Communication scientifique
Séance du 11 mai 2010

Histoire des refus vaccinaux

MOTS-CLÉS : histoire. immunisation. refus du traitement par le patient. vaccination
History of vaccine refusal
KEY-WORDS : history. immunization. treatment refusal. vaccination

Hervé Bazin

Résumé

L’histoire de la lutte des hommes contre les maladies infectieuses est ancienne. Elle a commencé avec les variolisations, probablement en Chine, au cours du e XVII siècle et dans le monde occidental, au début du e XVIII siècle. Comme toutes les nouveautés, elle a suscité de nombreuses oppositions basées sur des données, les unes valables, les autres, fort discutables ou carrément fausses. Les améliorations apportées aux méthodes de préventions par Edward Jenner puis par Louis Pasteur n’ont pas mis un terme aux oppositions pour des motifs : raisonnables, discutables, du domaine des convictions religieuses ou morales, de routine, pseudo-scientifiques, indirectes, ciblées sur de grands noms, illusoires, par emploi d’arguments douteux, sur bases de propos inutilement insultants.

Summary

The human fight against infectious diseases is ancient and ongoing. It started with variolation, probably in China in the 17th century and in the West at the beginning of the 18th century. Like most innovations it aroused a good deal of opposition. Improvements in this form of preventive medicine, first by Edward Jenner and then by Louis Pasteur, did not put a stop to these objections, some founded on reasonable arguments, others on simple opinion or religious or moral convictions. To these were added systematic resistance, pseudoscientific arguments, personal attacks, fallacious statements, claims of victimization of vaccine opponents, and simple slander.

INTRODUCTION

La lutte de l’homme contre les maladies infectieuses est fort ancienne. Elle découle probablement de deux notions : des maladies à symptômes bien identifiées étaient connues comme épidémiques ; parmi celles-ci, certaines ne récidivaient pas chez le même individu. La relative bénignité des maladies contagieuses infantiles a pu contribuer à l’idée de la communiquer entre enfants. Cette pré-variolisation a probablement existé car, dans des textes du xviiie siècle, on évoque parfois la coutume ancienne de mettre des enfants sains en contact avec un enfant varioleux pour qu’ils se contaminent. Pourquoi la variole a-t-elle fait l’objet de tant d’études ?

Sans doute, du fait de sa symptomatologie caractéristique, de sa non récidive, de sa grande contagiosité qui mettait en danger toutes les couches de la société, même les familles régnantes et leur entourage et enfin de la peur qu’elle inspirait. En moyenne, elle tuait une personne sur neuf à douze de l’ensemble de la population. En ville, sa menace était presque constante ; dans les campagnes où ses apparitions étaient épisodiques, le risque paraissait plus éloigné dans les esprits.

La première méthode de lutte contre une maladie infectieuse fut la « variolisation » ou « inoculation » ou « insertion » de la petite vérole (la variole) dans un but prophylactique. Le texte connu le plus ancien est celui du médecin chinois Zhang Lu, daté de 1695. La variolisation fut introduite en Europe, en 1721, de Constantinople. Relativement sûre au Moyen-Orient, la méthode se révéla très aléatoire entre les mains du corps médical occidental, avec une mortalité consécutive élevée.

Qui pouvait être intéressé par une variolisation ? D’après la littérature de l’époque, des intellectuels conscients du lendemain ou les riches soucieux d’une transmission de leur nom ou de leur patrimoine. Par contre, les pauvres ou même les gens modestes n’avaient pas ces préoccupations. De plus, une variolisation prenait environ deux mois ce qui était incompatible avec les possibilités économiques d’un chef de famille moyen. Vers 1760, les Suttons, père et fils, fermiers anglais un peu chirurgiens établirent un protocole beaucoup plus judicieux que celui qui était employé jusqu’alors. Sur le continent européen et, en particulier en France, la variolisation ne concerna qu’une frange minime de la population sauf en Franche-Comté.

En 1798, un chirurgien anglais, Edward Jenner, révolutionna la lutte anti-variolique en proposant la vaccination à la place de la variolisation. Il s’agissait d’inoculer le cowpox, une maladie infectieuse de la vache, à l’homme, puis de la transmettre d’homme à homme sous le nom de vaccine. La vaccination remporta un grand succès dans le monde entier et permis d’éradiquer la variole, ce qui fut officiellement déclaré le 8 mai 1980 par l’Assemblée générale de l’Organisation mondiale de la santé.

Jusque-là, la seule maladie infectieuse humaine combattue avec succès était la variole. Pasteur, en 1880, ouvrit une ère nouvelle avec sa vaccination contre le choléra des poules, puis contre le charbon des ruminants, enfin contre la rage. On peut appeler tous les vaccins de l’ère pastorienne, les vaccins de première génération.

