Aventis Pharma S.A. ;

— M. Bernard Winicki, pharmacien, ancien président de Hoechst — France ;

— Mme Pascale Jolliet, médecin, présidente de la Commission de publicité à l’AFSSAPS ;

— M. François Lhoste, médecin, conseiller à la Direction générale de l’Industrie, technologie, information et des Postes.

Leurs exposés et les échanges qui les ont suivis ont précisé les points suivants :

— Il existe, tant au niveau national qu’européen, une réglementation adaptée, a priori, à l’utilisation d’Internet mais difficile à faire respecter. Une excellente revue parue dans le

Bulletin de l’Ordre des pharmaciens en fait l’analyse [5].

— Divers organismes ont fait paraître des textes ou des chartes en vue d’un bon usage d’Internet pour l’information sur le médicament :

— l’OMS a publié en 1999 une résolution [6] recommandant :

• l’accès rapide à l’information de santé par Internet ;

• de ne pas remplacer la consultation d’un médecin par cette information ;

• la possibilité de vérifier ces informations ;

• la prudence devant l’achat de médicaments sur Internet ;

• la consultation d’un professionnel de santé avant de se traiter soimême.

— L’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS) et sa commission de publicité, ainsi que la Direction des Etudes Médico-Economiques et de l’Information Scientifique (DEMEIS) ont élaboré des recommandations à l’Industrie pharmaceutique : identification de l’entreprise, information actualisée distinguant clairement les textes promotionnels des informations et services, mise en place de réelles restrictions d’accès pour les publicités réservées aux professionnels de santé, garantie d’objectivité des données bibliographiques transmises, dépôt à l’Agence du support de publicité et, éventuellement, demande de « visa » GP (grand public).

— Le Syndicat National de l’Industrie Pharmaceutique (SNIP) diffuse depuis quelques semaines une plaquette soulignant les « précautions d’utilisation d’Internet dans le domaine de la santé » destinée à l’information du public. Elle souligne la nécessité d’une lecture critique en donnant des points de repère simples : se méfier des sites anonymes, chercher une information sur la qualité de l’éditeur, vérifier l’actualité de l’information et consulter le site du Ministère de la santé « Ne pas croire tout ce que l’on trouve sur Internet » [7].

— Enfin, en juin 2000, le Conseil national de l’Ordre des médecins a adopté deux rapports attirant l’attention sur les dangers du commerce électronique des médicaments [8, 9].

— La transmission raisonnée de l’information médicale aux patients, à leur famille, et de façon générale au public est susceptible d’apporter une amélioration de l’observance des traitements et des précautions hygiénodiététiques utiles à la prévention d’affections chroniques. Les patients deviendraient des partenaires éclairés et motivés pour gérer la maladie avec leur médecin et leur pharmacien. Des expériences pilotes devraient prendre place dans une nouvelle politique d’éducation thérapeutique (citons par exemple l’initiative du Conseil général de l’Orne).

— Le monopole que le développement de certains sites d’information médicale pourrait assurer à des intérêts économiques étrangers doit inquiéter. Il est banal de dire qu’Internet ne connaît pas de frontières, mais une mondialisation de l’information sur le médicament pourrait être préjudiciable au maintien de la liberté de jugement et de décision en matière de choix thérapeutiques.

COMMUNIQUÉ

L’Académie nationale de médecine constate que la communication par Internet offre une possibilité d’échange d’informations dans le domaine de la santé sans doute inégalée jusqu’à présent, susceptible de s’adresser aux malades, au public et aux professionnels de santé. Cependant, les progrès qui peuvent en résulter pour les malades font courir des risques :

— le démarchage illégal sur Internet de personnes mal informées peut les conduire à se procurer par vente électronique des substances inactives ou dangereuses, présentées frauduleusement comme des médicaments ; il paraît essentiel de prendre les mesures d’application des lois existantes dans notre pays et dans l’Union européenne pour éviter ces escroqueries ;

— la diffusion d’informations biaisées sur les médicaments car orientées vers la promotion d’un intérêt commercial.

Pour ces motifs, l’Académie nationale de médecine, considérant les avantages et les risques potentiels de l’information diffusée au public par le réseau Internet :

— estime que la diffusion, par Internet, d’informations relatives à la santé n’est admissible qu’à la condition que soient vérifiées et assurées la véracité, l’objectivité et la qualité de ces informations ;

— réaffirme les risques d’une prescription thérapeutique sans examen clinique du malade par un médecin, ainsi que ceux d’une dispensation du médicament sans l’intervention personnelle du pharmacien ; la relation médecinmalade risque d’être désorganisée au point, par exemple, de ne plus permettre d’évaluation par la pharmacovigilance de la sécurité d’emploi des médicaments après leur mise sur le marché ;

— estime indispensable, pour la Santé publique, un contrôle permanent des informations médico-pharmaceutiques publiées sur Internet afin d’éviter tout monopole de fait dans ce domaine.

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* *

L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 20 février 2001, a approuvé ce communiqué à l’unanimité.

 

BIBLIOGRAPHIE [1] Actes du Colloque International Francophone « Médecine et Société », publiés par l’Académie nationale de médecine et la Conférence internationale des doyens de facultés de médecine d’expression française. — Paris, novembre 1999, 1 volume, p. 139.

[2] Internet et le décryptage de l’ADN humain bouleversent l’industrie pharmaceutique. Le

Monde , page 18, samedi 8 avril 2000.

[3] IMPICCIATORE P., PANDOLFINI C., CASELLA N., BONATI M. — Reliability of health information for the public on the World Wide Web : systematic survey of advice on managing fever in children at home. Br. Med. J. , 1997, 314 , 1875.

[4] PANDOLFINI C., IMPICCIATORE P., BONATI M. — Parents on the web : risks for quality management of cough in children. Pediatrics , 2000, 1 , 150.

[5] FURET MD., VION D., CAMPION M.D. — Médicaments et Internet.

Bulletin de l’Ordre des

Pharmaciens , Octobre 2000, 368 , 419-426.

[6] OMS (WHO/EDM/QSM/99.4) Medical products and the Internet. A guide to finding reliable information. Genève, 1999.

[7] http ://www.sante.gouv.fr/htm/pointsur/qualite/pascroire/htm [8] DUSSERRE L. — La commercialisation des informations médicales est-elle « déontologiquement correcte » ? Conseil national de l’Ordre des médecins, rapport adopté lors de la session des 29 et 30 juin 2000.

[9] GRUNWALD D., MERCAT F.X. — Médicaments et pratiques médicales. Problèmes actuels.

Conseil national de l’Ordre des médecins, rapport adopté lors de la session de juin 2000.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 2, 427-431, séance du 20 février 2001