Au milieu du xxe siècle, la biologie traditionnelle a subi une révolution avec l’arrivée de la biologie moléculaire et les vaccins de deuxième génération mieux connus et plus sûrs [1-3].

La lutte contre les maladies infectieuses, grâce à la vaccination, souvent associée à l’hygiène, a donc été diverse mais, dans l’ensemble, tout à fait fructueuse. Malgré tout, une opposition sérieuse s’est développée contre les vaccinations. Sa connaissance permet de mieux comprendre les difficultés présentes que rencontrent les campagnes de vaccinations.

Opposition pour des motifs raisonnables

La crainte de la contagion propagée par les variolisés

La toute première crainte connue d’une transmission de la variole par une personne variolisée fut celle de Lady Mary Montagu qui ne fit pas varioliser sa fille, en même temps que son fils, à Constantinople, par crainte de communiquer la variole à sa gouvernante, qui n’avait pas eu cette maladie [1, 2].

Au moment de l’introduction de la variolisation à Boston, en 1721, le fait bien vite établi de la contagion engendrée par les variolisés suscita un vif mouvement d’opposition contre le promoteur de la technique, le pasteur Cotton Mather. Il se traduisit par le jet d’une grenade à main dans la salle où était la famille. Heureusement, elle n’explosa pas [1, 2]. Violence aussi, les variolisés devaient parfois sortir de nuit des hôpitaux d’inoculations pour éviter des jets de pierres.

En France, quelques inoculations ayant peut-être conduit à des contaminations varioliques, le Parlement de Paris fut saisi et ordonna le 8 juin 1763 de cesser toute variolisation dans l’enceinte de son ressort, en attendant les avis des facultés de Médecine puis de Théologie. Celle de Médecine, sollicitée la première, nomma une commission de douze membres qui, bientôt, se divisa en deux groupes de six ! Les six opposants à la variolisation considèrent trois points principaux, dont : « il s’en suivra nécessairement une augmentation dans la masse de contagion répandue dans l’air, dans les habits, les étoffes, les voitures publiques, en un mot, dans toutes les choses dont l’usage circule dans la société » [4].

Cet argument tout à fait valable a longtemps été avancé contre la variolisation.

D’après des enquêtes sérieuses faites à la fin du xviiie siècle, la conclusion à tirer d’un siècle de variolisation à Londres est clair : au minimum, elle n’a pas fait diminuer la mortalité due à la variole.

La crainte de la contagion propagée par les vaccinés au cheptel bovin

En 1802, lors de l’inauguration de la nouvelle École vétérinaire de Turin, son directeur Giovanni Brugnone, un ferme opposant à la vaccination, indique entre autres critiques: «

La crainte de rendre la vaccine indigène sur les vaches d’un pays où elle seroit étrangère… » [5].

 

La crainte d’un risque proche (variolisation ou vaccination) pour éviter un risque plus lointain

Les premières données statistiques concernant la variolisation en Grande-Bretagne furent établies par James Jurin, médecin et secrétaire de la Royal Society. Elles montrent une mortalité, directement liée à la variolisation, d’environ un sur cinquante mais avec des pics à un pour dix [1, 2]. L’emploi de la méthode suttonnienne fera diminuer ces pertes. En 1799, Woodville, le directeur de l’hôpital de l’inoculation de Londres, donne ses propres résultats : un mort pour six cents inoculés parmi les cinq mille derniers inoculés par ses soins [1, 2].

Il est normal que de tels chiffres aient refroidi l’ardeur de la plupart des candidats à la variolisation, d’autant plus que la survenue des évènements possibles était fort différente : « Voilà, il n’en faut point douter, ajoûte M. d’Alembert ce qui rend tant de personnes, & surtout tant de mères peu favorables, parmi nous, à l’inoculation… elles voient l’inoculation, comme un péril instant & prochain de perdre la vie en un mois, & la petite vérole comme un danger incertain, & dont on ne peut assigner la place dans le cours d’une longue vie » [1, 2].

Les six commissaires nommés par la faculté de médecine de Paris, à la requête du Parlement de Paris du 8 juin 1763 et opposants déclarés à la variolisation l’accusè- rent, avec raison, d’avoir des effets secondaires redoutables : « Vû le sort funeste de plusieurs personnes qui ont été soumises involontairement à cette fatale opération et qui en ont péri de la manière la plus affreuse & la plus cruelle… » [4].

Parmi les accidents post-vaccinaux, on peut classer les encéphalites qui accompagnaient environ une vaccination anti-variolique sur un million ou un peu plus. Elles étaient fatales dans un cas sur deux ou trois. Elles pouvaient aussi laisser des séquelles nerveuses importantes. Elles ont été surtout observées en GrandeBretagne et au Pays-Bas où, à son apogée, elle culmina avec 1 cas sur 2 430 en 1927 [6]. La France et l’Espagne furent peu affectées.

La crainte de la transmission de maladies comme la syphilis, des hépatites…

Des voix s’élevèrent très tôt pour insister sur le risque éventuel de transmission de maladies infectieuses en même temps que la petite vérole.

Le médecin irlandais Cantwell exerçant à Paris, dans Ses faits concluans contre l’inoculation (1758) , signale les dangers des maladies communiquées : « On peut transmettre les écrouelles avec la petite vérole artificielle… On peut communiquer la grosse Vérole (syphilis) en donnant la petite par inoculation… » [7].

De Ponsard, en 1776, remarque : «

Comment pourra-t-on persuader à des gens, même peu sensés, qu’un vice vénérien, schrophuleux, ou scorbutique, qui roule dans la masse du sang avec le Virus variolique, celui-ci puisse se dégager sans avoir absolument rien contracté des autres, & qu’il peut être inséré avec la même confiance que celui d’une Picote (la petite vérole) simple ? » [8].

La vaccination jennériene propageant une maladie animale, le cowpox, fut aussi l’objet de critique acerbe. Le médecin inoculateur Rowley publia, en 1805, à Londres, un livre illustré en couleur contre la vaccination. Cette publication fut rapidement traduite en français, anonymement, et diffusé à Paris, dès 1807. Rowley accusait la vaccine de communiquer (ou de transmettre) des maladies diverses: « La vaccine tire son origine d’une maladie ulcéreuse et puante chez les chevaux, appelée Grease… Preuves que les maladies vaccinales, telles que les cow-pok gale, cow-pox abcès, cow-pox ulcères, ne sont pas des scrophules… de la cow-pox gangrène… » [9].

La syphilis vaccinale fut longtemps niée par de nombreux médecins s’appuyant, entre autres, sur plus de deux mille vaccinations faites à l’Hôpital des Enfants par M. Taupin avec du « vaccin emprunté à des enfants porteurs de toutes sortes d’affections, en autres de syphilis, et jamais il ne lui est arrivé d’observer la syphilis sur ses petits vaccinés… [2]. Pourtant les cas de syphilis vaccinale se multiplient. La plupart des syphilis vaccinales décrites dans la littérature résultait de l’inoculation de lymphe recueillie sur de très jeunes enfants trouvés ou de mères célibataires et cela correspondait à l’origine la plus commune de la lymphe vaccinale… jusqu’au passage d’une production de bras à bras à une production sur génisses.

Opposition discutable

Disparition des maladies contagieuses d’elles-mêmes ou par l’hygiène

En 1885, Tholosan constate que la peste humaine est en régression en Europe depuis la deuxième moitié du xviie siècle. Au xviiie siècle, il n’y eut que deux épidémies en Europe, à Marseille (1720) et à Moscou (1771), et au siècle suivant, cinq petites épidémies dont aucune n’envahit le continent. En Turquie d’Europe, elle n’a pas réapparu depuis 1837. Tholosan a attribué la disparition de la peste en Europe, aux simples quarantaines et à l’amélioration de l’hygiène, ce qui reste à démontrer dans de nombreux cas, en Anatolie, par exemple [10].

Dans les pays riches, l’hygiène a largement contribué à la disparition de certains agents pathogènes, en particulier par la distribution d’eau potable et la réalisation de réseaux d’égouts et d’épuration des eaux usées. Mais ce niveau d’hygiène n’a pas concouru à faire disparaître la variole de pays en voie de développement ou d’éviter la réimportation en France de virus variolique, parfois par des objets, en provenance de pays où elle était toujours endémique [2].

Disparition de maladies infectieuses grâce à la médecine « naturelle » et aux lois de la nature

Les adeptes des médecines dites naturelles sont le plus souvent adversaires des vaccinations. À la fin du xixe siècle, le médecin allemand Bilz eut une influence considérable en Europe si on en juge par les nombreuses traductions de ses œuvres.

«

La vaccination est comme un article à la mode… Que l’on considère les innombrables poissons de la mer et les oiseaux dans les airs et tous les autres animaux, insectes et vers, qui donc les vaccine ? Ces êtres sont comme les hommes, des chefs-d’œuvre de la création, qu’un ignorant n’a pas besoin pour cela de perfectionner d’abord par l’inoculation de vaccin… La meilleure protection contre la variole et contre toute autre maladie est l’observance d’une hygiène exacte. » [11]. Ce texte décrit un monde parfait bien éloigné de la réalité…

Opposition du domaine des convictions

L’atteinte à la Providence

Certaines personnes, pour des raisons de croyance religieuse, ont refusé les variolisations et refusent toujours les vaccinations.

Lady Montagu fit inoculer son fils âgé de six ans, en mars 1718, à Constantinople.

Voltaire écrit qu’elle agit contre l’avis du chapelain de l’Ambassade [12], mais cette donnée n’apparaît pas dans les lettres de Lady Montagu [13].

Il y eut tout de suite de curieuses arguties que de la Coste décrit, en 1756: « Nous avons vû, et nous voyons encore aujourd’hui des bigots & de vieilles femmes, qui crient contre cette pratique (l’inoculation de la petite vérole) , parce qu’elle vient du Pays des

Infidelles, comme si avec la petite vérole on inoculoit aussi le Mahometisme. » [17].

En Angleterre, la première opposition connue fut prononcée, le 8 juillet 1722, par le pasteur Edmnud Massey : « Alors rappelez-vous notre Texte, je n’hésiterai pas à appeler cela une opération diabolique, qui usurpe une autorité, qui n’est fondée ni sur les lois de la nature ni sur celles de la religion, une augmentation du vice et de l’immoralité » [14]. Chercher à se protéger contre une maladie contagieuse par une prévention d’origine humaine était contraire à la Providence, la «

Suprême sagesse qu’on attribue à Dieu et par laquelle il gouverne les choses. » [15]. Inoculer est donc interférer entre Dieu et les hommes, dans le domaine de la vie, don de Dieu.

Ce respect de la Providence reste présent dans des minorités traditionalistes de nos sociétés. Aux Pays-Bas, une « ceinture biblique » comprend de soixante à soixantedix mille personnes formant l’aile droite de l’Eglise réformée orthodoxe. Ces Néerlandais contemporains considèrent certaines précautions comme légitimes : fermer sa porte à clé, porter un casque de chantier… mais les vaccinations seraient incorrectes. La maladie est un châtiment de Dieu. On ne doit pas s’en protéger artificiellement. Leurs animaux sont soumis aux mêmes règles [16]. Malheureusement, en 1992-1993, une épidémie de poliomyélite, et en 1999-2000, une de rougeole s’abattit sur ces communautés, ce qui ne les fit pas changer d’avis.

L’atteinte à la morale

Des considérations morales encore plus curieuses sont avancées dans la thèse de Duvrac, en 1723 : « L’inoculation, si elle était reçûe parmi nous, pourroit être la cause de bien des crimes. Un père se dégoute-t’il d’un enfant ? L’inoculation lui fournira un moyen aisé de s’en défaire. Une fille flétrie craint la publication de son déshonneur ?

Elle trouve dans l’inoculation un moyen sûr de se défaire de son fruit. » [18].

Il y a aussi toute une littérature concernant les problèmes soulevés par la protection contre certaines maladies, comme la syphilis. Valleix, écrit en 1860 : « A notre avis la syphilisation (préventive) est immorale ! Syphiliser un enfant, un jeune homme ou un adulte, c’est lui donner carte blanche pour la débauche… Enfin devra-t-on syphiliser les filles ? Cette injure gratuite faite à leur conduite dans l’avenir et à la moralité de leurs maris, inspire la plus profonde répugnance. Les bonnes mœurs sont la meilleure des syphilisations » [19].

 

La liberté individuelle

La première obligation d’immunisation contre la variole date probablement de 1743, soumettant les enfants à la variolisation pour pouvoir entrer au Foundling Hospital de Londres, institution charitable recueillant les enfants abandonnés.

Une méthode coercitive différente fut parfois adoptée : dès 1810, à Dijon, les familles ayant des enfants non vaccinés furent privées du secours des bureaux de bienfaisance.

Suivant les pays et leurs traditions de liberté individuelle ou, au contraire, de responsabilité de chaque individu vis-à-vis de la société, des positions très différentes furent adoptées concernant les vaccinations obligatoires. Certains légiférèrent très vite : la Bavière, en 1807 ; la Suède fit en 1816 ; en France, une loi fut promulguée en 1902.

La Reine Victoria dû faire adopter six actes successifs (de 1840 à 1867) pour rendre obligatoire la vaccination anti-variolique de ses sujets, sous peine d’amendes ou même d’emprisonnement. La résistance pouvait conduire à la prison mais pas à une vaccination forcée. Très vite, un nombre important de personnes s’élevèrent contre ces lois. En Angleterre, l’ Anti-compulsory Vaccination League fut fondée à Londres, dès 1853. D’autres sociétés ont, très vite, été établies un peu partout. Dès 1898, une clause de conscience fut introduite en Grande-Bretagne permettant d’échapper sans difficulté à l’obligation de vaccination. Le relâchement fut rapide [2].

L’assimilation de la vaccination obligatoire à l’oppression administrative étrangère

Le médecin anti-vaccinal Boëns, prône pour la Belgique, l’abolition des vaccinations contre la variole et le développement de l’hygiène. Ce médecin détaille longuement l’inutilité des vaccinations (contre la variole) et, en même temps la conseille pour les colonisés : « Bref : l’utilité du vaccin est en raison inverse du développement des institutions sociales… dans cinquante ans on ne vaccinera plus ! » [20].

Une méfiance innée contre des méthodes importées et appliquées de force a toujours existé. « Dès 1869, on essaya d’installer la vaccine. Mais les Annamites, naturellement craintifs, avec cet esprit de tradition si développé chez eux, se montraient récalcitrants

Fig. 1. — «

Effets de la Vaccine sur un jeune garçon. C’est de l’état affreux de cet enfant que j’ai donné une faible idée… Dans cette figure, on remarque une tumeur horrible ; à gauche une large suppuration, et une enflure semblable commence à naître sur la joue droite. En outre, cet enfant a un coude très malade… » Le docteur Rowley, 1807, veut faire croire que l’état de cet enfant découle d’une vaccination jennérienne [9].

et le nombre des vaccinés restait toujours infime… Tout le monde fuyait le vaccinateur, et ceux qui étaient conduits de force auprès de lui ne manquaient pas de se laver à grande eau à l’endroit des piqûres pour éviter ses maléfices. » [21].

 

Opposition de routine

Rumeurs … colportées par des écrits, tel que l’intérêt de la corporation médicale ou des firmes pharmaceutiques

La variolisation fut certainement une source de profit pour une partie du corps médical. Certains, en renom, firent fortune en variolisant des personnes de qualité :

en 1756, le duc d’Orléans, frère du roi, fit varioliser ses deux enfants par Tronchin en personne, qui fit exprès le voyage de Genève à Paris. En remerciements, il reçut des marques d’estime accompagnées de cinquante mille livres, et de quelques boîtes en or et divers bijoux.

En 1768, l’Impératrice Catherine II de Russie se soumit à l’insertion de la petite vérole. Le Docteur Dimsdale fût son inoculateur… Il reçut onze mille livres sterling, cinq cents livres sterling de pension annuelle et aussi un titre nobiliaire héréditaire et celui de Premier Médecin de l’Impératrice.

Mais la vaccine ayant singulièrement simplifié les « inoculations », elle est accusée (1822-1830) : « …dans l’état actuel des choses, la vaccine est si peu lucrative pour ceux qui l’exercent, qu’il leur serait avantageux de voir les parens renoncer à la vaccine pour la variole, qui jadis enrichissait les médecins. » [22].

 

Opposition pseudo-scientifique

Germe inné de la variole et sa dépuration

La théorie d’un germe inné de la variole date du xviiie siècle mais subsiste au xixe :

« …ne vaccinez plus, laissez l’enfant payer un impôt auquel rien ne peut le soustraire ;

la petite vérole est une dépuration naturelle du sang ; si vous vous opposez à cette élimination de principes malsains, dont nous apportons le germe en naissant, vous condamnez l’individu à des accidents beaucoup plus redoutables que celui que vous cherchez à éviter… » [23].

 

Transfert de la crise variolique de la peau à l’intestin «

La vaccine n’a pas plus le pouvoir spécifique de résister à la petite-vérole que les autres éruptions ou maladie cutanées, tel que la gale, la lèpre, la pustule maligne, nommée anthrax ou charbon, ou le contact des animaux morts de maladies, ou la morsures des bêtes venimeuses, ou des plaies que ceux qui dissèquent les cadavres se font souvent à eux-mêmes… La pustule maligne, connue sous le nom de charbon, a une très grande ressemblance avec celle de la vaccine. » Moseley (1807) continue en remarquant que les individus affectés du pian ou éléphantiasis, les malades ayant la teigne, n’attrapent jamais la petite vérole [24].

 

En 1850-1851, Carnot, un officier d’artillerie, envoya plusieurs notes à l’Académie des sciences (Paris) pour « établir que la pratique de la vaccine n’a fait que déplacer la mortalité, et que les maladies gastro-intestinales, devenues plus fréquentes parmi les jeunes gens de vingt à trente ans depuis que la variole est devenue plus rare parmi les enfants, ne permettent pas d’admettre l’influence bienfaisante attribuée géné- ralement à l’inoculation du virus-vaccin. » [25]. Cette théorie sera largement reprise.

«

Maintenant, comptons avec le vaccin… il a multiplié à l’infini les maladies les plus terribles, la phtisie pulmonaire, les scrofules, les cancers, les maladies mentales, le rachitisme, les paralysies, et enfin il a donné naissance au croup, aux angines couenneuses et gangreneuses, et en particulier à la variole interne, dite fièvre typhoïde, qu’il a multiplié à ce point que cette maladie est devenue aujourd’hui presque aussi commune que la petite vérole externe… Avant tout, renonçons au vaccin. » [23]. Des passages du livre de Verdé-Delisle (1855) furent traduits en anglais et abondamment diffusés au Royaume-Uni.

Béchamp et les microzymas

Le médecin français Béchamp est à l’origine de la théorie des microzymas. Elle a été émise vers 1875 et reste au fil des ans, un argument majeur contre les vaccins, même dans des livres récents francophones ou anglophones. A priori , nulle part, Béchamp ne donne une définition claire de microzymas . On doit donc se contenter, d’une part de définition écrite par d’autres, comme par Pierre Larousse dans le Dictionnaire universel du xixe. Il donne, en 1888 et d’après Béchamp lui-même, la définition suivante des microzymas : « la forme vivante réduite à sa plus simple expression, ayant la vie en soi, sans laquelle la vie ne se manifeste nulle part ; c’est l’unité vitale irréductible. » [15] D’autre part, Béchamp, dans son livre Les microzymas de 992 pages, ajoute : «

La réciproque est donc vraie : les microzymas, dans des conditions déterminées, peuvent évoluer en bactéries ou produire des cellules ; une cellule, des bactéries, dans d’autres milieux appropriés, peuvent régresser et reproduire des microzymas. » [26] Béchamp donne aussi des conséquences de sa théorie. Dans son Avis aux lecteurs , il indique : « En fait, jamais on n’a pu communiquer une maladie caractérisée : fièvre typhoïde, variole, syphilis, etc., en prenant un microbe dans l’atmosphère, ce qui est la négation du système des parasitistes. Bref, le microzyma morbide est le fruit de la maladie qui, elle, est spontanée à l’origine et non pas produite par un microbe donné, créé originellement morbide ! » [26]

Cette théorie réductrice est toujours présentée par des anti-vaccinaux qui considèrent les agents pathogènes des maladies infectieuses comme néoformés. Dans le Inventeurs et Scientifiques Dictionnaire des biographies de la librairie Larousse (1994), on trouve cette phrase à l’article : «

Béchamp … Il poursuit ses travaux sur les moisissures et publie sa théorie du microzyma ou « infiniment petit », que les découvertes biologiques et immunologiques modernes ont confirmée » [27].

 

Négationisme pure et simple de l’efficacité du ou des vaccins

L’inefficacité du vaccin contre la variole a été répétée de nombreuses fois, dans de nombreux textes, c’est un argument simpliste qui, manifestement, semble convenir à certains lecteurs, car il est souvent employé.

Les commissaires nommés par la faculté de médecine de Paris, à la requête du Parlement de Paris du 8 juin 1763 et opposants à la variolisation l’accusèrent d’être inefficace contre la variole : « son inutilité à préserver des récidives… » [4].

Chappon (1803) «

Puisque dans les premiers jours de la vaccination, le pus vaccin, le cow pox, le sale pus des ulcères du pis des vaches de Glocester, ne préserve pas de la petite vérole la plus éminente, je me crois bien fondé à repousser ce prétendu spécifique… » [28]

Opposition indirecte, ciblée sur de grands noms de la vaccinologie

Jenner et Pasteur sont les deux plus grands noms de la vaccinologie. Tous les deux ont été pris pour cible d’attaques plus ou moins honnêtes.

Edward Jenner

Une belle statue de Jenner par W. Calder Marshall a été inaugurée en 1858 par le prince Albert, l’époux de la reine Victoria. Placée au coin sud-ouest de Trafalgar Square, cette statue fut considérée comme une insulte à la cause des anti-vaccinaux.

A peine, le prince Albert mort, dès 1862, elle sera déplacée dans les jardins italiens de Kensington.

Louis Pasteur

À la fin de sa vie, Béchamp publia un court livret anti Pasteur (1904) où l’on trouve :

« Pasteur, grand homme, la gloire la plus pure du e

XIX siècle et savant indiscuté, non seulement il ne l’a pas été, mais la pure vérité est qu’il a été le savant de moins de génie, le plus simpliste et le plus superficiel de notre temps, en même temps que le plus plagiaire, le plus faux et le plus faiseur de bruit du e

XIX siècle… Aussi, la croyance au microbisme est-elle la croyance à une pure imbécilité… » [29].

 

Opposition illusoire

L’idée d’un complot ourdi par la société contre les anti-vaccinaux

Se poser en martyr est une attitude classique des minorités turbulentes, politiques ou autres. Moseley (1807) raconte : « Un apothicaire très respectable m’a dit que toutes les fois qu’il communiquait ses observations sur les dangers de la vaccine, à un de ses plus violents enthousiastes… celui-ci lui conseillait de garder le silence, s’il ne voulait se perdre… Les journaux même ont refusé d’admettre, ou ont défiguré les pièces authentiques qui déposaient contre ce système prôné avec tant d’ardeur » [24].

 

Dans

L’intoxication vaccinale , Fernand Delarue, Président de la ligue nationale pour la liberté des vaccinations, en 1977, écrit en préface : «

Jamais encore, et dans aucun pays, il n’avait été possible de présenter devant le grand public le sujet abordé dans cet ouvrage… » [30]. Pourtant, cet ouvrage banal ne contient aucun argument nouveau contre les vaccinations et cette prétention est purement commerciale.

Lanctôt (1994) a écrit : « Ils sont nombreux, les partisans de Béchamp. L’histoire en a connu plusieurs qui ont tenté de faire valoir sa théorie. Ils ont tous été condamnés au silence soit par la persuasion, soit par la force. » [31]. Affirmation étonnante, et sans référence.

Opposition par emploi d’arguments d’une authenticité douteuse rapportés sans un minimum de preuves

En France, une thèse fut soutenue contre l’inoculation, à la Faculté de Médecine, le 30 décembre 1723. Elle contient de nombreuses invraisemblances : « Wastaf fait mention de treize Soldats François qui furent inoculés à Cremone, tous dans la fleur de leur âge… six eurent beaucoup de peine à se tirer d’affaire, & ce ne fut pas sans des tumeurs inflammatoires qui occuperent fort long-tems le gosier & les amygdales ; trois subirent inutilement l’opération, & les quatre autres moururent. » [18]. Cet épisode se serait déroulé, sous les yeux du docteur Dolhonde, « zélé antagoniste de l’inoculation à Boston ». Or Thacher, en 1828, dans son History of medicine in America donne en note, la traduction en anglais de la déposition du docteur français Lawrence Dolhonde. Il est clair que Dolhonde ne connaît pas l’histoire de l’arrivée de l’inoculation en Europe [32].

Opposition sur bases de propos inutilement insultants

Beaucoup de textes contre la pratique de l’inoculation sont anonymes et violents, ainsi en 1756 : « Récapitulation des principaux griefs… L’inoculation peut servir de couverture à plusieurs crimes… Elle met un glaive à la main à des insensés & à des furieux. Elle fut enfantée, & elle est nourrie par la cupidité. » [33].

Verdé-Delisle (1855) : «

L’espèce humaine dégénère : aux puissantes races des siècles passés a succédé une génération petite, maigre, chétive, chauve, myope, dont le caractère est triste, l’imagination sèche, l’esprit pauvre… Remontons enfin à l’origine : la cause unique de ce désastre multiple, c’est le vaccin. » [23].

 

CONCLUSION

Le refus des vaccinations a évolué avec le temps. L’épidémie de variole de 1870-1871, en France, a atteint au minimum 220 000 personnes, en a tué 58 000 et en a laissé infirmes ou défigurés 24 000… sur une population d’environ trente-six millions d’habitants. Nous n’avons plus en mémoire de telles données et notre crainte des maladies infectieuses a diminué mais, en même temps, celle des effets secondaires des vaccinations a considérablement augmenté, ce qui est logique mais regrettable.

L’éducation pourrait mettre un frein à cette dérive.

Au cours du temps, les arguments contre les vaccinations ont été très semblables dans les pays occidentaux, ce sont ceux d’une communauté restreinte dont les écrits s’échangeaient entre pays. Mais aux pamphlets anti-vaccins, il était opposé des développements correctement rédigés, ce qui permettait de réduire leur influence.

Il n’est pas certain que l’obligation vaccinale soit recommandable, car elle mobilise contre la vaccination sans lui apporter un concours certain. Mais toute modification doit être faite avec prudence.

Beaucoup de mouvements d’opposition aux vaccins ont été créés et propagés par des médecins, peu ou mal informés.

BIBLIOGRAPHIE [1] Bazin H. —

The eradication of smallpox (Academic Press, London), 2000.

[2] Bazin H. —

L’Histoire des vaccinations (John Libbey Eurotext, Paris) 2008.

[3] Plotkin S.A., Fantini B. Edit. —

Vaccinia, vaccination, vaccinology ; Jenner, Pasteur and their successor (Elsevier, Paris), 1996.

[4] De L’Épine G.J. et al. — Rapport sur le fait de l’inoculation de la petite vérole et son supplément (chez F.A. Quillau, Paris), 1765 et 1767.

[5] Carpanetto D. — La vaccinazione in Piemonte nell’eta francese 1800-1814 (Societa di studi Buniviani, Pinerolo), 2004.

[6] Bijl J.P. — Encéphalite post-vaccinale et encéphalites post-infectieuses en général, in Les ultravirus des maladies humaines (C. Levaditi et P. Lépine, Librairie Maloine, Paris). 1938 [7] Cantwell M. — Tableau de la petite vérole (chez Jean-Thomas Hérissant, à Paris), 1758.

[8] De Ponsard — L’inoculation rectifiée (chez G. Bergeret, à Bordeaux), 1776.

[9] Rowley W. — De l’inefficacité et des dangers de la vaccine. in La vaccine combattue dans le pays ou elle a pris naissance (chez Giguet et Michaud, imprim. — Libraires, à Paris), 1807.

[10] Tholozan J.-D. — Le choléra et la peste en Perse sans les quarantaines, C. R. Acad. Sc., 1885, CI, 495-498.

[11] Bilz F.E. — La nouvelle médication naturelle (F.E. Bilz Libraire-Editeur, Paris), vers 1900.

[12] Voltaire — Sur l’insertion de la petite vérole (1734), in Lettres philosophiques , Oeuvres complètes (chez Th. Desoer, Paris), 1817.

[13] Wortley Montagu — Letters of the Right Honorable Lady M–y W–y M– (printed for T.

Becket and P.A. De Hondt, London), 1763.

[14] Massey E. — A sermon against the dangerous and sinful practice of inoculation, (printed for William Meadows), 1722.

[15] Larousse Pierre — Grand dictionnaire universel du xixe siècle (P. Larousse et Cie, Paris), 1866-1888.

[16] Douma J. et al. — The non-vaccinated community, in Meeting on surveillance of poliomyelitis (Biltoven), 1993.

[17] De la Coste — Lettre sur l’inoculation de la petite vérole, in

Recueil de pièces concernant l’inoculation de la petite vérole (chez Desaint et Saillant, à Paris) 1756.

[18] Duvrac L. — Est-il permis de proposer l’inoculation de la petite vérole ? (Chez Delaguette, Libraire et Imprimeur, Paris). 1755.

[19] Valleix F. L. I. — Guide du médecin praticien (J.-B. Baillière et fils, 4e édition revue par V.-A.

Racle et P. Lorain, Paris). 1860-1861.

[20] Boëns M. — Plus de vaccin, plus de vaccine, ou moyen d’arriver à supprimer la méthode de Jenner, Bull. Acad. Roy. Méd. de Belgique (Bruxelles), 1879, 31, 923-969 et 997-1051.

[21] Anonyme — La vaccination en Indochine, Revue scientifique (revue rose), 1893, tome LII, page 60-61.

[22] Anonyme — Vaccine in Dictionnaire des sciences médicales (Aug. Wahlen puis chez Dewaet,

Bruxelles) 1828-1830.

[23] Verde-Delisle Dr — De la dégénérescence physique et morale de l’espèce humaine déterminée par le vaccin, Charpentier, Paris, 1855 [24] Moseley B. — Discussion historique et critique sur la vaccine. in La vaccine combattue dans le pays ou elle a pris naissance (chez Giguet et Michaud, imprim. — Libraires, à Paris) 1807.

[25] Carnot H. — Influence de la vaccine sur la mortalité…, C. R. Acad. Sc., séances du 18 février 1850, du 31 mars 1851, du 2 juin 1851, du 13 août 1855.

[26] Bechamp A. — Les microzymas, réédition en 1990 (Centre international d’études A. Béchamp, Paris) 1883.

[27] Anonyme — Inventeurs et scientifiques Dictionnaire des biographies (Larousse, Paris) 1994.

[28] Chappon P. — Traité historiques des dangers de la vaccine… (chez Demonville et sœurs, Paris), 1803.

[29] Béchamp A. — Louis Pasteur ses plagiats chimiophysiologiques et médicaux ses statues (chez l’auteur, 15 rue Vauquelin, Paris) 1904.

[30] Delarue F. — L’intoxication vaccinale (Seuil, Paris), 1977.

[31] Lanctôt G. — La mafia médicale (Edition Voici la clef inc. Coaticook, Canada), 1994.

[32] Thacher J. — Zabdiel Boyston in American Medical Biography, Boston, 1828 (reprinted Da

Capo Press, New-York) 1990.

[33] Anonyme — L’inoculation de la petite vérole déférée à l’Eglise et aux magistrats (pamphlet anonyme), 1756.

 

<p>* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, 4, rue des Écoles — 92330 Sceaux, e-mail : herve-marie.bazin@wanadoo.fr Tirés à part : Professeur Hervé Bazin, même adresse Article reçu le 5 mai 2010, accepté le 10 mai 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, nos 4 et 5, 705-718, séance du 11 mai 2010